Les Dames du Baroque. Femmes peintres dans l'Italie du XVIe et XVIIe siècle

Les Dames du Baroque. Femmes peintres dans l'Italie du XVIe et XVIIe siècle ©MSK - Gand (Belgique)
Afficher les détails

Les Dames du Baroque. Femmes peintres dans l'Italie du XVIe et XVIIe siècle - «De Dame van de barok. Vrouwelikje schilders in het Italië van de 16de en 17 de eeuw»



Un moment particulier dans l'histoire de l'Art...


Moment particulier s’il en est dans la mesure où cette exposition entend mettre en valeur le rôle majeur joué par des femmes artistes peintres dans une Italie à la croisée des chemins entre la Renaissance et le Baroque (entre 1550 et 1680). Moment particulier car ces femmes ont su s’imposer dans un monde régi par les hommes. Venise, Rome, Naples ou Bologne sont leur point d’ancrage. Leur famille l’est également puisqu’elles sont filles, sœurs ou épouses de peintres dont la renommée n’est plus à faire ! Elles voyagent en Europe : nous les retrouvons à la cour d’Espagne ou d’Angleterre. En France également. Celles que le musée met en lumière sont au nombre de huit. Nous les côtoyons à travers un parcours à la scénographie claire. Leurs toiles sont exposées sur un fond vert amande, mais jaune doré pour celles d’Artemisia Gentileschi. Leur biographie est tracée à grandes lignes sur un fond rose poudré.

Avant de partir à la rencontre de ces dames, un mot sur le contexte historique. Le spectre des dates couvre les années entre la fin du Concile de Trente (1563) et la guerre de Dévolution des Pays-Bas (1667/68). Cette période voit la lutte constante de l’Eglise catholique contre l’extension du protestantisme. Ce sont les années des guerres de religion en France, de la révolte des Pays-Bas (les provinces calvinistes du Nord devinrent indépendantes en 1648 alors que les provinces du Sud restèrent soumises à l’Espagne), de la guerre civile en Angleterre et de l’Inquisition en Espagne. La fragilité des petits états italiens s’accentue. De même celle du Saint-Siège qui promeut cependant la Contre-Réforme attachée à la propagation du culte de l’image. Dans les cours italiennes comme dans les cités flamandes, les artistes tiennent un rôle privilégié dans la société. « Animées par le culte des images promu par la Réforme catholique, les œuvres de nos Dames illustrent leur adhésion constante et convaincue à la cause romaine, aussi bien dans les portraits et nature in posa (portraits de nature), qu’avec les tableaux aux sujets historiques et religieux. Cet engagement, toujours apparent dans leurs œuvres, constitue une profession de foi politique… » (Francesco Solinas, in catalogue).

Giorgio Vasari (1511-1574) évoque dans la seconde édition des « Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes » (1568) du haut niveau atteint par les femmes dans les lettres et humanités. Il y inclut une biographie détaillée de Sofonisba Anguissola (1532-1625) déjà au faîte de sa gloire internationale : « (…) c’est une peintre de Crémone, Sofonisba (…) qui s’est consacrée au dessin avec d’avantage de diligence et de grâce que toute autre femme de note époque ». La première salle de l’exposition lui est consacrée. Grâce à ses capacités et au soutien de son père, elle se fit rapidement connaître. Nous découvrons son visage sur un petit médaillon peint en 1556. Elle est vêtue, à la façon vénitienne, d’une tenue sobre que le fond vert fait ressortir : un corsage noir fermé sur le devant, pourvu d’un haut col laissant apparaître sa chemise blanche fermée par un lacet. Ses cheveux, tirés vers l’arrière, sont couronnés d’une natte. Le regard reflète une douceur mélancolique. Nous retrouvons ce même regard, ici tourné vers le spectateur, dans un second « Autoportait » (après 1556) : elle se représente devant son chevalet, mettant la dernière main à un tableau de dévotion (la Vierge embrasse avec tendresse l’enfant Jésus sur un fond d’architecture à l’antique). Elle porte la même robe sombre, la même coiffure.

