Emilie(s)

Emilie(s) ©Communauté de Communes du Territoire de Lunéville à Baccarat - C.C.T.L.B.
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L'exposition est organisée par la Communauté de Communes du Territoire de Lunéville à Baccarat (C.C.T.L.B.) et la Ville de Lunéville dans le cadre du cycle « Emilie(s) » marquant le 310ème anniversaire de la naissance d’Emilie du Châtelet.

C'est grâce à Messieurs Jacques Lamblin, maire de Lunéville, Laurent de Gouvion Saint-Cyr, président de la C.C.T.L.B., Benoît Tallot, adjoint au maire de Lunéville chargé des affaires culturelles et Jean-Louis Janin-Daviet, commissaire de l’exposition ainsi qu'à plusieurs collectionneurs privés qui ont accepté de prêter divers objets afin de rendre possible cette exposition. Qu'ils en soient tous remerciés !

Il convient également à remercier tout le personnel de la C.C.T.L.B. en particulier Camille Carré, chargée de communication, pour sa disponibilité ainsi que les équipes municipales pour les travaux et aménagements de grande qualité, réalisés pour la plupart en régie.



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Madame du Châtelet à son bureau – Huile sur toile, Maurice Quentin de La Tour (1704-1788) – © Collection privée, Choisel (78), Château de Breteuil


« Emilie du Châtelet, une femme aux multiples visages… »

La canicule des jours précédents invite à la flânerie. Laissons-nous donc aller au gré de nos envies dans « le » Lunéville historique et culturel.
L’article défini « le » n’est pas du plus bel effet ! Mais il est, tout comme son pendant féminin, cher au cœur des Lorrains qui l’ajoutent aisément devant un prénom (le David, la Frédérique…) ou un nom. Il constitue une véritable marque de fabrique « Fait en Lorraine » !
Au moins chose aisée, aucun quiproquo ne peut être commis avec des prénoms androgynes ou étrangers.

Assis confortablement à l’ombre des marronniers du parc du Château de Lunéville, appelé par les Lunévillois «Les Bosquets», nous décidons de nous promener dans les ruelles étroites de la cité « cavalière », notamment en vielle ville.
Notre périple nous amène à passer devant le Théâtre de la Méridienne où s’est jouée, début juin, la pastorale héroïque Issé d’André Cardinal Destouches (1672-1749) (voir notre chronique publiée le 6 juin 2017).
Quelques rues plus loin, nous nous arrêtons devant une somptueuse demeure dite « Maison du Marchand ». Taillée dans du grès rose, cette demeure du XVIIIème siècle arbore avec panache une frise de ballots et de tonneaux reliés entre eux par une corde ainsi que des paysages urbains (une proue de navire sur la façade rue du Château, un minaret surmonté du croissant de l’Islam et une tête d’Indien coiffée de plumes au niveau de la rue de Lorraine). Ces faisceaux d’indices laissent à penser que son commanditaire était un marchand d’épices de lointaines contrées, fournisseur de la cour du roi Stanislas Leszczynski (1677-1766).
Reprenons notre promenade. Nous arrivons place Saint-Rémy. Nous sommes stoppés net par l’imposante façade de l’église Saint-Jacques. Le monument fut réédifié dans le style baroque à partir de 1730 comme église de l’abbaye Saint-Rémy de Lunéville. Les maîtres d’ouvrage, les Chanoines réguliers, souhaitaient que leur projet représente dignement le pouvoir religieux face au pouvoir ducal symbolisé par le vaste château voisin. Les travaux durèrent dix-sept ans pendant lesquels se succédèrent les architectes Jean-Nicolas Jennesson, Jean-Nicolas Jadot et Emmanuel Héré (qui édifia la Place Stanislas de Nancy). L’église doit à ce dernier les deux tours, hautes de cinquante-deux mètres, surmontées des statues de Saint-Michel terrassant le dragon et de Saint Jean Népomucène. Le fronton de l’église fut sculpté en 1749 par Joseph Belchamp (ou Bèchamp).
Un détail qui peut paraître futile mais qui prendra toute son importance par la suite: une simple dalle en pierre noire, incrustée dans le sol à l’entrée de l’église Saint-Jacques, rappelle le souvenir d’Emilie du Châtelet (1706-1749). Simple souvenir puisque la sépulture a été violée sous la Révolution !
De cette restructuration, il subsiste encore les bâtiments conventuels : l’actuel Hôtel de Ville sur le côté gauche de l’église et l’hôtel de l’abbé, dit Hôtel abbatial, à droite.
C’est bien ce dernier édifice qui va retenir toute notre attention constituant le but ultime de notre promenade, non pas tant le bâtiment en lui-même mais par ce qu’il renferme… et que nous ne tarderons pas à découvrir !

