Greuze, l'enfance et la famille

Greuze, l'enfance et la famille ©Exposition Greuze, l'enfance et la famille - Galerie Eric Coatalem - 75008 PARIS
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C’est dans les murs de la Maison Cailleux (illustre maison fondée en 1912 et consacrée à la peinture française du XVIIIème siècle) que s’est installée la Galerie Eric Coatalem, spécialisée dans les dessins, tableaux et sculptures des maîtres français du XVIIe au XXe siècle. Elle a, depuis 1994, présenté plusieurs expositions monographiques. Par ailleurs, elle publie, chaque année, un voire deux catalogues dévoilant ses nouveautés. Nous permettant de redécouvrir des artistes peu connus tels Lubin Baugin (1610-1663) ou Louyse Mouillon (1610-1696), Anne Vallayer-Coster (1744-1818). Nous avons eu l’occasion de croiser ces trois artistes lors de l’exposition du Louvre, une histoire de la nature morte (chronique publiée en janvier 2023). D’autres encore, plus connus, tels Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) ou Hubert Robert (1733-1808).

En cette fin d’année, Eric Coatalem s’étonne qu’il n’y ait jamais eu d’exposition consacrée à Jean-Baptiste Greuze (1725-1805). Hormis la rétrospective organisée au Musée des Beaux-Arts de Dijon à l’été 1977. Nous avons admiré quelques-unes des œuvres de cet artiste en visitant l’exposition dédiée aux Pastels du Louvre (chronique publiée en juillet 2018), puis celle du musée Jacquemart-André consacrée à L’Empire des sens (chronique publiée en juillet 2021). La galerie offre à notre regard une soixantaine d’œuvres en avant-première du tricentenaire de la naissance de Greuze. Certaines pièces inédites sont exposées grâce à la générosité de collectionneurs privés. C’est pour cette raison que l’illustration iconographique de notre chronique sera réduite, les propriétaires ne souhaitant pas la diffusion d’images de leur bien.

Cette exposition est conçue selon le principe de la monographie. Accrochage permettant d’admirer études, dessins et peintures de cet artiste emblématique du XVIIIème siècle. Peintre apprécié pour ses « peintures morales » présentant des scènes de la vie quotidienne et familiale.

Mais qui est Jean-Baptiste Greuze ? Pour sûr, un artiste adulé de son vivant par les collectionneurs européens et russes, ensuite éclipsé au moment de la Révolution et sous l’Empire. Deux périodes qui font honneur à la vogue de l’antique. Un moment négligé, la fin du XIXème siècle lui offre un retour en grâce.

Il naît en août 1725 à Tournus. Son père, entrepreneur et architecte, le destine au commerce. Jean-Baptiste préfère une autre voie : il est attiré par le dessin ! Une vocation que le peintre lyonnais Charles Grandon (1691-1762) encourage en le prenant comme élève en l’amenant à Paris. Il s’y installe en 1750. Devenant l’élève de Charles-Joseph Natoire (1700-1777) à l’Académie royale de peinture et de sculpture. Ses débuts au Salon de 1755 sont triomphaux. Son Père de famille lisant la Bible à ses enfants (1755) connaît un vif succès. Il devient membre associé de l'Académie puis part étudier à Rome de 1755 à 1757. Il loge au Palais Mancini (résidence des pensionnaires de l’Académie de France à Rome jusqu’en 1793). Il voyage en Italie avec l’Abbé Louis Gougenot (1719-1767). Abbé qui prendra en charge l’achat de son matériel. De retour en France, Greuze se fait connaître par ses compositions (scènes de la vie et portraits) dessinées et peintes. Ceci grâce aux graveurs dont il s’entoure. Comme il tarde à présenter son morceau de réception, l’Académie le prive d’exposition au Salon de 1767. Greuze décide alors de présenter un sujet antique. S’attelant par là-même à la peinture d’histoire. En 1769, il expose L’Empereur Septime Sévère reproche à Caracalla, son fils, d’avoir voulu l’assassiner. L’accueil reçu par cette toile est des plus froids. Même de la part de son ami Denis Diderot (1713-1784) ! Il est reçu comme peintre de genre et non comme peintre d’histoire selon son souhait. Suite à ce qu’il considère comme un échec, il renonce à présenter son travail au Salon et organise, en marge de celui-ci, des expositions dans son atelier du Louvre.

