Théodora (Haendel): Le triomphe du martyr...

Théodora (Haendel): Le triomphe du martyr... ©Vincent Pontet
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Avec cet oratorio de 1750 (avant dernier oratorio de Haendel), on est loin, très loin de ce que la musique baroque peut parfois avoir d'excessif, d'ornementé voire d'ostentatoire.

L'action repose sur une narration maigrelette, et privilégie les mouvements intérieurs. A Antioche, au quatrième siècle après Jésus-Christ, Theodora, noble romaine fraîchement convertie, refuse de sacrifier aux dieux romains. Traîtresse à sa religion -et à sa caste- elle est condamnée par le gouverneur de la cité à la prostitution. Didyme, jeune centurion amoureux, la sauvera dans un premier temps, mais unis par leur foi et leur refus des anciens dieux, ils seront finalement exécutés. Sur cette trame sobre, Haendel tisse une musique somptueuse, marquée par son caractère sacré, toute en retenue et loin des brillances et des éclats d'autres oratorios, par exemple Le Messie pour n'évoquer que celui-ci. Les thèmes musicaux sont de toute beauté.

La direction de William Christie est un chef d'œuvre. On sent le chef, à la tête des Arts florissants, totalement obsédé par la recherche d'une perfection plastique. C'est probablement ce qui justifie son intervention, avant le début du concert, pour demander au public de s'abstenir d'applaudir avant la fin des actes. Joyau de précision, excellence technique, richesse harmonique, perfection des équilibres fosse-plateau, tout y est. Mais de cet ensemble se dégage une froideur un peu écrasante et l'on se surprend parfois à espérer, en vain, que le maestro tire de son orchestre des couleurs plus chaleureuses.

Sur le plateau, la mise en scène de Stephen Langridge relève du même parti pris : simple et épurée, contemporaine mais intemporelle (merci à Stephen Langridge de nous avoir épargné les allusions au conflit syrien), elle met en valeur les rapports de la religion et du politique et la psychologie des protagonistes. Le dispositif scénique s'organise autour de grand murs qui coulissent et redéfinissent tout le temps les espaces ; et sur le dernier mur, tout au fond de la scène, le sang des fusillés. Le tout est baigné dans la très belle lumière, presque métaphysique et spirituelle de Fabrice Kebour.

Premiers personnages de l'œuvre, les chœurs sont l'une des merveilles de “Theodora”. Personnifiant les dominants romains ou l'assemblée chrétienne, le chœur des Arts florissants est simplement exceptionnel de qualité, de phrasé, d'interprétation. Précis et vivants, ils seront parmi les grands triomphateurs de la soirée.

La distribution est aussi une belle réussite. D'une remarquable homogénéité, elle aligne de jeunes chanteurs qui ont tous la silhouette de leur rôle. Dans le rôle titre, Katherine Watson est dotée d'un très beau timbre et dispense quelques interprétations sublimes (“Angels, ever bright and fair” ou “With darkness deep”). Mais elle peine un peu à incarner le personnage, concentrée sur la caractérisation d'une jeune fille naïve et un peu illuminée ; sa passion pour Didyme en devient un peu artificielle. Didyme, justement, et Philippe Jaroussky dont les qualités dans la musique sacrée ne sont plus à démontrer. En grande forme, il dispose toujours de cette ligne de chant irréprochable et de cet aigu séraphique. Si le bas médium est toujours aussi peu épais et le gênera dans son 1er air (“Kind Heaven”), la voix semble s'être enrichie de graves inattendus et superbes. On relèvera les points d'orgue magnifiquement tenus (par ex dans “The raptured soul” à l'acte I). Et ainsi, le “Sweet rose and lily” sera un moment de pure émotion ainsi que le mémorable duo avec Théodora qui clôt l'acte II et est le sommet de l'œuvre et, grâce à la complicité évidente des deux chanteurs, de la soirée.

En Irène, Stephanie d'Oustrac réalise un superbe travail d'interprétation. Sa foi est moins naïve que celle de Théodora, plus politique. Son humanité est aussi plus dense. Et cela s'entend dans cette superbe voix parfaitement timbrée, à l'émission maîtrisée et à la remarquable technique. Son air au début de l'acte III (“When sunk in anguish”) touche à la perfection. Kresimir Spicer livre une intéressante vision de Septimus. Un peu “bourrin”, faisant preuve d'un solide et rustique bon sens, davantage guidé par son amitié pour Didyme que par des considérations politiques ou religieuses. Le ténor est doté d'une voix aux belles capacités, au timbre chaud et qui a été très appréciée du public même si j'ai été gêné par des faiblesses dans les notes de passage et un manque d'homogénéité du registre. Il n'en demeure pas moins qu'il a parfaitement su gérer l'écriture meurtrière de “From virtue Spring”. Callum Thorpe incarne un Valens totalement intégré dans la réalité du monde, soumis au politique, brutal et pragmatique. Belle découverte que cette superbe basse bien timbrée, superbement projetée et à la belle virtuosité. Ces trois interprètes sont totalement engages dans leur personnages et redonne un peu de chair à ce que le trio Christie-Watson-Jaroussky tend à desincarner.

Au final, ce fut une très belle soirée, un bel hommage à la liberté et à la tolérance, salué avec enthousiasme par un public conquis prenant le temps d'applaudir longuement les interprètes au terme d'un drame de plus de trois heures.



Publié le 25 oct. 2015 par Jean-Luc IZARD