Geste baroque - Collections de Salzbourg

Geste baroque - Collections de Salzbourg ©Dessinoriginal.com - Musée du Louvre
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Le Louvre… Aile Vivant Denon, premier étage… mais encore ? Escalier Mollien puis à droite de celui-ci… mais encore ? Il n’y a point d’indications… mais le personnel est présent pour nous guider et… enfin… une grande affiche pour indiquer que « le geste baroque » n’attend plus que notre visite !

Une exposition intimiste puisque seules deux salles lui sont consacrées. Est-ce dû à l’heure tardive (une fin d’après-midi) mais les visiteurs ne sont pas nombreux ce qui permet d’observer, de goûter au plus près les œuvres exposées et ainsi d’en admirer les détails !

Réunissant une centaine œuvres de provenance autrichienne, l’exposition évoque les chantiers conduits à Salzbourg à partir de la fin du XVIIe siècle puis au cours du siècle suivant. Dans cet espace géographique, un foyer de création extrêmement fertile est né et nous le devons tant aux commandes du pouvoir laïc qu’au pouvoir religieux qui ont su attirer à eux des grands maîtres du génie baroque. Rappelons que cette cité millénaire doit sa fortune au commerce du sel (ainsi que son nom l’indique) ce qui lui a permis de mettre en œuvre de nombreuses et somptueuses dépenses de prestige. Sans oublier qu’à la fin du XIIIème siècle, l’archevêque Rodolphe Ier de Habsbourg avait obtenu la dignité de prince du Saint Empire, son diocèse devenant alors une principauté ecclésiastique.

L’essentiel des œuvres présentées sont des dessins, des esquisses ainsi que des bozzetti (que l’on peut traduire par ébauches, essais voire maquettes) sculptés des collections des musées de la ville. Ils témoignent des différentes phases d’élaboration de décors peints ou de sculptures. Elles prouvent le talent d’artistes qui œuvrèrent, chacun dans leur domaine, au décor de nombreux édifices religieux (églises, abbayes ou couvents), mais aussi de palais et de demeures aristocratiques. Ces maîtres qui furent particulièrement recherchés à leur époque sont, pour la plupart, largement inconnus dans notre pays ! Chez les peintres, nous retrouvons cette gamme chromatique, si chère à la peinture baroque, qui fait vibrer la lumière naturelle. Même au travers des ébauches de statues installées dans les vitrines, la sculpture accorde à la gestuelle et à la polychromie (cf. le « Christ de douleur » de Johann Meinard Guggenbichler) une place de toute première importance, soutenue par les thèmes de la Contre-Réforme. Et nombreuses sont les esquisses qui permettent de s’immerger véritablement dans l’esprit et le geste baroques.
Précisons que deux écrans vidéo permettent au visiteur, dès l’entrée, une promenade découverte de la ville de Salzbourg puis, à la fin de la visite, de replacer, « in situ », certaines œuvres présentées, permettant de se faire une idée de la réalité.

Entrons maintenant dans l’exposition : une maquette (due à Johann Ruppert Fontaine, vers 1795) nous permet de découvrir la topographie particulière du site de la ville de Salzbourg entourée de collines, dominée par un château-fort et s’inscrivant dans une étroite boucle de la Salzach ; ville encaissée, le développement urbain y est concentré. Cette maquette offre une image colorée, comme animée, de son paysage architectural.

Une planche du « Prospectus elegantiores » (Johann Baptist Homann, vers 1710) présente, en onze vues colorées, des édifices construits après 1709. Plusieurs planches à la plume et encre brune (Frants Anton Danreiter, 1695-1760) nous permettent d’admirer la façade de la cathédrale, de l’abbaye bénédictine du Nonnenberg, de l’église de l’Hôpital et d’autres, sans oublier une vue du château de Leopoldskron. Tous ces édifices concourent à faire de Salzbourg une des perles du baroque européen.

