Le retour d'Ulysse - Monteverdi

Le retour d'Ulysse - Monteverdi © Magali Dougados
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Così fan tutte dans la Grèce antique

Après avoir récupéré Achille à Skyros (voir mon récent compte-rendu), connu la guerre de Troie et bien d'autres aventures, Ulysse retourne à Ithaque, sa patrie. La saison 2022/2023 du Grand Théâtre de Genève est opportunément consacrée aux « Mondes en migration ». À l'affiche, on voit un soldat en ligne de front de profil, en Irak, évitant la noire Mort. Mais l'Odyssée de ce soir correspond au dernier épisode du mythe d'Ulysse (en grec ancien Ὀδυσσεύς/ Odysseús, en latin Ulixes, puis par déformation Ulysse). Chanté par Homère, peut-être petit enfant d'Ulysse (selon certains sources), il est repris selon la tradition en Italie médiévale par des références latines. Cette renaissance hellénique en l'Occident n'est pas si exotique… A l'époque, la République de Venise contrôlait de nombreuses possessions en Grèce : Corfou, Céphalonie, Zakynthos, Ithaque, …

Claudio Monteverdi, baptisé à Crémone, a appris le violon et le chant dès son plus jeune âge. Mais c'est auprès de la Camerata fiorentina (ou Camerata de' Bardi) qu'il commence à expérimenter le chant récitatif, suivant les pas de Peri et Caccini. En 1637, le premier opéra commercial voit le jour pour le Carnaval de Venise. Ce n'est que deux saisons plus tard que Monteverdi crée son Retour d’Ulysse au Teatro Santi Giovanni e Paolo. Mais les théâtres de à l'époque étaient très petits, et la taille réduite de l'orchestre se reflète dans la musique. On n'entend qu'un chœur et très discret. Peu de parties mobilisent l'orchestre complet et sonore, le plus souvent dans ritournelles pour accentuer des métaphores comme le cri de Pénélope Torna, deh torna, Ulisse, plus instrumenté. La mise en scène sobre et intelligente de la compagnie anversoise FC Bergman et les costumes de la lausannoise Mariel Manuel complètent aussi parfaitement le timbre de l’orchestre Europa Galante dirigé, souvent depuis son violon, par Fabio Biondi.

Selon Biondi, « si Monteverdi était Mozart, Le couronnement de Poppée serait son Don Giovanni sublime, et le Retour d’Ulysse son Così fan tutte ». Protagoniste d’un des seuls trois opéras de Monteverdi qui nous sont parvenus, Ulysse est lui-même présenté au début de cette production comme Fragile umano, incarné par un Mark Padmore solitaire qui confère au rôle tout le sérieux et la persévérance qu'il requiert. Lors du prologue plongé dans l’obscurité, le Temps, la Fortune et l’Amour, hors scène, sont mentionnés à chaque intervention sur un tableau des arrivées, comme guide de l'action. Lorsque la lumière éclaire enfin la scène , le spectateur se retrouve transporté dans le hall des arrivées de l’aéroport d’Ithaque : quel meilleur endroit pour attendre l'arrivée d’un proche ! Pénélope (Sara Mingardo, « casta consorte ») se (dés)espère : Ogni partenza attende desiato ritorno et entame la douce mélodie Torna il tranquillo al mare. La contralto vénitienne a apporté au rôle toute la mélancolie et la fine ornementation qu'il exige.

Après tant d’années passées en aventures diverses, le Roi à son retour ne reconnaît plus sa patrie d’Ithaque. L’amour fidèle et constant de Pénélope pour Ulysse contraste avec l’amour naissant et bouillonnant de Mélantho (Julieth Lozano) et Eurymaque (Omar Mancini). Euryclée (Elena Zilio) – Ericlea, che vuoi far ? - proclame au besoin ce que Pénélope n'a pas la force de dire elle-même, soutenant ainsi la passion de sa maîtresse pour Ulysse jusqu’à son retour.

Les dieux donnent lieu à des scènes savoureuses, pleines d’humour. Personnifié par des jets d’eau, Neptune est chanté par Jérôme Varnier. Dans l’air Superbo è l’huom, avec trompettes obligées, la basse française, bien que hors scène, nous gratifie d’un puissant timbre divin, précisément synchronisé avec les jets d'eau, numéro cocasse salué par les bravi du public. Un générateur électrique enfumé symbolise Jupiter (Denzil Delaere). Giuseppina Bridelli (Junon/ Minerve) défend opiniâtrement l'humilité d'Ulysse (Cara e lieta gioventù). C’est montée sur un cheval sur scène qu’elle y amène Télémaque (Jorge Navarro Colorado), afin que le fils recherche son père et puisse lui conseiller de se déguiser en étranger avant de paraître à sa cour.

Le ténor anglais Mark Milhofer est Eumée, le berger avec sa chèvre (autre animal vivant sur scène). Il dirige le déroulement de l'action d’une mélodie claire et ornée, particulièrement agréable à l’oreille. N’aspirant qu’à retrouver son mari, Pénélope est défiée par sa servante Mélantho (telle Don Alfonso dans Cosi) de chercher de nouveaux amants. Cette mise à l’épreuve de l'amour évoque aussi celle d'Orphée pour Euridice. Pénélope pourra-t-elle reconnaître Ulysse ? Seul « l’étranger » réussit l’épreuve de l'arc, et se venge aussitôt des autres prétendants, à demi-nus et sanguinolents : Amphinome (Sahy Ratia), Pisandre (Vince Yi) et Antinoüs (William Meinert) s’acquittant fidèlement de leur rôle (Compagni, udiste ?), tandis que les contrebasses égrènent dramatiquement le son des flèches.

Parmi les souvenirs revient à la fin l'amour ancien : Del piacer, del goder venuto è ’l dì. Sì, vita, sì, sì, core, sì, sì.



Publié le 12 mars 2023 par Pedro Medeiros