Vasari commente un autre de ses tableaux : « Le Jeux d’échecs » (1555). Il s’agit du « portrait de trois de ses sœurs jouant aux échecs et, avec elles, une vieille servante, peinte avec une telle diligence et promptitude qu’on dirait qu’elles sont vraiment vivantes et qu’il ne leur manque que la parole ». Rappelons que le jeu d’échec est un des rares passe-temps intellectuel concédé aux femmes de cette époque ! La scène se passe dans un jardin. La sœur aînée, à gauche, déplace un pion sur l’échiquier tout en regardant le spectateur. En face d’elle, une autre sœur fait un geste de la main tout en lui parlant. La plus jeune se tient derrière la table ; son sourire indique qu’elle prend plaisir à suivre la partie ! A l’extrême droite, une servante observe la scène. L’arrière-plan s’ouvre sur un paysage montagneux, peint « à la flamande ». Les demoiselles Anguissola sont richement vêtues : robes en soie, rouge pour l’aînée, jaune d’or pour la seconde. Elles portent des bijoux (diadème en or et perles, collier de perles avec un pendentif en or serti de pierres précieuses) que nous retrouvons dans le « Portrait de Bianca Ponzoni-Anguissola, la mère de l’artiste » peint en 1557. Assise sur un fauteuil de velours vert, elle est vêtue d’une robe à carreaux dans les tons de jaune-ocre. Son visage se détache sur un fond sombre. Il est éclairé par ce sourire, à peine ébauché, qui est « la marque de fabrique » de Sofonisba. Autre portrait familial : celui de « Elena Anguissola, la sœur de l’artiste en religieuse » (1551). Après une éducation artistique, elle entre au couvent dominicain de Saint Vincent de Mantoue. Le fond sombre fait ressortir la blancheur de son habit. Elle tient dans ses mains un livre de prière en maroquin rouge à décors en or, seule touche de couleur de ce portrait. Son visage exprime douceur et timidité.


dames-du-baroque
Portrait d’Elena Anguissola, sœur cadette de Sofonisba, qui suivit avec elle l’enseignement du peintre Bernardino Campi (1522-1591) et entra plus tard au monastère San Vincenzo de Mantoue sous le nom de sœur Minerva – Portrait daté de 1551 – Sofonisba Anguissola – Huile sur toile © City Art Gallery, Southampton (Royaume-Uni)

Deux tableaux à caractère religieux complètent l’ensemble. Une « Sainte Famille » (1559) à l’iconographie peu habituelle : saint Joseph, les yeux mi-clos, embrasse l’Enfant couché sur ses genoux qui, lui, regarde sa mère. La Vierge tend à ce dernier des fleurs provenant du bouquet posé sur ses genoux. Le groupe se tient à l’abri sous les arbres alors qu’un ciel chargé de nuages annonce l’arrivée d’une tempête… préfiguration de ce que sera la suite annoncée pour l’Enfant. Une « Pietà » (vers 1574/83) dont se dégage une subtile spiritualité. La Vierge éplorée, revêtue d’un grand manteau bleu, tient dans ses bras le corps supplicié du Christ. En arrière-plan, le ciel rougeoyant suggère que la scène se déroule à la tombée du jour. Dans les deux toiles nous retrouvons la marque de l’artiste : longues mains effilées, délicatesse des visages en pointe, emploi d’une couleur à reflets argentés.


dames-du-baroque
La Sainte Famille – Sofonisba Anguissola – Huile sur toile © Accademia Carrara, Bergamo (Italie)

La seconde dame se nomme Lavinia Fontana (1552-1614), une des femmes les plus influentes de la peinture italienne. Elle fait ses premières armes dans l’atelier de son père qui, lui, travaille, en particulier, pour le pape Jules III (règne de 1550 à 1555). Une douzaine de toiles s’offrent à nos yeux dont une série de portraits. Dans le « Portrait de famille » (vers 1598/1603) point de profondeur puisque les trois générations de cette famille sont alignées les unes à côté des autres. Les grands-parents sont placés aux extrémités de la composition et encadrent les parents au centre. Deux jeunes garçons et une fillette complètent l’ensemble. La famille doit appartenir à la riche bourgeoisie ainsi que le laissent supposer leurs vêtements dont on admire la délicatesse du rendu des dentelles bordant les cols. Ils sont réunis sans doute autour d’une table, les uns regardant le spectateur, les autres les yeux comme perdu dans le lointain. La gestuelle a son importance. Le grand-père désigne un petit chien noir au milieu de la composition : il transmet par ce geste des valeurs de fidélité. La petite fille tient dans sa main un livre de prières ouvert, signifiant la fidélité à la foi chrétienne. En mettant leur main sur le cœur, les plus jeunes participent à cette transmission des valeurs familiales.

