Expodcast : Musique et musiciens de la Chapelle royale

Expodcast : Musique et musiciens de la Chapelle royale ©Château de Versailles
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La chapelle du Roi à Versailles : suivez expodcast

Visiter pour apprendre. Apprendre en se promenant. Mais sans bouger de son fauteuil. Donc sans croiser ce maudit virus qui ronge notre culture vivante. Rien de vraiment nouveau pour Château de Versailles. Car, le virtuel, Versailles connaît. Au menu, de nombreuses opportunités d’exploration de la résidence royale sont déjà proposées en format numérique. Comme cette expérience qui ouvre en permanence les Grands Appartements (VersaillesVR, le château est à vous). Ou celle qui exhale un souffle de vie dans différents endroits du château (VivezVersailles). Sans compter les occasions de visite virtuelle de plusieurs expositions thématiques récentes. Toujours, un ravissement pour les yeux et une nourriture pour l’esprit.

Versailles, capitale de la France à partir de 1682 et pour plus d’un siècle, méritait bien que les nouvelles technologies de l’information et de la communication se mobilisent pour en ouvrir les portes. Mais ce prestigieux lieu de pouvoir restait plongé dans le silence. Depuis le 12 novembre 2020, le son revient. Grâce aux équipes du Centre de musique baroque de Versailles (CMBV) et leur directeur, Nicolas Bucher. En coopération avec France Musique et Château de Versailles, elles viennent de franchir la première étape d’un parcours initiatique pluriannuel qui projette d’initier le grand public francophone et anglophone à la musique baroque française.

Le medium original qu’elles ont conçu articule trois supports d’information : l’exposition virtuelle (iconographie et commentaires), le podcast (fichiers audio et vidéo) et l’archivage de données, de supports et de références (documents, chiffres-clés, quiz numérique, playlist, sources historiques, sans oublier la boutique). Cette expérience sonore, visuelle et pédagogique inédite porte le nom singulier d’expodcast (« ex », préfixe d’exposition, associé à « podcast »). Pour y accéder, rien de plus simple. Tapez sur votre clavier expodcast.cmbv.fr et voici qu’apparaît la page d’accueil. La visite peut commencer. A votre guise, à votre rythme, selon votre appétit du moment. Mais ne manquez pas la bande-annonce qui esquisse à grands traits les enjeux du projet.

Demain, vous ne vous intéresserez peut-être qu’à un seul de ses chapitres, ne scruterez qu’un détail de la voûte de la chapelle, consulterez uniquement les sources historiques afin d’approfondir un aspect qui avait attiré votre attention lors d’une précédente visite. Mais aujourd’hui, nous prendrons le temps d’examiner les différentes facettes de ce support aux entrées multiples et aux sorties toujours fructueuses.

L’étape 2020 est consacrée à la Musique et musiciens de la Chapelle royale. A la porte d’entrée du site, Suzanne Gervais (chroniqueuse à la Matinale de France Musique et commissaire de l’expodcast) nous accueille d’une voix suave d’institutrice. Elle a rédigé elle-même les textes, avec le concours de l’un des experts notoires du CMBV et conseiller scientifique du projet, Thomas Leconte.

Ce premier itinéraire de découverte comporte six stations, toutes d’une durée de 8 à 12 minutes environ. De façon méthodique et didactique, chaque halte apporte son lot de réponses à nos questionnements sur le cadre, la nature, les acteurs et l’audience de la musique sacrée versaillaise.

Le premier épisode fait office d’introduction générale. Nous menant du visible à son histoire, Suzanne Gervais fait revivre l’ambiance de la construction de la chapelle de Jules Hardouin-Mansart. Celle qui, pour l’essentiel, s’offre toujours à nos yeux comme l’explique, de façon détaillée et concrète, Frédéric Didier, l’architecte en chef chargé du monumental chantier de rénovation actuellement en cours. En complément, une opportunité exceptionnelle nous est offerte. Sans quitter l’endroit même d’où le roi entendait la messe, une timographie (visite virtuelle) à 360° conçue par Timothée Eiseinegger permet à notre regard de flâner le long des tribunes, nous invite à admirer le détail des peintures des plafonds et de l’agencement des sols, d’examiner les sculptures de l’autel et de l’orgue. Pourtant, si impressionnante soit-elle, une scène n’est rien sans les acteurs qui l’animent. D’ores et déjà, nous voyons s’activer les principales corporations aux organisations millimétrées. Avant de pénétrer, de manière plus approfondie, dans l’univers particulier de la musique. Spécialement la Musique de la Chapelle que Thomas Leconte range dans l’architecture générale des Musiques chargées de sonoriser chaque heure de la vie à la Cour. Mais le plus captivant sera d’entrer dans l’intimité de l’instrument-roi de la musique sacrée, du point de vue de la conception de l’orgue (Jean-Paul Gousset, captivant), de sa construction (le facteur d’orgue Bertrand Cattiaux, instructif) et de ses servants actuels, le quatre organiste titulaires (François Espinasse, Jean-Baptiste Robin, Michel Bouvard, Frédéric Desenclos, vivifiants).

