Du dessin au tableau au siècle de Rembrandt

Du dessin au tableau au siècle de Rembrandt ©Rijksmuseum - Amsterdam
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Précision sur l’affiche de l’exposition : Etude d’un homme assis, fumant la pipe, et de deux jambes, 1622-1625, pinceau et encre brune, rehauts de gouache blanche, sur une esquisse à la pierre noire – Dirck Hals (1591-1656) © Rijksmuseum, Amsterdam


NB:La Fondation Custodia, qui occupe l'hôtel Turgot, a été créée en 1947 par un collectionneur néerlandais, Frits Lugt (1884-1970) et son épouse, Jacoba Klever (1888-1969), pour héberger et gérer leur collection de tableaux et de dessins afin que celle-ci leur survive.



Quand Paris célèbre le Siècle d’or hollandais !


Evoquer l’âge d’or de la peinture néerlandaise, c’est parler de ce XVIIème siècle où les Provinces-Unies forment une nation prospère et deviennent la première puissance commerciale mondiale. Elles sont nées de l’Union d’Utrecht (signée le 23 janvier 1579 dans la ville éponyme) qui unifia les provinces désirant se séparer des Pays-Bas espagnols pour des raisons tant politiques que religieuses.

Ce Siècle d’or couvre la période 1584-1702 et nous y associons souvent le nom de peintres illustres tels Rembrandt (1606-1669), Vermeer (1632-1675), ou encore Frans Hals (v.1580-1666)… Mais bien d’autres sont à mettre à l’honneur : Esaias van de Velde (1587-1630), Adrian van Ostade (1610-1685), Jacob van Ruisdael (1628/29-1682), Gérard Dou (1613-1675) ou encore Dirck Hals (1591-1656) frère de Frans,…

Après le musée Jacquemart-André qui mit à l’honneur « Rembrandt intime »… En même temps que la réouverture des salles des peintres des Pays-Bas au Louvre (qui lui-même propose trois expositions autour de la peinture et du dessin de genre hollandais), la Fondation Custodia (forte du succès rencontré à l’automne 2016 lors de son accrochage à la National Gallery of Art de Washington) présente à Paris une exposition où sont réunis pour la première fois des tableaux (ou leur reproduction photographique) et leurs dessins préparatoires ! Ils permettent de comprendre comment les artistes créaient leurs œuvres grâce à un accrochage comparatif proposant au visiteur d’en regarder au plus près les détails ! Nous découvrons les étapes successives de travail du peintre : ébauches, études de modèles, façon dont le dessin entre dans le processus pictural… En somme, l’exposition propose une sorte « d’immersion dans les secrets d’ateliers d’une quarantaine des meilleurs artistes hollandais. » (page 5 in guide de l’exposition).

En rupture avec les traditions culturelles catholiques, l’art néerlandais doit se réinventer. Il présente un faible nombre de peintures religieuses ceci étant dû à la prééminence d’un calvinisme les interdisant dans les églises. L’espace laissé vacant profite à la peinture d’Histoire, à celle de portraits, de natures mortes, de scènes du quotidien rural ou urbain, de scènes de la vie de labeur ou des divertissements, tant chez les riches que chez les pauvres. « Leurs tableaux souvent si réalistes qu’ils semblent peints directement d’après nature furent, pour la plupart, préparés à l’aide de dessins. » (ibidem) « Le dessin », écrivait Karel van Mander (dans le « Livre du peintre », 1604) » est le père de la peinture (…) et la porte qui ouvre sur bien d’autres formes d’art ». Willem Goeree affirme, en 1670, que « celui qui souhaite devenir un bon peintre doit avant tout s’efforcer d’être un dessinateur accompli » (cité par William W. Robinson et Peter Schatborn, page 17 in catalogue de l’exposition). L’apprentissage du dessin est et demeure donc le « socle » de sa formation ! Ainsi, l’impression d’instantané que nous éprouvons en admirant diverses peintures de cette époque s’explique, en partie, grâce aux observations faites sur le réel et, en quelque sorte, par leur « reconstruction » sur la toile.

