Hyacinthe Rigaud ou le portrait soleil

Hyacinthe Rigaud ou le portrait soleil ©Portrait de Jean Fançois Paul de Crequi, duc de Lesdiguières (1687), Huile sur toile, Musée de la Révolution française, Vizille (dépôt du musée du Louvre) © Coll. Musée de la Révolution française - Domaine de Vizille - Dépôt du Musée du Louvre
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Un éblouissant ambassadeur de son époque !

L’exposition consacrée à Hyacinthe Rigaud (1659-1743) a connu bien des vicissitudes quant à sa présentation au public. D’abord programmée à partir du 17 novembre 2020 pour s’achever en mars 2021, le confinement dû à un vilain virus en a décidé autrement et retardé son ouverture à plusieurs reprises. Pour enfin s’ouvrir aux visiteurs sur un laps de temps écourté ! Alors ne boudons pas notre plaisir : prenons rendez-vous ! C’est ainsi que le 4 juin, à 13 heures, les salles d’Afrique, Crimée et Italie du château de Versailles nous ouvrent leurs portes.

Cette première grande exposition monographique retrace, en 140 œuvres, la carrière du peintre né à Perpignan qui « monte » rapidement à Paris pour y tenter sa chance ! Il se spécialise très vite dans le genre du portrait auquel il donnera ses lettres de noblesse. Chacun connait le portait de Louis XIV (1638-1715) en majesté dans le manteau du sacre. Cet emblème du Grand Siècle, nous le retrouvons dans tous nos manuels d’Histoire ! Mais ce tableau semble avoir presque totalement occulté l’œuvre de son auteur, peintre prolifique s’il en est. En effet, Hyacinthe Rigaud a dominé pendant près d'un siècle le genre du portrait, auquel il a donné de nouveaux codes. Mais qui est-il ?


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Portrait de Louis XIV (1701), Huile sur toile, r° sur le phylactère du socle de la colonne : « Peint par Hyacinthe Rigaud en 1701 © Musée du Louvre, Paris, Inv. 7492

1659, année du rattachement de la Catalogne du nord (Roussillon) au royaume de France et naissance de Hyacinthe Rigaud à Perpignan, le 18 juillet. Il est issu d’une famille de peintres bien que son père exerce le métier de tailleur d’habits. C’est donc dans une sphère propice à l’observation des matières et des étoffes qu’il grandit. A 12 ans, en 1671, il est mis en apprentissage à Carcassonne chez un peintre-sculpteur-doreur Pierre Chypolt. Très vite il part à Montpellier, change de maître et entre comme apprenti chez Paul Pezey (1622-1687). Celui-ci possède une collection de toiles de maîtres flamands et hollandais qui initie Hyacinthe Rigaud à l’esthétique flamande. Il fréquente un autre atelier, celui d’Antoine Ranc (1634-1716). Fin 1678, il s’installe à Lyon où il entre en contact avec les milieux de la banque et de la soie. Il y reste un an et demi et s’y fait un nom ! Mais Lyon ne suffit pas à son ambition. Rigaud part pour Paris en 1681. Un an plus tard, il remporte le premier prix à l’Académie royale de peinture et de sculpture. Contrairement à l’usage, il ne réalise pas le voyage à Rome. Très vite remarqué par Charles Le Brun (1619-1690), ce dernier lui conseille de se spécialiser dans le portrait. Il se lie d’amitié avec les peintres François de Troy (1645-1730) et Nicolas de Largillierre (1656-1746), avec le sculpteur Antoine Coysevox (1640-1720). Ayant attiré l’attention de la famille d’Orléans, il peint, en 1688, le portrait de Monsieur, Philippe d’Orléans (1640-1701), frère du roi. Puis, sans se voir accorder de séance de pose, il peint pour la première fois le portrait du roi en 1691. Ces deux toiles ne sont plus connues de nos jours.


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Portrait de Monsieur, Philippe d’Orléans (1688), Huile sur toile, Philippe d'Orléans (1674-1723), futur régent durant la minorité de Louis XV © Musée Hyacinthe Rigaud, Perpignan (Pyrénées-Orientales, France), collection peinture civile

1695-1696. Rigaud retourne à Perpignan pour peindre, sous deux attitudes différentes, le portrait de sa mère, Maria Serra. Une toile en vue d’un portrait en marbre que sculptera (en 1702) Antoine Coysevox. Durant son séjour, il en profite pour réaliser le portrait de la famille de sa sœur et peindre quelques notables. En 1721, sa mère meurt. Il liquide ses affaires immobilières au bénéfice de ses neveux et nièces. Au tournant du siècle, il est reçu à l’Académie royale de peinture et de sculpture à la fois comme portraitiste et peintre d’histoire. Il y sera nommé professeur en 1710 et en sera brièvement (de 1733 à 1735) le recteur et directeur.

Décembre 1700 : le duc d’Anjou (1683-1746), petit-fils de Louis XIV monte sur le trône d’Espagne sous le nom de Philippe V. Il pose pour Rigaud durant les quelques heures qui précèdent son départ. Mars 1701 : le 10 de ce mois, le peintre bénéficie pour la première fois d’une séance de pose du roi, à Versailles. De même, le lendemain dans l’appartement de Madame de Maintenon (1635-1719). Cette dernière évoque ces deux séances dans ses lettres indiquant que le roi n’avait pas la patience de poser… sauf qu’une attaque de goutte l’avait contraint à demeurer immobile ! Rigaud épouse, en 1710, Elisabeth de Gouy qu’il avait eu l’occasion de portraiturer avec son premier mari et leur fille en 1699. Après le mort de Louis XIV, le Régent, Philippe d’Orléans, (1674-1723) lui commande un portrait du nouveau roi, Louis XV (1710-1774) alors âgé de cinq ans. Ce dernier lui accordera plusieurs séances de pose au château de Marly.