1759. Il épouse la fille d’un libraire parisien. Sa femme étant sans doute fréquemment infidèle, il profite alors de l’institution du divorce (1793) pour acter sa séparation et garde auprès de lui ses deux filles. L’aînée, Anne-Geneviève (1762-1842), suivra les traces picturales de son père. Appauvri, il recommence à participer aux Salons au début du XIXème siècle. Néanmoins, ses compositions ne correspondent plus au goût du jour. Le Salon de l’été 1804 est, sans doute, le dernier auquel il prendra part. Avec un Autoportrait se désignant d’un crayon tenu dans sa main droite. Il concentre désormais son art à l’expressivité du modèle. Il meurt, ruiné, dans son appartement du Louvre, en mars 1805.

Entrons ! Le visiteur est happé par l’atmosphère du lieu. Atmosphère élégante. Accueil charmant. Gentillesse des réponses à notre questionnement. L’escalier intérieur nous invite à découvrir l’exposition qui se tient à l’étage. Quatre pièces, en enfilade, où nous avons tout le loisir de déambuler, voire de nous asseoir dans un confortable canapé installé devant la cheminée où crépite le feu. Nous installer pour consulter diverses publications mises à disposition.

Nous l’avons dit, « cette exposition a l’originalité de ne présenter que des œuvres de collections particulières (…). Les grandes compositions moralisantes qui ont fait la renommée de l’artiste sont évoquées par leurs dessins préparatoires permettant de rentrer dans l’intimité de la création (…) » (Antoine Chatelain, catalogue). Ainsi en est-il de la Tête de vieil homme, le regard levé. Sanguine sur papier vergé. Etude pour la tête du vieillard paralytique de l’huile sur toile, La Piété filiale (1763). Caractère touchant, émouvant de ce visage tourné vers les siens. « (…) il paraît si sensible aux services qu'on lui rend; il a tant de peine à parler, sa voix est si faible, ses regards si tendres, son teint si pâle, qu'il faut être sans entrailles pour ne les pas sentir remué (…) » (Denis Diderot, Salon 1763, commentaire sur La piété filiale de Jean-Baptiste Greuze).

Deux autres visages masculins, des études pour l’huile sur toile La Malédiction paternelle, Le Fils ingrat. Une photo nous permet de voir le positionnement des personnages. Ainsi, l’homme tend les bras vers son fils alors que sa fille le retient. Le père maudit son fils qui vient de lui annoncer son départ pour l’armée. Les deux sanguines étudient précisément l’expression du père, visage tourné vers la droite. Plusieurs sentiments se mêlent : indignation, incompréhension face au départ de ce fils soutien de famille… et sans doute colère. Deux versions préparatoires présentent le personnage principal, nu puis habillé, illustrant la progression du travail de l’artiste. L’une des sanguines « détermine la position du père (… il) s’intéresse peu à l’expression de son personnage mais travaille autour des gestes et de son vêtement qu’il anime de plis mouvementés qui servent à exprimer l’instantanéité de l’action représentée » (Antoine Chatelain, catalogue).


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Tête d’homme, de profil vers la droite : étude pour Le fils ingrat ; sanguine sur papier vergé ; H : 45,4 ; L : 32,5 cm © Collection privée – Photo JMB

Une sanguine : le Portrait de Jean-Joseph de Laborde (1724-1794). Sanguine qui est une esquisse pour le tableau La Mère bien-aimée. Visage de trois quarts « une cravate de mousseline nouée autour du cou. Le regard vif, la bouche entrouverte, il esquisse un léger sourire » (addenda du catalogue).

Plusieurs têtes d’enfants dont la rondeur des visages ne nous échappe pas. De même, la délicatesse des boucles de cheveux. Tête de jeune garçon, la bouche ouverte, sanguine préparatoire probablement destinée à un tableau perdu, La Réconciliation. Remarquons la puissance qui se dégage de ce dessin ! Que regarde ce jeune garçon ? Quel sentiment exprime son visage ? Ses yeux semblent regarder au loin. Dessin à mettre en relation avec Un Enfant embrassant un chien (plume et lavis gris sur traits au crayon graphite, sur papier vergé) : sans doute un plus jeune fils, le visage étant plus poupin. Il cherche consolation auprès du chien de la famille. Dans la même veine Deux enfants effrayés se réconfortant. Petit dessin (11,7 x 13,1 cm) énergique. La peur se lit sur le visage de ces enfants. Ils semblent être aux prises avec les éléments : cheveux en bataille, vêtements en désordre, … le plus jeune se réfugiant dans les bras de l’aîné.

