En Scène ! - Louvre

En Scène ! - Louvre ©
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Costumes d’opéra et de fête au temps du Roi Soleil

Les dessins de costumes de scène contenus dans la collection Edmond de Rothschild nous emmènent dans l’univers des fêtes royales françaises et des représentations d’opéras et de ballets. Leur rapprochement rappelle d’ailleurs combien la frontière entre les deux reste ténue dans ce XVIIème siècle où les spectacles ne sont pas encore l’apanage exclusif des danseurs et chanteurs professionnels. Depuis l’accident mortel qui a coûté la vie à Henri II, la cour de France a abandonné les tournois d’apparat au profit de « courses de bagues » ou « de tête », et autres carrousels. Ces derniers mobilisent des dizaines de figurants, courtisans et pages, qui se produisent en costumes devant les autres membres de la cour. En témoignent des dessins d’Henri Gissey (1621-1673) pour le Grand Carrousel des Tuileries pour la naissance du Dauphin (5 et 6 juin 1662), ou encore pour le Carrousel d’Alexandre et Thalestris, organisé dans le cour de la Grande Ecurie de Versailles les 28 et 29 mai 1686 et qui sera le dernier du règne de Louis XIV. Les courtisans se font alors confectionner à leurs frais les coûteux costumes imaginés par les dessinateurs des Menus Plaisirs pour le groupe auquel ils appartiendront.


Costume pour les pages de la quadrille des Américains du grand Carrousel de 1662 © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) - Thierry Le Mage

Pour accélérer la production des nombreux dessins nécessaires aux différents spectacles, Jean I Bérain (1640-1711) utilise des silhouettes pré-imprimées à partir de plaques métalliques gravées, sur lesquelles sont ajoutés à la main les costumes et accessoires qui sont ensuite colorés : plusieurs exemplaires de ces silhouettes sont présentés, permettant de mieux appréhender le processus qui mène au dessin final. Une salle distincte est consacrée aux bals, ballets et mascarades. Les exemplaires les plus anciens, du Primatice (1504 - 1570), illustrent de costumes de bal de l’époque de François Ier. Encore relativement sobres, ils permettent de mesurer l’évolution intervenue au siècle suivant, qui multiplie le raffinement et la complexité dans un chatoiement de couleurs qui en démultipliait les effets.


Costume de source sous un bosquet, vers 1540, Paris © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) - Thierry Le Mage

Peu à peu se développent des conventions liées aux habits, qui permettent d’identifier aisément les personnages, avec plus ou moins de fantaisie dans les accessoires : « égyptienne » accompagnée de son tambour de basque, Turcs aux invraisemblables coiffes, Américains couverts de plumes, Maures aux membres recouverts d’ingénieuses enveloppes de tissu simulant une peau noire, dont les raccords aux articulations sont soigneusement dissimulés derrière de gros bracelets… En témoignent des illustrations du Ballet des Muses, donné le 2 décembre 1666 à Saint Germain en Laye, ou du Ballet du Triomphe de l’Amour, donné le 21 janvier 1681 pour accueillir Marie Anne Christine de Bavière, future épouse du Grand Dauphin. A l’extrême fin du siècle, Jean II Bérain (1674 – 1726) actualise l’iconographie des costumes « orientaux » à partir d’œuvres documentaires plus réalistes.


Égyptien jouant des gnacares, vers 1666 © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) - Thierry Le Mage

Nous quittons ces salles pour gagner la seconde partie de l’exposition. Celle-ci s’ouvre fort à-propos par une salle (rattachée aux collections permanentes) qui nous présente les différentes techniques de dessin (plomb, sanguine, craie, pastels,..), de gravure (sur bois, et sur métal : burins, eaux fortes) ainsi que les supports utilisés : papier, parchemin,… Une superbe collection de portraits en pastel de Maurice Quentin de la Tour (1704-1788), issus des collections permanentes du Louvre, permet d’évaluer la maîtrise atteinte par cet art au XVIIIème siècle.

Les salles suivantes nous plongent dans l’univers des costumes d’opéras, avec tout d’abord des dessins de originaux Jean Bérain, ainsi que des copies effectuées par Jacques Lepautre, pour des productions de Lully : Thésée, Bellérophon, Isis,…


Costume pour le rôle-titre de l’opéra « Thésée », vers 1677-1678 © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) - Thierry Le Mage

Nous croisons ensuite le Volume I des Costumes de fêtes, de ballets et de théâtre du temps de Louis XIV, épais recueil de 1644 dessins originaux qui a fait l’objet d’une restauration complète entre 2004 et 2008. Et nous retrouvons ensuite toute une série de dessins de Bérain pour des opéras de Lully. Certains correspondent assez bien à ce que nous connaissons ou imaginons, telle cette Thétis dans son char marin, imaginée pour l’acte I d’Alceste, ou des illustrations renvoyant à Atys (Dieu des Fleuves), à Phaéton (Protée), à Amadis (Florestan, Archalaüs), à Proserpine (costume de Pluton pour Jean Gaye). D’autres sont plus surprenants, tel cet Indien ou Américain guitariste chevauchant un escargot !


Costume de Pluton pour Jean Gaye dans « Proserpine », vers 1680 © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) - Thierry Le Mage

Cette exposition est évidemment un régal pour l’amateur d’art lyrique, puisqu’elle nous restitue avec précision les costumes imaginés pour la création des opéras de Lully. On y apprend également que la diffusion des dessins de Jean Bérain participa à la renommée des opéras de Lully dans l’Europe entière. Sa carrière est d’ailleurs en grande partie liée à la production lyrique du compositeur. Né en 1640 à Saint-Mihiel (Meuse), le dessinateur était l’élève de Gissey. En 1673, suite à la mort de ce dernier, il reprend le dessin des costumes de la création de Cadmus et Hermione. Sa collaboration se poursuivra jusqu’à la mort du compositeur. Certains dessins de Bérain illustrent en outre avec précision la gestuelle codifiée qui accompagnait la déclamation des chanteurs, et renforçait le sens du texte.

Face à la richesse et à l’authenticité du matériau, on se prend aussi à rêver un instant : à quand une mise en scène d’un opéra de Lully inspirée par les dessins de costumes et de décors qui ont accompagné sa création ?



Publié le 30 janv. 2022 par Bruno Maury