L’ « Autoportrait à l’épinette et une servante » (1577) est le premier autoportrait connu de Lavinia. L’iconographie complexe indique que cette toile a été peinte à l’occasion de son mariage. Elle se représente dans un salon jouant de l’épinette mais regardant, fièrement, le spectateur. Le velouté du rose de sa robe renvoie au rose de ses joues. Les détails du col en dentelle sont peints avec une infinie précision. Derrière elle, une servante tient une partition ouverte comme prête à la confier à ses doigts experts ! A l’arrière-plan, le chevalet, devant la fenêtre, symbolise la peinture. L’inscription latine, en haut à gauche, manifeste son appartenance à un cercle d’érudits. Nous pouvons rapprocher ce tableau du « Portait d’une dame jouant le clavicorde » (vers 1579/80) vêtue d’une élégante robe rouge et or, la coiffure ornée de petits nœuds. Ou du « Portrait d’une dame de la famille Gonzaga ou Sanvitale » (vers 1583). Lavinia rend avec beaucoup de naturel la grâce qui émane du visage de son modèle, les détails de sa somptueuse robe (en velours et damas décorés de fils d’or) et de ses nombreux bijoux. Comme dans les autres portraits féminins, les cheveux sont tirés en arrière, séparés au milieu par une raie et retenus par un bandeau, lui-même orné de perles.

Nous retrouvons la même grâce dans « Vénus et Cupidon (Isabella Ruini ?) » (1592). La déesse est vêtue d’une chemise de gaze légère dévoilant sa nudité, tout en délicatesse et retenue. Elle tient dans sa main droite une flèche et de sa gauche effleure la joue de Cupidon qui passe son arc dans le dos de la déesse. Autre scène mythologique : « Minerve s’habillant » (1613). Représentation assez inhabituelle du sujet : la déesse vient de quitter son armure et s’apprête à revêtir une robe ! Elle regarde le spectateur dans un léger mouvement de rotation de son corps longiligne baigné de lumière. Lumière également renvoyée par ses emblèmes : le bouclier, l’épée et le heaume (tenu par un angelot) qui sont disposés au sol. Autre symbolique de Minerve : l’olivier et la chouette perchée sur un balcon, à l’arrière-plan. Tableau rare s’il en est dans la mesure où la nudité est un thème osé pour une femme peintre de cette époque !


dames-du-baroque
Vénus et Cupidon (1592) – Lavinia Fontana – Huile sur toile © Musée des Beaux-Arts de Rouen (France)

Une curiosité : « un royal chérubin gisant dans un berceau richement ornementé, enveloppé de langes et orné d’un collier » (Carlo Cesare Malvasia en 1841, in catalogue). Ce « Nouveau-né dans un berceau » (vers 1583) est effectivement une iconographie toute nouvelle puisque la prime enfance était un concept totalement ignoré. Néanmoins, en ce début du XVIème siècle, l’enfant commence à acquérir de l’importance et se voit, lui aussi, portraituré.

Peintre de renom, elle fut la première femme à honorer des commandes religieuses. En témoigne « La Sainte Famille avec saint Jean-Baptiste, sainte Catherine d’Alexandrie et saint Dominique » (vers 1575/80). La Vierge en est la figure centrale : le rose de sa robe fait ressortir la douceur de son visage alors que le bleu de son manteau met en valeur l’Enfant. Saint Joseph, derrière elle, un bâton de marche en main, la regarde. A l’autre extrémité de la diagonale qui « organise » le tableau, saint Dominique agenouillé tient un livre dans lequel se perdent les mains de l’Enfant. Au-dessus de lui, sainte Catherine, richement vêtue, regarde la scène. A l’angle inférieur gauche, saint Jean est représenté les mains jointes, un bâton cruciforme posé contre son épaule droite, le regard fixé sur Jésus. On le devine vêtu d’une peau de bête.