Une Fillette de trois quarts : douceur qui se mêle à un fond de mélancolie. Etude d’un enfant en buste, regardant vers la gauche, les yeux levés : de la crainte dans ce regard dirigé vers un horizon indéterminé ? Au spectateur d’imaginer ! Tête de jeune enfant, de trois quart à droite : certainement le même enfant qui regarde, tête baissée. Une sanguine plus grasse. Le Portrait d’Alexandre Brongniart (1770-1847) : buste à nouveau de trois quarts. L’enfant semble songeur, les yeux dans le vague. Un profil, cette fois, sur fond de hachures. Hachures qui mettent en valeur ce profil.


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Portrait d’Alexandre Brongniart (1770-1847) ; sanguine sur papier vergé ; H : 33 ; L : 26 cm © Collection privée – Photo JMB

Expressivité de La Petite boudeuse. Attitude pensive d’une fillette dont le regard se perd, lui aussi, dans le vague. Représentée de profil, elle est coiffée d’un bonnet qui laisse deviner quelques cheveux sur son front. Sanguine à mettre en relation avec l’huile sur toile, La lecture de la Bible, où elle est peinte, au premier plan, agenouillée les mains sur son tablier. Plusieurs personnages féminins, souvent tête inclinée et bouche légèrement ouverte. La Tête de jeune savoyarde, tournée vers la droite en est un exemple. Une jeune femme coiffée d’un fichu noué sous le menton. Les personnages féminins coiffés d’un bonnet ou d’un fichu sont récurrents dans la peinture de l’artiste. A noter. Ici la sanguine est signée en bas à gauche : « Greuze ». Sans oublier La Volupté, sans doute représentée sous les traits de son épouse. Sensualité d’une jeune femme alanguie, tête en arrière, cheveux défaits, bouche entrouverte. « Rien n’indique l’objet de son agitation, aucun élément de contexte, l’artiste donne à voir l’émotion seule. » (ibidem). Sanguine exposée en parallèle avec l’huile sur bois du même titre.


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Tête de femme, étude pour la Volupté ; sanguine sur papier vergé ; H : 43 ; L : 33 cm © Collection privée – Photo JMB

Autre feuille, toute de sensualité : Figure de jeune fille, à mi-corps, « Le Baiser envoyé ». Cadrage resserré sur le buste de la jeune femme afin de se concentrer sur son geste. Douceur du visage. Regard vers le bas, sans doute vers celui à qui est destiné ce geste de la main droite. Geste délicat qui prélude à l’envoi d’un baiser.

Des compositions au cadrage serré, au fond sobre « (ce) qui permet à l’artiste de se concentrer sur l’expression de son modèle » (ibidem). Le Portrait présumé de Madame de Porcin couronnant son chien (pinceau et plume, de forme ovale). Une jeune fille vêtue d’une fine chemise. Autour de son cou, une légère écharpe de tulle. Elle esquisse un sourire retenu. Ses cheveux, ornés de fleurs, sont tirés en arrière. Elle tient dans ses bras son chien qu’elle enserre d’une couronne de roses. Portrait de jeune homme à mi-corps (crayon noir et sanguine). Il est représenté de face, son regard plongeant dans le nôtre. Vêtu d’une redingote en partie boutonnée. Une sobriété de la touche picturale que nous retrouvons, cette fois-ci, sur un fond sombre, pour le Portrait d’un jeune moine.

Sans oublier Sainte Marie l’Egyptienne. Dessinée à la fin de sa vie. Pour une commande représentant la sainte en pénitence dans le désert. Une sainte repentante, le front appuyé sur une main. Une étude de tête à la pierre noire avec des contours repassés à la sanguine. Une œuvre du début du XIXème siècle, différente des précédentes.

