Purcell - Le Banquet Céleste

Purcell - Le Banquet Céleste © Eric Lambert
Afficher les détails
L’esprit de Purcell retrouvé

Célébré par ses contemporains, Henry Purcell est sans aucun doute le compositeur qui a le plus marqué l’histoire de la musique anglaise. Né à Londres en 1659 dans le quartier de Westminster à quelques pas de l’abbaye du même nom, il est issu d’une famille de musiciens, son père prénommé Henry comme lui était en effet membre de la chapelle du roi Charles II ainsi que son oncle, Thomas Purcell. Plus tard, deux de ses trois fils, Henry et son frère cadet Daniel, deviendront également compositeurs. On dispose d’assez peu d’informations sur son éducation musicale si ce n’est qu’il commença tout naturellement par le chant en tant que choriste de la Chapelle Royale où il étudia auprès de maîtres réputés de l’époque tels Henry Cooke, ou John Blow qui lui enseigna la composition. Prodigieusement doué, il écrit ses premières antiennes alors qu'il était encore enfant de chœur, son œuvre la plus précoce est une ode pour l’anniversaire du roi Charles II écrite en 1670 alors qu’il n’était âgé que de onze ans. À l'âge de dix-huit ans, il est choisi comme organiste de l'abbaye de Westminster, deux ans plus tard, l’organiste titulaire qui n’est autre que John Blow démissionne en faveur de son élève. La qualité des compositions de musique religieuse d’Henry Purcell lui valent rapidement un grand succès et sa réputation se répand dans toute la Grande-Bretagne de l’époque. Les Odes Royales ont été composées entre 1680 et 1695 en hommage à la famille royale britannique, elles ont été récemment enregistrées par Le Banquet Céleste dirigé par Damien Guillon, et c’est l’intégralité de cet enregistrement paru en 2022 chez Alpha Classics qui était proposé ce samedi 26 août 2023 dans la salle Coppelia de La Flèche, dans le cadre du Festival de Musique Baroque de Sablé sur Sarthe qui fête cette année sa quarante cinquième année d’existence. Fondé en 2009 par le contre-ténor Damien Guillon, Le Banquet Céleste fait désormais partie des ensembles qui comptent dans le paysage baroque français. Girolamo Frescobaldi, Alessandro Stadella, Antonio Caldara, Johann Sebastian Bach, Henry Purcell, la discographie déjà conséquente de cette formation est régulièrement saluée par la critique.

Répertoriées sous les références Z326, Z 324 et Z343 dans le catalogue des œuvres de Purcell, ces trois Odes Profanes composées entre 1680 et 1695 sous les règnes de Charles II et de Jacques II étaient destinées la plupart du temps à la célébration d’évènements royaux comme les anniversaires ou les mariages. La première Ode Z326 est une Ode de bienvenue destinée à célébrer le retour du Roi à Londres à Whitehall après une villégiature d’été. From Those Serene and Rapturous Joys séduit d’emblée par la profonde beauté de la musique qui accompagne un texte composé par le poète anglais Thomas Flatman. La qualité de composition est absolument remarquable, tout les ingrédients qui ont fait la renommée d’Henry Purcell sont bien présents à travers une musique à la fois imaginative et novatrice pour l’époque. Point particulièrement intéressant, la composition de l’ensemble qui ne dispose pas de chœur à proprement parler mais de neuf chanteurs qui composent le chœur et interprètent tour à tour les parties solistes. Mais si l’on en croit les registres de l’époque, les effectifs de chanteurs et de musiciens étaient de taille étonnamment restreinte. A titre d’exemple, les Odes les plus célèbres de Purcell comme Come Ye sons of Art  et  Hail ! bright Cecilia ont été écrites pour une douzaine d’instruments et quatre chanteurs tout au plus assurant à la fois les solos et les chœurs. Ces musiques destinées à l’intimité de la famille royale se devaient donc conserver un caractère intime, la composition de l’ensemble du Banquet Céleste en respecte donc totalement l’esprit d’origine. Toutefois, si la musique de Purcell frôle la perfection dans son écriture, on pourra difficilement en dire de même du texte auquel elle sert de support qui constitue un concentré de flatteries et de compliments obséquieux destinées de toute évidence à s’attirer les grâces d’un monarque qui était également et avant tout un soutien financier ! Dans cette première Ode, on notera tout particulièrement From those serene and rapturous joys, un air écrit pour une voix de contre-ténor interprété avec talent par Paul Figuier, rappelant que Purcell affectionnait au plus haut point ce registre de voix, et le brillant final With trumpets and shouts we recive the World’s Wonder. Un chœur à la fois enlevé, pompeux et jubilatoire, totalement caractéristique de la musique de Purcell, qui fait référence aux trompettes qui sont cependant totalement absentes de la partition. Il sera offert en bis à l’issue du concert, permettant ainsi au public de l’apprécier une seconde fois.