Le second épisode s’agrège autour de la messe quotidienne du roi. Un écrin liturgique qui accueille, chaque matin, un répertoire constamment renouvelé. Esquissant le quadrillage musical d’une journée-type de Louis XIV, le claveciniste Olivier Baumont souligne la place primordiale de la musique religieuse, la première de la journée qui ravisse les oreilles d’un roi connaisseur et exigeant. Comme dans un songe animé de bruitages évocateurs, nous assistons au réveil du roi, le suivons dans le cortège qui se rend à la chapelle, scrutons, sur un document iconographique, le positionnement dans l’espace de l’assemblée des courtisans avant de revivre le placement des musiciens à la tribune, autour du grand orgue, sous la conduite de Thomas Leconte et d’Olivier Schneebeli. La messe basse se décline au rez-de-chaussée, dans un silence sous surveillance royale. A l’étage, faisant face au souverain, la musique déploie ses grands et petits motets. Une musique fastueuse qui exige, de la part de ses interprètes, une compétence éprouvée et une discipline sur laquelle veille personnellement le roi. Une tutelle qui, cependant, ne parvient pas à prévenir les rivalités, comme celles qui alimentent la « guerre des Te Deum » que raconte le violoniste Daniel Cuiller.

Car, s’ils sont jaloux de leurs prérogatives, les sous-maîtres de la Chapelle se signalent davantage par leurs talents. Des maîtres dans leur art, sélectionnés avec le plus grand soin. De fait, le troisième épisode nous admet au rang des observateurs d’un concours national ouvert pour attribuer les quatre quartiers (trimestres) du service musical de la Chapelle. Mars 1683. La cour est installée à Versailles depuis près d’un an. L’opportunité se présente de remplacer les vieux maîtres de musique quelque peu rétifs au changement. Le roi entend s’octroyer les meilleurs. Aussi lance-t-il un appel à candidature diffusé dans tout le royaume. Les finalistes seront départagés par un jury de sommités à l’égard duquel le roi fera également entendre sa préférence. Un dispositif qu’il renouvellera, en 1692, pour remplacer l’un de ses organistes. François Couperin en sera alors l’heureux lauréat. Notre épisode dévoile les rouages et la popularité de ce concours aux allures modernes. Pour autant, il n’oublie ni les candidats éliminés (comme le rouennais Jacques Lesueur), ni ceux qui se désistent avant la ligne d’arrivée (tel Marc-Antoine Charpentier). En regard, une frise retrace l’historique des modes de sélection des maîtres de chapelle, de François Ier à Louis XVI.

Les deux épisodes suivants sont intimement liés. Tant le motet à grand chœur (ou « grand motet ») est emblématique du talent de Michel-Richard De Lalande, la révélation du concours de 1683. Le grand motet livre d’abord sa généalogie, dans laquelle Jean-Baptiste Lully fait figure de point de bascule. Sa structure et son âme sont intemporelles, jusqu’à inspirer les compositeurs actuels. Ce que concède Philippe Hersant dans sa déclaration de filiation de l’une de ses créations. Ce genre musical typiquement versaillais se déploie sous le règne d’un roi qui, apparaissant sous les traits d’Apollon dans ses salons, incarne le roi David dans sa Chapelle. Aussi, le grand motet conjugue-t-il un texte sacré (généralement un Psaume de David) avec l’intensité d’une musique qui traduit foncièrement la religiosité de Louis XIV, comme l’explique remarquablement Alexandre Maral. Concentré d’ingrédients puissants (un texte biblique, des solistes, un chœur, une symphonie ou ensemble instrumental), le motet versaillais transforme une musique destinée à l’église en instrument de prestige dont le chœur à cinq voix amplifie l’éclat. Un chœur qu’Olivier Schneebeli décrit minutieusement. Soulignant particulièrement les composantes de la partie du dessus, depuis les enfants (Pages) jusqu’aux rares « italiens » (castrats) et, occasionnellement, quelques femmes. Convoité pour sa nouveauté et sa puissance, le grand chœur finit par servir de modèle en dehors de Versailles pour animer les cérémonies dans les grandes cathédrales ou être inscrit à l’affiche du Concert Spirituel de Paris.