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Hôtel abbatial – 2 place Saint-Rémy – 54300 Lunéville © Communauté de Communes du Territoire de Lunéville à Baccarat – JS SD

Construit en 1728, l’hôtel ne marque aucun signe ostentatoire comme la précédente Maison du Marchand. La sobriété et le raffinement de la façade en grès rosé s’imposent. Notre regard est attiré par l’escalier extérieur, à double volée, orné de rampe en ferronnerie au centre de laquelle est enchâssée, dans un ovale, la croix de Lorraine. A l’arrière de l’édifice, un « jardin de curé », au style XVIIIème siècle, y trouve place. Quatre statues, d’après le sculpteur Barthélemy Guibal (1699-1757) et représentant les quatre saisons, veillent sur cet endroit paisible.
La porte ouverte de l’hôtel et les affiches posées en bas de chaque escalier nous invitent à y pénétrer, ce que nous faisons sans tarder. A l’intérieur de l’hôtel se tient l’exposition Emilie(s), en référence à Gabrielle Emilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet.
Avant la visite, il convient de faire le portrait de cette femme hors du commun mais pourtant oubliée pendant près de deux siècles.
Née le 17 décembre 1706 à Paris, elle est la fille de Louis Nicolas Le Tonnelier, baron de Breteuil et de Gabrielle Anne de Froulay. Son père lui inculque une éducation rarement dispensée aux filles à cette époque! Elle s’instruit sur bon nombre de sujets : latin, grec ancien, allemand, espagnol, musique en pratiquant le clavecin, danse, théâtre et opéra, équitation.
Elle épouse le 20 juin 1725 le marquis Florent-Claude du Châtelet, branche de Lomont. De leur union naîtront trois enfants : Gabrielle Pauline, Florent Louis Marie et Victor-Esprit. D’un commun accord, les époux conviendront de mener des vies séparées.
Redevenue « libre », elle aspire à tous les plaisirs vertueux ou non… Elle se livre aux jeux d’argent, aux bras d’amants (le comte de Guébriant, le duc de Richelieu, le mathématicien Maupertuis, François Marie Arouet dit Voltaire qu’elle rencontre en 1733, le poète en 1748). Voltaire demeure certainement l’homme qui l’a le plus aimée. Tenons-nous à ses propos datés de 1733 « Cette belle âme est un tissu précieux. Qu’elle brode un mille manières, son esprit est très philosophique et votre cœur aime pompoms. »
Elle se « nourrit » des travaux d’Isaac Newton (1643-1727) et en entame leur traduction, mais également ceux de Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716). Liebniz a formulé l’hypothèse de la « force vive », connue aujourd’hui sous le terme « énergie cinétique » (énergie que possède un corps, un objet du fait de son mouvement). Elle démontrera ce principe avec une bille de plomb lâchée de différentes hauteurs dans de l’argile, ceci dans son château de Cirey-sur-Blaise (duché de Lorraine, aujourd’hui en Haute-Marne, au sud de Saint-Dizier).
En 1735, en ce même lieu, elle rejoindra Voltaire, « tombé en disgrâce » du fait de la publication de ses Lettres philosophiques (1734). Ils demeureront ensemble une dizaine d’années jusqu’à ce qu’elle rencontre, à la cour du Roi Stanislas en 1748, le jeune et charmant chevalier de Saint-Lambert. Séduite, elle devient sa maîtresse et tombe enceinte. Quatre jours après le difficile accouchement, elle s’éteint à la suite de fortes fièvres à Lunéville le 10 septembre 1749, dans le lit de feue la reine de Pologne Catherine Opalinska. Sa fille ne survivra pas !

