Charles Le Brun - Le peintre du Roi-Soleil

Charles Le Brun - Le peintre du Roi-Soleil ©Musée du Louvre-Lens
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Situé sur un ancien carreau de fosse, au cœur même du bassin minier du Nord-Pas de Calais, le musée du Louvre-Lens offre aux visiteurs, qui arrivent par le parc paysager, un bâtiment central aux façades transparentes, « délicate boîte de verre » (cf. la présentation sur le site du musée) reliant les deux parties de celui-ci : la Grande Galerie et la Galerie des expositions temporaires. Cette dernière accueillait l’exposition consacrée au peintre Charles Le Brun (1619-1690). Elle s'est achevée lundi 29 août.


(La chronique proposée ci-dessous correspond à une visite effectuée au cours du mois d'août.)


Les grands noms de l’Histoire de l’art sont souvent associés à une époque : Botticelli et la Renaissance italienne… Rubens, peintre typique du baroque flamand… Monet dont le nom est synonyme d’Impressionnisme… plus près de nous, Le Corbusier et sa « Cité radieuse » à Marseille ou encore Mondrian pionnier de la peinture abstraite dont Yves Saint-Laurent s’inspira pour l’une de ses lignes de vêtement. A ce même titre, Charles Le Brun est considéré comme l’incarnation du Grand Siècle, devenant dès les années 1660, le premier peintre du roi Louis XIV et directeur de la toute nouvelle Manufacture des meubles de la Couronne établie aux Gobelins.

L’exposition du Louvre-Lens lui rend un hommage appuyé au travers de nombreuses œuvres qu’il nous invite lui-même à découvrir. Il nous accueille, dès la première salle, où trône, en majesté, son buste dû au sculpteur Antoine Coyzevox. Un portrait peint par Nicolas de Largillierre et destiné au grand-duc de Toscane, un second où Hyacinthe Rigaud le représente avec Pierre Mignard, diverses effigies gravées dans le bronze et l’argent, des livres dédiés, des biographies nous permettent de replacer l’influence de cet artiste au sein de son époque. La confiance royale lui est accordée par lettre de noblesse octroyée en décembre 1662. Trois vues de la demeure qu’il se fit construire à Montmorency ainsi que la tapisserie « Le Roy Louis XIV visitant la manufacture des Gobelins » d’après ses cartons complètent cette prise de connaissance avec le personnage et nous invitent à continuer notre promenade à la découverte de son parcours artistique.



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Buste de Ch. Le Brun par Antoine Coyzevox - © Séverine Courbe – Louvre-Lens

Promenade apaisée à travers une scénographie claire où les œuvres sont exposées sur un fond de couleurs franches (bleu dans diverses déclinaisons, rouge éclatant, gris, noir) en suivant un parcours chronologique : les années Séguier (le premier magistrat du royaume lui accorde sa confiance) et le voyage en Italie en compagnie de Nicolas Poussin ; les grandes commandes parisiennes avant que Nicolas Fouquet, surintendant des finances, ne lui confie, en 1657, le chantier du château de Vaux-Le-Vicomte : il appelle auprès de lui de nombreux artistes, invente de somptueux décors de fête (remarquons la reconstitution, grandeur nature, de certains de ces décors éphémères dans le « salon de méditation » entre les salles 9 et 10). Fouquet arrêté, Le Brun bénéficie de la protection de Colbert qui lui accorde une confiance inébranlable tant pour diriger les institutions artistiques que pour décorer son château de Sceaux.

Directeur de la Manufacture royale des Gobelins (1663-1690), il est à la tête des chantiers royaux et conçoit nombre de décors, de modèles de tapisserie, de meubles royaux et le « mobilier d’argent », fondu en 1689 pour financer les frais de la guerre contre la Ligue d’Augsbourg. Il en esquisse la forme générale puis répartit les tâches, coordonne le travail des artisans en contrôlant chaque étape de la fabrication. Il accorde cependant une grande liberté aux artistes travaillant sous son autorité. Parallèlement, il veille à ce que son œuvre soit diffusée et offre à de jeunes graveurs la possibilité de reproduire ses tableaux ainsi que ses œuvres peintes : nombre de ces estampes sont exposées dans la neuvième salle.

