Te Deum - Bononcini

Te Deum - Bononcini ©Bertrand Pichène
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Célébrations baroques à Ambronay

Sous Louis XIV, qui en avait développé l’usage jusque-là exceptionnel, le Te Deum restait toutefois réservé à de grandes occasions : retours de guerre victorieux, naissances dans la famille royale,… Son usage va aller en augmentant dans la première moitié du XVIIIème siècle : ainsi chaque victoire de Louis XV durant les premières années de son règne est aussitôt ponctuée d’un Te Deum à Versailles, sans même attendre le retour du roi (lire notre compte-rendu de la biographie de Colin de Blamont). Les autres cours européennes ne tardent pas à imiter cette pratique. Puissance maîtresse de l’Europe centrale, l’Autriche des Habsbourg endosse d’autant plus aisément cette coutume qu’elle marque aussi son attachement au catholicisme. A cette époque rapelons-le, la faveur dont jouit la musique italienne à la cour est à son apogée, ce qui attire à Vienne de nombreux compositeurs venus du sud des Alpes. Le grand Vivaldi (1678 – 1741) lui-même, en difficultés financières à la fin de son existence, fera en vain le voyage de Vienne pour y chercher des commandes ; malade et fatigué il y mourut peu de temps après. Et c’est à peu près cette période que l’impératrice Marie-Thérèse commanda un Te Deum à un autre compositeur italien, Giovanni Bononcini (1670 – 1747).

Né à Modène, Bononcini pouvait aussi se targuer d’une solide expérience internationale, à la différence du Prete Rosso son quasi-contemporain. Il avait notamment travaillé à Londres pour le King’s Theater d’Haymarket, où il avait été le rival de Haendel durant les années 1720. Discrédité par une accusation de plagiat, il avait quitté Londres pour la France en 1731, et était ensuite passé par Madrid et Lisbonne. Il était revenu s’établir en 1736 à Vienne, ville où il avait déjà résidé dans sa jeunesse. Il connaissait donc bien les différents styles musicaux en vogue dans les principaux pays d’Europe, et leurs influences réciproques. Son Te Deum, qui constitue sa dernière composition, n’avait toutefois plus été joué depuis le XVIIIème siècle. Sa reprise dans le cadre du 40ème Festival de musique d’Ambronay constitue donc une création mondiale.

De leur côté les Coronations Anthems de Georg Friedrich Haendel (1685 – 1759) n’ont pas eu à souffrir de cet oubli : ils ont rythmé régulièrement les cérémonies de couronnement des souverains britanniques, depuis le couronnement de George II de Hanovre (1727) jusqu’à nos jours. Face aux Te Deum du catholicisme de la Contre-Réforme, ils incarnent la pompe musicale entretenue par le culte anglican lors des grandes cérémonies religieuses, et en particulier celles qui concernent la famille royale. On se souvient en particulier de la somptueuse composition d’Henry Purcell (1659 – 1695) pour les Funérailles de la reine Mary (1695). L’intelligente mise en perspective du Te Deum de Bononcini et des Coronations Anthems de Haendel au cours d’un même concert livre à l’auditeur une vision croisée des esthétiques musicales en vigueur dans deux pays différents au cours de cette première moitié du XVIIIème siècle.

Pour leur exécution, Giulio Prandi réunit un effectif assez conséquent, tant au plan vocal qu’instrumental, qui demeure toutefois adapté à l’acoustique de l’abbatiale, qu’il emplit sans peine mais sans la saturer. Dès les premières notes du Te Deum, les trompettes résonnent, et ouvrent avec éclat grand chœur homophonique qui suit (Te Deum laudamus). Toujours présentes pour appuyer les échanges des solistes tour à tour féminins puis masculins qui entament le Tibi omnes, avant que le chœur ne proclame le Sanctus sur un rythme plus serein.

Le timbre cuivré de la soprano Rachel Redmond se mêle aisément à celui de l’alto Marta Fumagalli dans le verset Te gloriosus. Cette dernière nous a toutefois parue moins à l’aise dans le verset suivant qu’elle entonne seule, le Te per orbem, dont les graves sont marqués par des modifications de couleurs trop perceptibles à notre goût. Du côté des hommes on retiendra le joli duo du ténor Raffaelle Giordani et de la basse Matteo Bellotto dans le Tu, devicto mortis, aux échanges bien équilibrés, avant la reprise homophonique du chœur, là encore appuyé des sonneries flamboyantes des trompettes. De même, le trio Aeterna fac, entre la basse et deux sopranos, est particulièrement réussi.

