Tout sauf Bach ! - Guerrier

Tout sauf Bach ! - Guerrier © Dimitri Morel
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Rameau, Haendel et Scarlatti au clavecin

Les compositeurs au programme

Jean-Philippe Rameau est né à Dijon en 1683 et est décédé à Paris en 1764. L’enfance et le début de la vie d’adulte du compositeur semblent encore à ce jour peu documentés.  En 1706, il publie son Premier livre de pièces de clavecin à Paris (à consulter sur le site de la BnF). Trois ans plus tard, il retourne à Dijon auprès de sa famille et y prend le poste d'organiste. Il occupera un poste similaire à l’église des Jacobins à Lyon, ainsi qu’à la cathédrale de Clermont-Ferrand. Ce n’est qu’après l’édition de son premier traité de théorie musicale, en 1722, qu’il s'installe définitivement à Paris. Il commence une collaboration fructueuse avec le poète Alexis Piron, lui aussi né à Dijon. Au début des années 1730, et grâce à cette rencontre, il fait la connaissance d’Alexandre Le Riche de la Popelinière qui deviendra son mécène. C’est à cette époque que Jean Philippe Rameau est reconnu comme l’un des grands compositeurs de son temps.


Fils d’un chirurgien-barbier, Georg Friedrich Haendel est né en Allemagne en 1685 et est décédé à Westminster en 1759. Organiste à la cathédrale de Halle sur une courte période au début des années 1700, il noue une amitié solide avec Georg Philipp Telemann. Il quitte sa ville d’enfance pour Hambourg où il s’essaye à l’opéra. Après plusieurs échecs, notamment l’opéra Nero en 1705, il part pour l’Italie. Le jeune luthérien se fait rapidement remarquer à Rome. C’est grâce à Pietro Ottoboni qu’Haendel rencontre Domenico Scarlatti lors d’une joute musicale. Les deux hommes resteront amis. En Italie, Haendel découvre l’opéra baroque qu’il adoptera pour ses futures compositions lorsqu’il sera en Angleterre. Là bas il deviendra le musicien le plus important de Londres à son époque. Plus tard il deviendra sujet anglais, s’installe dans sa maison au 34 Brook Street et se spécialise dans l’écriture d’oratorio, dont son chef-d’œuvre, Le Messie (1742), reste le plus célèbre.


Domenico Scarlatti est né à Naples en 1685 et est décédé à Madrid en 1757. Cet illustre compositeur est avant tout connu pour ses 555 sonates pour clavecin. À partir de 1709, il entre au service de Marie-Casimire de La Grange, alors reine veuve de Pologne et qui réside à Rome. Installé à Lisbonne en 1720, il s'engage auprès de Marie-Barbara du Portugal, comme maître de clavecin privé. Lorsqu'elle épouse le roi Ferdinand VI, la princesse devient la reine consort d’Espagne en 1746, Domenico Scarlatti continue à la servir. Il demeure sous la protection de celle-ci à la cour royale d’Espagne et lorsqu’il se rend occasionnellement en Italie. Les œuvres proposées ce soir ont été recensées par le claveciniste musicologue Ralph Kirkpatrick, qui attribue un « K » à chaque numéro de sonate.

Le concert
Les Lyonnais sont venus en nombre ce soir, bravant les températures hivernales au profit d’un chaleureux concert, véritable démonstration des Saôneurs. Lors de son allocution, la nouvelle présidente de L’Antiquaille, Anne Nortier, invite le public à découvrir le musée de l’Antiquaille tout en rappelant brièvement l’histoire du lieu. Les dix ans de cette institution lyonnaise ont été célébrés avec un concert réalisé par les étudiants du Conservatoire à Rayonnement Régional de Lyon. Dans le cadre de leur quartier d’hiver, Simon Lanher, secrétaire général des Saôneurs, annonce le programme avec beaucoup d’humour. Trois grands noms de la musique baroque sont à l’honneur, J-P. Rameau, G-F. Haendel et D. Scarlatti. « Vous me direz qu’il manque une figure… Jean Sébastien Bach, une ʺpetite figureʺ », remarque qui fera rire la salle. Son absence, assumée dès le titre du concert Tout sauf Bach, s’explique par la présentation de la seconde édition du festival May Be Bach qui aura lieu l’été prochain. En attendant, François Guerrier, au clavecin, nous propose de découvrir ces trois illustres compositeurs de la « génération 1685 ».

