Motets - Johann Sebastian Bach (1685-1750)

Motets - Johann Sebastian Bach (1685-1750) ©Festival de Saintes 2019 - M. B.
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Un festival est un bain de sons dans lequel le mélomane se plonge périodiquement avec gourmandise. Il est vrai que le généreux programme concocté pour la 48ème édition de celui de Saintes (Charente-Maritime) avait tout pour le séduire. Il lui prédisait notamment l’heureuse conjonction de deux vertus : l’une exfoliante et l’autre apaisante.

La première, que nous n’avons pu goûter, s’est révélée le soir du 12 juillet 2019, lorsqu’Hervé Niquet a battu la mesure pour coordonner huit chœurs à quatre voix déployant de spectaculaires Polyphonies Monumentales échafaudées par le maître de la Cappella Giulia du Vatican, Orazio Benevolo (1605-1672). Une inoubliable expérience de spatialisation, rompant radicalement avec le face-à-face habituel des auditeurs et des interprètes. Une musique enveloppante qui, après avoir complètement submergé la cathédrale Saint-Pierre de Saintes, a imprégné chacun des auditeurs, laissant un souvenir impérissable, nous a-t-on assuré.

La seconde, dont nous allons rendre compte, a particulièrement subjugué le public qui se pressait sous les voûtes de l’abbatiale de l’Abbaye aux Dames à l’heure du déjeuner, le 16 juillet 2019. Le magistral Ensemble Vox Luminis pénétrait jusqu’aux tréfonds de l’âme de près de trois cents spectateurs conquis. Il leur a parlé avec délicatesse et élégance de sujets graves que Johann Sebastian Bach (1685-1750) avait piquetés de notes d’espérance. Cinq des Motets du Kantor cheminaient alors dans une quasi nudité instrumentale, mus par une ferveur vocale soutenue par un collectif en fusion.

Deux concerts, parmi les dizaines d’autres qui ponctuaient les huit jours de ce festival (12 juillet-20 juillet). Tous les types de musique s’y déploient entre 12 heures et 23 heures, passionnément servis par des ensembles renommés ou qui le deviendront. Une musique en fête permanente dans un cadre que les organisateurs ont voulu accueillant et chaleureux en aménageant des lieux de rencontre et de détente. De bien agréables agoras dédiées à la convivialité.


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Les lieux de vie © Festival de Saintes – M. B.

Avec les Motets de Johann Sebastian Bach, Lionel Meunier nous confronte à une énigme. Efforçons-nous de la déchiffrer pour, ensuite, nous laisser gagner par leur harmonie.

A quelle espèce musicale appartiennent ces motets qui se distinguent autant de leurs cousins versaillais que de leurs camarades italiens ? Dans l’œuvre monumentale de Bach, pourquoi n’a-t-on identifié qu’une petite dizaine de motets (en incluant dans le décompte les opus dont l’attribution est toujours incertaine) alors que ses cantates se comptent par centaines ? Deux raisons au moins pourraient éclairer notre réflexion.

D’abord, en commettant ce péché d’anachronisme qui nous conduit si souvent à plaquer sur les productions anciennes des terminologies actuelles, nous prétendons structurer un répertoire issu de la libre expérimentation. En effet, pour les contemporains de Bach, aucune frontière ne séparait rigoureusement des genres tels que le motet, la cantate ou le choral harmonisé. Ceci conduit d’ailleurs le premier biographe du Kantor, Johann-Niklaus Forkel (1749-1818), à inscrire au crédit du compositeur « nombre de motets pour un et deux chœurs » (Sur la vie, l’art et les œuvres de Johann Sebastian Bach, 1802). Plus tard, Julius August Philipp Spitta (1841-1894) n’en comptera déjà plus qu’une dizaine dans sa biographie du Kantor parue en 1873. Et cela, jusqu’à ce que la Neue Bach-Ausgabe (NBA), dans son édition historico-critique des œuvres de Bach, établisse la liste qui fait aujourd’hui référence. Celle-ci identifie sept motets : quatre pour deux chœurs, un pour cinq voix et deux pour quatre voix. Avec l’unique motet à 5 voix (BWV 227), Vox Luminis a choisi d’interpréter trois des quatre motets à deux chœurs (BWV 225, 226 et 229), y ajoutant une pièce dont l’attribution a longtemps été incertaine (BWV Anhang/Appendice 159).

Ensuite, parce que ce genre musical semble avoir atteint, du vivant de Bach, la phase de maturité dans son cycle de vie. Après la période de croissance fébrile aiguillonnée par la génération de Heinrich Schütz (1585-1672), le recours au motet se banalise, entraînant par contrecoup une perte d’intérêt (du public et donc des musiciens) au profit de formules concertantes plus modernes, telles les cantates et les oratorios. Bach lui-même nous livre un indice qui devrait confirmer le rôle désormais secondaire du motet dans l’activité créatrice d’un musicien de son temps. Durant l’été 1736, un conflit violent l’oppose au recteur de la Thomasschule, Johann Heinrich Ernesti (1652-1729). Ce dernier entendait nommer, sans aucune concertation préalable, un « préfet » (assistant du Kantor appelé à diriger occasionnellement les jeunes choristes) que Bach juge immoral et incapable. Dans le Mémorandum qu’il adresse, le 15 août, à la municipalité de Leipzig, il établit clairement une distinction entre les ouvrages dont la direction peut être confiée à un « préfet » (« où les élèves n’ont à chanter que des motets et des chorals ») et « les œuvres de musique sacrée chantées par le premier chœur et qui sont pour la plupart de ma composition (et qui) sont incomparablement plus difficiles et complexes que celles qui sont chantées par le deuxième chœur » (Gilles Cantagrel, Bach en son temps, Fayard, 1997).

