La sepoltura di Cristo - Perti

La sepoltura di Cristo - Perti © WDR/ Thomas Kost
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Les mystères de la partition retrouvée à Bologne

Giacomo Antonio Perti (1661-1756) détient probablement le record de la plus longue période d’activité d’un compositeur baroque. Celle-ci s’étend en effet sur près de 80 années, entre l’année 1677 où il mit en musique le psaume In convertendo, jusqu’en 1756, où il mourut à l’âge de 95 ans, toujours en fonction comme maître de chapelle de la basilique San Petronio de Bologne, sa ville natale, poste considéré comme l’un des plus prestigieux de la péninsule voire d’Europe. Il s’était formé auprès de Giuseppe Corso Celani (dit aussi Corsi Evangelisti (1631/32-après 1691), lui-même un des élèves préférés du célèbre Giacomo Carissimi (1605-1674) – qui avait aussi été le maître de Marc-Antoine Charpentier lors de son séjour à Rome. Perti était le neveu du maître de chapelle Lorenzo Perti, qui assura sa première formation musicale (clavecin, violon et contrepoint). D’abord élu maître de chapelle à l’église San Pietro (1690), il fut ensuite pendant soixante ans (de 1696 à 1756) maître de chapelle à San Petronio. A sa mort, Il laissa une importante production de musique religieuse, principalement vocale (messes, psaumes, motets et versets), de cantates (plus de cent cinquante) ainsi que d’oratorios et d’opéras.

La redécouverte de la partition de son oratorio La sepoltura di Cristo s’apparente à un jeu de pistes, avec sa part d’énigmes. Les archives municipales de San Petronio, qui rassemblent les compositions de différents auteurs, abritent un manuscrit anonyme, non daté, avec une partition et dix parties vocales, intitulé La sepoltura di Cristo. Il comporte une sinfonia d’ouverture, seize récitatifs, douze airs, deux duos et un chœur, soit au total trente-deux numéros. En 1993, l’historienne de la musique Julie Ripe a pu identifier formellement Perti comme étant l’auteur d’au moins six de ces numéros. Elle a aussi noté la grande proximité du livret avec celui d’un autre texte, datant de 1704 et portant le même titre, connu pour avoir été écrit par Giuseppe Mazzoni pour le compositeur Giacomo Cesare Predieri (1671-1753). Ripe pensa alors que la partition anonyme de San Petronio correspondait à une version antérieure ou postérieure de l’œuvre de Predieri. Celle-ci avait été représentée devant la congrégation de Santa Maria della Vita de Bologne lors du Vendredi saint du 21 mars 1704.

Predieri avait dix ans de moins que Perti. Il avait étudié la musique à Bologne auprès du prestigieux Giovanni Paolo Colonna (1637-1695), qui l’avait pris sous sa protection. Né dans une famille de facteurs d’orgue, Colonna était aussi un compositeur prolixe de musique religieuse et d’opéras/ oratorios. Nommé en 1659 organiste à San Petronio de Bologne, il fut élevé en 1674 maître de chapelle, poste dans lequel Perti lui succéda à sa mort. De son côté, Predieri suivit son maître à San Petronio. Plus jeune et moins connu que Perti, il ne pouvait prétendre succéder à son maître. Il passa donc sous l’autorité de Perti quand celui-ci devint maître de chapelle. Predieri fut également maître de chapelle de l’église Santa Maria della Vita de 1691 à 1712, alors que Perti était de son côté maître de chapelle de la congrégation Santa Maria della Morte. Leurs deux églises appartenaient à un même ensemble religieux administré par les Hospitaliers. Elles se faisaient face et assuraient des fonctions complémentaires, comme leur appellation le laisse suggérer. Lors des Vendredis saints, chacune des congrégations faisait représenter un oratorio relatant la passion du Christ. Il faut donc imaginer que, lors du Vendredi saint de 1704, tandis qu’on donnait à Santa Maria della Vita l’oratorio de Predieri, à quelques mètres de là, dans l’église Santa Maria della Morte, on pouvait entendre un autre oratorio, d’un librettiste anonyme, sur la musique de Perti. On ne sait toutefois pas si le manuscrit retrouvé à Bologne correspond à la partition originale, ou à une copie ultérieure. Par ailleurs, elle n’est peut-être pas entièrement due à Perti : on sait que celui-ci fut aidé par Predieri dans sa composition…

Le programme de la soirée vise à nous faire redécouvrir cet oratorio de Perti, en compagnie d’autres pièces : une sinfonia, extraite d’un oratorio de Corelli, datant de 1689 ; un air extrait de l’oratorio de Predieri de 1704 ; un concerto de Giuseppe Torelli (qui fut l’élève de Perti) datant de 1709 ; une sinfonia a 4 de Tomaso Antonio Vitali datant de 1704. Cette mise en regard justifie ainsi pleinement l’intitulé choisi pour ce concert : Von jedem das Beste (Le meilleur de chacun), donné dans le cadre des 49. Tage Alter Musik in Herne 2024 (49èmes Journées de la musique ancienne de Herne).