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Acte de décès d’Emilie du Châtelet, 10 septembre 1749 – Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, Nancy© Communauté de Communes du Territoire de Lunéville à Baccarat – JS SD

Elle a achevé juste à temps la traduction du latin en français du premier livre des Principes mathématiques de la philosophie naturelle de Newton, communément dénommés Principia. Du château de Sans-souci à Postdam, le très affecté Voltaire fera publier le manuel qui restera un ouvrage de référence… Il lui rendra un vibrant hommage : « Jamais une femme ne fut si savante qu’elle, et jamais personne ne mérita moins qu’on dît d’elle : c’est une femme savante. Elle ne parlait jamais de science qu’à ceux avec qui elle croyait pouvoir s’instruire, et jamais n’en parla pour se faire remarquer. » (Voltaire, « Préface historique », in I. Newton, Principes mathématiques de la philosophie naturelle, traduit du latin par feu la marquise du Châtelet, Paris, 1759).

Femme de sciences, femme des Arts, femme de musique et femme d’élégance, voilà comment nous pourrions définir la « Divine Emilie », titre donné à un téléfilm français réalisé par Arnaud Sélignac sur un scénario d’Elisabeth Badinter et Chantal de Rudder, diffusé sur France 3 en décembre 2007. Ces qualificatifs seront rappelés avec beaucoup de finesse lors de notre progression de pièce en pièce.
Nous comprenons mieux, aux vues des nombreux visages d’Emilie, l’ajout du « s » final entre parenthèses au titre de l’exposition…

Jalousée en particulier par la marquise du Deffand ou la baronne de Staal-de-Launay, détractée par le Journal des savants voire dépréciée, Emilie – permettez-nous cette familiarité – interroge tout autant qu’elle ne fascine. Elle apparaît comme une femme exceptionnelle mais résolument moderne pour son époque, le « Siècle des Lumières ».

Le commissaire de l’exposition Jean-Louis Janin-Daviet et la Communauté de Communes du Territoire de Lunéville à Baccarat nous transportent en une fraction de seconde, au travers de plusieurs pièces, dans l’art de vivre au XVIIIème siècle.
Nous assistons, comme témoins privilégiés, à une authentique reconstitution des univers esthétiques et scientifiques au temps d’Emilie.

L’idée de l’exposition est née suite à l’acquisition en 2012, par la collectivité, de l’Inventaire après décès de l’appartement occupé par Emilie du Châtelet au château de Lunéville. L’inventaire a été dressé par le lieutenant général au baillage de Lunéville Nicolas-Gaspard Thomassin accompagné du Procureur du Roy Jean-Claude Aubertin et du greffier Joseph-François Hennequin. A ce sujet, une anecdote peut être relatée: parmi les biens inventoriés figure une bague de cornaline dont le chaton recouvre un portrait, bague habituellement portée par Emilie. Voltaire demande à son secrétaire Sébastien Longchamp de retirer son effigie avant l’arrivée de Florent-Claude du Châtelet, son légitime époux. Voltaire n’y trouva point son portrait mais celui d’un autre amant, Saint-Lambert. Voltaire, surpris, dira : « Bah, [reprit-il !] J’en avais expulsé Richelieu ; Saint-Lambert a pris ma place ! Ainsi vont les choses de ce monde ! »

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Inventaire après décès de l’appartement occupé par Emilie du Châtelet au château de Lunéville – 11 & 12 septembre 1749, 8 avril 1750 – Manuscrit in-4 (240x170mm), 42 ff dont 3 blancs – Archives municipales de LUNEVILLE © Communauté de Communes du Territoire de Lunéville à Baccarat – JS SD

Un autre inventaire sera dressé en son hôtel rue Traversine à Paris les 15 septembre – 13 octobre 1749, douze cahiers manuscrits cousus ensemble formant 278pp. (Collect. Part., Lunéville). Les deux inventaires n’ont jamais été exposés, sauf à ce jour en la salle à manger de l’exposition.

