Semele - Haendel

Semele - Haendel © Simon Gosselin
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Dans l'intimité des dieux

Sémélé se rattache à la fin de carrière de Haendel, longue période durant laquelle il tente de renouer avec les triomphes antérieurs, avec des bonheurs très inégaux. La création de Sémélé est frappée d’ambiguïté tant l’œuvre relève plus de l’opéra – notamment par son sujet profane, la violence des sentiments et l’érotisme qui le traverse – que de l’oratorio. La création fut un échec et ne connut que 5 représentations au XVIIIe siècle, avant de sombrer dans l’oubli jusqu’en 1925 (voir également la chronique de la version de la recréation au Festival de Göttingen). La renaissance date de la deuxième partie du XXe siècle.

Amoureuse de Jupiter, la mortelle Sémélé est enlevée par le dieu et doit affronter la jalousie et la manipulation sournoise de Junon qui la conduira à la mort. De ses cendres naîtra un nouveau dieu, Bacchus.

Cette production de l’Opéra de Lille est une reprise d’une production de 2001 du Komische Oper Berlin, signée par Barrie Kosky. Celui-ci situe l’action dans un palais calciné qui sera le cadre d’un gigantesque flash-back, d’une sorte de cruauté mythologique dans laquelle Sémélé, non contente d’avoir été brûlée vive par la divinité de Jupiter, serait condamnée à revivre sans fin l’enchaînement inéluctable des évènements ayant conduit à ce dénouement… et à la naissance de Bacchus, dieu des excès. Dans ce monde détruit par le feu, des caractères humains (du besoin d’absolu de Sémélé à l’amour naïf d’Ino en passant par le sens du devoir de Cadmus ou l’inconsistance d’Athamas) vont se confronter à des dieux joueurs et sarcastiques, obnubilés par la satisfaction de leurs désirs. Et au fond, restant sans réponse définitive, l’interrogation sur le danger à vouloir trop connaître l’autre dans la relation amoureuse. Ce travail de mise en scène, repris ici par David Merz, est une absolue réussite qui s’appuie sur une relecture soignée et intelligente de l’œuvre et sur une direction d’acteurs particulièrement attentive et très exigeante, frôlant parfois l’excès.

Dans la fosse, la direction d’Emmanuelle Haïm mérite tout autant d’éloges. Collant parfaitement et sans réserve à la mise en scène, elle souligne l’érotisme qui sourd de ces pages. Attentive aux détails et aux équilibres, elle restitue toute la beauté de ces pages. Le Concert d’Astrée est en grande forme orchestrale et pare ce travail de superbes couleurs. Le chœur déroule ses nombreuses interventions dont il sait caractériser la grande variété avec une très riche palette sonore et beaucoup de beauté.

Le plateau est excellent et témoigne d’un choix des solistes très attentifs à l’adéquation de leurs moyens à l’écriture d’Haendel dont on sait combien elle tient compte des moyens vocaux mis à la disposition du compositeur.

Elsa Benoit est une Sémélé éperdue, consumée de l’intérieur avant même d’être foudroyée par divinité. Sa composition est impeccable, vivante, troublante et émouvante. Le medium est très solide et l’aigu est rayonnant. En dépit de la lourdeur du rôle, jamais le timbre ne se désunit et jamais l’incarnation du personnage ne s’affaiblit.

Le Jupiter de Stuart Jackson est très investi et il est irréprochable, même si, mais ça m’est très personnel, j’aurais préféré un ténor au timbre un peu plus mat, avec un medium plus étoffé de façon à poser le personnage davantage dans l’autorité et la virilité que dans l’amour juvénile.

Paul Antoine Bénos-Djian parvient à réussir le tour de force d’interpréter avec consistance le rôle de l’inconsistant Athamas. La voix s’appuie sur un medium qui s’est enrichi et le contre-ténor a considérablement développé ses talents d’acteur.

En Junon, Ezgi Kutlu fait étalage d’imposants moyens (avec un registre grave extrêmement séduisant) qui rendent particulièrement convaincante sa Junon jalouse mais aussi terriblement sarcastique et sournoise. L’excellent Somnus d’Evan Hughes, somnolent mais dévoré de désir, est le partenaire idéal de cette Junon.


Ezgi Kutlu et Evan Hughes © Simon Gosselin

Victoire Brunel semble moins à l’aise sur scène que ses partenaires mais il faut bien reconnaître que le rôle d’Ino n’est pas des plus construits. Son timbre de mezzo est particulièrement séduisant et la voix semble comme chez elle dans l’écriture de Haendel. Iris est très présente grâce à Emy Gazeilles, qui lui prête sa voix agile et son jeu virevoltant même si cette voix est peut-être un peu trop légère pour ce rôle de messagère des dieux et de comparse de Junon. Enfin, le Cadmus de Joshua Bloom tient son ingrate partie avec aisance et conviction mais semble parfois un peu en difficulté pour donner à ses graves toute l’ampleur nécessaire à affirmer l’autorité de basse qui convient à cette figure paternelle.



Publié le 09 oct. 2022 par Jean-Luc Izard