Barockissimo - Les Arts Florissants en scène

Barockissimo - Les Arts Florissants en scène ©Centre National du Costume de Scène
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Précision : lorsqu’il sera fait référence aux œuvres dont les costumes sont présentés dans cette exposition, nous adopterons le référencement suivant : le titre de l’œuvre suivi, entre parenthèses, du nom de l’auteur, de sa date de création originelle puis le lieu et la date de sa première interprétation par Les Arts Florissants.

Sur les bords de l’Allier, à Moulins, le Quartier Villars, ancienne caserne de cavaliers construite au XVIIIème siècle, accueille depuis 2006 le CNCS (Centre national du Costume de Scène). Pour fêter son dixième anniversaire, il met à l’honneur le baroque et l’un de ses plus fervents défenseurs, Sir William Christie et son ensemble, Les Arts Florissants. Rappelons que cet ensemble doit son nom à un opéra de chambre (en cinq scènes, crée en 1685) de Marc-Antoine Charpentier.

« Grâce au partenariat avec le CNCS voici que s’expose le tissu des rêves du baroque » annonce William Christie dès la première salle où nous entrons. Les personnages nous sont familiers : ce sont ceux du « Malade imaginaire » de Molière et M-A Charpentier (création en 1673). Et c’est avec William Christie lui-même que nous faisons connaissance. En effet, le costume central, un costume doré de musicien du Roi-Soleil, est celui qu’il portait lors de la représentation du 17 mars 1990 au théâtre du Châtelet. Nous sommes ainsi invités à découvrir l’histoire de la musique baroque au travers de décors, de costumes, de reproductions de maquettes, de photos et d’extraits de films, le tout… en musique ! Et quelle richesse que le répertoire de ces musiciens !


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Costume de Patrice Cauchetier - © moulins-tourisme.com

Empruntons maintenant le monumental escalier en grès jaune et rose. Des éléments de décor y sont présentés : à droite, le quadrige d’Apollon de « Castor et Pollux » (Festival d’Aix-en-Provence, 1991) et à gauche le masque suspendu du Prologue des « Indes galantes » (Opéra national de Paris, 1999). Commence alors un parcours qui évoque trente années de production, d’«Atys» (1987) à «Platée» (2014), ainsi que l’abondance du répertoire des Arts Florissants.

A travers la diversité, la richesse et parfois l’originalité des tenues de scènes, nous admirons l’art des costumiers tant dans les costumes présentés que dans leurs dessins préparatoires avec annotations voire échantillons: une belle approche du passage de la conception à l’exécution! Pour chaque opéra, les mêmes indications sont données: le nom de celui-ci et son auteur, la date de création originelle le tout est complété par une frise historique des grands événements contemporains de celui-ci ; puis le nom des personnages principaux ainsi que celui de l’artiste qui l’a porté lors de sa création par Les Arts Florissants. Parfois, une sorte de chevalet est installé dans un coin de la salle : sur de grandes feuilles blanches, les jeunes visiteurs peuvent dessiner ce qu’ils voient dans la vitrine. Nous découvrons ainsi des dessins plein d’inventivité et de fraîcheur! A disposition également, sur un pallier, une grande malle en osier et un portant - « le vestiaire du costume »- leur permettant de se déguiser, chaque pièce de vêtement ayant son explication sur le couvercle de la malle : nœud Lavallière, corps baleiné ou Rhingrave (sorte de jupe-culotte pour homme)…

Lors de la création de ces œuvres, les salles de spectacles étaient éclairées à la bougie : chaque personnage devait donc être reconnu dès son entrée en scène! La tradition se perpétue de nos jours. Ainsi le Dieu du Temps (« Atys », Lully, 1676, Opéra-Comique, reprise de 2011) est coiffé d’une couronne surmontée d’un sablier et tient à la main une faux. Jupiter porte une tenue couleur or et Neptune est en bleu (« Il ritorno d’Ulisse in Patria », Monteverdi, 1640, Festival d’Aix-en-Provence, 2000). Un peu plus loin, un dessin préparatoire représente ce même Neptune en bleu et vert tenant un bateau dans sa main droite. Souvent les dieux portent de grands manteaux à effet bouillonnant. Et la Nuit (« The Fairy Queen », Purcell, 1692, Festival d’Aix-en-Provence, 1989) elle-même nous offre un très beau bouillonné dans les tons de bleu-violet alors que les saisons portent des costumes aux tons adaptés : vert et orangé pour l’automne, jaune et vert clair pour le printemps. Cette vitrine nous permet également de découvrir la seconde robe de chambre de l’exposition, celle portée par le Poète ivre, la première étant celle du « Malade imaginaire ».