Deux autres toiles nous convient dans une thématique constante chez nos « Dames du Baroque » puisque nombre d’entre elles la reprendront : Judith et Holopherne. Petit rappel des faits : Nabuchodonosor, roi de Ninive, charge Holopherne, général en chef de ses armées, de châtier les pays, dont la Judée, qui lui avaient refusé leur aide dans sa lutte contre le roi d’Ectabane. Semant la terreur sur leur passage, les troupes assyriennes mettent le siège devant la ville de Bethulie où les israélites s’étaient réfugiés. Dans cette ville vit Judith, riche, belle et pieuse veuve… Après avoir imploré Dieu, Judith quitte ses vêtements de deuil et revêt des parures destinées à attirer le regard des hommes. Accompagnée de sa servante, elle quitte la ville pour le camp ennemi… Au bout de quatre jours, Holopherne la prie d’assister au festin qu’il donne, sous sa tente, à ses officiers. Le soir venu, il fait sortir tous ses gens pour rester seul avec Judith, car il la désire… Ayant trop bu, il reste effondré sur son lit. Judith peut ainsi s’emparer de l’arme du général et, le saisissant par les cheveux, il lui suffit de deux coups de cimeterre pour le décapiter… Elle tend alors la tête à sa servante, restée devant sa tente, qui la met dans le sac où elles tenaient leurs provisions. Les deux femmes sortent du camp sans être inquiétées car c’était leur habitude depuis trois nuits.

Le « Portrait de femme comme Judith » (vers 1590/95) est probablement un autoportrait du peintre. Elle se représente à partir de la taille, somptueusement vêtue, parée de deux rangs de perles (admirons encore une fois le rendu du col de gaze et dentelle !). Elle tient dans sa main gauche la tête du général supplicié, dans la droite l’épée encore maculée du sang d’Holopherne ! Son regard traduit toute la détermination qui fut celle de Judith. Seconde toile, peinte en 1600 : « Judith avec la tête d’Holopherne ». Même gestuelle, même détermination du regard avec l’esquisse d’un léger sourire en plus ! A l’arrière-plan, la servante, tout sourire, tient le panier qui recueillera la tête du supplicié. Remarquons la précision des détails du costume de Judith : raffinement de la parure de pierres précieuses (pendentif, perles des boucles d’oreille, pinces à cheveux), élégance des manches en voile orné de fines broderies de perles elles aussi.

Nous retrouvons ce thème chez Fede Galizia (vers 1574-1630) : « Judith avec la tête d’Holopherne » (1596). Toujours la même gestuelle chez une Judith au regard perçant mais perdu au loin… Somptuosité et préciosité des tissus de son vêtement ou du rideau rouge en arrière-plan… attention particulière portée aux détails de ses bijoux. Fede représente le moment où Judith dépose la tête du général dans un bassin que tient sa servante. Ici, Abra est une vieille femme toujours complice de sa maîtresse, dont le doigt sur la bouche intime au silence. Plus que les portraits, ses sujets de prédilection sont les « nature in posa » ou natures mortes représentant des fruits et des fleurs avec un luxe de détails, un réalisme nous donnant envie de les toucher, de les croquer ! Sont exposées quatre de ses compositions : « les fleurs et les fruits ne sont pas de coûteuses variétés exotiques, mais les produits des jardins et des potagers de Lombardie, représentés d’après nature avec un soin exceptionnel » (in catalogue). Même si, parfois, les espèces peintes ne mûrissent pas toutes à la même saison. Pêches bien mûres au velouté exceptionnel… noisettes encore enveloppées dans leur membrane verte… poires et noix… prunes de différentes variétés… grappes de raisin aux grains translucides… coings dont l’un est coupé en deux et dans cette moitié des graines dans leurs alvéoles. Un feuillage de vigne… des fleurs (violettes, delphinium) aux couleurs vives… du jasmin dont la blancheur capte le regard. Les présentoirs sont également peints avec un luxe de détails : coupe d’argent se détachant sur un fond brun… coupe en verre où se reflète une fenêtre… coupe en céramique blanche ajourée. Elles sont posées, presqu’à l’avant, sur un dessus de table et se détachent sur un fond sombre. Fede accorde une attention toute particulière à l’ombre portée, à l’éclat des couleurs.


dames-du-baroque
Coupe à fruits en métal, Nature morte de pêches, de noisettes en coque verte, de tulipe et delphinium (ca. 1610) – Fede Galizia – Huile sur panneau © Anonymous sale, Milan, mai 2004


dames-du-baroque
Bol en céramique blanche avec pêches, prunes rouges et bleues (ca. 1610) – Fede Galizia – Huile sur panneau © Silvano Lodi Collection, Campione (Italie)


dames-du-baroque
Coupe en verre de pêches, de coings, de fleurs de jasmin et une sauterelle (ca. 1610) – Fede Galizia – Huile sur panneau © Silvano Lodi Collection, Campione (Italie)


dames-du-baroque
Panier en porcelaine de prunes, de raisins, de poires (ca. 1610) – Fede Galizia – Huile sur toile © Collection privée