Nous l’avons vu, certains dessins affichent des personnages dans leur entièreté. Sont présentées deux sanguines où les jeunes filles sont dessinées, debout, de face ou de dos, dans des attitudes (mains droite sur l’oreille ou s’apprêtant à se retourner) et expressions différentes. Mais également des scènes de la vie quotidienne, de la vie intime. Un dessin (pierre noire, fusain et rehauts de craie blanche sur papier vergé) intitulé Les Œufs cassés. Dessin préparatoire au tableau éponyme bien qu’il présente quelques différences pour ce qui est du décor de la scène ou des accessoires posés sur la table. Nous avons là une métaphore de la perte de virginité de la jeune fille. Elle est assise au sol, mains croisées sur ses genoux. Son corsage semble dérangé. En arrière-plan, un jeune homme réprimandé par une vieille femme, très certainement la mère qui pointe du doigt le panier avec les œufs renversés. Au premier plan, sur la droite, un enfant accoudé à un tonneau sur lequel sont posés un arc et une flèche. Qu’essaie-t-il de faire avec l’œuf qu’il tient en main ? Il est habituel d’y voir la personnification de Cupidon. A noter. L’inscription en bas à droite « Greuze f. Rome 1756 ». Dans le même registre, Les Offres malhonnêtes. « Un vieillard offre une bourse à une jeune fille qui le repousse, tandis qu’il se fait surprendre par celle qui pourrait bien être sa femme de l’autre côté de la fenêtre. Le chat tout comme le jeune garçon qui tente de retenir le vieillard ajoutent un aspect dramatique » nous dit Antoine Chatelain qui voit une influence nordique dans la composition de la scène.

Nous retrouvons la figure de la mère dans plusieurs des dessins exposés. Mère bienveillante sur ce dessin intitulé Les Soins maternels. La mère tient sur ses genoux sa fille à laquelle elle apprend à tricoter. Son frère s’appuie sur la cuisse maternelle. L’accent est mis sur l’amour filial : tendresse de regard de la fillette levé vers sa mère… attitude d’abandon confiant du garçonnet. Un chat, couché sur le buffet, nous regarde. Tendresse maternelle également valorisée dans Une Mère et ses enfants ou Etude de Mendiants. La mère porte deux de ses enfants. L’un, porté sur son dos, se penche vers sa fratrie qui marche à leurs côtés. Il tient dans sa main une ficelle qu’il laisse pendre sur leurs cheveux. Le second, emmailloté, dans ses bras. Même douceur, même tendresse exprimée par le visage maternel.

Mais aussi une mère moins affectueuse, plus encline à la réprimande. Tel ce dessin, La Mère sévère. La scène se déroule dans un salon. La mère, assise au centre de la composition, tient dans sa main droite les verges pour châtier un garçonnet. Sur la droite, ce dernier en larmes, est poussé vers elle par deux femmes (une servante et sans doute sa grand-mère) qui le maintiennent. Il a, autour de son cou, l’objet de la réprimande (un pot de ?). Sur la gauche, un groupe de membres de la même famille : deux jeunes filles retiennent un jeune garçon qui lève les bras pour démentir leurs accusations. Même le petit chien semble accompagner la réprimande maternelle de ses aboiements l Egalement, La Mère en courroux. Visiblement contrariée, elle adresse de vifs reproches à sa fille debout devant elle. Pointant du doigt le ventre de cette dernière. Fille dont l’attitude marque la confusion : elle a l’air désemparé, la main sur la tête. A leurs côtés, la petite sœur conduit devant elle sa poupée. Et un chien. Tous deux regardant la scène semblant ne pas comprendre ce qui se passe.

Autre thématique : la mise en nourrice. Un usage bien ancré dans la vie aristocratique et urbaine ! Deux dessins. Le Départ en nourrice ou La Privation sensible (plume, encre noire et lavis gris) et Le Départ en nourrice (sanguine). Scènes qui se déroulent sur un perron. La nourrice tient dans ses bras le nouveau-né emmailloté. Elle est installée sur un cheval, prête à partir. Sa robe largement décolletée laisse « apparaître une poitrine généreuse, signe de bonne santé et d’abondance de lait » (ibidem). Le père est au centre de la composition puisque c’est lui qui s’occupe de la mise en nourrice, la jeune mère demeurant alitée plusieurs jours après l’accouchement. Nombre de personnages participent à la scène dont de jeunes enfants et des chiens.

