La Fabrique du luxe: les marchands merciers parisiens au XVIIIe siècle

La Fabrique du luxe: les marchands merciers parisiens au XVIIIe siècle ©Musée Cognacq-Jay - PARIS
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«Vendeurs de tout, faiseurs de rien», selon les mots de Denis Diderot (1713-1784)



Le musée Cognacq-Jay propose de découvrir une corporation incontournable dans la diffusion de l’art et du luxe français au XVIIIème siècle. Son appellation de « marchand mercier » peut nous induire en erreur car le terme de « mercerie » évoque, de nos jours, des articles destinés à l’habillement, à la parure… mettant l’accent sur la notion de textile. L’ « Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers » (volume X, 1765), donne une définition plus large : « commerce de presque toutes sortes de marchandises. Un mercier est un marchand de tout et faiseur de rien. Ce corps est très nombreux ; c’est le troisième corps des marchands ; il a été établi en 1407 par Charles VI ». Dans un autre article (volume IV, 1754) concernant cette fois le mot « corps », il est écrit que «… dans le Commerce, se dit de plusieurs marchands ou négociants dans un même genre, qui forment une compagnie réglée par les mêmes statuts et soumises aux mêmes chefs ou officiers. Il y a à Paris six corps de marchands qui sont regardés comme les principaux canaux et instruments du commerce de cette grande ville ». Suit l’énumération, selon leur ordre d’importance : la Draperie, l’Epicerie, la Mercerie, la Pelleterie, la Bonneterie et enfin l’Orfèvrerie.

La scénographie de l’exposition propose de découvrir, en premier lieu, les statuts et l’organisation de cette corporation. La seconde salle explore leur rapport avec d’autres corporations au regard de l’exemple du « fleurissement ». Puis à quoi correspondent leur « goust » et la place stratégique qu’occupe une dizaine de personnalités dans la diffusion de l’industrie du luxe. Enfin, ce que fut leur stratégie pour se faire connaître et vendre leurs produits.

Entrons dans la première salle. En face de nous, une carte présente les principaux commerces de luxe et la localisation des enseignes dans le cœur de Paris (un secteur couvrant la rue Saint-Honoré jusqu’aux quais de Seine). Le Bureau de la corporation des merciers parisiens était établi rue Quincampoix. L’église du Saint-Sépulcre, alors située rue Saint-Denis (elle fut détruite lors de la Révolution), accueillait leur confrérie.


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Les lieux de la corporation parisienne. La carte présente les axes principaux du commerce du luxe et la localisation des enseignes présentées en exposition © Cyrille Suss, 2018


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Légende de la carte « Les Lieux de la corporation parisienne © Cyrille Suss, 2018

Rappelons que pour faire partie d’une corporation, il fallait être de nationalité française, de confession catholique, avoir suivi un apprentissage et réalisé le tour de France. Les membres se pliaient à des statuts définis par le roi. Une vitrine en expose plusieurs exemplaires. Ainsi, celui promulgué par Louis XIII en 1613 leur accorde, entre autre, des armoiries. Sont également exposés un missel spécifique à l’usage des membres de la corporation… un arrêt de la Cour (janvier 1724) prohibant l’usage des tissus appelés « indiennes »… deux jetons, l’un en cuivre l’autre en laiton, portant la figure de leur saint patron, Saint Louis.

Sur notre droite, la reproduction photographique d’un tableau de Charles Le Brun (1619-1690), « La Résurrection du Christ » (1674/76). Louis XIV et Colbert avaient fait appel à la générosité de la corporation afin de contribuer aux dépenses de guerre (contre de la couronne espagnole lors de la campagne de Franche-Comté). Colbert remboursa l’emprunt et ajouta une prime ce qui permit aux marchands merciers de commander cette œuvre destinée au maître autel de leur église. Ce tableau reprend les codes des œuvres votives. Focus sur trois d’entre eux. Louis XIV arborant les insignes de son pouvoir (manteau fleurdelisé, armure de commandant), présente les prises de guerre au Christ sorti de son tombeau, en présence de son aïeul Saint-Louis. Au premier plan sur la droite, Colbert montre du doigt un coffret rempli de bijoux, une urne en or et des pièces d’or et d’argent qui représentent les avantages économiques procurés par la paix. Dans l’angle inférieur gauche, nous distinguons les armoiries des marchands merciers : trois navires symbolisant leur rang dans les Six Corps.

