Rodelinda - G.-F. Haendel

Rodelinda - G.-F. Haendel ©Gérald Clément
Afficher les détails
Lemieux au sommet

La création à Londres (King's Theater) le 13 février 1725 bénéficiait d'une prestigieuse distribution alignant notamment la Cuzzoni et Senesino. Si l'argument, qui tourne autour de la conquête de la Lombardie au VIIème siècle et de la célébration de la légitimité et de l'amour conjugal, est des plus brouillon, la partition est superbe, peut être l'une des plus abouties de Haendel. Le rôle de Rodelinda est d'une incroyable richesse, mais ceux de Bertarido et de Grimoaldo sont également très complets. L'œuvre exige donc un trio central (soprano-alto-ténor) d'un très haut niveau.

Maxim Emelyanychev dirige Il Pomo d'Oro avec fougue et met en valeur les excellents instrumentistes de l'ensemble. Dirigeant depuis le clavecin, il impose des tempi propres à rendre toute la beauté de la partition. Très attentif à ses chanteurs, il est réellement la clé de voûte de la représentation, veillant sans cesse aux équilibres, aux inflexions et à la mise en valeur de ses solistes. C'est donc un moment de rare intensité qu'il nous offre avec modestie et, malgré quelques petits problèmes de calage au début de la représentation, les trois heures de l'œuvre passent très rapidement, en dépit de l'inconfort relatif des banquettes de l'Opéra Royal.

Le rôle d'Unulfo n'est pas particulièrement passionnant au plan musical. Écrit pour un castrat alto, il aurait pu convenir à David D. Q. Lee qui le tenait ce soir. Mais le contre-ténor n'y brille pas, le timbre voilé et des problèmes de justesse un peu trop répétés n'aidant par ailleurs pas à captiver l'attention.

Dès son air d'entrée, on est séduit par l'Eduige de Romina Basso que l'on retrouve avec toujours le même plaisir. Le timbre de mezzo est clair et rond, le chant d'une rare élégance et le style très inspiré du baroque primitif convient parfaitement à la noblesse du personnage. Un belle leçon de chant.

Le Garibaldo de Konstantin Wolf est décevant. Certes les rôles de basse dans les œuvres baroques sont difficiles à distribuer, mais le choix d'un baryton basse est sans nul doute ici une erreur. L'interprète s'engage et ne démérite pas mais il ne possède pas l'épaisseur des graves profonds qu'il doit chanter et l'interprétation en pâtit.

Krešimir Špicer remplaçait John Mark Ainsley, malade. Evidemment, le caractère impromptu du remplacement a un peu pesé sur la prestation, notamment en termes de puissance d'émission, parfois un peu excessive pour l'écrin de Versailles. Mais les piani sont superbes et l'engagement, les qualités de la voix et du chant font rapidement passer sur ces aspects et lui valent une ovation très méritée.

Bien sûr, on attendait Marie Nicole Lemieux qui interprétait Bertorido. Et nous ne fumes pas déçus. Le timbre est toujours aussi somptueux et l'interprète toujours aussi talentueuse. La ligne de chant est superbe, la projection parfaitement maîtrisée, capable de remplir d'un cri toute la salle ou de finir dans un délicat pianissimo. Les airs virtuoses sont magistralement exécutés et le Vivi tiranno ! digne d'une anthologie.

On aimerait au quotidien avoir la santé vocale d'Inga Kalna, annoncée souffrante. Certes, le suraigu semble parfois un peu tiré et un peu trop souvent attaqué en dessous mais la prestation est en tout point remarquable. La voix est large et profonde, voix de femme mature, voix de reine. La technique est époustouflante : longueur de souffle impressionnante, des tenuti, des notes filées et des pianissimi de toute beauté. De ce rôle exigeant et lourd, elle tire le meilleur parti, que ce soit dans les lamentos bouleversants d'émotions ou dans des airs de bravoure exprimant une royale colère. Bref du beau et grand chant !

Il sera intéressant de comparer cette représentation avec celle qui sera donnée le 23 janvier prochain au Théâtre des Champs Elysées, avec quasiment la même distribution mais dont le rôle titre sera chantée par Karina Gauvin.



Publié le 22 janv. 2017 par Jean-Luc Izard