La mort de Colbert et l’hostilité témoignée par le marquis de Louvois l’éloignent des grands chantiers décoratifs. Il se consacre alors, et jusqu’à la fin de sa vie, à la peinture de tableaux, dits de chevalet, destinés à un unique spectateur, Louis XIV.

Notre promenade tout au long de cette exposition nous permet des allers-retours d’une salle à l’autre. L’accrochage également, d’avoir une vue globale de telle ou telle œuvre tout comme la possibilité de nous en approcher au plus près et d’y distinguer les détails, tel ce chat qui se réchauffe sous le poêle dans « Le sommeil de l’enfant Jésus » aussi intitulé « Le silence » puisque la Vierge, elle-même, semble intimer le silence à saint Jean, voire au spectateur.

C’est aussi le cas du « Saint Jean jouant avec l’agneau » ou du « Christ enfant », rares planches gravées par l’artiste qui s’éloignent de l’iconographie traditionnelle, représentation inhabituelle d’un geste tendre de saint Jean caressant l’agneau ou de Jésus, enfant potelé, s’apprêtant à franchir la croix à quatre pattes tout en levant sa main gauche dans un geste de bénédiction. « Jésus et Jean présentent un profil joufflu et des chairs tendres dignes des putti de Simon Vouet » (Bénédicte Gady – in catalogue de l’exposition).

Après son retour de Rome en 1646, Le Brun se consacre tant à la décoration d’intérieurs civils qu’à de grands ensembles pour des églises parisiennes. Impossible de ne pas être comme happé par l’énergie, la puissance qui se dégagent de ces œuvres tout comme par l’expression des sentiments : ainsi la douleur aiguë de cette mère qui pleure son fils massacré alors qu’une autre, repliée sur elle-même, enfouit son chagrin et qu’un chien, détail sordide, vient lécher le sang d’un innocent… pendant qu’à gauche de la scène, un soldat porte à grand peine un enfant dans chaque bras, l’un mort l’autre encore vivant, tout en ayant la chemise d’un troisième serrée entre ses dents ! (« Le massacre des Innocents »). Dans un autre registre, le regard attentif de Joseph et la douceur qui émane de celui de Jésus (« La Sainte famille avant le retour d’Egypte »)… ou dans l’esquisse du portrait de « Henri de la Tour d’Auvergne, vicomte de Turenne, maréchal de France », Le Brun nous révèle la personnalité du personnage « en se concentrant sur l’expression du regard, empli de mansuétude et d’empathie » (Béatrice Sarrazin- in catalogue de l’exposition))

Et comment ne pas être attiré par ce remarquable sens de la couleur, ces touches de bleu du « Le sacrifice de Polyxène », de la « Suzanne justifiée par Daniel », dans « Le portement de la croix » ou l’ «Entrée du Christ à Jérusalem ». Coloriste hors pair, Le Brun l’est également dans le « Portrait équestre du chancelier Séguier » mêlant le bronze à l’or afin que puissent scintiller les broderies des costumes ainsi que les franges, galons et autres broderies alors que la palette de teintes utilisées ici se fait plus restreinte : du gris et ses déclinaisons de gris-bleu et de gris-brun. Seul l’œil de la haquenée reçoit deux touches blanche et jaune orangée que souligne un léger coup de pinceau rose pâle… elles rendent son expression amusée tout en attirant l’œil du spectateur !

Si l’exposition nous permet de mieux découvrir des œuvres connues et d’autres jusqu’à ce jour non exposées, elle nous propose également de percer, ici et là, l’envers du décor : des cartons préparatoires dessinés à l’échelle des grands décors tels l’ « Ange portant l’Arche d’Alliance » ou « Dieu le Père et deux angelots », ces derniers destinés à la voûte de la chapelle (aujourd’hui disparue) du château de Sceaux et présentés avec un groupe de deux statues en marbre, « Le baptême du Christ par saint Jean », œuvre de Jean-Baptiste Tuby, sculpteur ami de Le Brun… ou les cartons peints accompagnant la tapisserie « Le passage du Granique » (partie droite). Il s’agit d’une huile sur toile se présentant sous forme d’un lé, « un dessin coloré pour travailler à la mosaïque, pour faire des tapisseries, etc. » (Dictionnaire de Trévoux cité par A. Bréjou de Lavergnée- in catalogue de l’exposition).