Que dire de l’explosion de couleurs qui attend le visiteur dans la salle toute entière consacrée aux « Indes galantes » (Lully, 1735, Opéra national de Paris, 1999) ainsi que l’extravagance des costumes : les grosses têtes de l’entrée du Turc généreux ou la grâce du costume en taffetas changeant et les immenses pétales en organdi des Femmes Fleur, le tout dans des éléments du décor, tels ces fragments d’œufs ouverts.


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Costumes créés par Marina Draghici pour les Indes Galantes de Rameau - © lexpress.fr


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Femme Fleur – cncs.fr © Florent Giffard

Certains costumiers trouvent leur inspiration dans la peinture du XVIIIème siècle : on peut sentir comme un air de Watteau et de fêtes galantes dans la salle consacrée aux costumes de « Rameau maître à danser » (« Daphnis et Eglée » et la « Naissance d’Osiris », 1753-1754, Théâtre de Caen, 2014) : ceux des danseurs sont taillés dans des tissus souples tels la soie, le lin ou encore le coton qui rendent fraîcheur et légèreté. Le Grand Prêtre, lui, porte un manteau garni d’un décor de raphia frangé de teinte naturelle et noire. Melpomène (« Atys », Lully, 1676, Opéra-Comique, 1987) porte un costume inspiré d’un dessin de Berain dans les tons de bordeaux avec un décor en or ; les pages, eux, sont vêtus de court à l’image des costumes que l’on peut voir dans le livre du couronnement des rois de France. Cet opéra, « Atys », le préféré de Louis XIV, a été repris en 2011, grâce à un mécénat venu d’Outre-Atlantique, avec la contrainte de reprendre les costumes originaux. Après de patientes recherches, nombres d’entre eux durent être refait (cf. le catalogue de l’exposition pages 116-120). Les mannequins sont présentés ici coiffés de magnifiques perruques. Celle que Phantase porte, et que l’on voit de dos, est celle de l’affiche de l’exposition et de la jaquette du catalogue.

Au détour d’une salle, le visiteur découvre des costumes « modernes » puisque «Platée » (Rameau, 1745, Opéra-Comique, 2014) se déroule dans le monde chic de la haute couture : quelle surprise de découvrir que Jupiter est… Karl Lagerfeld ! « Théodora » (Haendel, 1750, Théâtre des Champs-Elysées, 2015) ou « David et Jonathas » (Charpentier, 1688, Festival d’Aix-en-Provence, 2012) sont eux aussi présentés dans des costumes d’esprit moderne : vestes et pantalons d’uniforme en tissu de coton de couleur kaki ou gris-vert, casquettes, cartouchières en cuir,… ; les femmes portent toutes la même robe accessoirisée par des tabliers, des foulards,… Pour l’opéra « Hercules » (Haendel, 1745, Festival d’Aix-en-Provence, 2004) les costumes sont, pour la plupart, un mélange de plusieurs tenues de ville. Dans l’acte III, le costume d’Hercule porte des applications de tulle de couleur chair avec des taches de peinture pour figurer le sang.


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Jupiter en Karl - Platée de Rameau, Costumes de Gideon Davey (Opéra-Comique, 2014) © plumetismagazine.net

Pour les « Boréades » (Rameau, 1763, Opéra National de Paris, 2003) l’opposition entre le Bien et le Mal est soulignée par le contraste entre le gris, plus ou moins sombre, le noir et le blanc des costumes ainsi que par la structure même des vêtements, certains type de tailleurs s’inspirant du New-Look de Christian Dior ! « Ce n’est pas toujours facile de raconter un opéra, pas toujours facile, par exemple de raconter Les Boréades. Mais si vous voyez que d’une part les gens qui suivent Apollon -c’est-à-dire le Bien- sont en blanc, et que ceux qui suivent Borée -c’est-à-dire qui sont un peu moins bien- sont en gris ou en noir, vous avez déjà compris beaucoup de ce qui se passe sur scène. Le metteur en scène, le costumier sont des passeurs indispensables dont le travail vient s’ajouter à celui de William Christie et des Arts Florissants » selon le commissaire de l’exposition Catherine Massip.