La « mercerie » touche au domaine du décor. Les merciers recourent à d’autres corporations pour livrer à leur riche clientèle des objets à la dernière mode. Ils n’avaient aucun droit de fabrication mais étaient autorisés à assembler, voire transformer des objets. Ils devenaient ainsi le dernier maillon d’une chaîne les liant à plusieurs corps de métier. C’est ce que propose d’évoquer la seconde salle au travers de l’exemple des fleurs, tant pour le textile (tels ce tour de cou en taffetas de soie ou ce rouleau de passementerie) que pour celui de la porcelaine. Ces fleurs « façon de Saxe », en boutons ou épanouies, sont montées sur des objets décoratifs. Sont exposés un candélabre (vers 1750) garni d’un oiseau et de multiples fleurs… une cage (vers 1750/51) en fer peint et porcelaine… Une paire de candélabres en porcelaine tendre et bronze doré (vers 1752/53) d’après des dessins de François Boucher (1703-1770) : « La petite fille à la cage » et « Le porteur d’oiseaux ». Nous avons évoqué la thématique de ces enfants dans notre chronique consacrée aux pastels (publiée le 30 juillet 2018). La gamme chromatique y est très large et d’une délicate douceur. Ces pièces assurèrent le succès de la manufacture de Vincennes dont le privilège royal, obtenu en 1747, lui offrait l’exclusivité des commandes pour la France. Son catalogue proposait plus d’une soixantaine de modèles de fleurs ! Cet atelier sera fermé en 1753. Au sortir de la salle, une photo de l’exceptionnel bouquet de quatre cent soixante-dix fleurs de porcelaine, dit « bouquet de la Dauphine » (1749).


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Cage à oiseaux (vers 1750-1751), Anonyme. Fer peint et porcelaine © Musée des Arts Décoratifs, Paris

La troisième salle évoque la personnalité de ces marchands merciers, dénombrant une dizaine de noms et de familles, leur domaine de prédilection et leur capacité à constituer un stock propre à fidéliser la clientèle. Ce sont des marchands de tableaux ou d’objets d’art qui tiennent le haut du pavé. Les métiers dédiés au luxe voient les boutiques localisées dans un périmètre resserré autour du centre historique de la capitale, au croisement des axes reliant les portes Saint-Denis et Saint-Jacques et les portes Saint-Honoré et Saint-Antoine. Les demeures des aristocrates y sont nombreuses. Faire la tournée des boutiques est une des occupations mondaines de la noblesse ! Ne dit-on pas que dans les années 1780, la visite de ces boutiques fait également partie de l’itinéraire des visiteurs étrangers.

Alors quels sont ces personnalités ? Laurent Danet (vers 1650-1720) est spécialiste en pierres dures somptueusement montées en métal précieux telle cette « Coupe en jade en forme de coquille » (vers 1687) à monture en argent doré et émaillé. Des photos présentent divers objets qu’il a procurés à Louis XIV ou à la famille royale voire à des clients étrangers (dont la famille princière de Wittelsbach) : un camé antique remonté au XVIIème siècle… une pendule en argent partiellement dorée et ornée de pierres précieuses… Mais il ne sut pas se mette au « goût du jour » et proposer des nouveautés.