Orsola Maddalena Caccia (1596-1676) partage la même salle ! Fille et sœur de peintres, son vrai nom est Theodora qu’elle abandonne lors de ses vœux à son entrée au couvent des Orsolines de Bianzè (elle en devient abbesse en 1620). En 1625, elle rejoint le couvent des Ursulines de Casale à la suite du don à la congrégation de la maison familiale par son père. À l'intérieur du monastère, elle organise une petite école et un atelier de peinture. Ses tableaux sont identifiés par une fleur en signature. Le « Bouquet de fleurs dans un vase blanc, un citron, des fraises et trois guêpiers » (vers 1626/30) est une fidèle illustration des essences aux floraisons qui coïncident, ici au mois de juin : une pivoine rouge, des lauriers roses, des tulipes, un lys, des œillets blancs et des pieds-d’alouette. Autour du vase à double anse, les guêpiers dont on admire le rendu du plumage. Cloîtrée dans son couvent, elle peint nombre de retables puis des « portraits d’après nature ». « Saint François réconforté par deux anges » (vers 1620) atteste de l’influence de son père Guglielmo Caccia (1568-1625) : le saint est en extase, soutenu, à gauche, par un ange blond au doux visage, à droite par un second ange au visage plus effilé. Les couleurs employées sont froides avec des reflets argentés. Remarquons la main droite du saint : elle est percée d’un clou représentant les stigmates du Christ. « Saint Luc dans l’atelier » (vers 1625) est une grande toile (290 x 185 cm) généralement considérée comme un hommage du peintre à son père représenté sous les traits du saint homme. Ce dernier met la dernière main à une sculpture en bois (en atteste les outils et les copaux sur la table) : une Vierge à l’Enfant. Une Vierge à la rose, sans doute inachevée, est posée sur un chevalet. Sur une étagère murale, divers ouvrages médicaux ou naturalistes (dont Avicenne, Galien, Celse) évoquent le médecin qu’était Luc. Par la fenêtre, on voit le château de Montferrat. Des angelots veillent. « La Vierge, saint Ignace de Loyola, saint François Xavier et un chevalier » (vers 1625) fait partie des tableaux d’oratoire peints par Orsola. Un jeune chevalier très élégant (demi-armure barrée d’un ruban rose, éperons dorés, chausse rouge à crevés), à genoux sur le devant de la composition, vénère une Vierge à l’Enfant apparaissant dans un ciel doré. Son blason et son heaume (surmonté d’une crête de plumes) sont posés devant lui. Il est protégé par le geste de Saint Ignace de Loyola (1491-1556) fondateur de la Compagnie de Jésus. Autre jésuite, sur la gauche : François-Xavier (1506-1552) a les mains croisées sur sa poitrine. Tous les trois ont le regard tourné vers la Vierge. Tous les trois ont des mains aux doigts longilignes.


dames-du-baroque
Saint Luc l’évangéliste dans l’atelier (ca. 1625) – Orsola Maddalena Caccia – Huile sur toile © Parrocchia Sant'Antonio di Padova, Moncalvo, Asti (Italie)

La salle suivante met en lumière une artiste majeure du XVIIème siècle : Artemisia Gentileschi (1593-1654) fille d’un grand peintre naturaliste, Orazio Gentileschi(1563-1639). Laissons de côté certains évènements de sa vie privée liés à Agostino Tassi que son père lui avait donné comme précepteur. A Rome, elle épouse un peintre florentin. Cette période florentine est très féconde : elle est acceptée à l’Académie du dessin (un exploit !), travaille avec le petit-neveu de Michel-Ange (1475-1564), également pour les Médicis. Elle retourne à Rome où le succès n’est pas au rendez-vous. Elle part alors à Naples et voyage de temps en temps à Londres pour rendre visite à son père. Artemisia utilise des couleurs vives. Le sang coule souvent dans ses œuvres ! Elle représente des femmes expressives voire rebelles dans leur attitude. Ces fortes femmes sont souvent des héroïnes : Cléopâtre qui se suicide… Suzanne et les vieillards… Judith qui décapite Holopherne. Ses nus (œuvres encore une fois osées pour l’époque) sont nombreux et, sans doute, prend-elle son propre corps pour modèle.