De même, et c’est une première, le revers de la tapisserie la « Muse Terpsichore dans un paysage » nous permet de découvrir la vivacité presque intacte des couleurs d’origine et la précision du tissage qui fourmille d’innombrables nœuds de finition !

A l’image d’un Poussin ou d’un Rubens, Charles Le Brun est aussi un peintre savant qui donne plusieurs conférences sur l’expression des émotions. La salle ronde, en milieu de parcours, nous permet d’admirer nombre de dessins, d’esquisses où les traits du visage sont affectés par les passions -« Le Pleurer », « Le Rire »,…-. Il multiplie les planches, les études mettant en parallèle physionomie humaine et animale ou permettant de capter la similitude des caractères, ainsi les diverses têtes d’hommes en relation avec le bœuf, le chat-huant, le lion, etc.



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Etude physionomie humaine et animale - © charleslebrun.com

Au début des années 1660, Le Brun devient le principal maître d’œuvre des chantiers royaux. Ce seront, entre autres, les Grands Appartements, la Galerie des Glaces à Versailles où il donne la pleine vivacité de son génie… la galerie d’Apollon au Louvre ou encore les Grands Appartements aux Tuileries et toujours dans l’optique de célébrer la gloire de Louis XIV ! Là encore, nous pouvons admirer les dessins et cartons destinés à l’escalier des Ambassadeurs de Versailles (escalier détruit sous Louis XV) : « Les différentes nations de l’Afrique », la « Victoire vue de dos » ou la « Victoire vue de profil ». Puis divers dessins (généralement «pierre noire, lavis gris») ravissent notre œil quant aux détails que nous pouvons y découvrir ; n’en citons que quelques-uns : « Les quatre éléments», « Les quatre saisons », « Les quatre tempéraments de l’homme ».

Après la mort de Colbert en 1683, Le Brun sera tenu à l’écart des grands chantiers et se consacrera à la réalisation d’une suite de tableaux ayant trait à la vie du Christ. Nous retrouvons le magnifique bleu de la robe de Jésus- « Entrée du Christ à Jérusalem »- complété par plusieurs études afférant à ce tableau : celle de la « Draperie pour la figure du Christ », celle des « Femmes drapées accroupies » ou encore l’étude d’un « Homme prosterné un genou en terre ».

L’ « Adoration des bergers » (deux tableaux ayant le même thème, l’un destiné au roi, l’autre plus certainement à son épouse) ainsi que diverses études (la « Vierge à l’enfant », un « Apôtre agenouillé ») achèvent notre parcours et nous font découvrir un Charles Le Brun peintre plus dans l’intime, dans la sensibilité que dans la splendeur d’une composition destinée au roi ; là encore, dans l’œuvre ultime, le bleu du vêtement de la Vierge qui entoure délicatement l’enfant focalise notre attention tout au charme de la scène.



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L’Adoration des bergers (1689) - © unpointculture.com

La longue et riche carrière de Le Brun témoigne de la diversité de ses dons. Les œuvres présentées au Louve-Lens rendent un vibrant hommage à son talent : à maintes reprises, nous voyons exposés côte à côte les dessins préparatoires, l’esquisse puis le tableau final. La scénographie participe à cet hommage même si, et c’est notre seul regret, les deux fragments de la maquette de la voûte de troisième chapelle de Versailles (qui n’existe plus) sont présentés dans une vitrine : les reflets de lumière ne permettent pas d’en apprécier pleinement tous les détails !

Pour avoir été mis, en quelque sorte, au purgatoire durant de trop longues décennies, cette exposition lui rend un vibrant hommage.



Publié le 02 sept. 2016 par Jeanne-Marie Boesch