L’artiste arrive sous les applaudissements enthousiastes des spectateurs, il ouvre le couvercle de son instrument, s’installe avec droiture et débute les quatre mouvements de la Suite en la de Jean-Philippe Rameau. Le son est clair, et affirmé, dès les premières notes, François Guerrier montre sa pleine maîtrise de l’œuvre. Dans une ambiance feutrée avec une lumière douce et tamisée, le claveciniste joue avec une fluidité et une grande aisance. Ses notes finales se diffusent dans l’air ce qui est particulièrement agréable. Le public est captivé et écoute le claveciniste avec une grande attention. L’œuvre terminée l’artiste salue le public « Bonsoir Mesdames et messieurs », les spectateurs applaudissent en retour, ce à quoi il ajoute « ce n’est pas fini » provoquant les rires des uns et des autres. François Guerrier est un musicien de 44 ans qui a débuté ses études musicales au Conservatoire de Caen où il est né. Puis il rejoindra celui de Paris, où il remporte, en 2001, son premier prix de clavecin.

Parmi les quatre pièces pour clavecin jouées ce soir par François Guerrier, il est intéressant de revenir brièvement sur l’histoire de la première et dernière œuvre. L’Entrée de Polymnie fait partie de l’opéra Les Boréades, composé au printemps 1763, Jean-Philippe Rameau décède en septembre 1764. Elle sera diffusée pour la première fois, et de manière incomplète, seulement deux siècles plus tard, le 16 octobre 1964 par l’ORTF. Il faut attendre le 14 avril 1975, pour qu’elle soit jouée intégralement, par John Eliot Gardiner. Interprété ce soir avec une éclatante mélodie, constante et riche, François Guerrier me rappelle le jeune claveciniste Jean Rondeau. La quatrième pièce, Les Sauvages, est l’une des plus connues du répertoire de J-P. Rameau. Elle trouve son inspiration dans le rythme des tam-tams de deux Iroquois lors d’un spectacle de comédie italienne. Elle est interprétée ce soir avec panache et joie.

Les trois mouvements de la Suite en mi mineur de G-F. Haendel sont magnifiquement joués par François Guerrier. C’est un véritable tourbillon de notes incroyables. Il joue avec force, et beaucoup de vigueur. La gymnastique de ses doigts montre tout le sérieux et la maîtrise de son art. On connaît l’amitié forte qu’il y a entre Georg Friedrich Haendel et Domenico Scarlatti.

C’est avec ce dernier que François Guerrier ouvre la troisième partie de ce concert, lui qui a « exploré les limites techniques du clavecin à son époque » comme l’explique l’artiste. Cette affirmation trouve tout son sens dans les six sonates choisies. Elles permettent véritablement de comprendre toute la dextérité et la juste énergie requise pour interpréter l’œuvre. Le programme joué est particulièrement animé, avec une cadence à la fois soutenue et dynamique. A mon sens, la Sonate K.213 est celle qui évoque le mieux une tonalité mystérieuse. À titre de comparaison, la proposition de David Louie (à écouter ici) est plus en légèreté et plus lente que celle de l’hôte de ce soir dont la mélodie éclatante plonge davantage dans le mystère. Avec un geste assuré, il enchaîne une série de notes, ses doigts dansent sur les touches de son instrument. Maître de son clavecin, la mécanique cède sa place à la musicalité des cordes pincées. Il joue avec une parfaite intonation dans cette belle chapelle reconvertie de l’Antiquaille.

Toujours au sujet du compositeur aux « 555 sonates », les interprétations divergent significativement d’un artiste à l’autre. Lors de son unique concert à l’Auditorium de Lyon, Andreas Staïer (article à retrouver ici) nous a montré une approche dense avec un rythme puissant à en faire trembler son clavecin. À l’inverse de son aîné, François Guerrier laisse ses notes respirer. C’est d’ailleurs ce que j’aime particulièrement dans son activité de claveciniste. Cette agréable habileté, telle une signature, peut être entendue et admirée sur cette vidéo de France Musique, disponible ici.


© Dimitri Morel

Ce talent, véritable savoir-faire construit par l’artiste via ses concerts de Nantes à Tokyo en passant par Bilbao, lui vaut une ovation du public, vivement remercié par une salve de bravos. L’engouement du public pour ce concert est tel que François Guerrier ne résiste pas à nous honorer non pas d’un, ni deux, mais trois bis. Il revient avec une sonate de Scarlatti pleine de tendresse, puis La Poule de Rameau pour le moins imagée et virtuose et termine avec un brin d’humour par « une œuvre pas très connue de Haendel » sa célébrissime Sarabande. La douceur au clavecin de François Guerrier me rappelle celle de Pierre Hantaï que les Saôneurs ont eu le plaisir d’accueillir l’été dernier pour la clôture du festival May Be Bach.

Une agréable soirée comme le collectif les Saôneurs sait les organiser. Une magnifique opportunité pour découvrir les sonorités que renferme cet instrument à cordes pincées : le clavecin. Je n’ai pas vu le temps passer. C’est ainsi que j’aime le clavecin aujourd’hui, joué avec passion, panache, rythme et émotion !



Publié le 30 déc. 2024 par Dimitri Morel