Deux « Marie-Madeleine » s’offrent à notre regard, l’une peinte avant 1615, l’autre après 1630. La première présente une Madeleine se préparant à délaisser sa vie somptuaire. Le visage de la pécheresse, vêtue d’une grande robe d’un lourd tissu jaune d’or, se détache sur un fond sombre. Elle a la main sur la poitrine, la chevelure (faite de petites tresses) en partie défaite, un pot d’onguent à ses pieds nus. Sur le bois doré du fauteuil, on peut voir la signature de l’artiste « Artemisia Lomi ». La seconde toile présente une Madeleine de trois-quarts, la chevelure lâchée, les paupières mi closes, les mains jointes en partie posées contre sa joue et sur le crâne. Ici point de visage juvénile mais un double menton ! Les tons sont quasi monochromes : bruns fauves pour le fond et la robe, violet-lie de vin pour le manteau.

Nous retrouvons un des thèmes de prédilection de nos dames. « Judith et sa servante » (vers 1615/18) : l’héroïne est de face alors que sa servante nous tourne le dos, toutes deux regardant sur le côté. Judith tient encore l’épée dans sa main droite mais pose la gauche sur l’épaule d’Abra. Le peintre signifie par ce geste la solidarité des deux femmes. Abra tient contre sa taille le panier où est posée la tête du général. Des filets de sang maculent le linge blanc et s’en écoulent. Admirons le rendu des drapés de la coiffure ou des plis de la manche de la servante. Détails tout aussi admirables que ceux du bijou dans les cheveux de Judith, du galon qui orne sa robe. « Judith et Holopherne » (vers 1645/50) présente la scène d’une manière différente. Au premier plan, Abra est agenouillée et tente de cacher, dans un sac, la tête sanguinolente du général. Judith est debout, le visage éclairé par la flamme d’une bougie qui se reflète sur un casque. Eclairage théâtral s’il en est ! Elle semble sûre d’elle, tenant encore l’épée qui lui a permis de décapiter Holopherne. La palette chromatique est remarquable : rouge brique de la robe d’Abra… jaune doré de la jupe et blancheur immaculée du corsage de Judith… lilas de son manteau… bleu électrique du tissu, frangé d’or, jeté à terre au premier plan… le tout sur un fond sombre presque noir qui fait ressortir l’ensemble.


dames-du-baroque
Judith et sa servante (1614) – Artemesia Lomi Gentileschi – Huile sur toile © Galleria Palatina, Palazzo Pitti, Florence (Italie)

« Cléopâtre » (vers 1630) présente le moment où deux servantes, sur l’arrière de la scène, écartent le rideau rouge et découvrent le corps de la reine. Il s’agit ici d’un nu très réaliste (presqu’androgyne !) à peine caché par un drap d’un bleu profond. Sa tête est comme projetée vers l’arrière, le bras gauche la soutenant et reposant sur un coussin de velours vieux rose, sa couronne ayant glissé en arrière. La chevelure déliée offre de beaux reflets cuivrés. Sur le devant de la scène, à même le drap d’une blancheur écrue, le serpent fatal ainsi qu’une corbeille de fleurs où l’on distingue du jasmin, des œillets, des petits soucis et des fleurs d’oranger.


dames-du-baroque
Cléopâtre (ca. 1630) – Artemesia Lomi Gentileschi – Huile sur toile © Collection privée, Rome (Italie)

Deux toiles à caractère religieux, présentées ici, lui sont attribuées. « La Vierge à l’Enfant » (vers 1617/19) : finesse du visage de Marie (assise sur un tabouret ou une chaise basse) qui offre son sein à l’Enfant dont le visage semble inachevé… douceur des nuances de rose de sa robe agrémentée d’un manteau aux reflets bleus changeant. « Suzanne et les vieillards » (vers 1622) : l’œil se focalise sur la blancheur éclatante de la robe de Suzanne qui vient d’entrer dans l’eau et tente de se protéger de son bras gauche. Nous retrouvons la palette des coloris chère à Artemisia : jaune doré du drap sur lequel est assise Suzanne… bleu aux reflets moirés de la veste du premier séducteur qui se penche sur elle… rouge franc de l’habit du second. Le tout peint dans un paysage au ciel brumeux.