La haute noblesse, des hommes d’Eglise, des magistrats ou encore des financiers font partie de sa clientèle ce qui lui permet d’amasser une fortune considérable. Il achète un hôtel particulier à Paris, rue Louis-le-Grand où il meurt en décembre 1743, quelques mois après son épouse.

C’est l’artiste lui-même qui nous accueille avec plusieurs autoportraits réalisés aux différents âges de la vie. « Très tôt conscient de sa valeur, Rigaud s’occupe personnellement de diffuser sa propre image et pratique assidument l’autoportrait, suivant en cela l’exemple de son modèle, Rembrandt. » (in catalogue, introduction à la première salle « Hyacinthe Rigaud tel qu’en lui-même »). Arrêtons-nous sur l’ « Autoportrait dit au bas-relief antique » (169) qui dénote une nette influence hollandaise : attitude de profil devant une balustrade… visage qui se tourne légèrement de trois-quarts vers le spectateur… main droite posée sur l’épaule gauche, semblant retenir un imposant drapé de velours rouge. Cet ample drapé devient noir à revers gansé d’or (sur un fond neutre ocré) dans l’ « Autoportrait dit au turban » (1698) : palette (avec des taches de peinture) et pinceaux en main, il nous regarde franchement ! Ses yeux pétillent ! La lumière fait briller le regard et… luire un ongle ! Fossette au menton, il a, semble-t-il, une barbe de trois jours. Le col de sa chemise blanche est ouvert. Pour couvre-chef, un bonnet de velours rouge et brocart. Tout indique que l’artiste se peint dans le négligé de sa tenue d’atelier. Notons que l’exposition présente deux toiles identiques : une huile sur toile (0,83 x 0,66 m) en dépôt à Perpignan sous la référence MNR 56 (Musées Nationaux Récupération). Récupérée à la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle est en attente de restitution à ses propriétaires légitimes. Une seconde (0,81 x 0,65 m) qui appartient à une collection particulière.


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Autoportrait dit « au bas-relief antique », dit aussi « au manteau rouge » (1692), Huile sur toile © Karlsruhe, Staatliche Kunsthalle, Inv. 47


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Autoportrait dit « au turban » (1698), Huile sur toile © Musée Hyacinthe Rigaud, Perpignan (Pyrénées-Orientales, France) / Pascale Marchesan D 53-1-1

1730 : « Autoportrait de l’artiste entrain de peindre le portrait de François Ier Castanier (1674-1759) ». Il s’agit d’un dessus de porte, de forme ovale, auquel a été donné, par la suite, une forme rectangulaire. Nous retrouverons, à plusieurs reprises, cette formule du tableau dans le tableau. Le fond uni fait ressortir le velours vert du fauteuil, le grand drapé noir, les tons marron du costume. Sur l’épaule, des traces de poudre blanche de la perruque ! Les édiles de Perpignan lui attribuent la noblesse ce qui permettra à Louis XV de l’élever au titre de chevalier de l’ordre de Saint-Michel et à Rigaud de se représenter portant le ruban de moire noire, la croix à huit pointe où figure l’archange terrassant le dragon.


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Autoportrait de Hyacinthe Rigaud peignant le portrait de François Ier de Castanier, Huile sur toile © Musée Hyacinthe Rigaud, Perpignan (Pyrénées-Orientales, France), inv. D58-5-1

La salle suivante propose un séduisant autoportrait de l’artiste : le drapé bleu (en contraste avec le jaune lumineux du ruban) et la perruque prennent de l’ampleur. Belle assurance de l’expression du visage, ici un peu hautaine. Il est entouré du « Portrait de Gaspard Rigaud (1661-1705) » (1691), son frère et du « Portrait d’Elisabeth de Gouy (1668-1743)», son épouse. Séduisant est également le visage de son frère mis en valeur par la subtilité et la délicatesse de la carnation… par la précision du rendu du vêtement : la blancheur de la chemise ouverte, le jaune de la veste et l’intérieur mordoré du drapé noir. Le portrait d’Elisabeth de Gouy a été peint en « deux temps » : commencé dans les années 1710, peu après son veuvage, il a été achevé vers la fin de la vie de celle-ci. Un buste de trois-quarts, sans main. Notons que le drapé de l’étole qui enserre ses épaules est des plus caractéristiques de la dernière manière du peintre. Le bleu franc du ruban qui part de ses cheveux attire le regard.

Autre membre de sa famille. Deux huiles sur toile, toutes deux de 1695, représentant sa mère : « Portrait de Maria Serra (1638-1721) de face » et « Portrait de Maria Serra en deux attitudes différentes ». Ces trois portraits sont peints, ainsi que nous l’avons dit, pour une commande particulière : un buste de marbre commandé à Antoine Coysevox. Elle porte le costume traditionnel du Roussillon : une robe noire à bretelles sous lesquelles passent un fichu blanc généralement de simple coton. Ici il est sublimé par la blancheur éclatante de la soie. Sa tête est recouverte d’un lourd voile de couleur marron/fauve (premier portrait). C’est une femme d’âge mûr au visage légèrement empâté mais au port altier (seconde toile). Ces bustes sont peints sur un fond de paysage aux tons de gris tirant sur le bleu et le parme qui mettent en valeur la carnation de Maria Serra. Le buste sculpté rend une image plus solennelle (presque majestueuse !) de cette femme mais très fidèle, dans son exécution, aux portraits peints.