Retrouvons Greuze portraitiste au travers de pastels, d’huiles sur bois ou sur toile. Trois pastels. D’abord, la famille de Laborde avec le Portrait de François-Louis-Joseph de Laborde, marquis de Méréville (1761-1802). L’enfant est vêtu d’une chemise au col large et d’une veste dans les tons de bleu-gris. Une main posée sur un ouvrage, il est « à fond dans sa lecture » comme nous dirions de nos jours ! Une certaine mélancolie se dégage de ce portrait. Portrait d’Ange-Laurent de La Live de Jully (1725-1779). Ici, carnation et étoffes sont rendues avec précision. La couleur est fine et précieuse. Tout est élégant. La Live de Jully peint de trois quats, esquisse un très léger sourire en regardant le spectateur. Le fond neutre donne toute sa puissance au portrait. Et fait ressortir sa carnation. Utilisation du bleu qui rythme ce portrait : la veste, les yeux et les veines de la tempe. Passons au Portrait de François Babuty (v.1683-1768), une huile sur toile de forme ovale. Il s’agit du beau-père de Greuze, libraire parisien originaire de Savoie. Il est sobrement vêtu : veste sombre et jabot de dentelle. Chevelure blanche bouclée. Front légèrement dégarni. Le peintre n’hésite pas à représenter les caractéristiques physiques de la vieillesse : chairs plus molles dans le bas du visage et le cou… rides du front et du contour des yeux qui paraissent larmoyants. Encore une fois un fond neutre, sombre, faisant ressortir la physionomie du personnage.

Il a souvent été dit que Greuze est un « peintre de l’enfance ». En témoignent les deux pastels (de mêmes dimensions) : Portrait de Marie-Louis Thomas, marquis de Pange (1763-1796) et celui de son frère, Portrait de Marie-François-Denis Thomas, chevalier de Pange (1764-1796). Nous ne pouvons qu’être séduits par ces derniers ! Sensibilité et douceur sont à nouveau convoquées. Tous deux sont vêtus à l’identique : une veste sur un gilet croisé d’où sort une chemise au large col. « Greuze choisit de figurer l’aîné de face, le regard un brin mélancolique, tandis que son petit frère est campé légèrement de trois quarts, regardant vers la droite. Tout indique ici la naïveté de l’enfance. La maîtrise parfaite du pastel permet au peintre d’illuminer subtilement les visages des deux garçons qui prennent place sur un fond sombre » (ibidem).


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Portrait de Marie-François-Denis Thomas, chevalier de Pange (1764-1796), pastel ; H : 41 ; L : 33 cm © Collection privée – Photo JMB

Plusieurs huiles sur bois ou sur toiles sont également proposées à notre regard. Une jeune fille qui pleure la mort de son oiseau. Signé en bas à droite sur la cage : « I. Greuze. 1757 ». Les critiques se sont perdus ou se perdent en conjecture sur le sens de cette toile. Diderot voit dans la perte du serin « autre chose » : la représentation symbolique de la perte de sa virginité. Perte de la virginité associée, par d’autres, à la perte de l’innocence. Mais encore tout simplement la représentation de l’émotion ressentie à la mort de cet oiseau. La jeune femme se tient la tête de la main gauche qui prend appui sur la cage ouverte. L’oiseau mort, dans l’autre main. Sa toilette est « sophistiquée, elle porte un collier de perles et un châle dans un tissu léger qu’elle a noué autour du cou » (ibidem). Portrait de Madame de Courcelles à sa toilette, une huile sur toile de forme ovale. Portait exquis, exécuté au retour d’Italie. Carnation et étoffes rendus avec précision. Attention de l’artiste portée sur le visage et les mains. Sourire doux et regard pensif. Tenue délicate où dentelles, plissés et rubans se mêlent. Dans une palette de tons doux (gris bleutés de sa robe) et de teintes plus chaudes (rose des rubans ou brun du cadre du miroir). Jeu d’ombre et de lumière qui met en valeur les traits de Madame de Courcelles.

Nous retrouvons maintenant le « peintre de l’enfance » à travers plusieurs toiles. Des portraits qui en sont emblématiques. Des « images de l’enfance (qui) doivent rendre compte de la naïveté des petits êtres représentés mais elles se dotent aussi d’une remarquable profondeur psychologique » (ibidem). La Jeune fille accoudée à une chaise (sobriété de la robe violette ceinturée à la taille, bandeau gris beige mêlé à ses cheveux). Jeune garçon vu à mi-corps de trois quarts vers la gauche (veste grise qui rappelle celle du pastel susnommé). Le Petit paysan (blondeur des cheveux, teint clair d’où ressortent ses yeux bleus, touche de couleur du gilet rouge). Jeune garçon endormi (jeune enfant qui vient de s’endormir sur un coin de table ; rondeur du visage aux joues rouges, chevelure aux boucles délicates). N’oublions pas Le Petit mathématicien. Greuze reprend un thème de la peinture nordique, celui du jeune garçon à l’étude. La pratique des mathématiques et de la géométrie est alors fortement conseillée par les traités d’éducation. Cheveux blonds défaits sur ses épaules… chemise blanche à la collerette largement échancrée… yeux dans le vague et crayon en main… A quoi pense-t-il réellement?