Pourtant, les occasions ne manquent pas, alors, de chanter des motets. Ainsi, l’Ordonnance du culte à Leipzig (28 novembre 1723) copiée de la main de Bach indique que, à chaque office, un motet est chanté à la fin du prélude pour orgue qui annonce le début de l’office (Gilles Cantagrel, idem). Ils sont également interprétés au cours des Vêpres, lors de cérémonies telles que les mariages, les enterrements ou les commémorations des défunts-bienfaiteurs de la Thomasschule. Mais aussi lors de dévotions privées, de banquets, de cérémonies d’investiture et autres festivités publiques, scolaires ou universitaires. Les occasions sont donc multiples mais les créations curieusement parcimonieuses. Car il suffisait de puiser notamment dans la collection des 365 motets de 58 compositeurs (italiens, allemands et franco-flamands de la fin de la Renaissance) assemblés par Erhard Bodenschatz (1576-1636) en ouvrant les deux volumes (1618 et 1621) de son Florilegium Portense (Anthologie de l’école régionale de Pforta). Il est vrai que Bach en commanda de nombreux exemplaires, tant ils s’usaient entre les mains de ses jeunes choristes.

Pourquoi, malgré cette relégation des motets, Bach en a-t-il composé? Seulement par tradition familiale, comme Vox Luminis l’a consciencieusement démontré dans son coffret consacré aux Motteten (Ricercar, 2015) de la lignée des Bach (voir notre chronique publiée le 1er avril 2018, German baroque sacred music - Bach) ? Les réponses sont inévitablement fragiles car, à l’exception du motet Der Geist hilft unser Schwachheit auf (L’Esprit vient en aide à notre faiblesse) BWV 226 composé pour les funérailles du recteur de la Thomasschule, l’affectation des autres opus reste problématique.

Alors, pourquoi ? D’abord, Johann-Nikolaus Forkel rappelle que les motets constituaient pour Bach, d’excellents supports destinés à l’éducation musicale de ses élèves-chanteurs : « il leur faisait faire tant d’exercices, à l’aide de motets pour un ou deux chœurs et même davantage, qu’ils devinrent à la fin d’excellents choristes. Parmi les motets qu’il composa dans ce but, il s’en trouve quelques-uns qui surpassent par la vie qui les anime, par le sentiment profond répandu tout au travers, par la magnificence et la richesse d’harmonie et de mélodie dont ils sont revêtus, toutes les œuvres de ce genre parues jusqu’alors ». D’autres musicologues postulent que, ce qui finira peut-être par être employé comme cahier d’exercice, pouvait constituer d’abord une œuvre de commande ou de circonstance destinée à marquer d’une empreinte singulière un événement festif ou douloureux.

Ces motets sont les œuvres vocales de Bach à ne jamais avoir connu de crépuscule. Peter Wollny, dans le livret qui accompagne les Motetten interprétés sous la direction de Philippe Herreweghe (Outhere, 2011), affirme que ces pièces « peuvent s’enorgueillir d’une tradition d’exécution ininterrompue dans le répertoire du chœur de l’église Saint-Thomas à Leipzig… Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’œuvre vocale de Bach commença à se répandre plus largement au moment précis où Johann Gottfried Schicht (1753-1823), Cantor de Leipzig, publia sa célèbre édition des Motets, peu après 1800 ». En somme, grâce à ses motets, la musique sacrée de Bach renaissait peu à peu de l’oubli dans lequel elle était plongée depuis sa disparition.

Lorsque Bach trempe sa plume pour composer l’un de ses motets, il dispose d’une forme de cahier des charges que Johann Gottfried Walther (1684-1748), son cousin par sa mère, exprimera en ces termes dans l’article « Motetto » de son Musicalisches Lexicon oder Musicalische Bibliothek (1732) : « Le motet est intrinsèquement une composition musicale construite sur une parole biblique destinée à des voix sans instruments (hormis la basse continue) et intensément décorée de fugues et de parties imitatives, mais il est également possible de doubler les parties vocales par toutes sortes d’instruments pour soutenir les voix » . Une définition au maillage large, mais qui pose cependant trois principes : l’importance accordée au texte obligatoirement extrait de la Bible (et non de poésies spirituelles, comme dans de nombreuses cantates ou Passions) ; la richesse de l’écriture polyphonique parementée de fugues et de passages en imitation (reprises successives d’un même motif mélodique par les différentes parties) ; une priorité accordée aux voix avec un accompagnement instrumental colla parte dans lequel les instruments se mettent à l’unisson des voix et s’abstiennent de toute ritournelle. Aux maîtres du passé, particulièrement Michael Praetorius (1571-1621) et Heinrich Schütz, Bach emprunte la pratique vénitienne des doubles chœurs. Il n’en oublie pas pour autant l’importance du choral dans la dévotion privée et publique. Voilà, nous semble-t-il, les principaux ingrédients qui viennent à l’esprit de Bach pour composer son motet. Mais seul son génie créateur permettra d’en tirer la quintessence et de les transformer en véritables pièces d’orfèvrerie. A charge, pour les talentueux musiciens de l’ensemble Vox Luminis de nous la révéler. Ce qu’ils firent à merveille, le 16 juillet dernier.


