L’Allemagne au XVIIIe siècle, à la croisée des chemins

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A la croisée des jeunes artistes

S’inscrivant délibérément dans une démarche d’éducation populaire ayant pour vocation de donner à entendre des œuvres de qualité, par des interprètes de haut vol, sur un territoire où les concerts se font rares, l’association Thorenc avait convié le 22 septembre dernier le jeune ensemble Sarbacanes à se produire.

Celui-ci, à géométrie variable, réunissant pour la circonstance hautbois et basson baroques, violon baroque, viole de gambe et clavecin, se proposait de convier le public à un voyage en compagnie de compositeurs tels que Johann Josef Fux (1660-1741), Johann Pachelbel (1653-1706), Georg Friedrich Haendel (1685-1759), Georg Philipp Telemann (1681-1767) et Johann Friedrich Fasch (1688-1758). Voyage fantasmé pour certains d’entre eux, attachés à telle province allemande, telle cour princière ou ville libre su Saint-Empire. Voyage bien réel, notamment pour Telemann ayant effectué un long séjour à Paris et encore plus pour Haendel, qui sut retenir les leçons de sa jeunesse italienne pour en faire bénéficier son pays d’adoption, l’Angleterre.

Un programme particulièrement intelligent dans sa conception permettait de cheminer aussi bien dans le temps que l’espace et de prendre conscience de l’évolution des styles alors en vigueur au travers des multiples influences, italiennes, françaises et même anglaises dont ces compositeurs d’origine germanique avaient progressivement réalisé une synthèse magistrale. Ainsi leur musique était passée d’une conception d’abord consacrée à l’esprit pour combler ensuite les sens et trouver un équilibre souverain, cultivé au travers de l’art de la conversation, chaque instrument incarnant des personnages dotés d’un langage de plus en plus idiomatique.

Intitulée « L’héritage », la première partie du concert donnait à entendre une sinfonia de Fux, dans lequel l’auteur du Gradus ad Parnassum (le plus fameux traité de contrepoint de l’époque) faisait montre de sa science d’une écriture aux constantes imitations partagées entre les instruments. Lui répondait l’Aria seconda, tirée du Hexacordum Apollinis de Pachelbel, dans laquelle le maître de Nuremberg exposait son art de la variation, donnant à Felipe Guerra la possibilité de faire entendre au public son clavecin seul, toutes les autres pièces le cantonnant à son rôle essentiel dans la basse continue.

La deuxième partie, « Les influences », confrontaient style italien et style français. Haendel donnait du premier une illustration magistrale au travers de sa sonate en trio en ut mineur HWV 386a. Climax de cette sonate, son Andante, reprenant des éléments d’un aria fameux de l’oratorio de jeunesse du saxon Il trionfo del Tempo e del Disinganno, permettait de goûter avec un plaisir infini le jeu subtil et parfaitement cantabile de Neven Lesage, dont le hautbois rayonnait véritablement. Lui répondait l’Ouverture TWV 41 : g4, extraite du Getreue Musikmeister de Telemann, où le violon de Satryo Yudomartono savait parfaitement restituer le style français, tant dans la majesté de la pièce inaugurale que dans l’élégance des danses lui succédant, dont deux délicieux passe-pieds.

Enfin, la troisième partie, « La nouvelle manière », nous plongeait dans les prémices du style galant. Une sonate à 4 de Telemann en constituait le versant le plus étonnant, avec notamment des confrontations opposant les cordes en isolant le hautbois au début, pour singulariser la viole de gambe dans un final où cette dernière tient une partie extrêmement virtuose dans laquelle Salomé Gasselin se taillait la part du lion, révélant un tempérament flamboyant. C’est sur une toute autre couleur, jubilatoire et lumineuse, que l’ensemble donnait à découvrir le trop méconnu Fasch au travers d’un Quadro pour violon, hautbois, basson et basse continue. Lançant le discours, le merveilleux basson d’Alejandro Perez s’est imposé comme la star de cette pièce, avec une sonorité ample, chaude et ronde, comblant d’aise les auditeurs par sa gourmandise.

Elève de Fux, véritable pont entre la génération précédente et cette « nouvelle manière », le génial et extravagant Jan Dismas Zelenka (1679-1745) s’invitait pour offrir un bis de choix avec l’Andante de sa Simphonia à 8, permettant de goûter une dernière fois aux timbres délicieux des instruments de ces jeunes musiciens, remplis de talents et animés d’un sens évident du partage.

Il revenait en particulier à Neven Lesage de commenter les œuvres jouées, les mettant en perspective, se permettant ça-et-là une touche d’humour ou d’émotion, qui renouvelait sans cesse l’attention et procurait un plaisir double à l’écouter tantôt discourir, tantôt converser musicalement avec ses amis. Les applaudissements nourris du public ont fait honneur à ce jeune ensemble auquel on souhaite de pouvoir réaliser ses projets exaltants en cours d’élaboration.



Publié le 27 sept. 2017 par Stefan Wandriesse