D’autres portraits présentent une connotation plus sensuelle. Sont peints, avec délicatesse, des portraits de jeunes filles. Jeune fille pensive, la tête appuyée sur son bras gauche posé sur un livre. Air rêveur, regard dans le vague, chevelure défaite. Jeune fille au chien dit Le Souvenir. Cheveux dorés parés de perles et d’un ruban rose, elle tient tendrement son petit chien, « les yeux tournés vers le ciel, la bouche entrouverte. Elle est indéniablement ailleurs. La langue du petit chien ajoute un caractère érotique » (ibidem). La Jeune veuve aux vêtements de deuil séduisant ! Tête couverte d’un voile de dentelle noire noué par un ruban qui glisse sur sa poitrine. Regard dans le vague comme perdue dans ses pensées. Notons une sorte d’ambiguïté sous-jacente dans la mesure où cette veuve a encore l’âge de plaire !


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La jeune veuve, huile sur toile, H.46, L. 37cm © Collection privée – Photo JMB

Une pièce est consacrée à un Autoportrait, grande huile sur toile (H.61, 3 x L.50, 1 cm) lui-même entouré du portrait de ses deux filles. Il s’agit d’une redécouverte récente. L’un des fleurons de l’exposition ! Greuze est relativement jeune et se représente, si nous pouvons dire, en « tenue de travail » ! Un « négligé », vêtement favori des artistes. Un vêtement bleu aux touches plus claires qui rendent le mouvement du tissu grâce à des effets de lumières. Le jabot blanc d’un col de chemise ouvert. Rouge des joues et légères cernes. Cheveux gris (une perruque ?). Il nous regarde esquissant un très léger sourire. Greuze choisit un fond dépouillé qui permet de faire ressortir son visage.


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Autoportrait, huile sur toile ; H. 61,3 ; L..50,1 cm © Collection privée – Photo JMB

A sa gauche, Portrait d’Anne-Gabrielle, dite Caroline Greuze (1762-1842). A sa droite, Louise-Gabrielle Greuze (1764-1812). Deux tableaux signés et datés, en bas à droite « J. B. Greuze / 1766 ». L’aînée, de face, nous regarde. Vêtue de noir. Main droite appuyée sur une table où sont posées une petite assiette, une tasse en faïence vernissée, elle-même placée dans une écuelle en argent. Sa sœur est légèrement de trois quarts. Vêtue d’une robe jaune avec un tablier noir dont une bretelle est encore accrochée. Sous sa robe, une chemise blanche. Un fichu blanc noué autour du cou. Regard fixe de l’aînée. Mine mélancolique de la cadette. Cheveux courts et légèrement bouclés des deux fillettes.

Notre visite s’achève. Ses scènes de genre à caractère moralisateur valurent à Greuze, en son temps, un immense succès. De même que ses « têtes d’expression ». Etudes préparatoires (lavis ou sanguine), il considère souvent ses dessins comme des œuvres indépendantes. Il introduit un réalisme d’influence néerlandaise dans la peinture de genre et le portrait. Ses têtes d’expression témoignent de son attention particulière à l’étude des sentiments. Afin d’émouvoir le spectateur. Stratégie payante osons-nous dire ! Et donne une place significative, voire centrale à l’enfant. Alors que, généralement, la société du XVIIIème siècle ne lui reconnaît qu’une place subalterne.

L’exposition s’accompagne d’un catalogue proposant des notices explicatives éclairantes. Il est rédigé par Antoine Chatelain, chargé d’études et de recherche à l’INHA dont la thèse (« Pratique, usage et fonction du dessin chez Jean-Baptiste Greuze. Du travail préparatoire à l’autopromotion ») est en cours. La préface est de la main d’Emmanuelle Brugerolles, conservatrice générale du patrimoine honoraire et directrice de recherche émérite à l’École pratique des hautes études. Il peut être consulté intégralement et gratuitement en ligne.

Une délicate exposition en attendant 2025, « Année Greuze », qui devrait être célébrée par une rétrospective. Sans doute à l’automne au Petit Palais.



Publié le 10 déc. 2024 par Jeanne-Marie Boesch