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Vox Luminis © Festival de Saintes – Lea Parvery

Le concert s’ouvre sur le seul motet dont la destination est précisément documentée. Der Geist hilft unser Schwachheit auf BWV 226 a été créé à l’occasion de l’inhumation (Beerdigung) du recteur de la Thomasschule, Johann Heinrich Ernesti, le 24 octobre 1729. Nous avons déjà rencontré ce personnage en août 1723, alors que le conflit avec Bach s’envenimait au sujet de la nomination d’un « préfet». Lorsqu’il meurt, le 16 octobre 1729, la Thomasschule est en net déclin, en grande partie de son fait. Non seulement parce qu’il manquait d’autorité, provoquant un relâchement de la discipline à tous les niveaux de la communauté éducative. Mais il était également « excessivement conservateur (et) s’opposa à toutes les réformes que la municipalité envisagea d’introduire à partir de 1717 », explique Alberto Basso (Jean Sébastien Bach, Tome II, Fayard, 1983). Cependant, « quoique incapable de reprendre en main les destinées de l’école, (Ernesti) avait laissé à ses contemporains l’aimable souvenir d’un homme fin et cultivé, professeur de poétique à l’Université », poursuit-il. C’est pourquoi, l’Université célébra en son honneur un funus academicum en la Paulinerkirche (église Saint-Paul), celle de l’Université de Leipzig. Observons que, délibérément ou non, le titre du motet interprété à l’occasion de ses funérailles dresse un portrait sans complaisance de ce lettré apprécié (Der Geist/l’Esprit) mais manquant d’autorité (Schwachheit/faiblesse). Une estocade posthume en forme d’ultimes représailles de la part du Kantor à l’égard de son supérieur hiérarchique ?

Sur le papier, Bach n’eut que quatre jours pour finaliser son motet et le faire répéter par ses musiciens. Il est cependant admis qu’il travaillât à sa composition avant le décès proprement dit et qu’il parodiât probablement des partitions plus anciennes pour en accélérer la finalisation. Compte tenu de la solennité de la célébration et parce qu’elle se déroulait dans l’église de l’Université (la seule à tolérer la sonnerie des instruments durant une cérémonie funéraire), son motet à double chœur à quatre voix prévoit exceptionnellement la mobilisation d’un nombre plus consistant d’instrumentistes, joignant des bois au second chœur en plus des cordes associés au premier. Vox Luminis opte cependant pour la sobriété, l’accompagnement instrumental obligé se limitant à l’orgue, une basse de viole et un basson jouant colla parte.

Musicalement, la partition se compose de trois mouvements reflétant trois styles de composition bien distincts. Chacun d’eux, nous semble-t-il, reflète subtilement une dimension de la personnalité du défunt.

La première partie célèbre l’action quotidienne du Saint-Esprit (Epitre aux Romains, 8,26) dans la forme caractéristique des chansons des Meistersinger (maîtres chanteurs). Ernesti fréquentait-il ce qui restait de cette guilde allemande de poésie lyrique ou s’est-il distingué dans l’étude de leurs productions ? En tout état de cause, cette première section est construite par référence à l’un de leurs modèles d’écriture les plus caractéristiques: la Barform (forme strophique spécifique). Ce modèle est traditionnellement divisé en deux Stollen (strophes A et A) suivies d’un Abgesang (épode ou chant d’adieu B). Dans la composition de Bach, le Stollen (A) d’ouverture distingue deux enseignements de Saint Paul. Le premier (a) pose un acte de foi : Der Geist hilft unser Schwachheit auf (l’Esprit-Saint nous aide dans notre faiblesse) ; le second (b) décrit la nature de cette faiblesse : Denn wir wissen nicht was wir beten sollen (car nous ne savons pas ce qu’il convient de demander dans nos prières). Le Stollen (A) suivant reprend le même texte mais en contractant le premier terme (a) et en développant le second (b). Enfin, l’Abgesang adopte la forme fuguée pour célébrer l’intercession constante et diligente du Saint-Esprit (Sondern der Geist selbst). L’allure générale de ce premier mouvement est joyeuse, remplie de cette béatitude que partagent les élus au paradis… et ceux appelés à les rejoindre.