Si Michel-Richard de Lalande fait figure de champion du « grand motet », c’est Jean-Baptiste Lully qui en a posé les fondements modernes. Un Lully dont l’intelligence du sacré a dicté des œuvres d’une profonde spiritualité. Mais dont, explique le musicologue Thierry Favier, les mœurs libertines lui interdisent l’accès aux charges de la Chapelle. Lalande, au contraire, s’épanouit dans le domaine de la musique sacrée. Né musicalement au sein de la maîtrise de la paroisse du Louvre, ce travailleur acharné et honnête homme, cultive ensuite son talent dans le domaine instrumental (le violon puis les claviers) avant d’attirer l’attention du roi lorsqu’il compose ses premiers motets. Lors du fameux concours de 1683, il sera d’ailleurs le candidat du roi qui lui attribuera l’un des quatre quartiers à pourvoir. Porté par son succès et les faveurs du royales, il finira par cumuler les quatre quartiers libérés successivement à la suite de l’éviction du plagiaire Nicolas Goupillet et des démissions successives de Pascal Collasse et de Guillaume Minoret. Dominant maintenant la musique religieuse et profane du roi, son portrait figure en bonne place au Parnasse des musiciens du « Siècle de Louis XIV ». L’âge venant, une nouvelle génération de sous-maîtres le seconde avant de lui succéder sous le règne de Louis XV. Mais, explique avec passion Sébastien Daucé, sa musique restera, pour tous les temps, un modèle d’équilibre d’une grande modernité.

De Lalande, nous sautons quasiment à la conclusion. Plus exactement, pour appréhender la prolifération du grand motet en France, il faut ouvrir le fichier vidéo dans lequel la chercheuse Bénédicte Hertz (CMBV) décrit le rayonnement en Province de ce genre spécifiquement versaillais. Nous comprenons mieux comment les cathédrales, les couvents et les académies de musique s’approprient cette écriture musicale singulière, la renouvelle et la diversifie. Jusqu’à alimenter, à leur tour, le répertoire versaillais et surtout parisien, celui du Concert Spirituel. Un détour en Angleterre est également proposé pour illustrer l’audience européenne du motet à grand chœur et son acclimatation sous la forme du Symphony Anthem dans lequel s’illustre Henry Purcell. Mais voici déjà que gronde l’orage révolutionnaire. En soi, la carrière de Francois Giroust, symbolise le destin de la musique de la Chapelle. Nommé maître de la Chapelle par Louis XVI, il achève son parcours professionnel en qualité de concierge du Château ! Sous l’Empire et les Restaurations, la musique de la Chapelle (des Tuileries, cette fois) connaît un destin chaotique avant d’être réduite au silence après la Révolution de Juillet (1830). Ce n’est que dans les années 1990 que le CMBV fera renaître ce répertoire grandiose pour qu’il s’offre à nouveau à nos oreilles, par exemple lors des jeudis musicaux auxquels nous convient les Pages et les Chantres en formation au CMBV. Mais également grâce aux initiatives de Château de Versailles Spectacles dont Laurent Brunner détaille la double ambition. Redécouvrir la grande musique baroque française et les répertoires qui en partagent l’esprit et la diffuser partout. Car « refaire de la musique à Versailles, c’est en faire partout dans le domaine ».

La visite s’achève. Juste le temps de complimenter le guide pour sa capacité à s’adapter à des publics diversifiés. Grâce au récit captivant de Suzanne Gervais et aux anecdotes qui émaillent sa narration, un internaute d’âge scolaire peut découvrir, de l’intérieur, un genre musical qui se niche dans un angle mort du socle de notre culture générale. Un public plus averti y découvrira des documents et témoignages inédits qui, toujours, ajouteront une pierre à ses connaissances. Même le mélomane y découvrira quelques pépites et pourra s’amuser à mettre sa science à l’épreuve du quiz. En somme, une promenade en famille dans un univers sonore grandiose.



Publié le 28 janv. 2021 par Michel Boesch