Le concert débute donc par la sinfonia d’Arcangelo Corelli (1653- 1713), extraite de l’oratorio Santa Beatrice d’Este, livret de Lorenzo Lullier (Modène, 1689). Elle débute par un mouvement Grave, au rythme particulièrement ample et majestueux, qui caractérise également le Largo assai. Les séquences Allegro et Vivace, plus rapides, sont également empreintes d’une certaine solennité. Ce hors-d’œuvre met en valeur les qualités instrumentales de l’orchestre Arsenale Sonoro, dirigé avec précision par Boris Begelmann depuis son violon.

Chiara Brunello nous livre ensuite un extrait de La sepoltura di Cristo de Predieri, vestige d’une partition qui ne nous est pas parvenue dans son intégralité : Mortali, e che volete ? Cet air, assez court, permet cependant d’apprécier les couleurs très mates, presqu’androgynes, de l’alto, qui se déploient sur un accompagnement orchestral assez dépouillé.

La sepoltura di Cristo de Perti s’ouvre sur une sinfonia au rythme fugué d’une belle vivacité. Nous retrouvons Chiara Brunello dans le rôle de Maddalena, avec trois airs au total. Deux d’entre eux bénéficient d’un accompagnement orchestral très soigné : Chi sarà cosi crudele (qui clôt la première partie) aux lancinantes attaques graves des cordes, et surtout Mio core, costanza ! (au final de la seconde partie), précédé d’un émouvant prélude au violoncelle, où elle développe des ornements appuyés sous la conduite attentive de Boris Begelmann.

La soprano Francesca Aspromonte (Maria) montre d’emblée sa familiarité avec l’univers lyrique à travers une forte présence scénique et une expressivité de tous les instants ; sa diction claire met en valeur un timbre perlé. Son air Tanti baci (première partie) est absolument ravissant. Nous avons aussi beaucoup aimé le brillant Del Nazareno (seconde partie), précédé d’un solo de violon de Boris Begelmann.

Le ténor Leonardo Cortellazzi incarne San Giovanni Evangelista (Saint Jean l’Evangéliste). Sa projection à la fois délicate et ferme nous régale dans Disfatto in lagrime et dans le solaire Nel occaso de’tormenti (première partie), ainsi que dans le vigoureux Sul guancial (seconde partie).

A la basse Fulvio Bettini revient le rôle de Giuseppe an Arimathaea (Joseph d’Arimathie). Il y développe des graves rassurants, dans une profusion d’ornements assez inhabituelle dans ce registre. Retenons en particulier l’apaisant Rinasce, non more et les accents dramatiques bien dosés du Marmi algenti.

A la tête d’un Arsenale Sonoro aux proportions modestes mais sans doute assez proches de l’instrumentarium de la création, Boris Begelmann imprime une réelle dynamique à cette partition dont les airs, assez peu saillants, demeurent très liés aux récitatifs, contrairement à ceux du répertoire lyrique de cette période. La densité du continuo y contribue incontestablement pour une bonne part.

Entre les deux parties de l’oratorio, le concerto n°6 en sol mineur de Giuseppe Torelli (1658-1709), extrait des Concerti grossi con una pastorale per il Santissimo Natale, op. 8. (Bologne, 1709), met à nouveau en relief la ligne fluide et dynamique de l’orchestre, en particulier dans le premier Vivace, aux cordes dansantes, ou encore dans le Largo, aux attaques incisives. Par contraste, la sinfonia a 4 de Tomaso Antonio Vitali (1663-1745) qui suivait est apparue un peu terne, la faute sans doute à une partition sans grand relief, de qualité manifestement inférieure à celle des autres œuvres du concert. Mais peut-être plus représentative de l’abondante production musicale de cette période, qui ne comporte pas que des chefs-d’œuvre...

Le concert fut salué par de chaleureux applaudissements et des rappels. Le premier fut l’occasion d’un bis, en l’occurrence un répons de Perti (présenté dans un allemand tout à fait fluide par Francesca Aspromonte). Le second, que nous avons beaucoup apprécié, fut un air du du ténor Leonardo Cortellazzi issu de La sepoltura di Cristo de Perti, coupé pour le concert, mais qu’il tenait à juste titre à nous présenter : il s’agit selon nous du plus bel air que lui réservait la partition ! Louons encore l’excellente qualité de la programmation des ces 49. Tage Alter Musik in Herne 2024, qui a permis de redécouvrir cette œuvre oubliée.



Publié le 28 nov. 2024 par Bruno Maury