La seconde partie (Epitre aux Romains, 8,27) s’affirme comme « un acte de foi se situant musicalement dans le sillage des motets de la Renaissance », analyse Gilles Cantagrel (J.S. Bach, Passions, Messes et Motets, Fayard, 2011). Un style d’écriture sans doute destiné à saluer la culture humaniste de l’universitaire. Il s’ouvre sur un dialogue concertant puis s’enracine dans une double fugue à quatre voix exposant séparément deux sujets. Le premier décrit le pouvoir de l’Esprit de scruter les cœurs (Der aber die Herzen forschet) tandis que le second loue son rôle d’intercesseur (Der er vertritt die Heiligen). Les deux chœurs cheminent en parfaite symbiose avant de se rejoindre cérémonieusement sur un das Gott gefället (ce qui plaît à Dieu).

La partie conclusive reprend la troisième et dernière strophe du cantique de la Pentecôte Komm, heiliger Geist, Herre Gott (Viens Esprit Saint, Seigneur Jésus) publié en 1524 par Martin Luther (1483-1546). Pouvait-on mieux rendre hommage au très pieux luthérien que de convoquer le Réformateur lui-même à son enterrement ? Les deux chœurs sont à nouveau réunis pour interpréter ce choral en simple harmonisation se concluant sur un Halleluia révérencieux. Un moment de sobre ferveur après l’allégresse et la richesse des deux mouvements précédents. Le public n’osa d’abord rompre le charme par ses applaudissements mais le fît ensuite avec d’autant plus d’enthousiasme.

C’est vers les funérailles d’un autre universitaire qu’il faut tourner nos regards pour entrevoir la genèse du second motet choisi par Vox Luminis. En effet, la copie de Komm, Jesu, komm BWV 229 ne porte aucune indication de date ou de destination. En revanche, le texte dans lequel Bach a extrait deux couplets (le premier et le onzième) est né sous la plume de Paul Thymich (1656-1694), un ancien élève puis enseignant de la Thomasschule de Leipzig. Son texte a d’abord été mis en musique par l’un des prédécesseurs de Bach, le Thomaskantor Johann Schelle (1648-1701) à l’occasion des funérailles, le 14 septembre 1684, du philosophe, humaniste et recteur de la Thomasschule, Jacob Thomasius (1622-1684). En outre, le caractère funèbre du motet est suggéré par deux formulations caractéristiques : la référence à l’agonie (Die Kraft verschwind’t je mehr und mehr/La force me manque de plus en plus) et le souhait d’une « Bonne nuit/Gute Nacht » signifiant ordinairement l’adieu au monde dans les œuvres poétiques de son temps.

Ce motet pour double chœur présente des différences notables avec le précédent : il ne se réfère à aucune citation biblique et n’intègre aucun choral. En outre, l’absence de fugue (la forme d’écriture musicale préférée de Bach) et d’accompagnement instrumental indiquerait qu’il était destiné à des moments tels que la levée du corps au domicile du défunt. « Un groupe de chanteurs, menés par leur préfet, devait alors se présenter devant la maison mortuaire et exécuter la musique choisie par le cantor », explique Gilles Cantagrel (Passions, Messes et Motets).

Les deux strophes prélevées dans le choral de Paul Thymich structurent les deux mouvements de ce motet. Bien que d’égale importance sur le plan strictement littéraire, la première partie fait l’objet d’un développement bien plus ouvragé que la seconde.

Les sept vers de la première strophe se présentent sous la forme d’un diptyque. Dans le premier volet, les quatre premiers évoquent les différentes phases de l’agonie du mourant. Par des appels répétés entrecoupés de respirations silencieuses, il lance des appels insistants au Christ : Jesu, komm (Jésus, viens). Cette supplication gravit une ligne chromatique ascendante en direction du ciel avant de s’affaisser douloureusement. Des entrées en imitation évoquent ensuite l’abandon des forces physiques (Die Kraft verschwindet) comme si, une à une, les facultés du mourant s’échappaient de son corps. Les lignes mélodiques ascendantes puis descendantes figurent sa lutte désespérée pour se maintenir en vie. L’issue paraissant inéluctable et ses forces déclinant, il finit par espérer un terme rapide dans une tendre et paisible requête qu’il adresse à Jésus : Ich sehne mich nach deinem Frieden (J’aspire à ta paix). Mais il redoute d’ores et déjà les difficultés qu’il va rencontrer sur le chemin amer (saure Weg) qu’il devra emprunter. Ce premier tableau s’achève donc sur cette perspective angoissée, soulignée par des chromatismes exprimant l’angoisse ainsi que par les entrées en imitation et les répétitions insistantes du mot schwer (difficile) pressentant les multiples obstacles qu’il devra franchir.