Le vestibule nous dévoile un sublime escalier de pierre rehaussé d’une balustrade en fer forgé du XVIIIème siècle.
Sur le mur sont accrochés deux décors en bois sculpté issus de l’église Saint-Jacques, toute proche. Admirons la gravure d’un jeu de la Belle (défini ainsi: « ses instruments sont d'abord, et spécialement un tableau aux numéros duquel correspondent d'autres numéros renfermés dans un sac, d'où on les tire pour indiquer les parties gagnantes du tableau. Treize colonnes de huit numéros chacune divisent ce tableau qui, par conséquent, contient cent quatre numéros. »), l’avis publicitaire du magasin auxerrois Au Singe Verd et une facture associée pour l’achat d’un jeu de tric trac par Madame du Châtelet.
Les travaux « contemporains » des écoliers lunévillois y trouvent une place d’honneur. Réalisés à partir de diverses techniques (collage, pliage, incrustations, etc), ils ont reconstitué un intérieur bourgeois du XVIIIème siècle ressemblant «étrangement» à celui de l'exposition. Ils ont restitué une « enquête policière avec une armée de soldats » . Remercions-les de s’être impliqués avec autant de soin.
Le vestibule dessert une succession de salons et salles, « théâtre » de l’univers d’Emilie !
Théophile, le jeune guide, nous y attend confortablement assis… Son collègue David, quant à lui, dispense déjà ses commentaires.

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Le vestibule de l’Hôtel abbatial © Communauté de Communes du Territoire de Lunéville à Baccarat – JS SD

Suivant ses pas, nous arrivons dans le cabinet dit « des Estampes ». Le bleu ciel et le bleu roi apportent du relief aux camaïeux de gris et de noir des cadres et estampes. Il s’agit d’une série de portraits de personnages les plus influents dans l’Europe du XVIIIème siècle.
Enchâssées dans des placards vitrés, observons des étoffes, des cannelés de soie aux fins motifs fleuris, des volants dentelés de manche dits en pagodes appelés « engageantes », ainsi qu’un gilet complet d’homme (tissage jersey de soie crème et fil d’argent. Devants brodés en bordures et tours de poches de rinceaux formant des tiges entrelacées de fleurettes roses en fil d’argent. Vers 1765-1770, Coll. Part.).
Un mémoire (facture), dressé par le brodeur lunévillois Lamoureux pour la confection d’un gilet pour Monsieur du Châtelet (Collection Archives dép. de Haute-Marne), peut être observé. Cet habit bleu et rouge est conforme à celui du Roy selon la facture.

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Le cabinet des estampes © Communauté de Communes du Territoire de Lunéville à Baccarat – JS SD

