Sosarme, re di Media - Georg Friedrich Haendel

Sosarme, re di Media - Georg Friedrich Haendel ©Theater, Oper und Orchester GmbH Halle / Foto: Falk Wenzel
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Le fier panache d'une révolte adolescente

Dans la riche histoire de la production du Caro Sassone, Sosarme tient sa place entre un Ezio rapidement oublié, et le flamboyant Orlando (janvier 1733). L'intrigue est fondée sur un épisode historique réel : l'affrontement de Dyonisos Ier, régent du Portugal, avec son fils légitime, au XVème siècle. Elle a été transposée dans un Orient imaginaire pour ne pas froisser les relations diplomatiques que cultivait au XVIIIème siècle l'Angleterre des Hanovre avec le royaume lusitanien, afin de contrer le vieil ennemi espagnol. La construction du livret paraît un peu décalée, puisque le rôle-titre (Sosarme) ne joue qu'un rôle assez réduit dans l'action, dont les principaux protagonistes demeurent son futur beau-père Haliate, son beau-frère Argone ou la trouble et intrigant Altomaro, qui tente d'attiser l'affrontement entre père et fils. L'amour de Sosarme pour la belle Elmira, fille d'Haliate, qui triomphera dans le lieto finale, n'en constitue qu'un aspect relativement secondaire. Ce décalage se reflète au niveau des airs, relativement équilibrés (sauf pour Argone, réduit aux récitatifs et à un duo). On peut noter en revanche que les airs destinés à Sosarme (rôle incarné par Senesino lors de la création, puis par Carestini lors de la reprise de 1734) sont particulièrement brillants, et que la partition inclut également trois beaux duos (suffisamment rares chez Haendel pour mériter que leur présence soit soulignée) : deux entre Sosarme et Erenice (aux deuxième et troisième actes), et un autre entre Argone et Erenice au second.

La mise en scène signée Philipp Harnoncourt (fils du chef baroque bien connu) choisit astucieusement de traiter cet affrontement filial sur le mode décalé de la révolte adolescente dans le jardin d'une banlieue chic, suggérée par quelques images projetées sur le fond de scène lors de l'ouverture. Dans cette blague potache, le fils se réfugie dans un appartement muni d'une trappe, le père se protège des projectiles derrière des parasols de jardin, après avoir déclenché une explosion de pétards autour du refuge de son fils, qui arbore par provocation les banderoles de la révolte (qui affichent un fier « Vo vendicarmi »…). Le caractère quelque peu invraisemblable de la réapparition de Sosarme au second acte, après sa blessure mortelle, est souligné d'une énorme pelote de laine rouge sur sa poitrine, qu'il arrachera d'un geste énergique à la fin de son grand air ! Enfin pour son air du milieu du second acte, juste avant l'entracte, Altomaro, qui manipule les protagonistes, s'affublera d'une perruque à la Haendel, pour agiter Haliate tel une marionnette sans volonté propre...

Cette approche quelque peu parodique suscite une atmosphère jubilatoire, relayée avec talent par la direction précise et nerveuse de Bernhard Forck, à la tête d'une formation étoffée et solide. Les numéros de solistes sur scène (en particulier les percussions et les cors) sont particulièrement réussis, et rehaussent avec brio les interventions des chanteurs. On peut aussi relever l'efficacité de l'orchestre pour restituer les différentes atmosphères de l’œuvre, en navigant avec aisance entre récitatifs intimistes et délicats (comme celui entre Elmira et Erenice au premier acte) et les arias de bravoure débordant de panache d'Altomaro ou de Sosarme. Notons aussi l'appui efficace aux énergiques apparitions des chœurs au premier acte (Alla strage, alla morte !).