Par contraste, le second volet se distingue par sa légèreté et sa luminosité. L’agonisant aperçoit la main secourable de Jésus et l’interpelle en scandant obstinément le mot komm (viens). Ce passage dominé par la polychoralité ne recherche aucun effet de virtuosité. Bien au contraire, il entend figurer avec réalisme ces appels confiants adressés au Christ par le mourant et son entourage. Le tempo s’accélère et adopte la rythmique d’une danse, celle du battement d’un cœur qui se réjouit devant la perspective heureuse qui s’ouvre. L’agonisant aperçoit le chemin de la délivrance, le rechte Weg (le vrai chemin). Ce thème constitue le message central emprunté par le poète à l’Evangile de Jean (14,6) : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père sinon par moi ». Cette citation évangélique en forme de profession de foi fait l’objet d’un développement empreint d’une ferveur joyeuse qui se lit jusque sur les visages des interprètes.

La strophe finale est chantée à quatre voix par les deux chœurs réunis. L’écriture musicale adopte le principe de l’harmonisation simple, à la manière des chorals qui achèvent si souvent les cantates. Une conclusion sous la forme d’un message que Bach entend rendre parfaitement audible. Si la première strophe était pigmentée de mots sans cesse répétés, concentrant en eux l’essence de chacun des vers (Komm/Viens, Die Kraft/La force, sehne/j’aspire, Der saure/amer), la seconde strophe fait figure de péroraison. Un finale tout en sobriété duquel fuse un remarquable envol (de l’âme ?) vers les aigus de Zsuzsi Thoth sur le mot Weg/chemin.

Si la légende nous servait de référence, nous ne quitterions pas le monde universitaire en nous imprégnant du motet Jesu, meine Freude BWV 227. En effet, il aurait salué la mémoire de la défunte Johanna Maria Kees (1668-1723), veuve d’un maître de Poste de la Saxe. Or, celle-ci avait pour père Friedrich Rappolt (1615-1676), ancien recteur de l’Université de Leipzig et de la Thomasschule. Malheureusement, la recherche musicologique a démenti cette destination, sans pour autant établir les circonstances de sa création. Son architecture pointilleuse évoque cependant une composition scrupuleusement mûrie. En outre, examinant ce véritable catalogue des diverses formes musicales, Christoph Wolff, Directeur des Archives Bach de Leipzig, suggère que, dans sa forme actuelle, ce motet aurait une vocation pédagogique destinée aux élèves-choristes de la Thomasschule. Il observe, en effet, qu’il « combine judicieusement un exercice de polyphonie et une éducation théologique » (Johann Sebastian Bach : The Learned Musician, 2001).

Intéressons-nous d’abord au texte. Dans une habile fertilisation croisée, Bach fait alterner les six strophes du poème Jesu meine Freude extrait du Irdischer Helicon (L’Helicon terrestre) de Johann Franck (1618-1677) avec cinq citations puisées dans le chapitre 8 de l’Epitre aux Romains de Saint Paul. Ces deux textes se complètent admirablement. En effet, le poème postule que la mort délivre l’homme des maux pour permettre à son esprit de contempler le Christ tandis que l’Epitre affirme que l’homme n’est pas dans la chair mais dans l’esprit. C’est d’ailleurs ce message central que Bach place au sommet de sa structure en arche (strophe 6), la revêtant d’une éclatante double fugue. Aux deux extrémités (strophes 1 et 11), la première et la sixième strophe du poème de Franck constituent le socle de la structure. Dans une impeccable symétrie, quatre couplets ascendants et descendants complètent la construction, toujours dans le respect d’une stricte alternance du poème et de la citation biblique. Une alternance qui alerta l’auditeur attentif au texte, le programme du festival ne l’ayant doté que des strophes composées par Franck, omettant d’imprimer les versets pauliniens que chantait pourtant Vox Luminis. Petit moment de flottement que la beauté de l’interprétation a su faire vite oublier.

Musicalement, onze miniatures, toutes singulières en termes de caractère et de couleur, illuminent les onze chapitres de la prédication de Bach. Le choral harmonisé à quatre voix sur une mélodie empruntée à Johann Crüger (1598-1662) constitue le point de départ du motet. Ensuite, jusqu’à la fugue centrale, Bach expose différentes formes connues du motet polyphonique, passant du stile antico (strophe 2) au motet en trio (strophe 4) sans oublier le style madrigalesque qui se caractérise par l’attention portée aux mots. Avant de repartir en sens inverse pour retrouver le choral harmonisé dans l’ultime strophe. Le principe de variété s’applique ici sans jamais nuire à la cohérence de l’ensemble. L’œuvre d’un maître, assurément.

