Theodora - Haendel

Theodora - Haendel ©Jean-Yves Grandin
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Une somptueuse musique sacrée

Lors de la création de Theodora, en 1750, cela fait presque 10 ans que Haendel a abandonné la forme « opéra » et privilégie l’oratorio. La représentation de ce soir, en version de concert à la différence de la production de 2015 (voir ma chronique), s’inscrit dans un tour européen : Vienne, Milan, Paris, Luxembourg et Essen.

L'action repose sur un argument simple et privilégie les mouvements intérieurs. A Antioche, au quatrième siècle après Jésus-Christ, Theodora, noble romaine fraîchement convertie, refuse de sacrifier aux dieux romains. Traîtresse à sa religion -et à sa caste- elle est condamnée par le gouverneur de la cité (Valens) à la prostitution. Didymus, jeune centurion amoureux, la sauvera dans un premier temps, mais unis par leur foi et leur refus des anciens dieux, ils seront finalement exécutés.

Sur cette trame sobre, Haendel tisse une musique somptueuse, marquée par son caractère sacré, tout en retenue et loin des brillances et des éclats du baroque mais même assez loin d'autres oratorios, par exemple Le Messie pour n'évoquer que celui-ci. Lors de sa création, l’œuvre fut un échec et ne fut reprise qu’une seule fois du vivant de Haendel.

Il Pomo d’Oro, sous la direction, au clavecin, de Maxim Emelyanychev, fait une fois de plus une belle démonstration de sa maîtrise de ce répertoire. L’interprétation est particulièrement sensible et élégante, tout en couleurs et en nuances, avec une attention permanente aux chanteurs. Le chœur Il Pomo d’Oro était impeccablement aligné sur cette direction précise, particulièrement émouvant dans les chœurs des chrétiens, un peu moins convaincants peut être dans les interventions des païens.

Dans le rôle-titre, Lisette Oropesa fait montre d’une grande aisance technique. Mais son incarnation de la vierge vouée au sacrifice est d’une placidité parfois un peu excessive et je ne suis pas convaincu qu’elle soit vraiment chez elle dans le répertoire baroque dans lequel son vibrato serré nuit vraiment au legato. Pour autant, elle a fait une très belle prestation, simple et dépourvue d’afféterie qui a porté au sublime son duo final avec Didymus.

Très impliqué dramatiquement, John Chest est limité dans sa volonté tangible de rendre toute la noirceur de Valens, par un baryton trop clair pour un rôle qui échoit généralement à un baryton-basse. Mais la superbe projection de ses aigus, très rayonnants, lui permet, malgré des graves peu sonores, de tenir plus qu’honorablement sa partie.

Michael Spyres épouse le rôle de Septimius avec une très grande retenue. Ses moyens gigantesques lui permettent bien entendu d’affronter les difficultés de ce rôle un rien ingrat. Mais là où on aurait pu craindre un excès de virtuosité dans les coloratures du rôle, on trouve une sobriété parfaitement adaptée au climat général de l’œuvre, sobriété qui se coule dans un sens aigu de la musique haendélienne et souligne les beautés du timbre et les capacités de souffle et de nuances de l’interprète.

Paul-Antoine Bénos-Djian, que j’avais beaucoup apprécié en Rinaldo à Compiègne en 2018 (voir mon compte-rendu) a présenté une exceptionnelle incarnation de Didymus. Le timbre d’alto s’est épaissi et s’est épanoui dans des couleurs chaleureuses et vibrantes, charnelles. L’agilité de la voix, comme sa projection et son caractère « naturel » sont impressionnants. Très impliqué au plan dramatique, le contre-ténor déploie une diction soignée : chaque mot est pesé, nuancé à l’infini pour rendre réel un Didymus juvénile et frémissant.

Enfin, l’Irène de Joyce Di Donato est plus qu’exceptionnelle. Elle surclasse toute cette distribution prestigieuse et accomplie, avec une interprétation magistrale de ce rôle qui n’est pourtant pas central. La ligne de chant est une leçon à elle seule, les pianissimi sont des miracles d’émotion, l’interprétation est d’une puissance dramatique bouleversante. Elle donne à voir cette chrétienne dont la foi est plus « politique », moins naïve que celle de Theodora.

La soirée s’est achevée sur des applaudissements nourris et chaleureux, succès qui, au-delà des interprètes hors pair, doit beaucoup à Il Pomo d’Oro et à la direction lumineuse de Maxim Emelyanychev.



Publié le 28 nov. 2021 par Jean-Luc Izard