Les chanteurs se glissent avec conviction dans cette tragi-comédie. Personnage central de l'intrigue, le roi Haliate, incarné par le ténor bavarois Robert Sellier, se tire avec peine de sa somnolence dans un fauteuil, entouré de bouteilles de vin, pour lancer un fier La turba adulatrice. Sa projection généreuse, ses accents puissants suggèrent un caractère tyrannique, tout comme ils accréditent son addiction à la boisson de Bacchus. Sa prestation la plus réussie sera l'air du second acte Se discordia, avec un beau final accompagné sur scène par le tambourin. On notera encore, dans un registre émouvant, son S'io cadro au début du troisième acte. La voix surpuissante de Ki-Hyun Park (Altomaro) domine au sens propre le plateau. La tonnante basse coréenne campe en effet un traître totalement assumé, dont les graves caverneux traduisent à merveille son emprise sur les autres protagonistes. Après un impressionnant Fa l'ombre au premier acte, son morceau de bravoure se situe également au second acte (Sento il cor), où il s'affuble comme on l'a dit de la perruque du Caro Sassone. Notre seule réserve concerne sa diction, en partie gâtée par des effets trop appuyés. Le contre-ténor canadien Michael Taylor incarne un Argone privé d'air. Qu'importe, ses interventions dans les récitatifs permettent de juger de la qualité naturelle et souple de son timbre, et son duo avec Erenice au second acte (Se m'ascolti) est joliment réussi.

Le rôle de Melo, second fils d'Haliate, est confiée à une alto, comme il l'avait été lors de la création de 1732. Julia Böhme affiche un timbre androgyne tout à fait approprié pour cette incarnation masculine. Ses beaux éclats mats virevoltent avec aisance dans le Si, si, minaccia, et surtout dans sa stupéfiante aria du second acte (So ch'il ciel), perchée sur un escabeau, face à Altomaro qui veut l'entraîner dans ses machinations. Face à ces voix bien affirmées, la prestation d'Henriette Gödde (Erenice) souffre à notre sens d'une projection trop réduite dans les arias, qui la rend un peu décevante. Son timbre mat affiche toutefois de beaux reflets cuivrés dans le récitatif de la prophétie d'Hécate (Odi il periglio), au début du premier acte. Et son air du troisième acte (Cuor di madre, cuor di moglie), accompagné par le violon sur scène, sera chaleureusement applaudi. C'est toutefois dans son air lent Due parti (au premier acte) que nous l'avons la plus appréciée, développant un phrasé soigné et de beaux ornements filés sur un jeu théâtral émouvant.

Theater, Oper und Orchester GmbH Halle / Foto: Falk Wenzel

Gardons nos meilleurs éloges pour le jeune couple princier. L'Elmira d'Ines Lex affiche une voix cristalline au phrasé fluide et expressif, qui affiche dès le premier air (Rendi'l sereno) des aigus agiles. Perchée sur une échelle, elle couronne le final du premier acte par un Dite pace, où fusent les ornements en cascade entre de belles attaques acérées, accueillies par des applaudissements bien mérités. Citons encore le bel air du troisième acte (Vorrei nè pur saprei), à la carnation pleine de fraîcheur juvénile. Cette jeune promise se révèle évidemment tout à son aise dans les duos avec Sosarme (le magnifique Per le porte del tormento au second acte, et le plus court Tu caro au troisième acte, pour se passer les anneaux...). Face à elle le jeune contre-ténor bavarois Benno Schachtner (hélas trop peu connu en France) rayonne dans chacune des courtes apparitions dévolues au rôle-titre. Dès sa première intervention (Il mio valore), les ornements dévalent en cascade, bien appuyés sur un timbre au medium chaleureux et parfaitement stable, qualité particulièrement appréciable chez un contre-ténor. Son numéro le plus époustouflant se place au second acte : se tirant de son lit d'hôpital (et arrachant au passage son cathéter...) il se lance dans un air de bravoure (Alle sfere della glorie), accompagné de deux cors à ses côtés, qui lui vaudra de chaleureux applaudissements. Mentionnons encore son abattage sans faille dans les mélismes de l'air du troisième acte (M'opporo da generoso), où l'on sent le bonheur du dénouement final approcher inexorablement. Lors du court sextuor final, le jeune couple pourra enfin convoler : début de son bonheur... et fin de cette brillante comédie pour les heureux spectateurs !

Publié le 12 juin 2016 par Bruno MAURY