Sosarme, re di Media - Georg Friedrich Haendel
©Theater, Oper und Orchester GmbH Halle / Foto: Falk Wenzel Afficher les détails Masquer les détails Date: Le 03 juin 2016
Lieu: Opéra de Halle
Programme
- Sosarme, re di Media - HWV 30
- Dramma per musica en trois actes, de Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
- Livret anonyme d'après Antonio Salvi (Dionisio, Re di Portugalia)
- Créé le 15 février 1732 au King's Theatre de Haymarket à Londres
- Version de 1732
Distribution
- Benno Schachtner (Sosarme)
- Ines Lex (Elmira)
- Robert Sellier (Haliate)
- Henriette Gödde (Erenice)
- Michael Taylor (Argone)
- Julia Böhme (Melo)
- Ki-Hyun Park (Altomaro)
- Mise en scène et décors : Philipp Harnoncourt
- Assistante décors : Katja Rotrekl
- Costumes : Elisabeth Ahsef
- Eclairages : Matthias Hönig
- Vidéo : Anke Tornow
- Dramaturgie : Suzanne Holfter
- Figurants de l'Opéra de Halle :
- Troupe d'Haliate : Dolores Gebhardt, Brigitte Thomas, Ronald Gebhardt, Franck Hoër, Reinhard Lehmann, Tino Neubert, Ralph Otto, Felix Stumpe, Henry Vallentin
- Troupe d'Argone : Liseth Ansorge, Maura Guabe, Linda Rabbisch, Lisa Ulbrich, Julius Diel, Linnert Neunz, Martin Rudolph, Toni Silva de Santana, Emanuel Till
- Direction : Ann-Kathrin Franke
- Orchestre Händelfestspielorchester Halle :
- Premier violon : Dietlind von Poblozki
- Violons : Katharina Arendt, Elke Biedermann, Antje Büchner, Ernö Molnär, Michael Pöschke, Kirsten Reiche, Birgit Schnurpfeil, Wilfried Schulze, Elisabeth Thiel, Andreas Tränkner, Christiane Vanegas
- Altos : Hartmut Neubert, Michael Clauss, Nora Kegel, Bernhard Prokein
- Violoncelles : Johannes Hartmann, Burghard Müller, Wolfgang Starke
- Contrebasses : Stefan Meissner, Dorothea Ockert
- Flûte à bec, traverso : Constanze Karolic
- Hautbois : Thomas Ernert, Luis Caeres-Moncada
- Bassons : Fabian Borggrefe, Katharina Aures
- Cors : Petra Hiltawski-Klein, Olaf Weiss
- Trompettes : Rupprecht Drees, Sebastian Kuhn
- Timbales, tambours et percussions : Ivo Nitschke
- Basse continue :
- Violoncelle : Johannes Hartmann
- Théorbe, guitare baroque : Petra Burmann
- Clavecin : Katrin Wittrisch
- Clavecin, orgue : Michaela Hasselt
- Direction : Bernhard Forck
Le fier panache d'une révolte adolescenteDans la riche histoire de la production du
Caro Sassone,
Sosarme tient sa place entre un
Ezio rapidement oublié, et le flamboyant
Orlando (janvier 1733). L'intrigue est fondée sur un épisode historique réel : l'affrontement de Dyonisos Ier, régent du Portugal, avec son fils légitime, au XVème siècle. Elle a été transposée dans un Orient imaginaire pour ne pas froisser les relations diplomatiques que cultivait au XVIIIème siècle l'Angleterre des Hanovre avec le royaume lusitanien, afin de contrer le vieil ennemi espagnol. La construction du livret paraît un peu décalée, puisque le rôle-titre (Sosarme) ne joue qu'un rôle assez réduit dans l'action, dont les principaux protagonistes demeurent son futur beau-père Haliate, son beau-frère Argone ou la trouble et intrigant Altomaro, qui tente d'attiser l'affrontement entre père et fils. L'amour de Sosarme pour la belle Elmira, fille d'Haliate, qui triomphera dans le
lieto finale, n'en constitue qu'un aspect relativement secondaire. Ce décalage se reflète au niveau des airs, relativement équilibrés (sauf pour Argone, réduit aux récitatifs et à un duo). On peut noter en revanche que les airs destinés à Sosarme (rôle incarné par
Senesino lors de la création, puis par
Carestini lors de la reprise de 1734) sont particulièrement brillants, et que la partition inclut également trois beaux duos (suffisamment rares chez Haendel pour mériter que leur présence soit soulignée) : deux entre Sosarme et Erenice (aux deuxième et troisième actes), et un autre entre Argone et Erenice au second.
La mise en scène signée
Philipp Harnoncourt (fils du chef baroque bien connu) choisit astucieusement de traiter cet affrontement filial sur le mode décalé de la révolte adolescente dans le jardin d'une banlieue chic, suggérée par quelques images projetées sur le fond de scène lors de l'ouverture. Dans cette blague potache, le fils se réfugie dans un appartement muni d'une trappe, le père se protège des projectiles derrière des parasols de jardin, après avoir déclenché une explosion de pétards autour du refuge de son fils, qui arbore par provocation les banderoles de la révolte (qui affichent un fier « Vo vendicarmi »…). Le caractère quelque peu invraisemblable de la réapparition de Sosarme au second acte, après sa blessure mortelle, est souligné d'une énorme pelote de laine rouge sur sa poitrine, qu'il arrachera d'un geste énergique à la fin de son grand air ! Enfin pour son air du milieu du second acte, juste avant l'entracte, Altomaro, qui manipule les protagonistes, s'affublera d'une perruque à la
Haendel, pour agiter Haliate tel une marionnette sans volonté propre...
