Poro, re delle Indie - Haendel

Poro, re delle Indie - Haendel © Jean-Luc Izard
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Un tour de force réussi

Poro, re delle Indie est créé dans la période économique difficile pour Haendel qui le voit tenter de remonter sa Royal Academy of Music après la faillite de 1728. Poro s’inscrit dans la deuxième saison de la nouvelle Académie et aligne à sa création en février 1731, une distribution prestigieuse et notamment Senesino (Poro), Anna Maria Strada del Po (Cleofide) et Annibale Fabri (Alessandro).

Le succès fut au rendez-vous avec seize représentations à la suite de la création, une reprise pour quatre représentations à la fin de cette même année 1731 et une reprise les 8 et 9 décembre 1736. Puis ce fut l’oubli, malgré des reprises en 1928 (Brunswick), 1956 (Halle) et 1982 (Karlsruhe).

L’opéra fait écho à la bataille historique de l’Hydaspe : Alexandre le Grand y triompha du roi Poro mais, en raison de son courage lui laissa la vie sauve. Bien entendu, l’opera seria va rechercher la virtuosité vocale et faire un étalage échevelé d’intrigues et de sentiments, qui se terminera par un pardon général et l’éloge de l’amour. A la rivalité militaire des deux hommes et à leurs qualités royales de courage et de clémence vont ainsi s’ajouter jeux de confusion (Gandarte se faisant passer pour Poro, rumeur de la mort de Poro, mariage inabouti d’Alexandre et Cleofide), histoires d’amour (Poro et Cleofide), dépits amoureux (Timagene vs Erissena et Gandarte vs Erissena), intrigues politiques (Cleofide contre tous), soupçons jaloux (Poro vs Cleofide).

Salle comble pour cette représentation en version de concert dans la grande Salle des Croisades du château de Versailles, au décor très présent mais qui offre un cadre en forme de clin d’œil à cet opéra baroque sur fond de bataille.

La distribution réunie ce soir a offert un spectacle tout à fait remarquable et on attend avec impatience la publication du CD de Château de Versailles Spectacles qui offrira certainement enfin une version de référence à cet opéra un peu oublié.

La direction de Marco Angioloni, à la tête d’un ensemble Il Groviglio augmenté mais néanmoins survolté, est totalement convaincante. D’un engagement réellement exceptionnel, il réussit à traduire les innombrables nuances de cette œuvre aux très belles pages musicales, alternant avec autant de conviction arie di bravura, duos amoureux, moments tendres et alanguis et désespérances amoureuses. Les différents pupitres et leurs instruments sont mis en valeur avec beaucoup de délicatesse et de sincérité, donnant à entendre toute la richesse de cette partition. Les deux Sinfonie aux actes I et III sont totalement réussies. Une des caractéristiques les plus frappantes de cette production est le soin méticuleux apporté aux nombreux récitatifs qui sont tous incarnés avec conviction par les interprètes et soutenus par un très beau continuo.

Christopher Lowrey est le chanteur le plus expérimenté de cette production et il affronte son Poro, créé, rappelons-le, par Senesino, avec talent et une forme évidente de gourmandise. La voix est impeccablement projetée et homogène et une technique assurée lui permet de dominer un rôle lourd et de passer sans difficulté de la bravoure de Vedrai con tuo periglio, à la tendresse de E mai piu saro geloso et de nous assener, au III un époustouflant Dove s’affetti aux ornements ciselés.

Face à lui, la Cleofide de Lucía Martín-Cartón est une des très belles découvertes de cette représentation. Elle incarne à la perfection cette reine amoureuse mais déterminée à mener à bon port son projet politique. Son Digli ch’io son fidele est bouleversant mais il faut aussi citer la façon dont elle plie une voix chaude voire sensuelle aux exigences du Spirto amato. Enfin, son intervention dans les duos avec Christopher Lowrey est une contribution essentielle à la beauté de ceux-ci, notamment celui qui « lance » l’ensemble final.

Paul-Antoine Benos-Djian est un Gandarte de grand luxe. Le timbre qui devient plus charnu est vraiment magnifique, chaud, et la technique se montre à toute épreuve. Chacune de ses interventions est un moment de grande musicalité et de grande beauté. Il est marquant dès son premier aria (E prezzo leggero), et son interprétation de Se viver non poss’io (II) et de Mio ben ricordati (III) étaient exemplaires, mettant en valeur la capacité de nuances et la grande palette de couleurs de cet excellent contre-ténor.

J’ai été beaucoup moins convaincu par l’Erissena de Giuseppina Bridelli. Certes, le timbre est beau, la voix homogène même si elle m’a semblé moins puissante et un peu limitée dans ses extrémités. Méforme passagère ou écriture du rôle un peu trop basse pour elle ? Toujours est-il que, sans démériter, elle était un peu en dessous du reste de la distribution. Enfin, Alessandro Ravasio était très impliqué dans son Timagène qui, donne envie d’entendre cette belle basse puissante dans un rôle plus important.

Reste l’Alessandro de Marco Angioloni, qui délaisse la baguette pour assurer toutes ses participations aux récitatifs et, surtout, pour basculer dans les affects des airs redoutables qu’il doit affronter. On sait son affection pour Fabri, créateur du rôle auquel il a consacré un enregistrement (voir mon compte rendu) et dans lequel il se dit très à l’aise dans les airs composés pour ce ténor. On ne peut néanmoins qu’être admiratif devant le tour de force que représente cette double prestation qui l’amène à affronter des arias dans lesquelles sa longueur de souffle lui permet d’affronter de redoutables vocalises. Son goût très sûr apporte quelques très beaux ornements et on reste séduit par son timbre naturel et reconnaissable entre tous.

C’est un très gros succès qui a salué cette représentation. Succès d’autant plus mérité que les conditions offertes par la Salle des Croisades n’étaient pas optimales : la réverbération est un peu trop importante, les conditions pour le public sont assez mauvaises mais surtout l’exiguïté, accrue par les conditions d’enregistrement, laissait très peu d’espace aux chanteurs pour évoluer et les gênait. Espérons que ce succès permettra d’offrir de meilleures conditions à ces beaux artistes dans un avenir proche.



Publié le 29 mars 2023 par Jean-Luc Izard