Plusieurs médailles et reliefs en laiton doré présentent les princes-archevêques qui ont régné durant cette période. Plus curieux, un « objet » en bois doré (attribué à Johann Georg Hitzl, vers 1760-1770) sert de cadre au portrait du prince-archevêque Sigismund III Christoph von Schrattenbach : ce portrait en ivoire sous plaque de verre n’est pas sans rappeler l’hostie au centre de l’ostensoir ! Les insignes cardinalices et les armoiries du prince surmontent le portait ; des allégories à sa gloire (canons et tambours dans le bas), deux puttis portant les attributs des saints patrons de la ville (saint Ruppert avec son tonneau de sel et saint Virgile avec une cathédrale miniature) et une allégorie de l’Eglise complètent l’ensemble.

L’ostensoir dit « Pretiosenmonstranz » (Ferdinand Sigmund Amende, 1697) attire l’œil du visiteur : son décor inhabituel, la finesse de la ciselure et le nombre de pierres précieuses en font un véritable bijou (signalons que cet ostensoir est encore utilisé de nos jours lors de processions à la fin du mois de mai). Cette exubérance se retrouve dans le chandelier pascal (attribué à J.G. Hitzl, vers 17750-1760) destiné à la cathédrale. Remarquons ici aussi la finesse du travail de l’orfèvre tel cet angelot tenant un drap où nous pouvons admirer tous les détails du visage du Christ !

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Ferdinand Sigmund Amende, Ostensoir, 1697, or coulé et repoussé, émail (croix), laiton peint (structure), pierres précieuses, 74,8 x 28,8 x 20 cm. Salzbourg, Domschatz (trésor de la cathédrale) © Dommuseum Salzburg / J. Kral

Plus délicate, plus élégante est la statuette en albâtre de la « Vierge immaculée » (Johann Baptist Hagenauer, vers 1787) ; il s’agit d’une réplique de sa sculpture (1771) pour le monument à Marie sur la place de la cathédrale. Nous pouvons d’ailleurs admirer le premier projet non réalisé (dû à Johann Lucas Von Hildebrandt) d’une colonne avec en son sommet une Marie triomphante, couronnée d’étoiles mais humble ; les bas-reliefs, à la base, ont pour thème l’Eglise et l’Hérésie.

Que dire de cet étonnant couvercle de sarcophage en forme de squelette (Hans Conrad Asper, 1624) qui, au milieu de la première salle, accroche notre œil ? Cette représentation d’un squelette permet de mêler la vie et la mort d’une façon quasi réaliste ! L’aspect massif et imposant de la sculpture se conjugue avec l’expressivité d’un « gisant » si particulier et finement ciselé (la tête ne va-t-elle pas se relever,… les os de la main délicatement posés sur le drap qui recouvre les jambes,….)


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Hans Conrad Asper, Couvercle de sarcophage en forme de squelette, 1624. Marbre d‘Untersberg, 45 x 184 x 60 cm. Salzburg Museum © Musée de Salzbourg / Rupert Poschacher

Trois petits tableaux -« Adieu des apôtres, Pierre et Paul » (vers 1777), « Prière d’intercession de saint Pierre, saint Paul et saint Benoit auprès de la mère de Dieu et l’Enfant Jésus » (vers 1777) et «Vierge à l’Enfant, saint Benoit, saint Pierre et saint Paul » (vers 1778)- témoignent du talent Martin Johann Schmidt, dit Kremser Schmidt tant dans la composition presque identique de ceux-ci, que par de rares touches de couleur (vêtements des saints) ou de lumière qui illuminent le haut du tableau.

Dans la seconde salle, sont présentés des statuettes préparatoires, de nombreuses esquisses ainsi que de grands tableaux. Mais notre regard est immédiatement accroché par un « Christ de douleur » en bois sculpté (Johann Meinrad Guggenbichler, vers 1703) qui émeut particulièrement. Le supplicié se tient debout devant nous, portant tous les attributs de son supplice : le manteau royal, la couronne d’épines (surmontée d’une couronne de gloire), le sceptre de joncs que tiennent ses mains liées. Les blessures sanglantes participent au pathos coloré.