Dans le Dignare Domine, Marta Fumagalli nous fait oublier sans peine les quelques imperfections notées pus haut : son medium ample et souple s’y déploie admirablement, et sa diction bien audible permet d’en savourer les paroles. Le chœur du Miserere s’appuie comme il se doit sur une orchestration assez dépouillée, ménageant un indispensable instant de recueillement. Le contraste n’en est que plus frappante avec l’allègre invocation Fiat misericordia tua, lancée par Rachel Redmond d’une voix cristalline et qui tournoie en de longs ornements. La reprise en est encore plus séduisante, qui précède la proclamation finale In te Domine, reprise ensuite par le chœur et appuyée d’un grandiloquent tutti orchestral couronné de vaillantes trompettes, emmené avec brio par le maestro Giulio Prandi et chaleureusement applaudi.

A la pause, les arcades gothique du cloître offrirent aux spectateurs un abri bienvenu contre la pluie fine et serrée qui arrosait cet après-midi là le ciel de la Bresse. Après le Te Deum à la cour de Vienne, les spectateurs sont maintenant réunis pour écouter les Coronations Anthems du couronnement de George II. Après une première attaque du My heart is inditing tout à fait nette mais peu saillante, le chef fait peu à peu monter la tension de l’enthousiasme : la reprise prend du panache, et l’orchestre se fait plus nerveux, créant aussitôt par contraste l’atmosphère de réjouissance attendue. De manière générale les atmosphères sont rendues avec contraste, mais sans aucune exagération, dans une tension croissante vers le final : un élégiaque King’s daughters, un solennel Upon thy right hand, avec une savoureuse ascension sonore sur And the King, avant l’éclatant final Kings shall be. On note aussi au passage la diction anglaise irréprochable du chœur, et la clarté de ses différentes parties.

Dans l’anthem suivant, l’apostrophe Zadok the Priest est empreinte de majesté, nous ramenant à la pompe de cette cérémonie. Les trompettes soutiennent à propos un God save the King énergiquement martelé par le chœur, qui précède l’éclatant Alleluia final. Le public enthousiaste couronne cette brillante exécution de chaleureux applaudissements.

Le dernier anthem, The King shall rejoice, proclame l’allégresse triomphale qui emplit désormais le souverain couronné. Là aussi Giulio Prandi manie avec dextérité la montée progressive d’une dynamique sonore qui culmine sur le final du morceau : des attaques précises, des parties chorales claires et sonores, à la diction bien articulée, nous enlèvent irrésistiblement vers le tourbillon final. Le Glory tombe avec la force et la vitesse d’une vague déferlante, balayant tout doute sur son passage, et l’Alleluia éclate dans un brillant bouquet final, salué par un tonnerre d’applaudissements.

Après de nombreux rappels, le chef revient sur le plateau pour nous offrir un bis préparé par un chœur composé d’amateurs. La pièce choisie est un extrait du Dixit Dominus de Baldassare Galuppi. Après avoir donné le signal à l’orchestre, le chef descend l’estrade pour diriger le chœur. Celui-ci témoigne d’une qualité tout à fait honorable au regard de sa composition, et témoigne du niveau que peuvent atteindre des amateurs bien encadré, et qui se sont entraînés depuis le mois de juin précédent. Les attaques en particulier sont très nettes et parfaitement synchronisées. Soulignons au passage l’intérêt de ce projet mené par le Centre Culturel d’Ambronay, qui contribue ainsi à développer la pratique de la musique baroque par le plus grand nombre.

Mais le public en réclame encore davantage. Après de nouveaux rappels, Giulio Prandi et l’ensemble Ghislieri offrent une reprise de Zadok the Priest, peut-être encore plus enthousiasmante que la première exécution, et qui suscite à nouveau de formidables applaudissements. Pour nos lecteurs qui souhaiteront vivre ou revivre ce concert, précisons qu’il est ré-écoutable en différé sur CultureBox.



Publié le 10 oct. 2019 par Bruno Maury