La deuxième pièce nous émerveille tant par sa beauté que par sa richesse. La salle de Musique et de Jeux dévoile une douce atmosphère mêlant le blanc nacré des murs aux teintes vertes et corail des objets disposés dans une pure authenticité. Les délicates gypseries ornent le pourtour de la pièce. La divine Emilie se passionnait pour la musique et les jeux, sans limite pour ces derniers...
En entrant à notre droite, un cabinet de voyage esquisse la finesse du goût d’Emilie pour les belles choses. Entre le cabinet et la cheminée, une robe dressée sur un mannequin est enfermée dans une vitrine : manteau de robe à la Française sur grand panier en pékin façonné et rayé, ponctué d’un semis floral broché sur fond taffetas de soie crème. Cette robe, fin de règne de Louis XV, aurait certainement attirée l’attention de la délicate Emilie.
Une harpe à simple mouvement, une réédition de clavicorde (ancêtre du piano-forte et donc du piano), deux mandolines posées sur des fauteuils apportent la touche musicale à la pièce.Une table de jeux est placée non loin d’une magnifique cheminée en pierre sculptée, peinte en trompe-l’œil de faux marbre. Juste au dessus du miroir, les emblèmes abbatiaux (mitre et crosse) rappellent l’attribution primaire des lieux : un hôtel abbatial ! Le jeu de cartes déployées laisse même imaginer la venue d’Emilie afin de terminer la partie engagée. Des tabatières et boîtes occupent également le plateau.
Théophile attire notre attention sur les coins de la table, escamotables. Ils se tirent à volonté pour y déposer un bougeoir la nuit venue. Un chauffage d’appoint en céramique est disposé à côté de la table, apportant confort et chaleur pour les longues veillées consacrées à jouer.
Un cartel vert et or, propriété de la Ville de Lunéville, trône souverainement entre les deux fenêtres enrichies de passementeries fleuries accommodées de pompons corail.

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Le salon de Musique et de Jeux © Communauté de Communes du Territoire de Lunéville à Baccarat – JS SD

Puis, Théophile nous convie à le suivre dans la chambre jaune et bleue.
Là encore, la finesse du décor de l’appartement bourgeois s’impose à notre regard.
Un lit à la turque, forme en vogue au XVIIIème siècle, occupe le fond de la chambre. Les motifs floraux invitent à la détente et rappellent la passion d'Emilie pour les fleurs et jardins, passion transmise par Voltaire.
Des parures en pierres précieuses attestent de sa féminité et son élégance d’Emilie. Voyons-là un magistral pied de nez à ses détractrices en particulier l’acerbe Mme du Deffand précitée.
Au dessus de la commode, le cliché photographique du tableau La Toilette peinte par François Boucher (1703-1770) évoque la ressemblance chromatique (jaune et bleu) avec l’appartement de la marquise au château de Cirey-sur-Blaise. Soulignons encore une fois le souci de reconstitution du commissaire de l’exposition.
Posée sur le bureau, une sphère armillaire – modélisation de l’espace céleste montrant la révolution des planètes autour du soleil selon le système copernicien – rappelle le goût prononcé d’Emilie pour les sciences, objet de la prochaine salle.La sphère est réalisée en papier contrecollé sur bois et carton, bois noirci, et date de la seconde moitié du XVIIIème siècle.

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La chambre jaune et bleue © Communauté de Communes du Territoire de Lunéville à Baccarat – JS SD

Après le luxe des précédentes pièces, la salle des Sciences se veut sans fioriture, Rigueur et méthode, l’apanage de tout bon scientifique !
Notre regard est rapidement attiré par le placard vitré du fond de salle où sont exposés divers objets d’observation : un grand microscope de laiton verni, socle en poirier noirci portant la signature « Passemant au Louvre au-dessus de l’Académie française, à Paris », daté vers 1745, Claude-Siméon Passemant (1702-1769) ; un télescope de réflexion de 16 pouces de longueur dit de Newton (vers 1740) ; un graphomètre à double lunette, signé Canivet à Paris, à la Sphère, milieu du XVIIIème siècle ; un petit compas de proportion ou dit de réduction en laiton et acier avec une vis permettant le réglage en hauteur et en dimension, vers 1730-1740, signé « Menant à Paris » . Des ouvrages figurent également sur les étagères, telle la reliure en veau blond aux armes de Stanislas Leszczynski portant le titre Astronomie physique ou Principes généraux de la Nature appliquée au mécanisme astronomique et comparés aux principes de la philosophie de M. Newton. Il s’agit d’un ex-libris Noël fils – Paris, rue Saint-Jacques, chez Charles-Antoine Jombert, 1740.
De même, des tabatières or et nacre, en écaille piquée, en laque ainsi que des pièces d’orfèvrerie rappellent l’intérêt qu'Emilie portait aux beaux objets !
Mise bien en évidence, une statue en pied sculptée par François-Marie Suzanne (1750- vers 1802), plâtre original d’atelier, représente Voltaire. Au gauche du placard, nous découvrons la gravure dit Le Triomphe de Voltaire, réalisée en 1782 d’après la peinture à l’huile composée par Alexandre Duplessis en 1774 pour le château de Cirey-sur-Blaise. Juste en dessous, un médaillon en bronze à l’effigie de Voltaire est « flatté » par la vive lumière blanche contemporaine. Il est signé par le sculpteur Jacques Fontaine (1735-1807).
Posant majestueusement dans son armure d’où se détachent le cordon bleu de l’Ordre du Saint-Esprit et un manteau royal doublé d’hermine, le bon roi Stanislas veille sur la quiétude de la salle de sciences. Le tableau (huile sur toile – milieu du XVIIIème siècle – classée au tire des Monuments historiques, Coll. Philippe Volf) est signé par le peintre lunévillois Jean Girardet (1708-1778).
Apprécions la finesse d’exécution d’un billet doux, en ivoire de Dieppe, présent de la reine Marie Leszczynska à sa dame du palais, Victoire Goyon de Matignon, à l’occasion de son mariage le 1er février 1741.