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Portrait de Maria Serra de face (1695), Huile sur toile marouflée sur bois © château de Fontaine-Henry (14 – Calvados) & Portrait de Marie Serra (1706), buste en marbre, Inscriptions : Marie Serre / Mère de Hyacinthe Rigaud et Fait par Coysevox en 1706 © Paris, musée du Louvre, département des Sculptures, inv. LP 502

Nous retrouvons l’esquisse de ceux-ci (à la craie blanche disposée en arrière-plan sur un chevalet) dans un autre autoportrait plus tardif (entre 1721 et 1727). Le « Portrait d’Antoine Ranc » présente un homme au port altier sûr de sa notoriété. L’ample perruque, le jabot de dentelle fine, l’épais manteau de velours dans des tons rose et mauve liseré d’or concourent à rendre compte de son aisance. Cette sorte d’ostentation est contrebalancée par l’emploi d’une palette des plus subtiles pour le rendu des chairs et la douceur du regard.

L’«Autoportrait dit au porte-mine » (1711) est accroché avec celui de Nicolas de Largillière (1711) et celui, plus ancien (vers 1700), de François de Troy, chacun étant l’auteur du sien. Ces trois hommes se connaissent, se côtoient et ne sont nullement en concurrence ! La tonalité se décline dans les tons de marron et ocre chez chacun. L’influence des maîtres néerlandais y est palpable : de Troy apparait à une fenêtre, sa palette et ses pinceaux dans sa main gauche. Largillière et Rigaud se représentent en dessinateur : cartons à dessin généreusement garnis, tenant un porte-mine permettant de dessiner à la sanguine, à la pierre noire ou à la craie blanche. Largillière montre de sa main gauche un chevalet où figurent les contours d’un dessin. On retrouve dans ces trois toiles les mêmes codes vestimentaires : chemise ouverte et vêtements amples portés par l’artiste dans son atelier.


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Autoportrait de Hyacinthe Rigaud dit « au porte-mine » (1711), Huile sur toile © Musée national des châteaux de Versailles et Trianon MV5825 © RMN-GP (château de Versailles) / G. Blot

«(…) Son intention première, lorsqu’il gagne Paris, est de faire carrière dans la peinture d’histoire. (…) Il cherche obstinément (…) à prouver que son talent lui permet d’aborder tous les registres, dont celui de l’histoire sainte. » (in catalogue). Sont présentés dans cette salle divers tableaux à caractère religieux. Une « Adoration des bergers » (vers 1687) où notre regard est attiré, comme celui des protagonistes, vers l’Enfant qui baigne dans une clarté quasi surnaturelle.

Deux figures de saints : « Saint André » (grande toile de 1,53 x 1,06 m peinte en 1689) et « Saint Pierre » (petit format de 0,74 x 0,60 m en 1702) sont peints à la manière de Pierre Paul Rubens (1577-1640). Deux vieillards… représentés à mi-corps… même inclinaison de la tête… même expression extatique du visage tourné vers le ciel… une main posée sur la poitrine pour le premier, les mains croisées pour le second… corps athlétique pour saint André mais mains trapues et chairs plus « molles » chez Pierre… lourdeur et épaisseur des drapés. Une « Sainte Madeleine » (vers 1705/10) pénitente, mains croisées sur un crâne. La rondeur de son visage aux joues empourprées et lèvres rouges, les boucles apprêtées tombant en cascade sur une épaule dénudée et la peau laiteuse sont tempérés par le gris et la raideur de son manteau. « L’Enfant Jésus en Salvator Mundi » (vers 1710/15) avec son visage tout en grâce et douceur. La blondeur bouclée de la chevelure et le manteau de velours bleu porté sur une tunique de satin blanc-crème est à rapprocher d’une huile sur toile peinte dans les années 1685/90 : « L’enfant Jésus entouré des instruments de la Passion » : l’accent est mis sur l’Enfant, au milieu de la composition, tenant l’orbe (globe surmonté d’une croix), levant son bras droit en signe de bénédiction. Par ce geste, il désigne une main qui troue la nuée pour lui tendre un calice. Le vêtement nous permet de retrouver une technique chère à Rigaud : les jeux d’envers sur l’endroit, ici avec le manteau de velours bleu-violet. La blancheur de la tunique, dont le satin fait glisser la lumière, attire notre œil.

Deux de ses livres de compte sont exposés. Ces cahiers manuscrits sur papier, relié en parchemin (l’un de 46 feuillets, l’autre de 35) sont de précieux renseignements sur l’organisation qui régit le fonctionnement de l’atelier de Rigaud. Y sont répertoriés, années après années, les portraits peints par l’artiste. Mais également le nom, la qualité du commanditaire… certains détails de l’habillement ou de la mise en scène… le prix du tableau. Il est parfois fait état des répliques. Ces livres de compte lui permettaient de se dispenser du passage devant un notaire pour y établir un contrat en bonne et due forme. Ils nous renseignent, en outre, sur la composition de son atelier et le montant des salaires versés. A noter que le coût du tableau peut être réduit si le commanditaire choisit, par exemple, un modèle d’habillement déjà existant !