Cette approche quelque peu parodique suscite une atmosphère jubilatoire, relayée avec talent par la direction précise et nerveuse de
Bernhard Forck, à la tête d'une formation étoffée et solide. Les numéros de solistes sur scène (en particulier les percussions et les cors) sont particulièrement réussis, et rehaussent avec brio les interventions des chanteurs. On peut aussi relever l'efficacité de l'orchestre pour restituer les différentes atmosphères de l’œuvre, en navigant avec aisance entre récitatifs intimistes et délicats (comme celui entre Elmira et Erenice au premier acte) et les arias de bravoure débordant de panache d'Altomaro ou de Sosarme. Notons aussi l'appui efficace aux énergiques apparitions des chœurs au premier acte (
Alla strage, alla morte !).
Les chanteurs se glissent avec conviction dans cette tragi-comédie. Personnage central de l'intrigue, le roi Haliate, incarné par le ténor bavarois
Robert Sellier, se tire avec peine de sa somnolence dans un fauteuil, entouré de bouteilles de vin, pour lancer un fier
La turba adulatrice. Sa projection généreuse, ses accents puissants suggèrent un caractère tyrannique, tout comme ils accréditent son addiction à la boisson de Bacchus. Sa prestation la plus réussie sera l'air du second acte
Se discordia, avec un beau final accompagné sur scène par le tambourin. On notera encore, dans un registre émouvant, son
S'io cadro au début du troisième acte. La voix surpuissante de
Ki-Hyun Park (Altomaro) domine au sens propre le plateau. La tonnante basse coréenne campe en effet un traître totalement assumé, dont les graves caverneux traduisent à merveille son emprise sur les autres protagonistes. Après un impressionnant
Fa l'ombre au premier acte, son morceau de bravoure se situe également au second acte (
Sento il cor), où il s'affuble comme on l'a dit de la perruque du
Caro Sassone. Notre seule réserve concerne sa diction, en partie gâtée par des effets trop appuyés. Le contre-ténor canadien
Michael Taylor incarne un Argone privé d'air. Qu'importe, ses interventions dans les récitatifs permettent de juger de la qualité naturelle et souple de son timbre, et son duo avec Erenice au second acte (
Se m'ascolti) est joliment réussi.
Le rôle de Melo, second fils d'Haliate, est confiée à une alto, comme il l'avait été lors de la création de 1732.
Julia Böhme affiche un timbre androgyne tout à fait approprié pour cette incarnation masculine. Ses beaux éclats mats virevoltent avec aisance dans le
Si, si, minaccia, et surtout dans sa stupéfiante aria du second acte (
So ch'il ciel), perchée sur un escabeau, face à Altomaro qui veut l'entraîner dans ses machinations. Face à ces voix bien affirmées, la prestation d'
Henriette Gödde (Erenice) souffre à notre sens d'une projection trop réduite dans les arias, qui la rend un peu décevante. Son timbre mat affiche toutefois de beaux reflets cuivrés dans le récitatif de la prophétie d'Hécate (
Odi il periglio), au début du premier acte. Et son air du troisième acte (
Cuor di madre, cuor di moglie), accompagné par le violon sur scène, sera chaleureusement applaudi. C'est toutefois dans son air lent
Due parti (au premier acte) que nous l'avons la plus appréciée, développant un phrasé soigné et de beaux ornements filés sur un jeu théâtral émouvant.

Gardons nos meilleurs éloges pour le jeune couple princier. L'Elmira d'
Ines Lex affiche une voix cristalline au phrasé fluide et expressif, qui affiche dès le premier air (
Rendi'l sereno) des aigus agiles. Perchée sur une échelle, elle couronne le final du premier acte par un
Dite pace, où fusent les ornements en cascade entre de belles attaques acérées, accueillies par des applaudissements bien mérités. Citons encore le bel air du troisième acte (
Vorrei nè pur saprei), à la carnation pleine de fraîcheur juvénile. Cette jeune promise se révèle évidemment tout à son aise dans les duos avec Sosarme (le magnifique
Per le porte del tormento au second acte, et le plus court
Tu caro au troisième acte, pour se passer les anneaux...). Face à elle le jeune contre-ténor bavarois
Benno Schachtner (hélas trop peu connu en France) rayonne dans chacune des courtes apparitions dévolues au rôle-titre. Dès sa première intervention (
Il mio valore), les ornements dévalent en cascade, bien appuyés sur un timbre au medium chaleureux et parfaitement stable, qualité particulièrement appréciable chez un contre-ténor. Son numéro le plus époustouflant se place au second acte : se tirant de son lit d'hôpital (et arrachant au passage son cathéter...) il se lance dans un air de bravoure (
Alle sfere della glorie), accompagné de deux cors à ses côtés, qui lui vaudra de chaleureux applaudissements. Mentionnons encore son abattage sans faille dans les mélismes de l'air du troisième acte (
M'opporo da generoso), où l'on sent le bonheur du dénouement final approcher inexorablement. Lors du court sextuor final, le jeune couple pourra enfin convoler : début de son bonheur... et fin de cette brillante comédie pour les heureux spectateurs !
Publié le 12 juin 2016 par Bruno MAURY