Lorsque Vox Luminis fait résonner les premières mesures du choral, la salle se fige d’admiration devant la finesse des nuances vocales et la suavité qu’exhale cette mélodie que tout mélomane fredonne à l’envi. La joie s’exprime ici sur le registre de la tendresse qui entoure le lien du croyant avec son fiancé céleste. La première strophe paulinienne se veut plus didactique. Deux mots interpellent l’auditeur. La répétition de nichts (plus rien) suivie d’un long silence veut l’assurer que, désormais, plus rien ne condamne ceux qui vivent dans le Christ. De même, le long mélisme sur wandeln (cheminent) trace la voie qui doit conduire son âme jusqu’à lui. Enfin, les effets d’écho impeccablement rendus font résonner le message de Saint Paul pour mieux en assimiler le contenu. La seconde strophe du choral se veut d’abord rassurante : Unter deinem Schirme bin ich vor Stürmen aller Feinde frei (Sous ta protection, je suis délivré des tempêtes de tous les ennemis). Puis elle illustre, par le texte et par la voix, les attaques de Satan. Bach réalise ici une magnifique synthèse, faisant cohabiter les accents dramatiques figurant les assauts du diable et la tendresse attentive du Christ. Le message de Saint Paul est maintenant porté par un trio (une Trinité ?) de voix du dessus méditant sur das Gesetz des Geistes (la loi de l’Esprit) et le sacrifice du Christ qui a délivré l’humanité de sa condition de mortel. Ce chant délicatement aérien figure autant la nature immatérielle de l’Esprit que l’affection du croyant pour le Christ, son sauveur. Le poème de Franck oublie maintenant sa mélodie originelle pour adopter une tournure plus théâtrale annoncée par les coups assénés par la répétition de Trotz (en dépit). Par de subtils figuralismes, le chœur à cinq voix raconte l’agression dem alten Drachen (du vieux dragon). L’action prend forme lorsque jaillit le mélisme venu des profondeurs de la basse sur le mot Tobe (rage). Les voix du dessus lui font face en chantant (ich steh hier und singe/je me tiens devant toi et je chante), dans cette calme assurance (Ruh) que lui inspire la protection divine. Puis le chœur invective Erd und Abgrund (terre et abîme) pour les appeler se taire.

Car déjà se tisse une fugue à cinq voix qui déclame le verset central du message paulinien : Ihr aber seid nicht fleischlich sondern geistlich (Car vous n’êtes pas dans la chair mais dans l’Esprit). Ce point culminant du motet est empreint de gravité. Les mots-clés sont répétés et enrobés dans de riches vocalises, particulièrement geistlich (dans l’Esprit) qui sera, dans la phase de résolution de la fugue, associé à wohnet (habite). Cela pour bien marquer que l’homme habite réellement dans l’Esprit et non dans le corps. Lorsque la fugue s’éteint, la seconde phrase du texte de Saint Paul rappelle, par la puissance expressive des répétitions, que der ist nicht sein, que celui qui n’a pas l’Esprit du Christ n’appartient pas à la communauté des croyants.

Le motet emprunte maintenant le chemin inverse. Il s’ouvre sur la quatrième strophe de Frank harmonisée pour quatre voix. La mélodie du choral est énoncée par les soprani dans une forme de cantus firmus. Tandis que les autres voix lui brodent avec dextérité de fringants ornements. Cette strophe adopte la structure de la Barform (AAB) avec laquelle nous nous sommes familiarisés dans le premier motet. Sur un mode alerte, deux Stollen se réjouissent du choix du croyant d’écarter les trésors matériels et les vains honneurs. En revanche, le langoureux Abgesang reconnaît que la souffrance est le prix à payer pour rester fidèle au Christ. Un nouveau trio mobilise maintenant les voix du dessous. Il oppose deux tableaux : celui du corps mort (so ist der Leib zwar tot), sur une tonalité mélancolique ; celui de la vie dans l’Esprit (Der Geist aber ist das Leben), évocation parsemée de vocalises soulignant les mots Geist (l’Esprit) et Leben (la vie). Ce corps sans vie fait maintenant ses adieux au monde dans un Gute Nacht (Bonne nuit) pénétrant, presque déchirant. Cette expression, habituellement entendue comme la salutation adressée avant le sommeil à l’être aimé, s’entend ici dans son sens poétique, celui de l’adieu à l’existence terrestre. Il évoque l’un des thèmes de prédilection du piétisme, l’espérance de ce long sommeil salvateur préludant aux félicités de la vie céleste. C’est donc particulièrement cette strophe qui autorise l’intégration de ce motet dans la catégorie des Sterbelieder, ces motets destinés aux cérémonies funèbres ou commémoratives. Ce véritable concentré d’émotion prépare la proclamation de la dernière citation paulinienne. La déclamation syllabique doit garantir la parfaite compréhension du texte, comme s’il résumait le message essentiel que le fidèle devait finalement retenir. Sans oublier cette longue insistance sur wohnet (habite) pour qu’il admette qu’il est lui-même la demeure dans laquelle habite l’Esprit. La sixième strophe du choral de Franck-Crüger couronne l’ensemble. Cette reprise à l’identique du choral introductif renvoie, en quelque sorte, l’image d’une boucle qui se referme sur elle-même, enserrant une émotion collective consciencieusement attisée par des chanteurs enchanteurs.

Les deux derniers motets évoquent un épisode important dans la renaissance de la musique sacrée de Bach. Le 23 avril 1843, Felix Mendelssohn (1809-1847) conclut le concert qu’il donna au Gewandhaus de Leipzig pour l’inauguration du monument à Bach qu’il avait fait réaliser. Sur un « programme entièrement consacré à Bach, naturellement, très copieux, et qui précisément se terminait par le motet Ich lasse dich nicht. L’après-midi du même jour, en plein air, devant le monument, c’est un autre motet qui fut chanté, Singet dem Herrn » raconte Gilles Cantagrel (Passions, Messes et Motets).