Nous sommes accueillis à l’entrée de l’exposition par la reproduction du tableau de Michiel van Mussher (1645-1705), « Peintre dans son atelier avec ses dessins » (vers 1665). Il illustre la façon dont les peintres utilisent leurs esquisses : ces dernières sont étalées à même le sol, à portée de regard, alors que l’artiste est assis face à son chevalet, sa palette en main. Cette série d’études représentant des paysages et des navires permettent au peintre de rendre son tableau plus proche de la réalité.


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Peintre dans son atelier avec ses dessins (traditionnellement identifié comme Willem van de Velde, le Jeune) - Huile sur panneau – Michiel van Mussher © Galerie Dickinson, Londres & New York

Les sujets traités sont d’une grande diversité. Ils présentent des études esquissées d’après des modèles telle l’ « Etude de mains de femmes » (vers 1652) de Cornelis Jonson van Ceulen (1593-1661). Tout comme les visages, les mains singularisent une personne, ici une dame de la famille Hinloopen dont le nom figure au dos du dessin (pierre noire avec rehaut de craie sur papier bleu) ; ses poignets croisés sont ornés de perles et elle tient un éventail à plumes dans sa main droite. Citons également les feuilles dessinées par Rembrandt pour le tableau « Saint Jean Baptiste prêchant » (1634/1635) : trois d’entre elles sont présentées ici. Il les exécuta alors que son travail sur le tableau était déjà avancé : deux sanguines concernent le saint dans l’attitude du prêcheur, une feuille présente des scribes debout, une autre des personnages de la foule assemblée pour écouter le saint ; le peintre recherche une posture, un détail dans le costume, une expression pour diversifier les figurants dans l’auditoire.

Ils présentent également des croquis exécutés dans la nature : paysages, arbres, animaux,… Un carnet, exceptionnellement conservé, du peintre Jan van Kessel (1641-1680) permet de le suivre dans ses déplacements, tant en Hollande qu’en Westphalie et nous offre une « Vue panoramique de Deventer » ou de magnifiques études de paysage. Aelbert Cuyp (1620-1691) tire également son inspiration en dessinant d’après nature : l’ « Etude d’une vache et d’un cheval » (vers 1650) montre des animaux situés dans l’espace grâce à leur ombre portée. Ces figures seront reprises dans le tableau « Paysage de rivière avec cavaliers et paysans » (vers 1660). Les dessins préparatoires pouvaient être utilisés dans différents tableaux à moins que plusieurs de ces études n’aient servi qu’à un seul et même tableau. Son « Paysage avec des bergers » (vers 1650/1652) en est la preuve, même si Cuyp y modifia la posture et la couleur du cheval ainsi que celles du troupeau.


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Etude d’une vache et d’un cheval, vers 1650 – Aelbert Cuyp © Fondation Custodia


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Paysage de rivière avec cavaliers et paysans, huile sur toile – Aelbert Cuyp © National Gallery, Londres

Continuons notre promenade dans l’exposition en nous arrêtant sur certains dessins que nous estimons représentatifs des sujets traités par la peinture hollandaise de ce XVIIème siècle.

Si relier un dessin à un tableau peut s’avérer ardu, Pieter Jansz Saenderdam (1597-1665) commençait son travail par des études préparatoires : « Le chœur et le maître-autel de l’église Saint-Jean à Bois-le-Duc » (1632) ou « L’orgue de l’église Saint-Bavon, Haarlem » en sont des exemples par la rigueur des mesures prises dans l’édifice lui-même. Le peintre utilisait ses dessins de construction comme « carton à transférer » sur le panneau, cela même si la peinture montre quelques différences entre les deux.