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Livres de comptes © JMB – Exposition Hyancinthe Rigaud - Versailles

Nous retrouvons un « portrait en tableau » avec le « Portrait présumé de Monsieur de Monginot (ou Montginot ?) tenant le portrait de sa jeune épouse » (1688). L’air sage et retenu de la jeune femme contraste avec l’expression tendre, le sourire coquin de l’homme ! Il arbore un somptueux manteau rouge. Elle est vêtue d’une robe dont le bleu est exactement le même que celui du ruban qui orne le cou de l’homme. Deux portraits de militaires (1699 et 1705) peints quasi à l’identique ! Le comte de Coigny et le marquis de Château-Renault ont la même posture, une main posée sur un casque l’autre tenant le bâton de commandement. Ils portent presque la même armure. Seul l’arrière-plan diffère en se rapportant directement au personnage. Ainsi celui du marquis de Château-Renault évoque une bataille navale entre Français et Anglais et commémore son accession au maréchalat et à l’ordre du Saint-Esprit. Le « Portrait de Louis (1661-1711), Dauphin de France » (1708) exposé dans une autre section, est de la même veine : il est représenté devant la prise de la ville rhénane de Philippsbourg que nous voyons derrière le comte de Coigny !

Puis sont exposées plusieurs petites toiles nous permettant d’appréhender l’art du peintre. Il s’agit d’une sorte de répertoire (nous dirions de nos jours, un catalogue !) pouvant être présentés aux commanditaires. Une «Etude de trois bustes en cuirasse » (vers 1690/1705). Chaque modèle est coupé au niveau du bas du visage. « La pose du premier buste se retrouve ainsi, selon des variations, dans pas moins de cinq portraits (… elles) sont révélatrices de l’intérêt particulier exercé sur l’artiste, sensible au rendu des textures et des reflets métalliques de ces accessoires » (in catalogue). Une « Etude de mains, d’une cravate, d’un motif de cuirasse, d’accotoir et de fleurs » et une « Etude de mains et d’un col de dentelle » (vers 1715/25) dont nous pourrons retrouver des éléments sur certaines toiles de la suite de l’exposition. Telle la main posée sur un dossier de fauteuil qui s’apparente à celle avec laquelle Gaspard de Gueidan tient son mortier (bonnet des magistrats de la Cour de cassation et de la Cour des comptes) sur son portrait en avocat général. Quant à l’ « Etude de fleurs » (1720), sorte d’herbier pictural, elle fait office de répertoire de motifs. Ici de délicates fleurs champêtres peintes sur un fond rouge vif. Deux petites toiles offrent le visage des beaux jeunes hommes, inconnus, dont la carnation est criante de vérité. Il arrive qu’une tête soit marouflée, comme incrustée sur une grande toile : ainsi en est-il du « Portrait d’Henri Oswald de La Tour d’Auvergne (1671-1747) » peint l’année où le modèle accéda aux fonctions de premier aumônier du roi.


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Etude de mains, d’une cravate, d’un motif de cuirasse, d’accotoir et de fleurs (1715), Huile sur toile, Musée des Beaux-Arts de Rouen © Musée des Beaux-Arts de Rouen, Inv. 975-4-5521

Sur les murs d’un couloir, nous découvrons une série de dessins dont certains sont exécutés en collaboration soit avec d’autres peintres, soit avec son atelier. Peintre coloriste s’il en est, Rigaud est aussi un dessinateur de grand talent. Mais chez lui, le dessin n’a rien d’une œuvre préparatoire comme il était d’usage. « La totalité des exemples réunis ici se rattache à la catégorie des ricordi, c’est-à-dire que leur exécution très poussée suit, et non précède, celle des tableaux dont ils sont la réplique en réduction. » (in catalogue). Pierre noire, craie blanche, lavis, papier bleu, parfois rehaut de pastel, voire sanguine sur papier bistre sont utilisés. Prenons le cas du « Portrait de Gaspard de Gueidan (1688-1767) ». Une huile sur toile de grande dimension, datée (1719) et signée au dos, portrait qui évoluera au fur et à mesure de sa conception. Egalement un dessin de « pierre noire, estompe, lavis et rehauts de gouache blanche sur papier bleu passé, collé sur un montage ancien » (1723) en collaboration avec Joseph André Cellony (1696-1746), un compatriote en apprentissage dans son atelier. L’attitude du personnage est identique dans les deux cas mais sa tenue et le décor diffèrent : le fauteuil de damas du dessin est remplacé par un banc de palais recouvert d’un tissu bleu… le collet de baptiste à rabat par un col de fourrure… le justaucorps boutonnés et la robe d’avocat général par l’ample robe rouge de président à mortier… et, ainsi que nous l’avons dit plus haut, la main posée sur le dos du fauteuil l’est désormais sur le mortier. Ces changements étant dus à la nouvelle dignité du commanditaire.

