Tolomeo - Haendel

Tolomeo - Haendel © Jean-Yves Grandin
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Une œuvre rare de Haendel

Bien que réunissant une distribution prestigieuse (Faustina Bordoni, Francesca Cuzzoni, Senesino et Boschi), Tolomeo, dernier opéra (le treizième) de la « première académie » haendélienne à Londres fut un échec : sept petites représentations seulement avant un long oubli. L’œuvre marque la fin d’une époque pour Haendel qui doit affronter, outre les difficultés financières de l’effondrement du King’s Theater, la dislocation de son équipe de « vedettes ». A l’issue des représentations de Tolomeo, Senesino, Bordoni et Cuzzoni quittent Londres. La résurrection de Tolomeo date de 1938, puis surtout de 1964 (Halle), mais l’œuvre, qui n’est pas la meilleure de Haendel, particulièrement l’acte I, reste rare.

Le livret repose sur des personnages historiques et sert de cadre à une histoire de vengeance, de déguisements, d’amours, de séduction et, bien entendu, de réconciliation finale. Tolomeo (Ptolémée IX Sôter II), déposé par sa mère (Cléopâtre III Évergète) en faveur de son frère cadet Alessandro (Ptolémée X Alexandre Ier) vit en exil à Chypre, gouvernée par Araspe. Seleuce, épouse de Tolomeo, et Elisa, sœur d’Araspe, complètent cette galerie de personnages. Rivalité des deux frères, fidélité conjugale, violentes rivalités amoureuses, déguisements pastoraux, rejets amoureux, approches libidineuses, autoritarisme royal, tentative de suicide, pardon final : on le voit le livret est riche d’actions…

La représentation de ce soir était une version de concert, avec un peu de mise en espace, et se déroulait devant une salle archi-comble, fait suffisamment rare pour être noté et porté, probablement au crédit du très médiatisé Jakub Józef Orliński qui chantait le rôle-titre. Même si le jeu d’acteur et l’incarnation très juvénile de ce Ptolémée IX déchu est assez convaincante, je suis somme toute toujours perplexe et réservé sur le cas Orliński. La voix a beaucoup gagné en puissance et les aigus sont plus stables que par le passé mais je reste gêné par le manque d’homogénéité du timbre et de l’émission, par ces aigus tirés et chantés forte et par la relative pauvreté de l’ornementation. Ce qui n’empêche pas Jakub Józef Orliński de délivrer de très beaux moments et son Stille amare était vraiment bouleversant. Les arias élégiaques qui sollicitent une technique qu’il maîtrise bien lui conviennent mieux que les airs plus virtuoses dans lesquels les défauts que j’évoque plus haut me semblent vraiment gênants.

Face à lui, son frère Alessandro est incarné par un Paul-Antoine Bénos-Djian beaucoup plus convaincant et dont les moyens et la technique lui permettent d’aborder toutes les facettes de ce rôle complexe et difficile. Le timbre est superbe, chaud, homogène sur tout le registre, et la musicalité est impeccable aussi bien dans les superbes largo que dans les arias plus virtuoses.

La Seleuce de Melissa Petit est plus timide dans sa présence scénique mais la chanteuse est dotée d’une remarquable technique qui permet à sa très belle voix de se déployer tout au long de ses interventions. La longueur de souffle et la maîtrise de son émission lui permettent des piani superbes qui font de ses deux grands duos du II avec Tolomeo des moments d’une très grande intensité.

Si Giuseppina Bridelli (Elisa) incarne une superbe garce dont la beauté le dispute à la cruauté, elle m’a semblé néanmoins moins convaincante. Très applaudie, elle abuse d’accents beaucoup trop romantiques voire parfois véristes (!). Si la voix est très saine et le timbre vraiment attachant, si l’agilité vocale est réelle, les moyens sont parfois un peu courts sur le souffle, amenant des vocalises un peu raides et prématurément interrompues.

L'Araspe d'Andrea Mastroni n’appelle que des éloges, déployant, à son habitude, son timbre superbe vers des graves vertigineux, parfaitement sonores et colorés. Il est impeccable dans les trois airs que lui donne la partition et incarne avec une évidente jubilation ce roi tyrannique et libidineux.

Enfin, le principal artisan du succès de cette soirée a été Francesco Corti qui, de son clavecin, impulse un rythme soutenu à un Il Pomo d’Oro en très grande forme, malgré une formation qui aurait pu être plus étoffée (neuf violons seulement). Attentif aux équilibres et aux voix, très présent dans les ensembles, il met en valeur toutes les qualités de sa formation : des cordes superbes, des solos de flûte et de cors non moins poignants et un continuo dans lequel le théorbe était très audible. La direction nerveuse et très engagée de Corti était indiscutablement le meilleur de ce spectacle par ailleurs très applaudi.



Publié le 07 mai 2023 par Jean-Luc Izard