Les deux dernières salles sont consacrées à trois artistes. Virginia Vezzi ou da Vezzo (1600-1638) est encouragée par son père dans l’étude des techniques de la peinture. Il lui permet également de suivre un apprentissage auprès d’artistes importants et influents de l’époque. C’est ainsi qu’elle rencontre à Rome le peintre français Simon Vouet (1590-1649) qui l’épouse en 1626. Il l’emmène avec lui à Paris où elle vit jusqu'à sa mort. Son talent sera particulièrement remarqué par Marie de Médicis et le cardinal de Richelieu. C’est à son mari que nous devons son portrait, fragment d’une œuvre plus conséquente. Seul le visage, dont se dégagent délicatesse et raffinement, semble achevé. Le cou et les touches de bleu du vêtement étant simplement ébauchés. A nouveau une « Judith avec la tête d’Holopherne » (vers 1624/26) : le visage dans la lumière, un léger sourire sur ses lèvres, elle tient l’épée d’une main, de l’autre une sorte de linge ou un sac contenant la tête du général. Remarquons l’ampleur des drapés dans une gamme de tons colorés proche de ceux utilisés par son mari : bleu pour la manche, lie de vin pour le manteau et brun pour le voile recouvrant ses épaules. Il s’agit là du seul tableau qu’on lui attribue avec certitude.


dames-du-baroque
Judith avec la tête d’Holopherne (ca. 1625) – Virginia Vezzi ou da Vezzo © Musée des Beaux-Arts de Nantes (France)

Elle partage la salle avec Elisabetta Sirani (1638-1665). Cette dernière s’initie à diverses techniques telles que le dessin, la gravure et la peinture dans l’atelier de son père. Outre l’apprentissage manuel, elle reçoit un enseignement théorique et une culture littéraire (nous pouvons parler d’éducation humaniste) grâce à la bibliothèque familiale où figuraient les Métamorphoses d’Ovide, les Vies de Plutarque, la Naturalis Historia de Pline, le De claris mulieribus de Boccace, les Vies de Giorgio Vasari ainsi que des ouvrages plus techniques sur la perspective ou la composition des vernis utilisés en peinture. En 1660, elle ouvre un salon, puis une école de peinture réservée exclusivement aux femmes. La même année, Elisabetta est admise à l’Accademia di San Luca de Rome (reconnaissance importante pour une femme) ce qui lui permet de gagner plus d’argent et de pouvoir s’adonner à son autre passion : la musique. Elle jouait de la lyre et aimait le chant. Réputée pour sa vitesse d’exécution, elle achevait un portrait en seulement une séance ! Elle est également une des rares artistes femmes à signer ses œuvres car, ne l’oublions pas, la signature d’une femme n’avait pas de statut légal ! L’« Allégorie des trois arts sœurs » (vers 1663) due à Giovani Andrea Sirani (1610-1670) son père est considérée comme un portrait allégorique de ses trois filles. Anna Maria, de dos, personnifie la Peinture : elle tient une palette en main et des pinceaux. Barbara, au milieu de trois-quarts, chante : elle figure la Musique. Elle tient une partition, le lamento d’Arianna de Claudio Monteverdi (1567-1643). Elisabetta, de face, tient des outils d’écriture et incarne la Poésie. Ce sont trois muses représentées telles des nymphes dans une tenue classique, parfois en partie dénudées. Le peinture a voulu exprimer l’harmonie céleste qui est la source de la perfection artistique.

Elisabetta s’essaie à la peinture mythologique avec sa « Galatée » (1664) : la Néréide flotte sur une conque géante et cueille des perles dans une coquille (d’huître ?) tenue par un angelot volant. Un autre angelot la pousse doucement. Elle est assise, alanguie sur un coussin aux tons rouge-rose que l’on retrouve dans le drapé où s’engouffre le vent. Avec la toile « Timoclea jette un général d’Alexandre le Grand dans un puits » (1659), Elisabetta donne sa vision d’un thème biblique rarement abordé dans l’histoire de l’Art. Elle a, très certainement, pu accéder au livre de Plutarque dans la bibliothèque paternelle. Rappel de cet épisode : Timoclée, matrone de Thèbes, a été violée par les généraux d’Alexandre, roi de Macédoine (356-326 av JC). Elle se venge en expliquant que sa fortune est cachée au fond d’un puits. Elle y pousse violement le cupide général qui se penchait sur la margelle. Si le sujet n’est pas nouveau, les peintres représentent généralement le moment où le roi libère Timoclée et ses enfants, reconnaissant en elle une femme de noble dignité. Nous voyons ici une femme qui se fait justice, une femme qui « tient » le corps du général qui se contorsionne afin d’éviter la chute fatale ! L’harmonie des coloris concoure à la puissance de la scène : le bleu de la cuirasse renvoie au ciel sombre en arrière-plan. Timoclée pieds nus, cheveux défaits est vêtue d’une robe elle aussi sombre. Seul le rouge vif de la cape du général « éclaire » l’ensemble.


