Siroe - Haendel

Siroe - Haendel © Pierre Benveniste. De gauche à droite : Konstantin Ingenpass, Filippo Mineccia, Sophie Junker, Rafal Tomkiewicz, Shira Patchornik, KS Armin Kolarczyk
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Drame domestique au palais de Cosroé II, empereur sassanide

Siroe, re di Persia, HWV 25, est un opéra en trois actes de Georg Friedrich Haendel (1685-1759) dont le livret de Pietro Metastasio (1698-1782) a été adapté par Nicola Francesco Haym (1678-1729). Il a été créé à Londres le 17 février 1728 au King’s Theater de Haymarket.

Cosroe, roi de Perse, se méfie de son fils aîné Siroe qui aime Emira, fille de son ennemi. Le roi confie sa succession à son fils cadet Medarse. Emira, princesse de Cambaja, est présente à la cour déguisée en homme sous le nom d’Idaspe. Elle veut tuer Cosroe pour venger la mort de son père. Siroe repousse les avances de Laodice, la favorite du roi; voulant alerter ce dernier, Siroe laisse trainer un document relatant un projet de meurtre du roi. Cosroe qui en a pris connaissance, est alors convaincu que Siroe veut attenter à sa vie. Emira tente d’assassiner le roi mais, surprise par Medarse, elle dépose son épée aux pieds du monarque en signe d’allégeance. Cosroe partage son pouvoir avec Medarse et ce dernier triomphe. Cosroe demande à Siroe le nom du traître mais Siroe refuse de livrer Emira. Ignorant les prières de Laodice, Cosroe a condamné Siroe à mort. Emira demande au roi la grâce de son amant et Cosroe accepte. Trop tard! Siroe a déjà été exécuté et Cosroe bourrelé de remords, se lamente. Emira, folle de chagrin, dévoile sa véritable identité à Cosroe; elle seule en voulait à sa vie. En fait Siroe n’est pas mort mais prisonnier dans un cachot. Emira et Arasse, frère de Laodice surprennent Medarse sur le point d’assassiner son frère et l’empêchent de commettre son crime. Siroe accorde son pardon à Medarse, Dans la salle du trône, Siroe sauve son père du coup fatal que voulait lui porter Emira. Cosroe pardonne, bénit Siroe et Emira tandis que Laodice accueille favorablement les avances de Medarse. Une double union est célébrée au palais.

Le livret de Pietro Metastasio datant de 1726 est le premier des trois que Haendel utilisa dans sa carrière de compositeur d’opéras. Il s’agit d’un drame familial respectant l’unité de lieu, de temps et d’intrigue du théâtre classique et mettant en exergue les valeurs morales et la clémence. Le monarque Cosroe accorde son pardon à celle qui voulait le tuer et son fils Siroe pardonne à son frère Medarse qui projetait de l’assassiner dans son cachot mais avant cette fin heureuse, les relations entre les protagonistes sont âpres, tourmentées et souvent violentes. Curieusement Haendel va écrire une musique d’une austérité sans équivalent dans ses autres opéras, consistant en une succession de récitatifs secs et d’airs. Aucun duo ou trio n’est prévu pour terminer chaque acte. L’instrumentation est très simple, les hautbois et les bassons doublent les cordes. La partition ne prévoit ni tambours ni trompettes alors que l’apparat de la cour de Perse justifiait que des moyens exceptionnels fussent utilisés. Il n’y a aucun solo alors que le texte permettait l’adjonction d’un cor dans l’aria di caccia ou d’une flûte dans l’aria pastorale d'Emira. Haendel adopte pour presque tous les airs la structure de l’aria da capo dans sa forme la plus classique en cinq parties séparées par des ritournelles orchestrales, forme dont il s’affranchira progressivement dans ses opéras plus tardifs comme Serse.

Malgré cette austérité, la partition regorge de beautés diverses. On retiendra cependant trois ou quatre sommets. Au début de l’acte II, la magnifique aria de Laodice en la mineur, Mi lagnero tacendo (II,1), est un larghetto alla siciliana dont les paroles ont été reprises une fois par Mozart et trois fois par Rossini. Précédé d’une somptueuse introduction instrumentale, l’air de Cosroe, Gelido in ogni vena (III.4) en fa dièse mineur, est le prototype de l’aria di disperazione. La douleur du roi croyant avoir envoyé son fils à la mort, est palpable à travers les sanglots de l’accompagnement orchestral. Enfin l’air du cachot de Siroe, Deggio morire, o stelle (III.7), précédé d’un récitatif accompagné rude et tragique, Son stanco, est un des sommets de l’œuvre du Saxon. C’est la quintessence de l’aria haendélienne, dont le bel canto est soutenu par un accompagnement orchestral fait de grands gestes dramatiques surpointés. La tonalité de si bémol mineur « obscure et terrible », selon Marc-Antoine Charpentier, concourt à donner à cet aria un rôle central dans la dramaturgie de l’œuvre.