Le « Portrait d’un homme recevant une lettre des mains d’un jeune garçon » (vers1660) attribué à Gonzales Coques (1614/18-1684,) de par son état inachevé, offre un parfait exemple du travail du peintre. Ce tableau combine l’art du portrait et de la scène de genre : seuls sont peints les visages et les éléments essentiels du décor (fauteuil et table sur la droite du tableau) ; l’attitude des personnages (position des mains) est indiquée par le dessin sous-jacent (gris clair), de même que des détails des vêtements. « Une approche par étapes successives, le maître dessinant d’abord la composition sur le support avant de peindre les portraits » (in guide de l’exposition, page 15).

La peinture de natures mortes, et spécialement de fleurs, vibrante de réalisme, est soit utilisée comme motifs pour un tableau soit comme tableau en lui-même. Balthasar van der Ast (1593/94-1657) fut l’un des premiers à se spécialiser dans ce domaine : l’« Etude d’une tulipe (« Amiral Pottebacker ») et d’une mouche » (1620/1630) présente une tulipe rouge, blanche, flammée de jaune qui est reprise dans l’angle supérieur gauche du tableau « Nature morte de fleurs » (vers 1630) même si elle est peinte moins épanouie que sur l’étude, ceci pour des raisons de composition du bouquet. Egalement nombreuses sont les études de coquillages exotiques telle cette gouache, « Deux coquillages », où nous pouvons admirer la finesse des détails.


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Etude d’une tulipe et d’une mouche , gouache et aquarelle – Balthasar van der Ast © Fondation Custodia, Collection Frits Lugt


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Nature morte de fleurs, huile sur panneau, vers 1630 – Balthasar van der Ast © Collections Eijk et Rose-Marie de Mol van Otterloo

Dans la salle VI, observons le dessin de Cornélis Saftleven (1607-1681), un « Chasseur endormi » (1642). Nous le retrouvons dans le tableau, « Chasseur endormi dans un paysage », peint en collaboration avec son frère Herman Saftleven (1609-1685). Il semble, d’après la signature (« Saft-levens »), que le premier peignit le chasseur (dont la tête est plus renversée en arrière) et ses deux chiens alors que le second exécuta l’ensemble du paysage. De même nous pouvons mettre en relation le dessin, au fusain huilé et craie blanche, « Nu masculin allongé (étude pour Vénus pleurant la mort d’Adonis) » (1646) et l’huile sur panneau « Vénus pleurant Adonis » de Bartholomeus Breenbergh (1598-1657). Si l’attitude du corps est reprise avec une grande fidélité, il existe des différences notables dans l’utilisation du nu : les pieds d’Adonis sont chaussés de sandales, la main posée sur la poitrine disparait au profit du bras de la déesse qui caresse le visage de son bien-aimé dont la tête est tournée pour mettre en valeur son profil.


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Nu masculin allongé (étude pour Vénus pleurant la mort d’Adonis), fusain huilé et craie blanche, 1646 – Bartholomeus Breenbergh © Collections Harvard Art Museum


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Vénus pleurant Adonis, huile sur panneau – Bartholomeus Breenbergh © Collections Harvard Art Museum

Barend Graat (1628-1709) semble être un artiste qui voua sa vie au dessin mais dont il ne reste guère d’exemplaires aujourd’hui ! Parmi eux, celui appartenant à la Fondation Custodia qui représente un « Homme assis » (1659/60) magnifique étude préparatoire au double portrait de Vienne, « Portrait d’un couple assis dans son jardin » (1660). L’artiste a utilisé, comme nombre de ses contemporains, une pierre noire et de la craie blanche sur du papier bleu pour dessiner cet homme dans une pose informelle, assis jambes croisées et main gauche levée. La peinture le représente dans la même position, la main tenant un œillet gage de fidélité dans le mariage, comme le chien dans le coin droit du tableau. L’expression du visage perd de sa spontanéité, de son expressivité et contraste avec le dessin où il est plus vif, comme plus « animé ».

Dans le registre des portraits, une curiosité : le « Portrait des jumeaux Clara et Albert de Bray ». Si la sanguine est datée du 12 aout 1646, l’huile sur toile ne porte comme date que celle de l’année. Ils sont de la main de Salomon de Bray (1597-1664). Il s’agit d’une exception dans la peinture hollandaise de ce XVIIème siècle dans la mesure où il existe peu de portrait de très jeunes enfants. Ce sont les jumeaux du neveu du peintre. Il les a, sans doute, peint à l’occasion de leur baptême : ils portent une médaille autour de leur cou et sont couchés dans un berceau qui évoque la symbolique baptismale.

