Rejoice ! Ensemble Marguerite Louise

Rejoice ! Ensemble Marguerite Louise ©
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Un orgue pour chanter le retour de la musique

Voici un concert qui s’est déroulé dans des conditions bien particulières. Les mesures sanitaires imposées par l’épidémie n’ayant pas encore autorisé le retour des concerts publics, le concert public, programmé dans l’après-midi à la Chapelle Royale, avait été annulé – comme hélas l’ensemble des concerts et représentations prévues dans le cadre de la saison de Versailles. L’enregistrement prévu dans la soirée avait toutefois été maintenu. Nous devons donc louer l’initiative de Laurent Brunner, qui a permis à quelques invités - pour le coup parfaitement privilégiés – d’assister à cet enregistrement, et de renouer ainsi avec la fréquentation des exécutions musicales en salle, dont nous étions privés depuis la mi-mars, soit trois longs mois d’abstinence durant lesquels seuls les enregistrements et les diffusions sur Internet et les chaînes spécialisées restaient accessibles. Nous ne rappellerons pas ici la longue litanie des productions annulées (ou au mieux, reportées) durant cette période : chacun de nous a en-tête les concerts et les représentations d’opéra auxquels il avait prévu d’assister, et qui n’ont pu se tenir aux dates prévues.

Le Rejoice ! (réjouissez-vous!) servant d’intitulé au programme prenait donc une résonance tout à fait particulière, emplie d’une indicible émotion : réjouissance de renouer avec le concert, et tout particulièrement dans ce cadre prestigieux de la Chapelle Royale, bien connue de tous les amateurs de musique baroque, et d’y retrouver l’ensemble Marguerite Louise, particulièrement engagé pour faire revivre le répertoire musical de Versailles (lire notamment les comptes-rendus des récents enregistrements Messe du Roi-Soleil et Guerre des Te Deum). Ce soir-là le programme s’articulait autour de trois concertos pour orgue de Haendel, entrecoupés de motets pour voix seule et orchestre du même compositeur, confiés à la jeune soprano Chiara Skerath.

D’emblée, par sa présence sonore sous le jeu inspiré et fluide de Gaétan Jarry, l’imposant orgue positif bâti par Quentin Blumenroeder pour honorer la commande de Château de Versailles Spectacles s’affirme comme le pivot musical de ce concert. Ses sonorités somptueuses, à la fois fruitées et aériennes, résonnent magnifiquement dans une Chapelle au public épars – mesures de sécurité sanitaire obligent – mais conquis. Le dernier mouvement du concerto en sol HWV 289 offre ainsi une brillante démonstration de l’étendue de son registre, les accords graves de l’ouverture laissant ensuite place à un rythme dansant dans lequel l’orgue emmène avec brio le reste de la formation. Du concerto en ré on retiendra tout particulièrement les attaques moelleuses et graves des cordes dans le premier mouvement (et en particulier la bonne présence sonore du théorbe d’Etienne Galletier), et les parties solo de l’orgue dans le troisième mouvement, qui enchantent à nouveau nos oreilles. Le concerto en fa majeur clôt avec brio ce trio de pièces orchestrales, avec là encore un orgue qui tient la vedette à travers des accords virevoltant dans une aisance déconcertante, témoignant avec maestria de la maîtrise technique de Gaétan Jarry.

Nous entendions pour la première fois Chiara Skerath, qui s’est montrée tout à fait à la hauteur des attentes lors de ce concert. Malgré le volume sonore de l’orgue, elle impose sans peine sa projection claire et naturelle dans le Salve Regina. Elle y fait preuve également d’une belle expressivité vocale et physique, à la joie débordante dans le final. Morceau de bravoure, le Saeviat tellus lui permet de briller de tout ses éclats, notamment dans les magnifiques reprises, ornées avec soin, et dans l’impérieuse apostrophe de l’Alleluia final, qui s’achève sur une époustouflante cascade de mélismes. Très réussi également, le Rejoice greatly ! qui concluait cette belle soirée sera redonné en bis, en remerciement des chaleureux applaudissements d’un public enthousiaste.

Tous avaient le sentiment d’assister à un moment doublement privilégié : par la qualité de l’interprétation, et par les circonstances sanitaires, qui limitaient fortement l’assistance. La sortie dans les prochains mois de l’enregistrement devrait permettre au plus grand nombre d’amateurs de découvrir ce concert, et peut-être aussi de partager l’atmosphère si particulière qui régnait ce soir-là dans la Chapelle Royale.



Publié le 11 juil. 2020 par Bruno Maury