Un autre « Portait de Gaspard de Gueidan en Céladon joueur de musette » surprend par son originalité. Il est vêtu d’un costume théâtral où se mêle une palette de tons d’ocre et de bleu : larges crevés de brocart… une poche de velours bleu festonnée de dentelles et agrémentée de nœuds orange qui se veut être une gibecière… la musette de cour, instrument à la mode, se pare du même velours. A ses pieds, un lévrier au collier de velours cramoisi gansé d’or le regarde. Le tout peint devant un paysage. Le « Portrait d’Angélique de Simiane (vers 1704-1782), marquise de Gueidan, en Flore » (les deux tableaux datent des années 1730/35) devait être peint à l’origine par Largillière. Il s’agit là d’un portrait historié. La quatrième épouse du président à mortier est représentée en Flore. A ses côtés, un amour tenant la pomme que Pâris offrit à Vénus. Notre œil est attiré par le rouge de sa robe, rouge repris en dégradé de ton dans les guirlandes de fleurs. Rigaud semble ici moins à l’aise, en témoigne la raideur de la jupe contrastant avec la quasi volupté de la toilette du « Portrait de Marie Louise du Bouchet de Sourches (1665-1749), comtesse de Lignières » (1696). Pour Rigaud, « c’est l’occasion de produire une remarquable synthèse de son expérience picturale. » (in catalogue). Il y a là toute la virtuosité du peintre dans le rendu des textures textiles et des harmonies colorées notamment dans l’alliance des violets avec les bleus intenses. Le choix des teintes sublime au plus haut niveau le contour du visage. « Il joue de la confrontation dynamique entre les tonalités froides de l’étole de taffetas violine qui enserre le buste et la richesse des nuances de la soie bleu ciel brochée d’or de la robe. Le ruban outremer qui serpente dans la coiffure à la Fontanges, en attirant l’œil, rehausse la vivacité des carnations du visage et amplifie la profondeur du regard ». (in catalogue). Deux tableaux en pendant : celui de « Giovani Francesco II Brignole Sale (1695-1760) » et de son épouse « Battina Raggi ( ?-1743)» sont à remarquer pour leurs somptueux cadres rocaille.


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Portrait du président Gaspard de Gueidan en joueur de musette (1735), Huile sur toile, Sign. v° : « Fait par Hyancinthe Rigaud, 1735 », Musée Granet, Aix-en-Provence © RMN-GP / Jean Schormans

La suite de l’exposition s’ouvre sur plusieurs sections consacrées aux portraits d’artistes, aux portraits d’esprits (nous dirions peut-être plus volontiers, d’intellectuels) puis aux portraits d’Eglise pour se terminer par les portraits d’épée. Ainsi que nous l’avons déjà précisé, les attitudes sont souvent les mêmes et les personnages contextualisés.

« Portrait de la famille Léonard » (1692/93). Le jeu des regards rend compte de l’affection qui lie les personnages, notamment la mère et sa fille. Le tout sur fond de paysage non défini. C’est la « conversation piece» si chère à l’école anglaise ! Peinture animalière avec le bichon que tient l’enfant. Nature morte avec le panier de fruits, dont des cerises, en arrière-plan. La palette oppose le bleu lapis très cru de la robe en soie aux mordorés chaleureux du brocart sur lequel est assise Madame Léonard ou celui du costume de son mari. Sans oublier le violine du velours, si cher à Rigaud. Admirons le raffinement vestimentaire : retroussis noir de la manche du justaucorps et poignet de chemise piqué d’or… laçage du corsage, ceinture à boucle ornée et agrafe bijoux.


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Portrait de Frédéric Pierre Léonard, son épouse Marie-Anne des Essarts et leur fille Marie-Anne (1692-1693), Huile sur toile, Musée du Louvre, Paris © RMN-GP (musée du Louvre) / H.Lewandowski

Deux portraits de Martin Van den Bogaert, dit Martin Desjardins (1637-1694), sculpteur d’origine néerlandaise installé à Paris et ami proche de Rigaud. Le premier est peint en 1693, le second en 1700. De notables différences hormis la main du sculpteur s’appuyant sur une tête de bronze. Le manteau bleu fermé par une agrafe de diamants laisse place à un habit noir… le col de dentelle à un simple col de chemise ouvert. En pendant, le « Portrait de Marie Cadesne ( ?-1716) » (1684) son épouse. Pose souple… expression rêveuse, voire lointaine… distinction négligée de la mise. Une palatine de martre (fourrure portée en hiver sur le cou et les épaules et qui pend sur le devant) retenue par deux bijoux en forme d’agrafes reliées par un rang de perles et mis en valeur par une bande de tissu jaune ocré. Manteau rouge grenat à la doublure d’un bleu éclatant. Toile blanche de la chemise, soie nacrée de la manche et de la robe. Une mèche noire tressée de bleu retombe sur la gorge dénudée. De sa main gauche, Marie Cadesne retient un voile rayé tandis que la droite cueille une tubéreuse (fleur réputée pour être une invitation discrète au plaisir amoureux).

Peint en 1685, le « Portrait de Jules Hardouin-Mansart (1646-1708) » représente un homme accompli. Il est peint devant la chapelle des Invalides, symbole de sa réussite. Une main contre sa hanche, l’autre appuyée sur les instruments propres à son art (compas, règle, feuille blanche repliée et reliure d’un grand folio posé sur une série de livres). Nous retrouvons la palette chère à l’artiste : le camaïeu de bleu du costume éclairé par la touche blanche de la manche et du col en dentelle de la chemise. L’architecte porte la croix de l’ordre de Saint-Lazare de Jérusalem et de Notre-Dame-du-Mont-Carmel (bien qu’il ne reçoive celle-ci qu’en 1693). Le « » (1702/04) est exposé à proximité d’un buste de marbre autoportrait sculpté par ce dernier (vers 1702). Remarquons les mêmes détails vestimentaires au niveau du col ouvert de la chemise… les marques de l’âge… l’ombre d’un sourire qui passe sur son visage. Même type de présentation pour le « Portrait de Pierre Mignard (1612-1695) » : à la fois l’huile sur toile de Rigaud (1690/91) et le buste de marbre sculpté par Martin Desjardins (avant 1689). La peinture est exécutée au moment où Mignard succède à Charles Le Brun comme premier peintre du roi. Il semble que le tableau n’ait pas eu l’heur de plaire à son commanditaire à cause de sa vision trop « simpliste ». Bien que trônant sur un luxueux fauteuil, il est représenté un crayon mine dans une main, tenant de l’autre une liasse de feuilles de dessin. Son visage, au teint blafard marqué par l’âge, nous regarde. Non sans une certaine autorité, sévérité. Le « Portrait de Bernard Le Bouvier de Fontenelle (1657-1757) » montre l’écrivain, en buste, émergeant de la pénombre, le regard plein de malice. Harmonie chaude des étoffes, tout juste rompue par le bleu franc de sa cravate dénouée sur un col de chemise, ici encore, ouvert.