La mise en scène (Ulrich Peters) se veut résolument classique et héroïque. Sur scène figure un monument impressionnant, sorte de mausolée au pied duquel se trouve une énorme tête de guerrier sassanide ou achéménide à moins que Christian Floeren (décors) n’ait voulu représenter le temple du Soleil dont les rayons se déploient autour du trône. Incidemment ce dernier rappelle étrangement le trône de fer, objet de toutes les convoitises dans la célèbre saga Games of Thrones. Les costumes (Christian Floeren) sont beaux, harmonieux et évoquent une antiquité tardive: les hommes portent des tabards ou des cuirasses, de beaux ceinturons et des épées impressionnantes. Laodice porte une tunique couverte par une cape mais se reconnaît aisément par sa couronne d’étoiles d’un très bel effet. Cette mise en scène se rapproche d’une certaine authenticité (Siroé et Cosroé étant des personnages historiques ayant vécu entre le sixième et le septième siècle) mais impose par son réalisme certaines limites à l’interprétation. Une version plus ancienne dirigée par Laurence Cummings (2013) au Festival de Göttingen, et transposée à l’époque moderne dans un huis clos étouffant, permettait aux protagonistes de s’affranchir quelque peu des contraintes du livret. Les éclairages (Christoph Pöschko) faisaient un usage abondant de torches dans les scènes d’intérieur, donnant un surplus d’authenticité.

Ks. Armin Kolarczyk (basse) incarnait le roi Cosroe, personnage historique, empereur de la dynastie Sassanide, connu sous le nom de Khosro II (570-628). Le rôle, un des plus beaux confiés à une voix de basse chez Haendel, est doté d’airs magnifiques et en particulier Se il mio paterno amore (I,1) en ré mineur, d’une grande rudesse et évidemment le formidable, Gelido in ogni vena (III.4). Armin Kolarczyk a chanté et joué parfaitement avec l’autorité et l’âpreté voulue par le rôle. Sa voix possédait une projection tout à fait phénoménale.


Siroe (Rafal Tomkiewicz) et Emira (Sophie Junker) © Felix Grünschloss

Le rôle de Siroe est assez lourd avec six airs et un récitatif accompagné, il était tenu par Rafal Tomkiewicz (contre-ténor). Les cinq premiers airs sont tous beaux, notamment le dramatique, Se il labbro mio ti giura (I,6) en sol mineur mais ils sont surclassés par l’exceptionnel Deggio morire, o Stelle (III,7). La voix est large, pleine, d’une grande douceur et souplesse. Elle trouvait les accents appropriés pour émouvoir jusqu’aux larmes dans la fameuse scène du cachot de l’acte III.


Medarse (Filippo Mineccia) devant le trône de fer © Felix Grünschloss

Medarse est pourvu de trois airs dont un exceptionnel, Fra l’orror della tempesta (II,5) en si bémol majeur. C’est une double fugue associant l’orchestre et la voix et annonçant les oratorios à venir. Haendel y réussit le tour de force de faire rentrer la forme de la fugue dans la structure de l’aria da capo. Filippo Mineccia a chanté cet air avec une voix claire au timbre très pur et une remarquable diction.

Emira est déguisée en homme pendant la plus grande partie du spectacle. Le personnage fait preuve d’un tempérament viril et est prompt à dégainer l’épée. Curieusement les airs qu’Emira chante ne sont rien moins que belliqueux. En particulier deux airs pastoraux, Vedeste mai sul prato (I,12) et Non vi piacque ingiusti dei (II, 10), contrastent par leur caractère virgilien avec la volonté de vengeance de l’héroïne. Sophie Junker, très applaudie à Göttingen dans le rôle de Cléopâtre, a montré l’étendue de son talent dans l’air virtuose en fa majeur D’ogni amator la fede (I,5). Avec son élocution véloce et son sens du rythme, elle est une des meilleures sopranos haendéliennes du moment.


De gauche à droite : Siroe (Rafal Tomkiewicz), Emira (Sophie Junker) et Cosroe (Ks. Armin Kolarczyk) © Felix Grünschloss

Shira Patchornik, soprano, incarnait Laodice. Cette dernière est constamment dans la séduction; après avoir été l’amante de Cosroe, elle tombe amoureuse de Siroe. Elle hérite d’airs particulièrement intéressants notamment le magnifique Mi lagnero tacendo (II,1) avec sa métrique 12/8 et son rythme de barcarolle alanguie. L’aria O mi perdo di speranza (I,13) est particulièrement palpitant, il contraste avec le précédent par son dynamisme et ses syncopes d’allure vivaldienne. La voix de Shira Patchornik a un beau timbre charnu, une superbe projection et possède l’agilité et l’éclat requis pour interpréter les passages virtuoses et les brillantes vocalises dont la plupart de ses airs sont pourvus.

Konstantin Ingenpass, baryton, interprétait le rôle d’Arasse, général de l’armée perse et frère de Laodice, d’une voix bien timbrée dans les récitatifs. Dans son unique aria que je n’ai pas trouvé dans la partition, le baryton faisait résonner sa belle voix chaleureuse.

Avec douze violons, quatre altos, quatre violoncelles, deux violone, deux luths, deux hautbois et deux bassons, le Deutsche Händel-Solisten est bien pourvu en cordes ce qui explique un son très généreux mais qui ne couvre jamais les chanteurs. La fugue de l’ouverture à la française a été menée avec beaucoup de brio ainsi que la gigue qui suivait. Malgré l’absence de solistes, les accompagnements de plusieurs airs ont brillé de très belles couleurs. La direction du chef Attilio Cremonesi était très précise et son geste très expressif.

Le public ovationna bruyamment les artistes. Merci à l’Internationale Händel Festpiele Karlsruhe d’avoir permis de découvrir un opéra de Haendel très rarement donné malgré son grand intérêt. Avec un superbe plateau vocal, un bel orchestre et une mise en scène harmonieuse, très respectueuse du texte et de la musique, il serait très souhaitable qu’un DVD fût publié.



Publié le 04 mars 2024 par Pierre Benveniste