Il est à noter que, bien souvent les artistes sont, en quelque sorte, « peintres de père en fils » ! Les Willem van de Velde l’Aîné (1911-1693) et le Jeune (1633-1707) furent les peintres de marines les plus importants de cette époque. Dessinant soit sur les quais soit en prenant la mer pour observer certains événements comme les batailles navales qui opposèrent les flottes hollandaises et anglaises lors des combats de la bataille dite des Quatre-Jours (11-14 juin 1666). Plusieurs tableaux représentent la reddition du navire anglais, le Royal Prince, ou le transfert de l’équipage des captifs vers la Gouda. L’exposition présente plusieurs dessins relatifs à ces épisodes dont le portrait très précis du Prince Royal révélant la puissance de feu du navire anglais par Van de Velde père. Ces dessins permirent à Van de Velde fils d’exécuter son tableau, « La Reddition du Royal Prince au troisième jour de la bataille des Quatre-Jours, le 13 juin 1666 ».

De même, Jacob van Ruisdael (1628/29-182) préparait sans doute ses tableaux d’après ses observations in situ. Ainsi sa « Vue sur Amsterdam, du port de l’If » (vers 1665, pierre noire et lavis gris) préfigure l’huile sur toile, « Panorama d’Amsterdam, du port et de l’If » (1665-1670). Le dessin fourmille de nombreux détails relatifs à la description de la ville, le tableau offrant un de ces beaux ciels nuageux dont l’artiste avait le secret !

Salle III, notre œil est attiré par deux dessins préparatoires d’un tableau de Nicolaes Maes (1634-1693), « La Dentellière » (1655)… sujet qui n’est pas sans évoquer un tableau des plus connu de Vermeer ! Formé à l’atelier de Rembrandt, Nicolaes Maes peignit nombre de scènes de la vie quotidienne avant de se consacrer aux portraits. La première de ces esquisses, « Intérieur avec une femme faisant de la dentelle » (vers 1650) semble poser des éléments pour sa future composition : le cadre autour de la jeune femme, sans doute une porte, une chaise sur la droite… La sanguine, « Femme assise faisant de la dentelle » (1654/55) montre l’attitude de la dentellière penchée sur son ouvrage, la position de ses mains, celle des fuseaux, la concentration de son visage.

Rembrandt est, sans doute pour nous, en 2017, un peintre « à la mode » ! La salle III présente divers œuvres : « Saint Jean-Baptiste prêchant » mais aussi des études de la Vierge et de Marie-Madeleine pour la « Mise au tombeau » (1635/36) ou du « Vieil homme assis » (1631) pour « Joseph racontant ses songes » (1633). Mais c’est plutôt à son siècle (le XVIIème), à sa région (les Pays-Bas), à ses contemporains (élèves ou héritiers) que la trentaine de tableaux et la centaine de dessins préparatoires exposés ici offrent la possibilité d’un panorama complet de la pratique picturale de cette époque !

Le très créatif Siècle d’or hollandais s’expose ici dans un accrochage à la portée du visiteur : clarté du lieu, possibilité de déambuler à sa guise dans les sept salles et d’approcher au plus près les œuvres (même si on peut regretter que certaines reproductions photographiques soient un peu… petites !). Sans compter avec l’excellence du guide remis à l’entrée !

Nous pouvons prolonger ce moment en descendant d’un étage pour découvrir une autre exposition : « La Quête de la ligne. Trois siècles de dessins en Allemagne ». Les deux premières salles (« Du Maniérisme au Baroque » puis « Du Baroque au Rococo ») mettent à l’honneur des grands centres artistiques d’Europe centrale puis la production baroque de l’Allemagne du Sud.



Publié le 24 mars 2017 par Jeanne-Marie Boesch