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Portrait de Jules Hardouin-Mansart (1685), Huile sur toile, Musée du Louvre, Paris © RMN-GP (musée du Louvre) / S.Maréchalle

La noblesse de robe est présente grâce à trois portraits accrochés côte à côte. Ils sont dus au pinceau de François de Troy, de Hyacinthe Rigaud et de Nicolas de Largillière. Les protagonistes sont soit assis à leur bureau comme surpris en plein travail, soit posant, dans un décor palatial, à proximité de leur imposant bureau. Une couleur unique pour les costumes : le noir aux effets moirés et toujours la manche, parfois en dentelle, blanche.

Le « Portrait de Samuel Bernard (1651-1739) » est le tableau le… plus cher de l’exposition. « En 1726, au faîte de sa puissance, il demanda à Rigaud d’éterniser ses traits dans la grande tradition du portrait d’apparat dont l’artiste était le plus illustre virtuose » (in catalogue). Cette toile est le reflet de la toute-puissance des financiers sous le règne de Louis XV ! Le banquier est assis dans une loge ouverte sur la mer. Il pointe, de son index gauche, les navires la sillonnant. En arrière-plan, un globe terrestre où figure l’océan indien (il crée, entre autres, la Compagnie des mers du Sud en 1698). Une façon de se poser en maître du commerce colonial. Le bras gauche repose négligemment sur une table au piètement sculpté où sont disposés un encrier et diverses lettres décachetées. Remarquons une fois encore les lourds drapés de velours : celui du rideau qui « plane » au-dessus de lui, celui du manteau. Le satin de son habit barré par la soie moirée du cordon de l’ordre de Saint-Michel. La blancheur du jabot presqu’identique à celle de la perruque ! Un « Portrait d’Antoine Pâris (1668-1733) » (1724) : la pose, bien qu’inversée, y est sensiblement la même. A son habitude, Rigaud peint d’amples drapés où le bleu du manteau de velours se dispute à la soie marron du costume, le tout éclairé des touches blanches du col ouvert et des manchettes de dentelles. Une particularité : le financier s’est fait représenter dans sa célèbre bibliothèque.

Laissons les financiers pour rejoindre le monde de l’Eglise. Trois des tableaux retiennent notre attention. Le premier, exposé à gauche de l’entrée, surprend par sa « simplicité » d’exécution ! Le « Portrait d’Armand Jean Bouthillier de Rancé (1626-1700)» a été commandé au peintre par le duc De Saint-Simon (1675-1755). Rancé, trappiste, est peint à la manière d’un saint Jérôme absorbé par l’étude, le tout dans un camaïeu de gris et d’ocre peu habituel chez Rigaud ! Comme il refusait de se faire portraiturer, Saint-Simon convainc Rigaud d’user d’un stratagème pour entrer dans la cellule de l’abbé. « (… le) double défi du portrait « à la dérobée » en même temps que « de mémoire » (…) l’artiste prit donc le chemin de La Trappe où sa tâche le retint sept jours » (in catalogue).


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Portrait d’Armand Jean Le Bouthillier de Rancé (1697), Huile sur toile, Signé au dos : « Peint par Hyacinthe Rigaud, 1697 et inscription latine due sans doute à Saint Simon © Abbaye de La Trappe (bibliothèque), Soligny-La-Trappe (61 – Orne)

Avec le « Portrait d’Emmanuel Théodose de La Tour d’Auvergne (1643-1715), cardinal de Bouillon » (17007/09 puis 1740/41) nous retrouvons les grands portraits d’apparat. Un chef d’œuvre selon Voltaire (1694-1778) ! Impressionnant, il l’est de par ses dimensions (2,47 x 2,17 m), par son prix (7000 livres), par l’ampleur de la composition. Le personnage est également haut en couleur. Bien qu’exilé à Rouen par Louis XIV pour ses convictions proches du Quiétisme, le cardinal connut son « moment de gloire ». En effet, le pape Innocent XII (1615-1700) étant souffrant, c’est à lui que revint l’honneur de présider, en tant que doyen du Sacré Collège, la cérémonie d’ouverture de la Porte Sainte de la basilique Saint-Pierre de Rome, à la Noël 1699, pour le renouvellement du siècle. Le cardinal de Bouillon, premier prélat français à obtenir cet honneur, tient à fixer ce moment. Les accessoires du rituel sont présents : sur la gauche, la grande croix rayonnante… le carreau de pourpre (posé à l’angle du bureau) sur lequel le cardinal s’agenouille au seuil de la basilique… le marteau de vermeil (dans sa main) qui permet d’ouvrir la porte. La truelle de vermeil tenue par le plus jeune des enfants (son neveu) qui n’est utilisé que lors de la cérémonie de fermeture de la Porte Sainte, cérémonie que le cardinal n’a pas présidée. Harmonie des tons rouges et or (la pourpre cardinalice) trouée par le bleu du cordon du Saint-Esprit puisqu’à cette date le cardinal n’avait pas encore été déchu de l’ordre. Deux détails : le cardinal tient sa barrette du bout des doigts et détourne le regard (il était atteint d’un léger strabisme !) et son chapeau de cardinal semble glisser derrière la croix. Une façon pour lui de « nier » son état réel dans la hiérarchie ecclésiastique !


