Vistoli - Bernacchi

Vistoli - Bernacchi ©photo ars.essentia
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Un castrat superstar : Antonio Bernacchi

Ce récital réunit un certain nombre d’arias que le célèbre castrat Antonio Bernacchi (1685-1756) chanta au cours de sa carrière. Pour plus de détails concernant la vie et l’œuvre de Bernacchi, on peut consulter l’excellent article de Jean-François Lattarico qui lui est consacré.

Pietro Torri (1650-1737) réalisa la majeure partie de sa carrière au service de Max Emanuel, électeur de Bavière. Des pièces vocales comme le remarquable Recueil Trastulli (littéralement divertissement, perte de temps) comportant une soixantaine d’airs italiens accompagnés par une viole de gambe virtuose, mériteraient d’être mieux connues. Plusieurs airs de cette collection, des lamenti, des chaconnes, ont une saveur archaïque, très 17ème siècle. L’Epaminonda est une œuvre tardive créée à Munich en 1727. Se ben cruda è la sentenza est une aria da capo (III.1) chantée par Aristeno qui débute par une altération surprenante marquée sforzando. La musique est constamment lyrique et pleine de modulations imprévues. Carlo Vistoli lui donne un relief étonnant surtout dans le da capo joliment varié et empreint de poésie. Une découverte due à Carlo Vistoli et Thibault Noally.

Lotario de Georg Friedrich Haendel fut créé le 2 décembre 1729 au King’s Theater de Londres mais n’obtint aucun succès malgré la présence d’Antonio Bernacchi dans le rôle-titre. Ce dernier chante un très bel air en mi bémol majeur à la fin de l’acte II, Non disperi peregrino (II.15). C’est une aria di paragone (comparaison, métaphore). Le pèlerin ne se désespère pas en cheminant dans la nuit noire car il sait que l’aurore se lèvera au bout du voyage. C’est un air d’une grande beauté mélodique dans lequel l’accompagnement des cordes et la voix se fondent pour offrir à l’oreille plénitude et sérénité.

Partenope, HWV 27, fut créé en 1730, peu après Lotario. Ce « marivaudage héroï-comique » comme le désigne le musicologue Piotr Kaminski, donne lieu à une réussite musicale et dramatique mélangeant nobles sentiments et un comique de bon aloi. Furibondo spira il vento, aria en mi mineur (II.9), permit sans doute à Antonio Bernacchi de briller mais ce ne fut pas suffisant pour convaincre le public londonien. Carlo Vistoli a pu montrer l’étendue de son talent dans ce morceau spectaculaire écrit en doubles croches dans un tempo très allant. Les étourdissantes vocalises dans lesquelles chaque note était parfaitement détachée ainsi que l’accompagnement orchestral tempétueux, illustrent parfaitement les éléments déchainés, reflets de l’âme désespérée d’Arbace, furieux d’être abandonné par Partenope et Rosmira.

Dans l’aria Sento amor con novi dardi, Arbace court deux lièvres à la fois en courtisant Partenope et Rosmira (I.5). L’air est paisible et d’une grande beauté mélodique. On ne peut qu’admirer la douceur de la voix de Carlo Vistoli, son legato harmonieux et son habilité à varier le da capo.

Alessandro Scarlatti (1660-1725) très actif dans les années 1700 a contribué activement à la première réforme de l’opéra seria qui, en adoptant les codes du théâtre classique, a éliminé les éléments comiques très en vogue au 17ème siècle. L’art de Scarlatti est souvent austère notamment dans ses cantate da camera. Le Quartetto en ré mineur est un bel exemple de ce style exigeant. Il comporte quatre mouvements. Les deux premiers sont des fugues que l’on est tenté d’appeler contrapunctus I et II, par analogie avec L’Art de la fugue de Jean-Sébastien Bach, le troisième par son énergie et sa véhémence s’apparenterait plutôt à un terremoto. Le quatrième est remarquable par ses rythmes syncopés. Cette œuvre étonnante, appelée également Sonata a quattro senza continuo, peut être considérée comme un premier représentant d’un genre, le quatuor à cordes dont la naissance officielle a lieu en 1757 avec les quatuors Fürnberg de Joseph Haydn (1732-1809).

L’aria Vago sei, volto amoroso, tirée de La Griselda, opéra composé en 1721 sur un livret d’Apostolo Zeno est une déclaration d’amour du souverain Gualterio, roi de Sicile à Costanza. Dans ce morceau paisible, l’admirable legato de la voix de Carlo Vistoli fait merveille.

Avec l’aria Vorresti col tuo pianto, on est à des années-lumière de l’air précèdent. Dans ce morceau très concentré et d’une grande tension, le chanteur est confronté à d’incessantes altérations, modulations, chromatismes et pièges rythmiques mais Carlo Vistoli se joue de ces difficultés et arrive à mettre en valeur la beauté mélodique inimitable de Scarlatti.

Datant de 1711-1712, le Concerto pour violon en mi mineur RV 275 d’Antonio Vivaldi (1678-1741) était interprété par Thibault Noally et Les Accents. Ce concerto est assez peu connu aujourd’hui mais devait être très populaire au temps de sa création puisque quatre copies du manuscrit ont été retrouvées dans quatre pays d’Europe différents avant sa publication à Amsterdam en 1717. Il est remarquable par la virtuosité de la partie soliste dans les trois mouvements et notamment le troisième, Allegro, qui comporte des bariolages très rapides exigeant une grande souplesse de l’archet. Tous les musiciens de l’orchestre étaient mis à contribution et dans la douceur de l’Adagio, on pouvait entendre les jolies notes finement égrenées du théorbe.

Gaetano Maria Schiassi (1698-1754) appartient déjà à la génération de Johann Adolph Hasse (1699-1783). Il naquit à Bologne, entre au service du Landgrave de Hesse-Darmstadt puis s’installe à Lisbonne en 1734. L’aria Son qual legno che in procella (I.14), est tiré de Demofonte, un opéra composé sur le livret célèbre de Pietro Metastasio et représenté au théâtre San Giovanni Grisostomo de Venise en 1735. Bernacchi y tint le rôle de Timante, fils du roi de Thrace Demofonte. Il s’agit typiquement d’une aria di paragone où Timante compare son âme tourmentée à celle d’un navigateur surpris par une terrible tempête menaçant de couler son navire. L’air est très spectaculaire et Carlo Vistoli lui rend justice en faisant résonner des graves magnifiques et en se jouant des intervalles d’une octave et demi, d’accaciatures et des nombreux pièges dont la partition est truffée.

Le public enthousiaste applaudit à tout rompre les artistes et Carlo Vistoli chanta un premier bis : un troisième air de Partenope, air d’adieu très doux et termina sur une note joyeuse avec l’irrésistible air avec violon obligé en sol majeur, Se in fiorito ameno prato (II.2) de Giulio Cesare de Haendel, HWV 17. Cet air célèbre donna lieu à une étourdissante joute entre le chanteur et le violoniste, tous deux en forme olympique à la grande joie du public.

Pour terminer, je préfère citer la conclusion de l’article de Jean-François Lattarico, Antonio Bernacchi, il primo uomo : « Carlo Vistoli, l’un des meilleurs contre-ténors de sa génération, possède toutes les qualités requises pour rendre un magnifique hommage au grand castrat des Lumières : une technique vocale hors-pair, une réelle présence scénique, un timbre chaleureux, puissamment sonore et magnifiquement projeté et une diction impeccable ». On ne saurait mieux dire !



Publié le 02 août 2024 par Pierre Benveniste