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La salle des Sciences © Communauté de Communes du Territoire de Lunéville à Baccarat – JS SD

Ouvrant sur le jardin et séparant la salle de Sciences de la salle à manger, un étroit corridor se dessine. Deux huiles sur panneau de bois représentant le château de Cirey dans la vallée de la Blaise (élévation du château et vue de la cour d’honneur) occupent l’espace. Ce sont des copies modernes de la peinture originale de Pierre Le Brun (1703/1704-1771).

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Le corridor – Vues du Château de Cirey-sur-Blaise © Communauté de Communes du Territoire de Lunéville à Baccarat – JS SD

Du corridor, nous accédons à la salle à manger au centre de laquelle est posée une table au plateau vitré. Ce dernier laisse apparaître une gravure détaillée « Vue et Perspective du Rocher que le Roy a fait construire au bas de la Terrasse du Château Royal de Lunéville » (1750) et signée par Jean-Charles François (1717-1769).
Une autre estampe, accrochée au mur, représente la Chambre du cœur de Voltaire, réalisée d’après Duché en 1781. Il s’agit d’un don de l’Association des amis de Lunéville à la Ville de Lunéville à l’occasion de l’organisation de l’exposition (Nouvelles collections municipales).
La famille de Beauvau-Craon, si chère au cœur des Lorrains, est dignement représentée par deux portraits peints par Jean-Marc Nattier (1685-1766) : Marie-Françoise-Catherine de Beauvau-Craon, marquise de Boufflers et celui de Sophie-Charlotte de la Tour d’Auvergne, princesse de Beauvau-Craon.
Une paire de pots à feu, en bois doré et datant du milieu du XVIIIème siècle confère un certain cachet à la salle. Ces pots à feu proviennent de l’autel de la Vierge, élevé sous le règne de Stanislas, dans l’église Saint-Jacques. Ils ont été sculptés par Louis et Joseph Mansiaux, dits Chevalier. Longtemps considérés comme perdus, ils ont été retrouvés par Jean-Louis Janin-Daviet à l’occasion de l’organisation de l’exposition.
A droite d’un pot à feu, découvrons une aquarelle sur papier – en réalité une reproduction photographique – représentant le dernier amant d’Emilie, Jean-François de Saint-Lambert. Nous la devons au peintre Louis Carrogis, dit Louis de Carmontelle ou Carmontelle (1717-1806).
Près du second pot à feu (au fond de la pièce), la partition de la pastorale héroïque Issé de Destouches nous replonge dans l’atmosphère de la salle de Musique et ravive le souvenir des talents musicaux de la divine Emilie. Elle a interprété le rôle-titre de l’œuvre. Voltaire dira d’elle, « elle chante avec justesse, noblesse et grâce ».
Elle s’est également illustrée en tenant le rôle de Zirphé dans Zélindor de François-Augustin de Paradis de Moncrif (1687-1770).

