Rinaldo - Haendel

Rinaldo - Haendel © Rémi Angeli/ Concerts d'automne
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Des Croisades en Val-de-Loire menées de main de maître

Rinaldo constitue la première composition de Haendel pour la scène londonienne. Le musicien était arrivé à l’automne 1710 dans la capitale britannique, où les opéras de Bononcini connaissaient la faveur du public (voir notre récente chronique). Il est recruté pour alimenter le Queen’s Theater Haymarket. Un des directeurs, Aaron Hill, lui suggère le sujet de l’opéra, inspiré de La Jérusalem délivrée du Tasse. Hill en confie le livret à Giacomo Rossi , tout en s’impliquant dans sa rédaction. Haendel en aurait composé la musique en quatorze jours ! S’il est difficile de vérifier cette assertion, avancée par Rossi, il est certain que l’emprunt par Haendel de nombreux airs à des compositions antérieures de sa période italienne (notamment : La Resurrezione, Aci, Galateo e Polifemo, Il trionfo del Tempo) lui a très certainement permis de bâtir en un temps record la partition à partir de succès musicaux éprouvés. La création s’appuyait sur des interprètes de haut niveau, à commencer par le castrat Niccolini, qui chantait du rôle-titre. On peut également noter qu’il s’agissait du premier opéra italien composé spécifiquement pour la scène londonienne.

L’accueil du public est triomphal. L’œuvre sera donnée à quinze reprises en 1711 et restera régulièrement à l’affiche du théâtre jusqu’en 1717. Elle fut également présentée à Hambourg en 1715 et à Naples en 1718, dans des versions traduites respectivement en allemand et en italien. Elle fit ensuite l’objet d’une reprise à Londres en 1731, dans une version largement remaniée par le compositeur, qui s’appuyait également sur une distribution prestigieuse : Senesino dans le rôle-titre, et Anna Strada del Pò dans celui d’Almirena, le castrat Antonio Bernacchi dans celui de Goffredo. Mais tout autant que la musique et le chant, les « machines » à grand spectacle imaginées pour la mise en scène contribuèrent au succès écrasant de l’opéra : l’arrivée d’Armide sur un char tiré par des dragons, de vraies fontaines et un lâcher d’oiseaux vivants sur scène (acte I), l’apparition des sirènes au milieu des flots puis des monstres d’Armide (acte II), la disparition du château d’Armide et la succession des décors de l’acte III… La récente rénovation de la machinerie du théâtre de Haymarket offrait en effet des possibilités jusque-là inconnues du public. Rinaldo amorçait ainsi avec éclat les débuts du Caro Sassone sur la scène londonienne.

Le livret est tiré de La Jérusalem délivrée, roman épique de chevalerie publié en 1581 et relatant des épisodes guerriers imaginaires de l’époque des Croisades, tout comme le Roland furieux de l’Arioste (qui l’avait précédé en 1516). Ces deux œuvres littéraires étaient bien connues du public lettré européen au XVIIème siècle ; elles ont abondamment inspiré les livrets d’opéras, tant italiens que français (comme l’Armide de Lully). La Jérusalem délivrée se rapporte plus précisément à la première croisade, menée par Godefroy de Bouillon (Goffredo dans le livret). Celui-ci a promis au chevalier Renaud (Rinaldo) la main de sa fille Almirena. Argante, roi des Sarrasins, assiégé dans Jérusalem, demande à Goffredo et obtient une trêve de trois jours. Il appelle à son secours la magicienne Armida, reine de Damas, qui est aussi sa maîtresse. Elle lui promet d’enlever Renaud afin de lui donner la victoire. Dans un jardin magique, Rinaldo et Almirena échangent des serments d’amour dans un jardin enchanté, quand Armida enlève soudain Almirena, protégeant sa fuite par ses pouvoirs magiques et laissant Renaud à sa colère. Pour combattre les pouvoirs d’Armida, Goffredo promet à Rinaldo l’aide d’un magicien chrétien.

Au début de l’acte II, Goffredo et Rinaldo, en route pour la demeure du magicien, sont attirés par des sirènes. Rinaldo tombe dans le piège et s’embarque à leur suite pour retrouver sa bien-aimée. Prisonnière, celle-ci résiste aux avances d’Argante. Quand Rinaldo est amené devant Armida, celle-ci en tombe amoureuse au premier regard. Elle tente en vain de prendre l’apparence d’Almirena pour séduire le chevalier. Lorsqu’elle découvre qu’Argante a de son côté tenté de séduire Almirena, sa colère éclate. A l’acte III Goffredo rencontre enfin le magicien dans sa caverne ; celui-ci lui remet une baguette magique. Grâce à celle-ci il parvient à se frayer un chemin jusqu’au château d’Armida. Dans son jardin, Armida s’apprête à tuer Almirena ; Rinaldo s’interpose pour la défendre. Armida lance ses monstres contre lui mais Goffredo surgit et les arrête, armé de sa baguette. Armida tente à nouveau de tuer Almirena. Mais la magicienne disparaît lorsque Rinaldo s’avance vers elle, armé de son épée. Les armées chrétiennes et sarrasines se préparent au combat. Celui-ci est indécis. Rinaldo rompt le flanc des armées sarrasines et les met en déroute : Argante est fait prisonnier, de même qu’Armida, qui brise sa baguette enchantée et promet d’épouser la foi chrétienne. Goffredo rend à tous deux leur liberté, avant le traditionnel chœur final.