Porcelaines, meubles, objets en laque forment l’essentiel des marchandises proposées par la famille des Julliot. Est présentée une paire de vases en porcelaine céladon (vers 1775) provenant de Chine (époque Ming, XIV-XVèmes siècles) sur une monture en bronze doré, parfaite alliance de l’Orient et de l’Occident et de l’imagination de Claude François Julliot. Nous devons à l’un de ses fils, Philippe François, deux dessins aquarellés : celui d’un vase en marbre jaune antique (1782) et celui en vue d’un projet de meuble d’appui (1784). Remarquons la finesse, la précision du coup de crayon : les têtes de béliers formant les anses du vase, les corbeilles de fruits ou de fleurs ornant le meuble.

Autre dynastie, celle des Darnault. François ( ?- 1758) tenait un commerce étroitement lié au travail des glaces de Saint-Gobain. Est présenté un «Tarif imprimé du prix des glaces » (1758), ouvrage relié, en maroquin rouge avec dorures. Son fils François Charles lui succède, devenant le « seul miroitier ordinaire des Menus-Plaisirs ». Ses fils, Jean François et François Marie, suivent les travaux d’aménagement du palais du Luxembourg que Louis XVI a cédé à son frère, le Comte de Provence (futur Louis XVIII). Est présentée une « Commande de l’état des glaces pour le service de Monsieur » (1787). Il s’agit d’un document manuscrit, très détaillé, destiné à la préparation du montage des boiseries. Egalement, un « meuble d’encoignure » (vers 1785) en ébène, laque du Japon (une scène sous un large parasol), bronze doré (colonnettes et couronnes végétales) et plateau de marbre blanc. Un meuble caractéristique de l’association des merciers et des artisans d’art !

Thomas-Joachim Hébert (1687-1773) eut un rôle considérable dans l’essor des objets de grand luxe, notamment en livrant des meubles en laque du Japon pour les Menus-Plaisir ou le Garde-Meuble de la Couronne. Photos d’une table à écrire pour la Dauphine Marie-Josèphe de Saxe ou d’une commode livrée à la Reine Marie Leszczynska, ainsi qu’une fontaine à parfum en porcelaine céladon sur monture en bronze doré, livrée en 1743 pour la garde-robe de Louis XV. Est exposée une encoignure (vers 1743) destinée à la « chambre bleue » de Mme de Mailly (une des maîtresses de Louis XV) au château de Choisy. La bichromie de ce meuble se fondait avec l’étoffe (alternant raies bleues et blanches) qui tendait les murs de la chambre. Le décor de « chinoiseries » suivait les goûts de sa propriétaire.


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Encoignure (1743), Estampillée Matthieu Criaerd, livrée par Thomas-Joachim Hébert en 1743 pour la chambre bleue au château de Choisy. En 1791, restaurée par Guillaume Benneman afin de servir dans le cabinet de Mme Elisabeth à Fontainebleau. Bâti de chêne, placage de bois fruitier, vernis martin, bronze argenté, marbre. Musée du Louvre © RMN-GP (Musée du Louvre)

Simon Philippe Poirier (vers 1720-1785) appartenait à une dynastie d’orfèvres et avait pour oncle Th-J Hébert ! Pour les mobiliers de grand luxe, il faisait travailler les meilleurs ébénistes dont Joseph Baumhauer ( ?-1772). Une photo présente une commode à trois vantaux en chêne, laque du Japon et bronze doré (vers 1765), destinée au marquis de Marigny. Il eut l’idée de commander des porcelaines spécialement conçues pour être montées en bronze doré ou des plaques destinées à garnir certaines pièces de mobilier. La comtesse Du Barry fut une de ses fidèles clientes. Elle lui commanda une pendule (présentée ici) à colonne ornée de figures en biscuit tendre de Sèvres qu’elle offrit au comte et à la comtesse de Provence, nouvellement mariés (1771).