La deuxième Ode du programme intitulée Fly, bold rebellion fut écrite en 1683 afin de célébrer l’échec de la rébellion de Rye House visant à assassiner le roi Charles II et son frère Jacques afin de renverser la monarchie au profit d’un gouvernement républicain. Découvert à temps, il eut pour effet inverse de provoquer un regain de sympathie envers le roi Charles II et et son frère Jacques qui lui succédera quelques années plus tard sous le nom de Jacques II. Composée pour le roi Charles II, cette Ode constitue l’un des tous premiers chants de bienvenue composés par Henry Purcell. Elle fut donc très probablement interprétée pour fêter le retour à Londres du roi une fois le complot déjoué. Cette Ode a pour titre Fly, bold rebellion, make baste and be gone! Victorious in counsel great charles is returned (Volatilise toi, rébellion audacieuse, éteins toi et disparais! Bien avisé, le grand Charles est de retour). Après une splendide symphony en forme d’ouverture à la française, s’enchaînent chœurs, trios, solos, chacun constituant un petit trésor d’écriture. On retiendra en particulier un magnifique trio (deux sopranos, Céline Scheen et Myryam Arbouz et un contre-ténor, Paul Figuier) dans But heaven has now dispelled those fears (Mais le ciel a maintenant dissipé ces craintes) et Be welcome then, great Sir, un sublime ground à l’anglaise chanté par le contre-ténor Paul Figuier sur une basse obstinée de trois mesures. Dans Welcome to all those wishes fulfilled, la parfaite maîtrise de l’art du contrepoint d’Henry Purcell se fait expressément ressentir à travers ce chœur qui lui tient lieu de conclusion.


© Eric Lambert

La troisième et dernière Ode portant le titre de Why, why are all the muses mute ? (Pourquoi, pourquoi toutes les muses sont elles muettes ?) fut composée en 1685 en l’honneur de Jacques II qui avait entre temps succédé à son frère Charles II décédé sans postérité dynaste. Cette Ode est la toute première que Purcell a écrite pour le roi Jacques II, elle fut jouée le 14 octobre 1685 à Whitehall et fait référence à une autre tentative manquée de renverser le roi, la rébellion de Monmouth. Le duc de Monmouth, fils illégitime du roi Charles II exilé en Hollande et prétendant à la succession de son père, débarqua en juin 1685 en Angleterre à la tête d’une armée afin de renverser Jacques II à son profit. Cette tentative échoua au bout d’un mois, le duc de Monmouth fut capturé et exécuté. L'œuvre débute par un solo chanté par le contre-ténor : Why, why are all the Muses mute ? Why sleeps the viol and the lute ? (Pourquoi toutes les muses sont-elles muettes ? Pourquoi la viole et le luth sont ils assoupis ?) conduisant à un refrain repris en chœur : Awake, ‘tis Caesar does inspire, And animates the vocal quire (Réveillez-vous, c'est César qui inspire et anime le chœur vocal). C’est alors que vient la symphony écrite elle aussi en forme d’ouverture à la française. Le solo pour alto, Britain, thou now art great est lui aussi construit sur une basse obstinée (ground). Il s’agit d’un joyau d’une beauté absolue attestant du génie de Purcell, interprété avec talent avec une diction parfaite par Paul Figuier. Accursed Rebellion Reared His Head, un solo de basse dont la tessiture s'étend sur plus de deux octaves, constitue une véritable prouesse technique parfaitement maîtrisée par Edward Grint. L'œuvre s’achève en beauté par un long et magnifique solo des plus inspirés écrit une fois de plus pour un contre-ténor O how blest the Isle to which Caesar is given (Ô, que soit bénie l’Île à laquelle César est donné), repris ensuite par le chœur, annonçant indéniablement Didon et Enée qui sera écrit quatre ans plus tard.

Durant ce concert, le public présent a pu apprécier une musique novatrice et d’une grande richesse, interprétée de manière irréprochable par un ensemble extrêmement talentueux qui a su à merveille restituer l’esprit de Purcell. Ces trois Odes d’une grande richesse expressive et musicale constituait une belle illustration de l’esprit créatif de Purcell. Mais au delà de la musique, elles témoignent également d’une époque notoirement instable de l’histoire britannique, émaillée de complots visant les rois catholiques de la dynastie des Stuart rétablis sur le trône après l’abolition de la royauté par les Cromwell père et fils.



Publié le 13 sept. 2023 par Eric Lambert