L’héritage de Rameau

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Les Surprises, de l'orgue à l'opéra

Le jeune ensemble Les Surprises de Louis-Noël Bestion de Camboulas s’associe avec l’organiste Yves Rechsteiner pour une après-midi en hommage à Jean-Philippe Rameau, lui faisant revivre des concertos pour orgue imaginaires, à partir de ses plus beaux airs d’opéra.

Jean-Philippe Rameau (1683-1764) était un organiste hors pair. L’orgue lui était cher, particulièrement dans sa jeunesse. Pourtant, il ne lui est connu aucune œuvre pour cet instrument. Il lui était toutefois fréquent de retranscrire des œuvres, notamment les siennes. C’est aussi ce que faisaient ses amis François Rebel (1701-1775) et François Francœur (1698-1787), violonistes et directeurs, entre autres, de l’Académie royale de musique. Par exemple, le 27 septembre 1764, lors des funérailles de Rameau, ils arrangèrent le Requiem de Jean Gilles en y insérant des extraits d’opéras du feu compositeur. C’est donc dans la même optique que le jeune ensemble Les Surprises de Louis-Noël Bestion de Camboulas a accepté avec enthousiasme la proposition de l’organiste Yves Rechsteiner de faire revivre des « concertos pour orgue » de Jean-Philippe Rameau, en puisant dans ses opéras les plus célèbres. C’est aussi dans cet élan que le public peut découvrir des Suites de Symphonie présentant des extraits d’opéras des deux surintendants de la musique et de la musique de chambre, Rebel et Francœur.

Dès le prélude de la première Suite de Symphonie, Les Surprises sonnent naturellement très bien, les violons se montrant particulièrement vifs. Toutefois, l’abbatiale d’Ambronay résonne particulièrement, contre toute habitude ; les basses semblent trop présentes et leur son trop volumineux. Peut-être est-ce par la présence de l’orgue qui les double, ce qui fait alors effectivement beaucoup d’instruments pour la partie de basse (six contre sept). Heureusement, après cette première œuvre, ce problème désagréable ne se rencontre plus.

Afin que les tuyaux soient positionnés vers le public, Yves Rechsteiner est complètement caché derrière l’orgue. Avant les œuvres et certains mouvements, on aperçoit alors quelquefois sa tête apparaître par un côté – petit jeu de cache-cache qui finit, en deuxième partie de concert, par amuser gentiment le public et les musiciens. Le Concerto Les Sauvages débute et finit par l’Air pour les esclaves africains extrait des Indes Galantes, avec un Air tendre de Zoroastre comme mouvement lent. La sonorité de l’ensemble se montre bien plus précise que dans la Suite de Symphonie précédente, avec de jolies envolées des violons. Malgré leur nombre relativement restreint, l’ensemble sonne toujours très bien et très facilement. Le touché d’Yves Rechsteiner se montre très virtuose, bien que parfois il semble être un rien savonneux sur certains passages ; le rythme semble même être quelquefois (certes rarement) un rien douteux et incertain. Le très célèbre passage de la Danse des Sauvages est plein de vivacité. Les musiciens prennent plaisir à jouer ; ça se voit et ça s’entend.

Dans le Concerto Les Enfers, l’auditeur découvre des arrangements d’extraits de Dardanus et de Hippolyte et Aricie. L’Air tendre est joué par l’orgue seul ; dommage que le jeu de régales (un jeu d’anches) sonne faux. La Contredanse est un dialogue amusant entre l’orgue et l’orchestre. Les gammes nerveuses des cordes sont toutefois un rien pressées, ne permettant pas d’en apprécier pleinement la légèreté. Mais le plaisir subsiste et se communique.

Dans la seconde Suite de Symphonie de la soirée, inspirée d’œuvres de Rebel et de Francœur, les jeunes musiciens déploient leur grande attention et la très bonne préparation de Louis-Noël Bestion de Camboulas, qui dirige depuis son clavecin, de la tête et du regard. Le public ressent alors un même accord d’intentions et une homogénéité de son qui permettent de belles couleurs. Cependant, il semble manquer quelque chose, comme un manque d’assurance d’un ensemble qui reste un peu jeune et/ou un manque de respirations – d’où sans doute les aspects parfois un peu nerveux.

Georg Friedrich Haendel (1685-1759) était considéré comme le plus grand organiste londonien de son temps. Il avait pour habitude, particulièrement pour des questions financières, de composer et improviser des concertos à l’orgue pour les entractes de ses oratorios. C’est des extraits d’un de ceux-ci que nous propose Yves Rechsteiner, le Concerto en sol mineur, n°5 opus 7, comme une sorte d’entracte, certainement. Après un agréable Adagio, l’ensemble se lance dans la chaconne de l’Andante larghetto, qui est plus andante que larghetto. Les pizzicati qui deviennent progressivement arco semblent bien pressés, mettant en danger l’organiste dont le discours devient un peu brouillon et accuse souvent d’un léger retard. La fin de la chaconne n’a alors pas la brillance et l’éclat que l’on aime y entendre habituellement. Dans l’Allegro final – qui est normalement le premier mouvement du concerto – le soliste sonne comme lourd, surtout en réponse aux très vifs instrumentistes qui l’accompagnent. Sa cadence n’est toutefois pas le moment où il profite de son moment personnel, les passages au toucher savonneux s’y entendant davantage qu’avec l’ensemble pour le couvrir.

Pour terminer cette fin d’après-midi, le Concerto Les Amours permet à Yves Rechsteiner de montrer encore ses talents de virtuoses (main droite surtout, moins la main gauche) et d’arrangeurs. Cette transcription, comme les autres, est amusante et intelligemment construite. Le public entend d’abord le Rigaudon des Niais de Sologne de Dardanus, l’Air pour les Amours de Hippolyte et Aricie, la Musette de Platée et les effervescents Tambourins de Dardanus, pour terminer avec le plaisir qui caractérise les musiciens des Surprises. C’est avec ce même plaisir communicatif qu’ils terminent en bis par la Danse des Sauvages des Indes Galantes.



Publié le 02 oct. 2017 par Emmanuel Deroeux