Lazare Duvaux (vers 1703-1758) loue une boutique appartenant à Th-J Hébert et dispose d’une clientèle fidèle. Il propose des expositions de prestige qui font sa renommée… Celle-ci et sa réussite commerciale sont aussi dues à deux clients illustres, Louis XV et Mme de Pompadour. Il devient rapidement le plus grand revendeur de porcelaine de Vincennes, devenues de Sèvres en 1763. Son nom est même associé à des formes particulières : le déjeuner et le pot-pourri, dits de Davaux ! Plusieurs de ces pièces sont présentées ici. Une assiette à petites palmes et décor d’oiseaux du « petit service vert » (1758)… deux vases « à oreilles » en porcelaine tendre à décor bleu et or et dessin de putti (1755)… un charmant groupe, « Le Flûteur » en biscuit de porcelaine et son vase décoré d’un bouquet de fleurs identiques à celles vues au début de l’exposition (vers 1752/53).

Charles-Raymond Granchez est expert dans les pièces d’importation anglaise. Les arts de la table sont à l’honneur dans sa boutique, au milieu de meubles, d’horloges, et d’accessoires divers et variés composés de matières nouvelles. Telle cette paire de flambeaux (vers 1780) en bronze ciselé, doré et argenté.

Dominique Daguerre (vers 1740-1796) reprend, en juin 1753, l’entreprise de Poirier et bénéficie bien évidemment de sa clientèle tant française (principalement la Cour) qu’internationale (le futur tsar Paul Ier ou le roi et la reine de Naples). Nous pouvons admirer une paire de bras de lumière « à figure d’enfant portant deux lumières en bronze doré d’or mat, les figures de bronze de couleur antique » qui fut livrée, en août 1789, pour le cabinet de Marie-Antoinette au château de Marly. Daguerre joue un rôle certain dans l’introduction du style anglais en France. En témoigne cette lanterne magique (vers 1790/1800) en acajou, bronze patiné et doré et porcelaine de Wedgwood. Il était devenu, en 1787, le représentant exclusif de l’entreprise Wedgwood à Paris.

Jean Dulac (1704-1786), bijoutier-mercier et marchand privilégié du roi, fut autorisé, à ce titre, à vendre au détail les productions de la manufacture royale de Sèvres. Il associe, lui aussi, son nom à des formes particulières telles que les « vases cloches ». La paire de « vases-girandoles » (vers 1770) présentée ici en est typique : monochromie du vase (bleu nouveau, bleu céleste ou vert imitant les porcelaines chinoises), monture en bronze doré dans le goût antique. Ici, le couvercle ôté laisse apparaitre un chandelier.


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Vases-girandoles, Manufacture royale de porcelaine de Sèvres ; Jean Alexandre Dulac Paire de vases-girandoles dits « vases Dulac », vers 1770. Porcelaine de Sèvres, bronze doré © RMN-GP (Château de Versailles)

Divers catalogues sont présentés pour l’un ou l’autre de ces marchands-merciers. Sur le « bureau plat » (vers 1725), au milieu de la salle, est ouvert un recueil d’échantillons de la collection du duc de Richelieu. Portant la mention « 1735, Garderobbe du Roy du Portugal. Etoffes achetées a Paris, ou les habillemens ont été faits et ensuite envoyés en Portugal ». A côté de chaque échantillon sont inscrits la qualité du tissu - « étoffes d’or » ou « velours »- ainsi que le prix de l’aune (environ 1, 188 m à Paris).

La quatrième salle est dévolue aux stratégies menées pour innover, se faire connaître (la publicité) et gérer les stocks. N’oublions pas le contexte dans lequel vivent ces marchands-merciers, contexte qui est celui de la concurrence. Notons que ces enseignes, même concurrentes, évoluent aussi amicalement que possible au sein de la corporation. Néanmoins, pour prospérer, il est nécessaire de se faire connaître et cela par divers moyens.

D’abord par l’enseigne qui va permettre d’attirer l’attention d’un éventuel client. Elle est généralement placée au-dessus de la porte d’entrée mais n’indique pas la nature des marchandises qui y sont vendues ! Ainsi « A la couronne d’or » pour la boutique de Poirier, reprise en 1777 par Daguerre… « Au petit Dunkerque » pour celle de Grancher sur le quai Conti. Nous pouvons admirer cette dernière (H 60 x L 65 cm) : datant de 1767, elle est en fer étiré, repoussé découpé avec des rehauts d’or et représente un trois mats.


