«Forêt morale et spirituelle»

«Forêt morale et spirituelle» ©Ars31 - A5
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Si notre cher pays compte bien des lieux où résonne la musique baroque, il en est un dont il ne faut oublier ni son existence, ni son importance. En concert de clôture du 29ème Festival International de Musique s'inscrivant dans les Rencontres musicales de Saint Ulrich, l'église Saint Martin de Hoff de SARREBOURG (57), accueille l'ensemble Les Traversées Baroques dont le projet prédominant consiste en la restitution des musiques anciennes.
Cette église, à l'extérieur humble, renferme bien des merveilles allant des pieuses peintures ornant le chœur, la croisée du transept et la nef; au somptueux autel datant du XVIIIe siècle, signé du sculpteur sarrebourgeois Dominique Labroise.

Après leur inoubliable interprétation de Vespro della Beata Virgine - Les Vêpres de la Bienheureuse Vierge de Claudio Monteverdi (1567-1643), en juillet 2015 en ce même lieu , les Traversées baroques présentent en cette fin d'après-midi des motets extraits du recueil intitulé Selva morale e spirituale - Forêt morale et spirituelle du maître du Seicento. Ce recueil daté de 1640 peut apparaître comme étant le testament choral de Monteverdi, puisqu'il décédera trois ans plus tard. Egalement en 1640, Domenico Mazzochi publie ses Musiques sacrées et morales. Etait-ce une concurrence voire rivalité ou bien une simple coïncidence? Toujours est-il que le génie de Monteverdi dépasse sans aucune hésitation celui de son contemporain.
D'époque et de style différent, ces pièces adoptent une écriture soit à la «mode» ancienne en usage à l'époque de Giovanni Pierluigi da Palestrina (1525-1594) ou de Roland de Lassus(1532-1594), soit dans le style de la seconda prattica, à laquelle le maître du Baroque naissant aura fortement contribué.
Les quarante pièces sacrées du recueil marque l'aboutissement de la carrière du compositeur dans le domaine de la musique religieuse. Aboutissement..., que vous trouverez sûrement long, puisque depuis 1610 et ses célèbres Vêpres, il n'avait rien publié dans le domaine religieux. Or depuis plus d'un quart de siècle, Monteverdi était le compositeur attitré de la musique de la basilique San Marco de Venise, la Sérénissime...
Certains de ces opus présentent des similitudes avec les Vêpres comme les deux Magnificat. Un autre point peut être soulevé: un contrafactum de son lamento d'Arianna - extrait de son second opéra Arianna (SV 291) sur un poème d'Ottavio Rinuccini, en 1608 - en un motet en latin Pianto della Madonna qui clôt les quarante opus de la Selva morale e spirituale.

Nous ignorons tout dans le choix des opus interprétés en ce jour de fête nationale. Cependant, cette sélection se trouve fort pertinente face à l'effectif réduit: cinq chanteurs et six musiciens. Les Traversées Baroques, sous la conduite de leur chef Etienne Meyer, porteront tout au long du concert une courageuse ferveur plongeant l'auditoire dans une authentique communion...
A fin d'équilibrer le programme axé principalement sur le vocal (8 pièces sur 9), la seule pièce instrumentale interprétée est la Sonata terza à deux dessus composée par Dario Castello (v. 1590-1644). Là aussi, le choix de ce compositeur italien est cohérent. Dario Castello était violoniste à la basilique Saint Marc sous la direction de Monteverdi. Bien que ses sonates aient un large écho résonnant dans la vieille Europe, le nom de Castello, de nos jours, est fort peu connu. Sous le regard du chef, assis au premier rang, Judith Pacquier à la flûte à bec et Stéphanie Erös au violon dialoguent avec une écoute attentive mutuelle. La Sonata terza se fonde dans d'audacieux contrepoints aux tempi et aux caractères opposés n'atteignant pas le côté intime qui se dégage de cette pièce. Les instruments du dessus, aux riches couleurs, tutoyent avec brio les Cieux. Saluons par ailleurs l'excellent continuo assuré à la viole de gambe par Liam Fennelly, au théorbe sous les doigts de David Chevallier et à l'orgue sous le charmant doigté de Laurent Stewart. La prestation du second violon Lucas Berton est également à souligner.

Laissons place aux voix avec cette première pièce interprétée le Gloria a 7 voci. Dans son ensemble, le Gloria se teinte de couleurs douces. Cependant, l'acoustique de l'église - généreuse avec les Vêpres monteverdiennes en 2015 - étouffe les voix laissant une place prépondérante aux instruments. Seuls les éclats vocaux de la soprane Anne Magouët passent au dessus de l'instrumental. Elle gardera d'ailleurs l'avantage sur l'Adoramus te au détriment de l'alto Sophie Toussaint, qui disparaîtra même totalement à certains moments dans les tutti. Le Domine fili révèle la voix souple de la soprane. Un des deux ténors, Benjamin Alunni fera honneur à la partition sur le Qui tollis peccata mundi. Son timbre est brillant assorti d'un élégant phrasé. Il faut reconnaître que ce gloria nécessite une virtuosité d'ensemble indispensable. Le texte doit être privilégié afin d'exprimer au mieux les effets musicaux contrastés.
Etait-ce la «peur» s'emparant des artistes lors des premières notes, qui a régné sur le Gloria? Toujours est-il que la pièce vocale Laetatus sum aux entrées décalées (Sop. & Alto, 2 Tén. et basse) apporte cette douceur glorieuse soutenue par la viole, le théorbe et l'orgue.
La basse Renaud Delaigue offre un fabuleux motet Ab aeterno ordinata sum, et ex antiquis, antequam terra fieret au public conquis sous cette voix aux sublimes graves.
Le duo de ténors prend place autour de l'orgue pour le Salve Regina. Benjamin Alunni, à la forte présence scénique, rayonne encore de par son timbre étincelant. Il envahit la nef, s'empare de l'âme de chaque auditeur. Quant à David Hernandez Anfruns, sa projection souffre un peu de faiblesse mais ne manque pas pour autant de couleurs expressives indéniables.
Le motet Laudate Dominum forme un joli clair-obscur en «illuminant» l'église de la flamme rougeoyante des soirs d'été.
Le morceau final, Beatus Vir insuffle une délicate dynamique aux longues phrases répétées du discours musical. La viole de gambe tient la «baguette» de ses coups d'archets à la cadence d'un métronome. Les nuances vocales et instrumentales de chacun s'unissent pour servir la musique enivrante du dernier motet.

La distribution instrumentale sonne juste pour chaque pièce. Tous les musiciens jouissent d'une technique irréprochable du baroque italien, en particulier celui de Monteverdi. Ils interprètent leurs parties avec simplicité mais émotion. Les voix, quant à elles, ont apporté un frisson plus ou moins constant. La ferveur, la joie sereine étaient bien présentes. Derrière cette « forêt morale et spirituelle», les chanteurs ont exalté la valeur morale de la douleur avec assiduité...



Publié le 24 juil. 2016 par Jean-Stéphane SOURD DURAND