De toute évidence, Mendelssohn n’avait aucun doute sur la paternité du motet Ich lasse dich nicht BWV Anhang/Appendice 159. Pourtant, son attribution, sa date de composition et son texte ont fait couler beaucoup d’encre dans le milieu des musicologues. Longtemps, c’est dans le catalogue de Johann Christoph Bach (1642-1703), l’oncle de Maria Barbara Bach (1684-1720), qu’il fut inscrit. Depuis, mais sans certitude, la tournure de Johann Sebastian semble y avoir été reconnue. Il pourrait donc s’agir du premier motet sorti, vers 1712-1713, de la plume du jeune organiste de Weimar. Sa destination reste également énigmatique. Enfin, le choral final semble avoir été ajouté par Johann Gottfried Schicht en 1802. Mais, là encore, le mystère demeure. Sans compter les deux strophes supplémentaires ajoutées dans le programme des concerts de Saintes et qui n’ont pas été chantées par Vox Luminis. En tout état de cause, la Bach-Gesellshaft honore, dans la préface de son trente-neuvième volume (1889), le motet de la mention eines der schönsten Werke deutscher Kirchenmusik (l’une des plus belles compositions de musique d’église allemande).

Le texte choisi par Bach capte l’épisode final du combat de Jacob avec l’Ange (Genèse 32,26). Bach transforme cet épisode biblique en allégorie : certes, il arrive à l’homme de se quereller avec son Dieu (première strophe) ; mais n’est-ce pas parce qu’il se sent parfois abandonné (choral) ?

Cette partition en deux parties s’adresse à deux chœurs. Le motet s’ouvre sur une supplication homophone répétant jusqu’à l’obsession Ich lasse dich nicht (Je ne te laisserai pas). Une formule d’allégeance ou une manière de rappeler au Christ l’indéfectible lien qui unit l’homme à son Créateur. Le tempo n’évoque en rien une lutte. Bien davantage, c’est sur un rythme de berceuse que l’homme s’adresse à Jésus. Les deux chœurs se font écho, jouant sur les effets de rimes avec ich (je), dich (toi) et nicht (pas). Sur le mode du balancement, le texte passe de chœur en chœur, jusqu’à la conclusion homophone exposant l’ensemble du verset tandis que les voix du dessus prodiguent un mein Jesu (mon Jésus) acéré.

Dans la seconde partie, les soprani déploient la mélodie du choral en un cantus firmus méditatif sur un texte comparant l’homme à ein armes Erdenkloss (une pauvre motte de terre). En parallèle, les trois autres voix projettent des guirlandes chatoyantes dupliquant, de façon lancinante, la formule biblique Ich lasse dich nicht (Je ne te laisserai pas) jusqu’à la bénédiction finale (du segnest mich denn/que tu ne m’aies béni) qui réunit l’ensemble des parties autour d’un délicat point d’orgue.

Le concert s’achève en fanfare sur un resplendissant Singet dem Herrn ein neues Lied (Chantez au Seigneur un chant nouveau) BWV 225. Une manière de démontrer par l’exemple que les motets n’entretiennent pas de lien exclusif avec l’univers des défunts. Cela même si des analyses persistent dans le mode funèbre au motif que certaines expressions évoquent la fragilité humaine et sa fin proche. Une thèse à laquelle d’autres spécialistes opposent des événements plus heureux comme le Nouvel An (Philipp Spitta), une commémoration de la Réforme ou une visite du Prince-Electeur à Leipzig. Des hypothèses parmi d’autres qui se justifient par le caractère jubilatoire de l’œuvre. Christoph Wolff, enfin, suppose que le motet pourrait viser un objectif pédagogique destiné à un entraînement vocal de haut niveau tant la partition recèle de difficultés d’exécution. Bien loin des consignes de sobriété de Luther.

En tout état de cause, une pièce qui impressionne par son ampleur et son éclat. Bach lui-même n’a-t-il pas puisé ici la matière du Cum sancto spiritu (Avec le Saint Esprit) du Gloria et du Pleni sunt coeli (Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire) du Sanctus de sa fastueuse Messe en si mineur BWV 232 ? Un motet qui a même ensorcelé des musiciens parmi les plus talentueux. Tel Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : « Sur l’instigation du cantor de l’époque à l’école Saint-Thomas, feu Doles, le chœur surprit Mozart (en 1789) en exécutant un motet à deux chœurs : Singet dem Herrn ein neues Lied de Bach. Mozart connaissait cet Albert Dürer de la musique plutôt par ouï-dire que par ses œuvres elles-mêmes devenues rares. A peine le chœur avait-il chanté quelques mesures que Mozart sursauta ; encore quelques mesures et Mozart s’écria : qu’est-ce ce cela ? – et son âme semblait s’être toute retirée dans ses oreilles. Lorsque le chant fut terminé, il s’écria plein de joie : voilà enfin une œuvre où l’on peut apprendre quelque chose » raconte le critique musical Johann Friedrich Rochlitz (1769-1812) dans un article paru le 21 novembre 1798 dans l’Allgemeine Musikalische Zeitung (Revue universelle de Musique) cité par Gilles Cantagrel (Bach en son temps).