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Enseigne « Au petit Dunkerque », Anonyme, Deuxième moitié du XVIIIe siècle, reprise au XIXe siècle. Fer étiré, repoussé, découpé, polychromie, rehauts d'or, EN87, Date d’acquisition : 04/06/1914 © Musée Carnavalet – Histoire de Paris

Il faut ensuite s’approcher de la vitrine où sont présentés des objets pouvant attirer l’attention du chalant. Mais ce n’est pas suffisant car il convient aussi de se faire connaître au-delà de sa rue ! La carte-adresse est alors nécessaire (voir celle présentée au début de notre visite, « Au grand Monarque » datée de 1698) ! Comme notre carte de visite, elle indique le nom de l’enseigne et celui du marchand ainsi que le nom de la rue (n’oublions pas que les rues ne portaient pas de numérotation). Y est indiquée la liste, plus ou moins détaillée, des marchandises vendues. Elles vantent souvent les marchandises proposées, cela au travers de quatre critères : la variété, la qualité, la nouveauté et le prix souvent indiqué comme « convenable ». Critères ou arguments que l’acheteur du XXIème siècle retrouve aisément ! Ces cartes peuvent être reprises comme en-tête de facture voire comme étiquette collée sous les meubles.


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Factures, étiquettes et cartes commerciales provenant de commerces de luxe à Paris au XVIIIème siècle © Exposition « La Fabrique du luxe : les marchands merciers parisiens au XVIIIe siècle » - Musée Cognacq-Jay

Enfin, l’annonce. C’est Edme François Gersaint (1694-1750) qui sera le premier à utiliser la presse pour se faire connaître. Entre 1727 et 1744, il publie dix-huit textes dans le Mercure de France. « En faisant l’éloge de ses marchandises, de son exigence, du respect de ses clients, Gersaint transforma l’annonce classique en annonce marchande. » (Stéphane Castelluccio, in catalogue). Cette publicité commerciale se cache également au dos de cartes à jouer. Ainsi celles présentées : pour l’enseigne « A l’Etoile d’or » au verso du valet de cœur… « Aux armes de France et à la Ville de Rouen » au verso du huit de cœur. Et n’oublions pas le catalogue, tel le « Catalogue raisonné de coquilles et autres curiosités naturelles » publié en 1736 pour Gersaint.

Notons cependant que la plupart les marchands-merciers n’ont pas recours à ces encarts publiés dans les gazettes ou journaux qui sont le plus souvent à diffusion mensuelle. D’ailleurs, ces formes de publicités n’évitent nullement un certains nombres de faillites ! Néanmoins, la solidarité joue un rôle non négligeable avec le rachat de stocks suite à un dépôt de bilan ou le décès d’un confrère.

Il est aussi question, dans cette salle, de projets décoratifs sans que l’on sache exactement qui peut être à l’origine de ceux-ci. Par exemple, un « projet de lustre et applique » (vers 1775) : plume et encre brune, lavis brun et rehauts bleu sur papier dont l’auteur est anonyme. Celui de « trophées allégoriques » qui porte la signature de son auteur, Jean-Charles Delafosse (1734-1791. Une étude préparatoire pour « L’enseigne de Gersaint » (vers 1720) de la main d’Antoine Watteau (1684-1721). Cette sanguine, pierre noire et craie blanche présente deux scènes à gauche du tableau : un personnage tient un miroir, l’autre dépose un portrait dans une caisse posée sur le sol.


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Etude préparatoire pour « L’Enseigne de Gersaint », (1720), Jean-Antoine Watteau, Sanguine, Pierre noire et craie blanche sur papier © Musée Cognacq-Jay/Roger-Viollet (inv. J195), Paris

Ici se termine l’exposition en elle-même. Nous pouvons poursuivre notre découverte par la visite des collections permanentes, puis par la montée vers le grand Comble.

