Une nuit au Louvre - Les Ombres

Une nuit au Louvre - Les Ombres ©Bertrand Pichène
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Concert aux chandelles

Peu de Festivals ont su vraiment s'adapter aux règles sanitaires strictes liées à l'épidémie de Covid-19 et proposer tout de même une programmation originale. Ainsi, le 41ème Festival d'Ambronay a dû, évidemment, réduire drastiquement sa programmation. Pour les trois week-ends du 18 septembre au 4 octobre, une simple lecture du programme pourrait faire croire le contraire, avec ses 22 rendez-vous, mais la comparaison directe avec 2019 et ses 40 propositions est parlante. En outre, nombre de concerts ont été raccourcis mais astucieusement doublés (voire triplés), pour satisfaire les très exigeantes contraintes de distanciation et la volonté de présenter quelques concerts à un public plus important.

Ainsi le concert de l'ensemble Les Ombres (nom assez prémonitoire pour ce concert !), avec la mezzo-soprano Eva Zaïcik a été présenté deux fois le vendredi 2 octobre dernier. Le programme intitulé Une nuit au Louvre était en tout point admirable. L'atmosphère, intime et recueillie, était magnifiée par un éclairage aux multiples bougies et chandelles (même si des éclairages électriques étaient présents, mais on se plaira à croire que c'était une obligation liée à la captation filmée de la chaîne Culturebox). La disposition centrale des musiciens et de la chanteuse (il y avait des spectateurs de deux côtés opposés de la scène, comme souvent à Ambronay) permettant une vision « panoramique » des artistes, était une riche idée de plus. Enfin, la mezzo-soprano à l’attitude sobre et réservée, au milieu des musiciens, comme lovée dans un cocon bienveillant, accentuait le caractère simple et intime de ce concert.

Ce concert a ainsi été l’occasion d’une rencontre avec Eva Zaïcik, jeune mezzo-soprano française, qui a déjà fait quelques apparitions discographiques, lumineuses, dans la tragédie lyrique Phaéton de Lully (Château de Versailles Spectacles, 2019, voir le compte-rendu) et surtout dans l'enregistrement chez Alpha : Venez chère Ombre (2019), avec Le Consort de Justin Taylor, dans l'univers feutré et poétique de la cantate française du XVIIIème, injustement oubliée (lire également le compte-rendu dans ces colonnes).

La première partie de la soirée, était consacrée à la musique française (XVIIème et XVIIIème) alors que la deuxième nous proposait de la musique italienne de la même époque... une sorte de Gouts réunis, pour parodier le titre d'une composition instrumentale contemporaine (1724) de François Couperin. Le programme alternait airs et compositions instrumentales de Sainte Colombe (magnifique viole de gambe, au timbre flamboyant, de Margaux Blanchard) et de Stradella (dans laquelle le son du violon a semblé un peu acide, contrairement à la générosité du traverso de Sylvain Sartre).

Laissez durer la nuit, premier air de ce concert, de Sébastien Le Camus (1610 - 1670), compositeur et violon du Roi (Louis XIV), a immédiatement installé une ambiance feutrée, délicate. La voix ombrée et suave à la diction parfaite d'Eva Zaïcik, a commencé à nous envelopper pour ne plus nous lâcher jusqu’à la fin du concert... de, seulement, une heure et quelques minutes !

La partie italienne nous a emportés dans l'univers de Francesco Cavalli (1602 - 1676), dont on ne peut que souhaiter une reprise plus fréquente de ses quelques 27 opéras. Eva Zaïcik a montré, une fois de plus, son aisance dans ces airs, non seulement souvent difficiles, mais surtout demandant une concordance quasi parfaite entre couleur vocale et diction du texte, le tout dans une profondeur assez confondante. On notera que l'air Uscitemi dal cor, lacrime amare, extrait de l'Erismena (1655) de Cavalli, a déjà fait l'objet de quelques gravures, mais aucune n'approche la qualité vocale de la mezzo et sa connivence avec les musiciens des Ombres. Une rareté, d'une extrême beauté, dans cette partie italienne, une plainte de Lully Deh, piangete al pianto mio, extraite de Psyché (1671), tragédie dont la genèse est assez complexe, mais qui comporte une entrée (ballet dans le pur style français), avec grand renfort de flûtes (ici seulement Sylvain Sartre), mais chanté en italien ! Les spectateurs sont restés en suspens à la fin de ce pur moment de bonheur.

Un concert, sobre mais d'une grande intensité que l'on peut déjà retrouver sur Culturebox et qui mériterait certainement un enregistrement audio.



Publié le 15 oct. 2020 par Robert Sabatier