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Portrait d’Emmanuel Théodose de la Tour d’Auvergne, cardinal de Bouillon, (1707-1709/1740-1741), Huile sur toile, Musée d’art Hyacinthe Rigaud, Perpignan © Musée Hyacinthe Rigaud, Perpignan (Pyrénées-Orientales, France) – Inv. 820-1-1 / Pascale Marchesan

Le « Portrait de Guillaume Dubois (1656-1723) ». Rappelons que l’archevêque de Cambrai fut le précepteur du duc de Chartres, futur Régent. Le décor (sceaux et ouvrages précieux) appartient aux décors habituels utilisés par Rigaud lorsqu’il s’agit du bureau d’un prélat, d’un contrôleur général, d’un ministre. Remarquons, à nouveau, le rendu des nuances de rouge et plus particulièrement de celui du pompon de la barrette. De même, la précision toute en finesse de la dentelle de la manche du rochet (surplis à manches étroites).

Quittons le monde ecclésiastique pour le monde de l’épée. Nous avons déjà admiré le magnifique costume de grand maître de l’ordre royal de Saint-Lazare de Jérusalem et de Notre-Dame du Mont Carmel que porte « Philippe de Courcillon (1638-1720), marquis de Dangeau » (1702). Un manteau aux couleurs des deux ordres : envers de velours amarante (ici proche du violet) et revers de velours vert (sinople). L’envers est semé de fleurs de lys et brodé d’une frise où alternent couronnes, trophées d’arme et les chiffres des deux ordres. L’ensemble est complété par une toque ornée d’une aigrette au noir profond. La perruque du marquis ainsi que sa pose (bras gauche replié sur sa taille) ne sont pas sans rappeler celle du portrait de Louis XIV !


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Portrait de Philippe de Courcillon, marquis de Dangeau (1702), Huile sur toile, Signé et daté en bas à gauche : Hyacinthe Rigaud Ft 1702 © Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 3652

Que dire du « Portrait de jean François Paul de bonne de Créquy (1678-1703), duc de Lesdiguières » (1687) qui figure sur les affiches et la jaquette du catalogue ? « Agé de neuf ans, le petit duc est représenté dans ses fonctions d’officier, entouré de l’apparat seyant à la carrière qui lui est promise. Cadré à mi-cuisse, il revêt le plastron militaire et arbore le bâton de commandement. Une ample draperie bleue liserée d’or évoque tout à la fois le manteau ducal et le paludamentum antique. Le duc est campé sur fond neutre et sombre qui contraste avec la vivacité des coloris. » (in catalogue). Arrêtons-nous sur son visage qui est tout en délicatesse et charme ! Lèvres pincées… yeux en amande et douceur du regard… traitement vaporeux de la chevelure aux boucles fines… Même délicatesse dans le modelé des doigts. Encore une fois, nous retrouvons les couleurs mordorées et le bleu profond du manteau. Des touches précieuses : blancheur de la dentelle du col et des poignets… justaucorps de brocart répondant à l’envers du manteau.

La réputation de Hyacinthe Rigaud est indissociable de la faveur et des nombreuses commandes reçus des Bourbons. Ainsi, avec le « Portrait d’Elisabeth Charlotte de Bavière (1652-1722), princesse Palatine, duchesse d’Orléans », nous entrons au sein de la famille royale ! Madame fit venir Rigaud à Marly, en 1713, pour réaliser ce qu’elle nomme dans sa correspondance son « contrefait » ! Il est vrai qu’on a coutume de dire qu’elle tient plus de l’homme que de la femme. Visage disgracieux (elle a eu la petite vérole) marqué de rides… nez qu’elle dit être « de travers »… embonpoint de la silhouette… cheveux grisonnant, poivre et sel… mains grassouillettes… Mais le portait s’inscrit dans un décor à l’image de son rang : fauteuil à dossier droit, paire de colonnes en arrière-plan, dais de velours où pendent des pompons. De même sa toilette : corps de robe fait d’un somptueux brocart à grands motifs… ample manteau de velours bleu fleurdelisé et doublé d’hermine… dentelle précieuse et voile noir d’une sorte de mantille.


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Portrait d’Elisabeth Charlotte de Bavière, princesse Palatine, duchesse d’Orléans (1713), Huile sur toile, Porte une signature effacée sur la base de la colonne de droite : Par… // Hy… : R…g…d /// 17… ; porte au dos de la toile de rentoilage la marque royale L.P.O couronnée © Deutsches Historisches Museum, Berlin, inv. Gm 96/37

Philippe d’Orléans, duc de Chartes (1674-1723) a été portraituré en 1689. Louis (1661-1711), fils du roi, dit le Grand Dauphin l’a été en 1708. Louis de France (1682-1712), duc de Bourgogne en 1702/03. C’est également le cas de Philippe, duc d’Anjou, petit-fils du roi, en novembre 1700, peu de temps avant son départ pour la cour d’Espagne. Dans ce « Portrait de Philippe V (1683-1746), roi d’Espagne » Rigaud marque la nouvelle dignité de son modèle grâce à son costume : il est vêtu de noir selon la tradition en vigueur à la cour d’Espagne. De même en est-il du col, la golilla, et de l’épée à la garde en forme de bol renversé dite en taza. Il pose sa main sur la couronne espagnole et arbore la Toison d’or. Seule touche de couleur sur son costume : le cordon bleu de l’ordre du Saint-Esprit. Il est campé dans une position semblable à celle de son grand-père, dans un décor palatial convenu : somptueux rideau drapé et nappe de velours aux tons chauds de marron ocré.

