Le roi est mort

Le roi est mort : maintenant à la fête !

Dès les dernières marches de l'escalier qui vient de la galerie, on est saisi par la reconstitution (partielle) du grand cénotaphe conçu par Jean II Bérain pour les funérailles du Roi Soleil. Le catafalque y repose sous une couronne tenue par quatre statues de la Mort, portant alternativement la faux et le sablier, elle-même placée sous un dai. Comme le montre la maquette exposée quelques salles plus loin, la Pompe funèbre complète exécutée par les Menus Plaisirs devait être encore plus impressionnante, avec ses trente mètres de haut ! La sobriété froide de l'argent répondant au noir des étoffes (y compris le grand dai d'hermine doublée de noir) constituait assurémment un écrin à l'aune de ce roi, qui avait transformé sa cour en un spectacle permanent. On peut aussi y voir un clin d'oeil au “mobilier d'argent” qui ornait Versailles, refondu du vivant du monarque pour financer ses guerres.
Les oraisons funèbres chantèrent sa gloire, autour de cinq thèmes : un Roi grand dans son gouvernement, dans la conduite de la guerre, de la diplomatie, dans la religion et dans les arts. N'en jetez plus ! Comme pour nous en convaincre l'exposition nous présente quelques-une des vingt-quatre médaillons qui ornaient le monument édifié à la gloire du Roi sur l'actuelle place des Victoires (dont “L'Hérésie détruite, ou la révocation de l'Edit de Nantes”, pour ne mentionner que cet acte parmi les plus controversés, et qui affaiblit sans doute la France plus sûrement que les innombrables conflits qui ponctuèrent le règne).

Chateau de Versailles 2015

Toutefois en regard de cette vérité officielle, nous découvrons aussi la critique caustique émanant des caricaturistes des Pays-Bas, à travers plusieurs ouvrages. Tel Phaëton, le Roi Soleil a mené son char/ royaume à la perte. Il a d'ailleurs perdu l'appui de l'Angleterre, où Guillaume d'Orange a remplacé le catholique Jacques II : sur un dessin, ce dernier partage avec le souverain français le dos d'une mule, qui traduit leur impuissance face à ce cinglant revers. En France même, le Roi à peine mort est rapidement désavoué. Il avait tenté, dans son testament, de légitimer les enfants issus de son mariage avec madame de Montespan, et d'introduire ainsi le duc du Maine dans l'ordre successoral. Le Parlement de Paris rappellera aussitôt que le roi ne peut disposer de l'ordre des successibles : celui-ci demeure régi par les Lois Fondamentales du Royaume. Le testament est annulé, et le jeune Louis XV tient son premier lit de justice pour approuver cette sentence, comme le rappelle un des tableaux présentés. Philippe d'Orléans, dont le roi se défiait, se voit confiée la régence pleine et entière.

Chateau de Versailles 2015

On croise évidemment de nombreux portraits, dont le plus étonnant est assurément ce saisissant visage de cire garni de soie, dentelles et d'une perruque, intitulé “Portrait de Louis XIV à l'âge de soixante-huit ans”. D'autres tableaux, ainsi que des mannequins, nous instruisent sur la pratique très codifiée du deuil dans cette Cour qui en connut de nombreux, compte tenu de la durée du règne. On distingue les deuils “de famille” - pour les parents et alliés, et les deuils “de Cour”, qui marquent le lien envers les souverains étrangers alliés. Le noir intégral des habits signale le grand deuil, il est souligné par de larges manchettes, les “pleureuses”. Le demi-deuil ne concerne que le haut du corps, aboutissant à d'improbables mélanges de genres, la fantaisie luxuriante des habits de cour retrouvant aussitôt leurs droits sur le reste du corps. Pour sa part le Roi ne porte pas le deuil des descendants qui le précèdèrent dans la tombe...
D'autres salles encore sont dédiées aux aspects plus techniques de la dissection et de l'embaumement, après extraction du coeur et des viscères, conservés indépendamment du corps (et respectivement apportés à l'église des Jésuites de la rue Saint-Antoine, et à Notre-Dame, lors de cérémonies distinctes qui préfigurent l'inhumation solennelle). On peut relever enfin l'aspect didactique des dernières salles, consacrées à la tentative de restauration de la pompe funèbre royale qui accompagna le retour des Bourbons, et qui se traduisit par la réalisation de copies des artefacts anciens disparus à la Révolution : gants, éperons, épée... En regard de nombreux tableaux évoquent les funérailles nationales organisées par la jeune IIIème République, dans des “mises en scène” largement héritées de la pompe funèbre de la monarchie.

Chateau de Versailles 2015

Au fond n'est-il pas de meilleur hommage à ce pouvoir de catalyseur de la ferveur nationale que peut revêtir l'apparat funèbre, à l'heure où toutes les critiques se taisent pour chanter la louange du défunt ? Les dernières salles présentent des vidéos de funérailles solennelles d'hommes d'Etat organisées dans leur pays au XXème siècle : Kennedy, Brejnev,... Une rétrospective édifiante et bien documentée, à ne pas manquer.

Publié le 22 nov. 2015 par Bruno MAURY