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La salle à manger © Communauté de Communes du Territoire de Lunéville à Baccarat – JS SD

Mais pour bien nourrir l’esprit, ne devons-nous pas nourrir le corps ?
Notre guide nous invite dans l’Art culinaire à la Française. Les ustensiles de cuisine en cuivre sont à profusion comme une imposante batterie de cuisine, faitouts, chaudron, bouilloire, moules, fontaine à eau et même un chauffe-lit rappelant le « froid » des hivers lorrains… Tout est minutieusement orchestré, savamment dosé… Les victuailles ne sont pas oubliées : légumes, fruits, volaille, etc. De nombreuses statuettes en faïence de Niderviller (Moselle) et des écuelles en étain sont rangées dans un buffet aux portes grillagées.
Même le sel est subtilement présent avec le certificat d’un quart – Grenier à sel de paris –, dressé en 1742 au nom de M. du Chastelet, l’accent circonflexe étant remplacé par le « s ». Les greniers à sel royaux contrôlent la vente et perçoivent la gabelle, impôt sur le sel.
Une porte ouverte sur notre droite laisse entrevoir le cabinet de toilette (ou de commodité).

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La cuisine © Communauté de Communes du Territoire de Lunéville à Baccarat – JS SD

L’esprit ne tarde pas à se rappeler à nos bons souvenirs avec la dernière pièce de l’exposition : le cabinet de sciences.
Réalisée en papier contrecollé sur bois et carton, bois noirci (1782), une paire de globes terrestres suscitent notre intérêt. Nous aurions pu nous les procurer à l’époque dans la boutique Au Globe, rue Saint-Jacques à Paris, appartenant au géographe Louis-Charles Desnos (1725-1805). Il était « l’ingénieur géographe pour les globes et sphères de Sa Majesté Danoise, le roi Christian VII ».
Divers documents tapissent les murs du petit cabinet dont un reçu des abbesses de l’Abbaye de Port-Royal pour la somme de deux-cent-vingt-cinq livres couvrant la pension de Mademoiselle du Châtelet (fille d’Emilie), daté de 1743.
Apportons également une attention toute particulière à la facture des meubles ornant le cabinet. Les sculptures, la marqueterie sont d’une finesse inouïe.

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Le cabinet de sciences © Communauté de Communes du Territoire de Lunéville à Baccarat – JS SD

Ainsi s’achève la rétrospective dans l’art de vivre au XVIIIème siècle, cette promenade dans l’univers esthétique et scientifique d’Emilie du Châtelet…
Il reste de nombreux objets, pour la plupart estampillés « Siècle des Lumières », à découvrir : bibelots, meubles, pièces d’orfèvrerie, porcelaines, statuettes, tableaux, tissus, etc.

Espérons vivement que l’exposition, consacrée à « notre » Emilie, efface à jamais l’image d’une femme singulière que lui ont assignée, affligée ses détracteurs…
Gardons en mémoire son parcours hors du commun mis comme entre parenthèses pendant près de deux siècles et sûrement ignoré par jalousie ! Elle fut la première femme au monde à se vouer aux sciences.

Essaimons ces quelques mots pour lui rendre hommage !
« L’univers a perdu la sublime Emilie.
Elle aima les plaisirs, les arts, la vérité.
Les dieux en lui donnant leur âme et leur génie,
n’avaient gardé pour eux que l’immortalité. »,
Voltaire

Intrigante, oui sans conteste ! Fascinante, absolument !
Emilie du Châtelet est certes unique mais plurielle à la fois comme en attestent ses nombreux domaines de compétence.
Si vous nous permettez l’expression, elle est un Trésor aux multiples facettes rayonnantes au « Siècle des Lumières » …



Publié le 04 juil. 2017 par Jean-Stéphane Sourd Durand