Zémire et Azor - Grétry

Zémire et Azor - Grétry © Stefan Brion
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Le retour en grâce de Grétry

Créé devant le Roi à Fontainebleau en novembre 1771, et dédicacé à Madame du Barry, Zémire et Azor est une féerie, inspirée pour l’essentiel de La Belle et la Bête (Jean-Marie Leprince de Beaumont), qui sera créée en public à la Comédie-Italienne le 16 décembre de la même année et sera couronnée de succès, avec 272 représentations avant la fin du siècle. Succès rapidement exporté d’ailleurs auprès des Cours d’Europe et des principaux théâtres étrangers, notamment en Allemagne et à Londres. Puis ce fut l’oubli avec une seule reprise à l’Opéra-Comique au milieu du XIXème siècle et quelques tentatives sporadiques au XXème. L’œuvre est généralement considérée comme le deuxième opéra comique de l’histoire de la musique (Kaminski), et aligne airs et ensembles tout en caractérisant les différents personnages, dans un sens aigu du théâtre.

Pour mettre en scène cette histoire encore aujourd’hui très connue de tous, Michel Fau a fait le choix du dépouillement, avec seulement deux décors, quasiment sans mobilier ni accessoires, l’un pour la maison de Sander, l’autre pour le palais d’Azor, évoqué ici par un beau jardin à la Française aux buis en topiaires impeccables. Si la direction d’acteurs est parfois un peu sommaire, peu travaillée, les apparitions travesties de Fau en fée disgracieuse et mal embouchée sont un régal et le costume de la Bête, insecte assez répugnant évoquant Alien, est une vraie réussite qui se prête à merveille aux effets d’ombres chinoises agrandies. Ces ombres projetées sont d’ailleurs un des seuls effets vraiment intéressants du travail de lumières, généralement un peu crues, de Joël Fabing. En revanche, les costumes d’Hubert Barrère sont, au-delà de celui d’Azor dont je viens de parler, traités avec soin et participent de l’évocation de cette féerie.

La représentation inclut les ballets qui, malgré une chorégraphie un peu répétitive, sont agréablement dansés par Alexandre Lacoste et Antoine Lafon, auxquels se mêle par intervalles la fée de Michel Fau. Les deux sœurs de Zémire (Margot Genet en Lisbé et Séraphine Cotrez en Fatmé) parviennent à incarner et bien différencier ces deux rôles malgré leur brièveté. J’ai particulièrement apprécié le timbre rond et charnu de Stéphanie Cotrez.

Sahy Ratia est tout à fait bien distribué en Ali. Son jeu de scène est vif et dynamique et n’affecte à aucun moment un chant qui est conduit, dans ce répertoire de ténor léger, avec élégance, avec une diction impeccable mais aussi avec une réelle incarnation de tous les instants de cet esclave trouillard et malin, même si le timbre est beaucoup plus attachant dans l’aigu que dans le bas medium.


© Stefan Brion

Marc Mauillon semble se régaler de ce rôle de Sander, père noble et meurtri. La voix est sonore, superbement projetée, la diction est remarquable et on reste étonné par l’homogénéité qu’il déploie sur une tessiture particulièrement large.

En Azor, Philippe Talbot est particulièrement émouvant. La caractérisation musicale de son personnage fait appel à de nombreuses reprises à des évocations de la musique de Gluck. Son Ah ! Quel tourment d’être sensible est un des sommets de la soirée, tant son interprétation, soutenue par une musique d’une simplicité magnifique, est bouleversante. La voix est superbe, le timbre plein de couleurs et la projection sait se faire caressante.

C’est Julie Roset qui est la triomphatrice de la soirée. La voix est très belle, très ronde et le timbre très agréable. Les aigus sont très aisés et les vocalises sont parfaitement et aisément exécutées. Si le bas medium tend à être un peu sourd, il ne se décolore pas et elle réussit l’exploit de transformer l’air de La Fauvette, grande aria di paragone (dans la droite ligne de la caractérisation très « opera seria » de son personnage) en un moment d’émotion, parfaitement intégré à l’écriture musicale et au déroulement de l’action. Du grand art, à tous points de vue !

La musique de Grétry est très belle, surtout dans les actes III et IV. Louis Langrée, qui dirige avec bonheur Les Ambassadeurs – La Grande Écurie, lui rend parfaitement justice, ciselant avec vivacité une ouverture aux nombreux effets de vents et de tonnerre qui, à elle seule suffirait à justifier le retour en grâce de Grétry. On doit aussi souligner la délicatesse des accompagnements par les solistes que ce soit la flûte dans l’air de La Fauvette, le cor dans  Azor, En vain ma voix t’appelle ou l’alto triste qui accompagne Azor dans Le soleil s’est caché dans l’onde.

La soirée s’est achevée sur un gros succès qui devrait encourager à la renaissance de la production lyrique de Grétry déjà bien engagée, notamment à Versailles, mais qui mérite d’être explorée et redécouverte par le public.



Publié le 07 sept. 2023 par Jean-Luc Izard