Divers bozzetti témoignent de la richesse créative des artistes tels les « anges adorateurs » de Michael Küntz le Jeune (1682). « Le palefrenier maîtrisant un cheval » (Michael Bernhard Mändl, 1694-1695) est en bois de tilleul teinté d’argile rouge ; il présente un cheval aux muscles saillants dont la posture témoigne de sa vigueur. Le palefrenier, qui porte un tapis de selle, a le regard fixé sur le cheval. Il s’agit d’un bozzetto pour la statue centrale de l’abreuvoir princier situé près de l’ancienne écurie de la Cour.


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Michael Bernhard Mändl, Statue centrale du bassin des chevaux près de l’ancienne écurie de la Cour, 1694-95. Bois de tilleul teinté de bol d’Arménie, hauteur 27 cm. Salzburg Museum © Musée de Salzbourg / Rupert Poschacher

Autres travaux préparatoires présentés, des esquisses dont la finesse du trait ne peuvent que nous ravir : l’ « Allégorie du peintre » (Johann von Spillenberger, 1667) où une figure féminine, vêtue d’un léger drapé, tient une couronne de lauriers dans sa main gauche levée alors que la droite essaie de soulever les instruments de l’artiste qui gisent au sol et sont retenus par une femme allongée… Un sablier symbolise le temps qui court, le tout évoquant la difficile condition de l’artiste entre l’aspiration naturelle à la gloire et les contingences matérielles. Remarquons à la fois la finesse des traits et leur profondeur.


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Johann von Spillenberger, Allégorie du peintre, 1667. Crayon, pinceau gris, découpé tout autour, 145 x 173 mm. Salzburg Museum © Salzburg Museum / Rupert Poschacher

Des dessins, à la plume et encre brune, dû à M.J. Schmidt, dit Kremser Schmidt ouvrent sur une « Scène de maison close » (1740) puis « La Cène » (fin des années 1740). Le premier présente une scène de couple, une scène de séduction où trois courtisanes d’âge différent appellent trois hommes à les suivre. Plus loin, « Quatre scènes de la vie du Christ » (début des années 1750) témoignent de la vivacité du style de l’artiste : la feuille est divisée en quatre parties de taille identique où sont tracées les grandes lignes d’une future composition picturale. La plume utilisée pour les dessins du haut s’avère différente de celle du bas. Nous pouvons également remarquer que l’artiste propose des solutions différentes, comme une sorte d’alternative à la composition initiale ! Sont également exposés six dessins, d’une tonalité plus légère, montrant un groupe de joyeux putti jouant.

Sans oublier les projets dessinés de Johann Bernhard Fischer von Erlach telle cette mine de plomb (1709-1710) pour l’élévation du maître-autel de l’église des Franciscains ou ceux de Hildebrandt pour le château de Mirabell.

Arrêtons-nous sur les grands tableaux présentés ; la plupart d’entre eux sont dû au pinceau de Johann Michael Rottmayr (1654-1730). « L’Archange Michel » (1697) a pour sujet la chute de l’ange rebelle, Satan, aux enfers. L’axe vertical de la composition participe à cette chute d’une grande violence ainsi que le jeu de lumière, l’obscurité infernale s’opposant à la clarté lumineuse du ciel. Les coloris y prennent part également : les teintes blafardes du corps de l’ange déchu ainsi que son rictus s’opposent aux teintes bleues du vêtement de l’archange, à son regard chargé de colère alors qu’il brandit un éclair de sa main droite, tenant dans l’autre un bouclier où se réfracte la lumière.

Le « Triomphe de la Vierge Immaculée » et « Le Christ parmi les docteurs » (tous deux de 1697), deux huiles sur toile, ont en commun leurs dimensions rectangulaires. Dans le premier, la Vierge se tient debout, en pleine lumière, sur un globe terrestre dont le bleu s’accorde avec celui de son vêtement. Au-dessus d’elle, Dieu le Père, la colombe du Saint-Esprit et des anges ; au-dessous, des allégories de la fausseté, de la vanité, représentée avec un paon, sur la droite (partie du tableau qui sert de jaquette au catalogue)… le diable avec Adam qui tient la pomme face au serpent sur la gauche. Dans le second, Jésus rayonnant est au milieu des docteurs de la Loi, l’un le regardant au travers d’une sorte de loupe, un autre consultant avec circonspection un ouvrage… Marie, en mère inquiète, se tient à sa droite, la couleur de son vêtement reprenant celle de son fils. Joseph est debout derrière elle, le dos courbé. Nous pourrions presque voir ici comme deux tableaux : le groupe de Marie et Joseph d’un côté, celui de Jésus expliquant les tables de la Loi aux docteurs rassemblés autour de lui de l’autre côté.