Rappelons que le couple Théodore-Ernest Cognacq (1839-1929) et Marie-Louise Jaÿ (1838-1925) fonde en 1870 le grand magasin La Samaritaine, crée en 1916 une Fondation philanthropique toujours en activité puis, en 1920, le prix Cognacq (géré par l’Institut de France) pour récompenser les familles nombreuses. Le couple réunit une importante collection d’œuvres d’art du XVIIIème siècle qui sera donnée à la ville de Paris en 1928. Elle sera transférée, en 1986, dans l’Hôtel Donon rue Elzévir, le musée ouvrant ses portes en 1990.

Nous retrouvons, au fil des collections, des œuvres en lien avec l’exposition. Elles sont indiquées par une signalétique spécifique. Une porcelaine chinoise émaillée, « Phénix posé sur un rocher » (vers 1750). Un fauteuil dit « à la reine » (vers 1775/80) en hêtre doré et tapisserie. Une pendule à cadran horizontal (vers 1785) en cuivre, bois, émail bleu et bronze doré. Un pot-pourri (vers 1750) en céladon monté sur du bronze doré… et bien d’autres encore !

Si nous gravissons l’escalier pour accéder au grand Comble, une surprise nous attend : la reproduction en relief (à l’échelle 1) de l’enseigne du marchand Gersaint, une huile sur toile de grandes dimensions (163 x 308 cm). Mais qui est ce marchand-mercier ? Edme François Gersaint est établi sur le Petit-Pont lorsqu’un incendie détruit l’ensemble des maisons. Il transfère alors sa boutique dans la rue du Pont-Notre-Dame, en 1720. Il la nomme « Au Grand Monarque » et y abrite toutes sortes de marchandises : tableaux, gravures, meubles, tissus (des indiennes). Puis « A la Pagode » lorsque son stock se tourne plus vers les exotismes. Il propose également de nombreux bijoux telle cette parure de diamants dont la gravure sera reproduite dans un de ses catalogues.


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Etude préparatoire pour « L’enseigne de Gersaint », Jean-Antoine Watteau, Huile sur toile, 163x306cm © Schloss Charlottenburg, Berlin

Assis face à cette reproduction nous pouvons contempler une représentation idéalisée de la boutique ouverte sur la rue : en arrière-plan des pastiches de tableaux (ils permettent de réaffirmer l’importance de l’art pictural)… un comptoir où ont lieu des transactions, ici un nécessaire de toilette et une glace, avec la présence du marchand lui-même… un couple, de dos, examine un tableau. Tous ces couples sont très élégants, comme en témoignent les robes de satin… Au premier plan, à droite, un chien s’épuce alors qu’à gauche un couple entre dans la boutique où des employés s’affairent. L’un d’eux emballe le portrait officiel de Louis XIV. Le second tient à bout de bras un miroir. Une vidéo explicative permet d’approfondir nos connaissances sur ce tableau.


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Reproduction idéalisée (théâtralisée) de « L’Enseigne de Gersaint » © Studio Tovar, La Madeleine (59)

La scénographie repose également sur la différenciation des couleurs, chaque salle déployant la sienne (rose poudré, vert céladon, parme pâle, jaune paille). Aux murs, des arbres généalogiques simplifiés donnent à connaître la composition des familles de marchands-merciers. De même, les biographies de leurs principaux représentants en rapport avec la présentation d’objets qu’ils proposaient à la vente. Une seule réserve partagée avec d’autres visiteurs (selon ce qui est écrit sur le livre d’or de l’exposition) : il y a surabondance de textes à lire !

Une petite centaine de documents (archives, œuvres d’art) décline un univers du luxe où les marchands merciers sont au cœur d’un réseau (commanditaire, artisan et artiste), où ils développent ces mêmes réseaux grâce à divers mécanismes (osons le terme de « promotion publicitaire » !) qui sont encore les nôtres ! Ils ont contribué à faire de Paris un lieu majeur du luxe qui fait encore et toujours sa réputation !



Publié le 07 déc. 2018 par Jeanne-Marie Boesch