Un mot sur les costumes de « Il Sant’ Alessio » (Stefani Landi, 1632, Théâtre de Caen, 2007) parce que cet opéra tient une place un peu particulière du fait de son sujet (un thème religieux évoquant la vie de St Alexis ce qui est exceptionnel dans le répertoire des opéras) et du fait également que les rôles sont tenus uniquement par des hommes. De même, nous possédons un témoignage précieux : la description des costumes portés lors de sa création à Rome en 1632. Le personnage de Roma porte une ample robe du dessous blanche et une lourde robe de damas rouge sur laquelle figurent les emblèmes de la Ville éternelle. La Religion est, elle, vêtue d’un costume totalement rebrodé de perles, admirable travail ! Sans oublier la figure du saint qui porte une robe de brocart doré et une cape à capuche salie et rapiécée. Là encore les codes vestimentaires permettent d’identifier immédiatement les personnages et de voir son évolution au cours de la représentation. Pour « Il Tito » (Pier Antonio Cesti, 1666, Opéra National du Rhin-Strasbourg, 2001) les costumes sont dans l’esprit de l’époque romaine.

Si chaque costume définit le personnage qui le porte, la somptuosité des matériaux utilisés y concourt également : dans « Hippolyte et Aricie » (Rameau, 1733, Opéra national de Paris, 1996) on ne peut que remarquer le lourd velours violet du costume de la Chasseresse, costume agrémenté d’un gilet de fausse fourrure léopard à brandebourgs, ou la très longue tunique en lamé turquoise, rose et noir de Pluton ainsi que son manteau en lamé aux reflets changeants. Les danseurs sont, quant à eux, vêtus de cotonnades légères dont les maquettes, les reproductions avec annotations et échantillons nous livrent les secrets. L’inspiration Grand Siècle se retrouve dans les cuirasses en résine moulée et peinte. Et que dire de l’étonnant costume des Parques ? En quelque sorte « du trois en un » : un seul grand jupon pour les trois artistes, dans les tons de noir et de violet, orné de galons et franges dorés, tout trois portant une très belle coiffure à la Fontange. Martine Kahane explique : « Quand la production a été donnée pour la première fois à l’Opéra de Paris, un des artistes était non-voyant, et donc on l’a encadré avec les deux autres, tous les trois dans le même costume. La jupe était énorme, elle faisait 3m20 et les deux camarades conduisaient sur le plateau cet artiste non-voyant.»


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Robe des Trois Parques, Costume de Patrice Cauchetier – Hippolyte et Aricie – Opéra National de Paris, 1996 © olyrix.com

N’oublions pas les robes de Christian Lacroix destinées aux « mises en espace », ici celles d’« Actéon » (Charpentier, vers 1683/1685, théâtre des Champs-Elysées, 2001) : de magnifiques robes de haute couture en taffetas changeant (bleu électrique, jaune safran, verts émeraude et rouge magenta) sans oublier celles en jersey fluide s’inspirant de la statuaire grecque.

Remarquons également, dans le hall de sortie, la reproduction, sur un mur, d’une gravure du XVIIème siècle donnant la position des pieds : en la codifiant, la danse est désormais considérée comme un spectacle en lui-même !

La visite terminée, les yeux emplis de la flamboyance de la salle consacrée aux « Indes galantes », le visiteur peut se poser dans l’Auditorium et regarder un film où William Christie nous « donne une étonnante leçon de musique baroque » (Fr. Delétraz) au travers du « Jardin des Voix » et de sa recherche d’artistes choisis pour intégrer Les Arts Florissants.

Les nombreux spectacles évoqués dans cette exposition ont été joués sur de très grandes scènes tant en France qu’à l’étranger ou lors de festivals prestigieux. Ils ont permis l’association de nombreux métiers, pour le plus grand bonheur des spectateurs. Que ce soient les théâtres ou les festivals, ils ont eu à cœur de prêter les costumes présentés dans l’exposition de Moulins et c’est en cela, justement, que cette exposition permet au spectateur que nous sommes d’admirer au plus près ce que l’on voit sur la scène mais de loin !

Laissons la conclusion à William Christie : « C’est une bonne partie de ma vie que j’ai vue devant moi en arrivant ici à Moulins, c’est-à-dire 30 ans de travail dans ce domaine lyrique, 30 ans d’opéras, de ballets, de collaborations avec les musiciens mais également les metteurs en scène, les décorateurs, les costumiers, les chorégraphes… c’est comme la madeleine de Proust : vous voyez un costume, vous voyez la personne qui l’a habité et vous vous souvenez de la réaction du public, son comportement. De voir ça se dérouler devant mes propres yeux, c’est impressionnant. »



Publié le 05 sept. 2016 par Jeanne-Marie Boesch