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Johann Michael Rottmayr, Triomphe de la Vierge immaculée, 1697. Huile sur toile, 148,5 x 223 cm. Salzburg Museum © Musée de Salzbourg / Rupert Poschacher

Dans « La Glorification de saint Charles Borromée » (vers 1721), J.M. Rottmayr offre une composition en trois registres : la zone terrestre où sévit une épidémie de peste et une célébration de l’Eucharistie pour l’endiguer; la zone médiane où saint Charles Borromée flotte sur un nuage entouré d’anges ; puis le ciel où trône un Jésus de gloire. Sur le côté droit de la toile, sont représentés l’église de l’Université et la colline de l’Untersberg qui permettent d’identifier la ville de Salzbourg.

Nous retrouvons l’importance du culte marial avec « L’Assomption de Marie » (après 1738) de Martino Altomonte avec, là aussi, une composition en trois zones : des apôtres qui regardent le tombeau vide alors que d’autres scrutent la montée de la Vierge au ciel puis la Sainte Trinité qui accueille cette dernière. Les couleurs et la luminosité participent à cette composition : couleurs chaudes pour les vêtements des apôtres, tons pastels pour ceux de Marie, Dieu le Père et Jésus… ombre pour la scène qui se passe sur la terre et pleine lumière pour l’ascension au ciel.

Trois œuvres de Paul Troger (1698-1762) s’offrent ensuite à notre regard. « La Résurrection du Christ » (vers 1740), esquisse destinée à une coupole, ce que suggère sa forme ovale : au centre, un Christ diaphane sort de son tombeau tenant dans sa main le drapeau de la Résurrection ; il offre ainsi l’illusion de la lumière céleste face aux ténèbres de la mort où nous retrouvons les symboles du squelette, pour la mort, ou du paon, pour la fierté.

C’est avec « Daniel défendant Suzanne » et « Le jugement de Salomon » (tous deux de 1749) que notre visite s’achève.

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Jugement de Salomon (Salomons Urteil), Paul Troger, Salzburgmuseum. GmbH, Salzburg, © D. R.

Ces tableaux ont le même thème : des scènes de jugements tirées de l’Ancien Testament qui symbolisent à la fois la diffamation et la justice. Daniel se tient au centre du tableau comme pour séparer la scène : sur la gauche nous voyons les deux vieillards, convaincus de mensonge, dans la pénombre alors que Suzanne, innocente mais les mains encore liées, est baignée de lumière. La mise en scène du jugement de Salomon est portée par des points de lumière, des regards ou des attitudes qui attirent notre œil : la femme qui se jette au-devant du trône faisant écho au soldat qui, en pleine lumière, brandit l’enfant par le pied… le doigt tendu de Salomon alors que ce dernier est dans la pénombre tout comme l’enfant mort qui gît abandonné sur le devant de la scène… La « fausse » mère apparait comme insignifiante par sa mise à l’écart. Le bleu de la robe de la « vraie » mère ou les taches de brun et de rouge participent également à l’atmosphère.

Bien souvent le nom de Salzbourg est synonyme de musique puisque la ville vit naître Wolfgang Amadeus Mozart en 1756. Mais ce serait trop réducteur de la cantonner à cela ! Elle fut aussi la ville de l’architecture, de la sculpture et de la peinture au point d’être considérée comme la « Rome du Nord » et surnommée la « perle du baroque européen ». Le parcours offert par cette exposition permet de redécouvrir, en les mettant en lumière, des créateurs qui ont œuvré auprès des princes-évêques au temps de la splendeur de Salzbourg ainsi que de partir à la découverte de ce que fut le « geste baroque » dans ce foyer de féconde création artistique.



Publié le 26 nov. 2016 par Jeanne-Marie Boesch