dames-du-baroque
Timoclea jetant un général d’Alexandre le Grand dans un puits (1659) – Elisabetta Sirani © Musée de Capodimonte, Naples (Italie)

La visite s’achève avec Giovanna Garzoni (1600-1670) appréciée pour ses compositions de fruits et de fleurs peintes sur vélin. Si elle se consacre plus particulièrement aux natures mortes, elle est aussi l'auteur d'illustrations botaniques : en témoigne l’album de miniatures présenté dans une vitrine dont ces « Figues et scarabée d’automne ». Egalement de copies de tableaux et de petits portraits, tel le « Portrait de Charles Emmanuel II, duc de Savoie » (vers 1632/33) : regard intense du jeune duc qui porte une précieuse cuirasse noire et or, un col de fine toile en forme de fraise et le collier d’or et d’émaux de l’ordre de la Très Sainte Annonciade (ordre fondé par ses aïeux au XVème siècle). Remarquons, à gauche, au-dessus de l’épaule, la signature du peintre : « Giovanna Garzoni F ». Le portrait (vers 1665) de Giovanna est dû au pinceau de Carlo Maratti (1625-1713). Il l’a peint au soir de sa vie, les traits épaissis, les yeux rougis mais le regard empli de fierté. Elle est vêtue de façon élégante mais d’allure presque monastique : robe de drap noir… col et poignets de fine toile blanche… la tête recouverte d’un voile de laine noire. Elle tient dans sa main gauche un petit portrait représentant une jeune femme. Le « Vase de fleurs et insectes » lui est attribué. Il semble être en cuivre. Le bouquet est composé principalement de fleurs à bulbes : quatre tulipes à différents stades de leur floraison, un iris bleu, une jacinthe également bleue, trois œillets et deux narcisses à bouquet ainsi que quatre roses soit écloses soit encore en bouton. De petits insectes entourent la composition : une libellule sur la gauche, un papillon délicatement posé sur la jacinthe ainsi qu’une punaise sur le côté droit du vase.


dames-du-baroque
Figues et scarabée d’automne – Giovanni Garzoni – Gouache sur vélin © Collection privée

Agréable à visiter (suite de petites salles, œuvres espacées, explications trilingues détaillées) cette exposition met en avant le rôle majeur voire déterminant de la femme dans la peinture italienne de la fin de la Renaissance et du début de l’Epoque moderne. Ces femmes ont un point commun : celui d’avoir fait de la peinture leur métier ! Redisons-le, elles ont su s’opposer aux usages dominants d’un monde régi par les hommes. Elles ont su être à la fois d’ « habiles portraitistes, exégètes d’histoires sacrées, de Dieu et des Saints, interprètes de l’Histoire antique et de ses héroïnes vertueuses (… mais) également d’extraordinaires illustratrices de la Nature » (Francesco Solinas, in catalogue).


**************************************************************************************************************************************************************************


Nous avons prolongé notre visite par la découverte du MSK, l’un des plus anciens musées de Belgique. Ses collections couvrent un large spectre historique, de Jérôme Bosch à Magritte, sans oublier Rubens ! Quel bonheur de quasiment « mettre le nez » sur les toiles du Moyen-Âge et d’y découvrir une foule de détails… Quel plaisir de déambuler dans de vastes salles très lumineuses dont trois sont consacrées aux Pays-Bas méridionaux dans la peinture baroque… Quelle surprise de découvrir cet accrochage si particulier sur trois hauteurs de mur avec une explicitation sur des tables « d’orientation » ! Sans oublier les salles 3 et 4 exclusivement consacrées à la restauration de ce chef d’œuvre de la peinture (inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco) « L’Agneau Mystique » des frères Hubert (vers 1370-vers 1426) et Jean van Eyck (vers 1390-1441) : dans un espace insonorisé aux vitres pare-balles, on voit les restaurateurs à l’œuvre afin de lui permettre de réintégrer (sans doute en juin 2020 pour l’année Van Eyck) la cathédrale Saint Bavon.



Publié le 11 janv. 2019 par Jeanne-Marie Boesch