La prestation de Delphine Galou dans le rôle-titre nous a un peu laissés sur notre faim. Si son phrasé haendélien demeure admirable (en particulier dans le Cara sposa ou le Cor ingrato), sa prononciation ferme et claire, la contralto n’a pas manifesté le panache que l’on attendait de Rinaldo dans les airs de fureur, en particulier le célèbre Venti, turbini qui conclut le premier acte, ou le Or la tromba (troisième acte) : la projection demeure trop en retrait pour développer un effet de bravoure. Telle ne semblait cependant pas être l’opinion du public, qui l‘a récompensée à chaque fois de ses applaudissements. La chanteuse semble également à la peine dans les graves dans son duo avec Armida (Fermati ! No crudel !). S’agissait-il d’une méforme passagère de l’interprète, dont nous avions apprécié la prestation dans Il trionfo au Festival de Halle en juin dernier (voir notre compte-rendu) ?

La soprano Arianna Venditelli incarne avec force le personnage complexe d’Armide, tout à la fois redoutable magicienne, femme jalouse et amoureuse. Sa prononciation est d’une limpide clarté, ses attaques incisives et son abattage dans les ornements font merveille dans les airs de fureur que lui offre la partition : Furie terribili et Molto voglio (premier acte), ou encore le bouillonnant Vo far la guerra, qui conclut avec brio le second acte. Mentionnons aussi sa plainte émouvante dans le grand récitatif accompagné qui précède cet air, et qui illustre avec force de son expressivité dramatique.

Francesca Aspromonte se révèle tout aussi convaincante dans le rôle d’Almirena. Sa performance est d’autant plus remarquable qu’elle remplace au pied levé Sophie Rennert souffrante, initialement annoncée dans le rôle. Ses attaques fermes en font une amante déterminée (Combatti da forte), tandis que son phrasé délicat et ses aigus aisés font merveille dans l’air des oiseaux (Augelletti che cantate). Le duo avec Rinaldo qui suit (Scherzani sul tuo volto) est particulièrement réussi ; sa reprise est récompensée par de justes applaudissements du public. Retenons encore l’air du troisième acte (Bel piacere), émaillé de ses aigus nacrés.

Dans le rôle de Goffredo , le contre-ténor Filippo Mineccia séduit dès le premier air (Sovra balze scoscesi) par un timbre stable sur toute l’étendue de l’ambitus et un phrasé haendélien parfaitement fluide, qualités également mises en valeur dans l’air lent du début du second acte (Siam prossimi al porto). Il brille tout particulièrement dans le Mio cor, che mi sai dir ? (acte II), paré de spectaculaires ornements, encore davantage développés à la reprise, qui lui vaudra de chaleureux applaudissements. Mentionnons encore son Sorge nel petto à l’acte III, à l’étourdissante reprise.

La basse Luigi De Donato assure également avec panache le remplacement inopiné de Federico Sacchi pour le personnage d’Argante. Il s’impose sans peine face aux sonores trompettes dans son premier air (Sibillar gli angui d’Aletto), emplissant la salle de sa généreuse projection. Relevons aussi son duo avec Armida au troisième acte (Al trionfo del nostro furore), vibrant de panache.

A la tête de l’orchestre Accademia Bizantina, Ottavio Dantone s’emploie avec inspiration et talent à mettre en valeur les beautés de la partition. Soulignons également la qualité du travail effectué sur l’orchestration, avec des accompagnements de guitare (Tiziano Bagnati) qui rehaussent certains airs (notamment Furie terribili et Abbrugio, avampo e fremo), des hautbois (Emiliano Rodolfi et Rei Ishizaka) enchanteurs, un éblouissant solo de flûte piccolo (Gregorio Carraro) dans l’air des oiseaux ou encore un émouvant prélude de basson (Alberto Guerra) pour ouvrir le Cor ingrato. Et mentionnons également le soin apporté à nous rendre vivante et intelligible cette version de concert, avec des interprètes tous très engagés dans une gestuelle scénique appuyant leur chant, et quelques indications apportées en voix off au début de chaque acte sur son déroulé. Ces moyens simples mais efficaces permettent aux spectateurs non familiers de l’œuvre de suivre sans peine sa progression.

Les applaudissements enthousiastes du public sollicitèrent de nombreux rappels, auxquels les interprètes répondirent par une reprise du chœur final, à nouveau très applaudie. Comme eux, remercions le Festival Concerts d’automne de nous avoir offert cette belle production baroque.



Publié le 23 oct. 2022 par Bruno Maury