Bach exerce ici sa magie sur un matériau littéraire composite : deux mouvements encadrants fondés sur des citations psalmiques (respectivement les Psaumes 149 et 150) et un mouvement médian dans lequel Bach entremêle, par alternance, deux textes. Le premier arrange les paroles du cantique Nun lob, mein’ Seel’, den Herren (Maintenant, mon âme, loue le Seigneur) publié en 1540 par le poète Johann Gramann (1487-1541), connu également sous le pseudonyme Johannes Poliander. L’origine du second texte est inconnue et d’aucuns l’attribuent à Bach lui-même.

Sur le plan musical, la construction du motet est extrêmement élaborée. Le premier mouvement est constitué d’un prélude et d’une fugue, à la manière des compositions pour orgue du même nom. Dans le second mouvement, une aria enlace un choral. La dernière partie est construite sur le modèle de la première. Quant à l’ensemble, il est construit sur le principe d’un dialogue entre deux chœurs. Ceux-ci s’interpellent, se défient, échangent leurs rôles dans un climat théâtral malicieux. Enfin, le tempo, souvent d’une légèreté joyeuse, évoque ponctuellement celui de la danse. Ce qui accentue le caractère festif de la pièce et la rend, semble-t-il, difficilement compatible avec la gravité qui préside à une cérémonie en l’hommage d’un défunt.

Quelle magnifique entrée en matière que celle qui voit un chœur enjoindre le second à chanter (Singet/Chantez). Et celui-ci ne se fait pas prier, projetant de splendides vocalises dans les aigus et dans les graves. A peine distingue-t-on ce ein neues Lied (un chant nouveau) sur lequel ils finissent pas se rejoindre. Une technique vénitienne dans laquelle excelle manifestement le Kantor luthérien. Et Vox Luminis de surcroît.

C’est sur Die Kinder Zion (Les enfants de Sion) que se déclenche la fugue. Ici, c’est le texte qui a choisi son expression musicale. En effet, dans le langage théologique, les « enfants de Sion » sont l’image de l’Eglise chrétienne. Et, pour évoquer la multitude de ses fidèles, quoi de mieux qu’une fugue ? Et pour représenter la diversité de ses composantes, pourquoi ne pas faire chanter aux deux chœurs, deux textes différents ? Tandis que l’un égrène le troisième verset du Psaume 149, le second scande les Singet dem Herrn de l’ouverture. Les notes fusent dans un époustouflant feu d’artifice sonore. Les deux chœurs finissent par se rejoindre, figurant ainsi une espérance œcuménique.

La forme hybride du second mouvement, mêlant le choral à l’aria, signifie-t-elle la volonté de Bach de voir converger l’ancien et le moderne, le stile antico et le stile nuovo dans la musique sacrée ? En tout état de cause, sa synthèse est remarquable de grâce. Par alternance, un chœur égrène chacun des versets du choral strictement harmonisé tandis que le second exprime les louanges divines dans une écriture contrapunctique sagement ornée. Un effet de contraste exemplaire, produit d’un mélange syncrétique saisissant.

La dernière partie reproduit la structure de la première. Dans le prélude, les deux chœurs rivalisent d’énergie et d’enthousiasme pour louer le Seigneur (Lobet den Herrn). Avant de se rejoindre dans un Halleluja emporté par une fugue enivrante. Un sommet de la sophistication et de la virtuosité vocale qui honore l’auteur autant que ses interprètes.


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Vox Luminis © Festival de Saintes – M. B.

A la ferveur des interprètes a aussitôt répondu l’effusion des applaudissements. Ils entendaient ne jamais s’arrêter, tant les mains étaient commandées par des esprits en ébullition. Une fois encore, l’esprit de Bach avait frappé. Et l’excellence de Vox Luminis impressionné.

Le public n’entendait pas se séparer des musiciens et les pressait de poursuivre. Lionel Meunier les remercie pour ces chaleureux encouragements. Il annonce un dernier motet qu’il dédie à la mémoire de la maman de Zsuzsi Toth, décédée deux semaines avant le concert. L’émotion le submerge, se communique aux musiciens, envahit la salle, pénètre au cœur de chacun. Une atmosphère de recueillement accueille donc le motet Komm, Jesu, komm de Johann Schelle, l’un des prédécesseurs de Bach à la Thomasschule de Leipzig et ancien choriste à la Staatskapelle de Dresde où il a chanté sous la direction de Heinrich Schütz. Une magnifique aria pour cinq voix dont la mélodie et l’harmonie renferment un fort potentiel émotionnel. Un si touchant hommage aux défunts, que le public a partagé la peine de Zsuzsi Thoth, espérant que la musicalité de ce motet lui apporte quelque réconfort. Egalement, un inoubliable moment qui montre, s’il le fallait, que la musique est une compagne attentionnée dans toutes les circonstances de la vie.



Publié le 29 juil. 2019 par Michel BOESCH