Et Louis XIV entre en scène ! D’abord avec le modello peint en 1701. Il s’agit d’une étude préparatoire, d’une esquisse très précise et réalisée à plus petite échelle, ici 0,55 x 0,45. Elle doit être soumise à l’approbation du commanditaire. Puis sont présentés en vis-à-vis deux portraits du roi, dans un encadrement de bois brut afin que notre regard soit concentré sur l’effigie royale ! L’un en provenance du département des Peintures du musée du Louvre, le second de la collection versaillaise. Le roi est peint dans toute l’étendue de sa majesté. Non dans le costume du sacre mais dans celui dit « du lendemain ». Une partie des « regalia » (ensemble des objets symboliques de la royauté placés sous la garde de l’abbé de Saint-Denis) sont représentés : la couronne d’Henri IV et la main de justice posées sur un coussin à la droite du roi… l’épée dite « Joyeuse » portée à la ceinture (elle est considérée comme ayant appartenue à Charlemagne)… le sceptre de Charles V (renversé et sur lequel s’appuie le roi comme s’il s’agissait d’une canne !) sans oublier l’ample manteau fleurdelisé à revers d’hermine. On aperçoit le trône installé sur une estrade recouverte d’un riche tapis. La pose, la perruque, les souliers à talons rouge sont identiques. Seul le visage diffère, il est plus petit sur la toile de Versailles : le roi y parait plus jeune ! Le corps y est aussi mieux proportionné. Nous avons là l’image d’un personnage et de sa fonction… d’un personnage au visage vieillissant, au regard dur mais aux jambes de jeune homme ! Une image gravée dans l’inconscient de chacun de nous. Un « modèle insurpassable qui s’imposa aux générations suivantes de chefs d’états et ce quel que soit leur régime politique. » (in catalogue).


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Epée dite « Joyeuse », Ile-de-France, XI-XIIème siècles avec interventions de Martin-Guillaume Biennais et de Jacques-Eberhard Bapst au XIXe siècle. Or, acier, perles de lapis ou de verre sombre © Musée du Louvre (PARIS), département des Objets d’art, inv.MS 84 / JMB


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Sceptre de Charles V, Le sceptre « de Charles V » fut réalisé à Paris au XIVème siècle. Il s’agit probablement d’une commande effectuée par Charles V, en vue du sacre de son fils Charles VI qui eut lieu en 1380. Constitué d’or, d’argent doré, de perles, de rubis et de verres colorés © Musée du Louvre (PARIS), département des Objets d’art / JMB

Trois tableaux de son successeur, Louis XV. A l’âge de cinq ans, il est représenté avec les attributs royaux mais assis afin de lui conférer la majesté requise. En 1721, un an avant le sacre au moment des tractations pour son futur mariage avec une infante espagnole. Il est peint debout, le regard tourné dans la même direction que précédemment. Enfin, en 1727. Il s’agit là du portrait officiel du monarque. Debout à côté du trône, la main posée sur la couronne, il tient fermement le sceptre. Le décor est toujours aussi somptueux voire davantage ! Seules les tonalités de la palette changent quelque peu : le bleu du velours royal est plus foncé ainsi que le marron de l’immense rideau en arrière-plan.

La dernière section s’intitule, « Le premier peintre de l’Europe ». En effet, la réputation de Rigaud dépasse rapidement les frontières du royaume avec une forte prédominance des pays du Nord et de l’Est. Nous retiendrons un « Portrait de la famille Morsztyn » (1692/93) : manteau drapé en satin noir moiré du père, en deuil, avec à ses pieds des fleurs de pavot… satin bleu lapis éclatant de la robe de sa fille enveloppée d’une draperie aux teintes violine à reflets rosés… finesse des broderies dorées… l’ensemble sous un ciel orageux. La présence d’un oranger, dont la jeune fille tient un fruit, symbolise sa future union.

Au sortir de l’exposition deux « curiosités » dans le sens où ces deux tableaux posent des questions. Ainsi en est-il du « Portrait d’un jeune homme noir » (vers 1710/20) : pourquoi ce tableau ? Est-ce un modèle, une tête de caractère ? Répond-il à une commande ? Quelle est l’identité du jeune homme ? Aucune mention n’a été retrouvée dans les livres de compte du peintre. Il porte, autour du cou, le collier de servitude, un turban à la mode turque et un arc. Si notre œil se focalise sur la blancheur du turban, il n’en n’oublie pas moins le soin avec lequel est peinte la veste aux nuances de vert clair et la virtuosité des touches de la blancheur de l’écharpe. La beauté et la régularité des traits du visage ainsi que l’intensité du regard, pourtant tourné vers un ailleurs, nous interpelle également.


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Jeune serviteur noir (vers 1710/20), Huile sur toile © Dunkerque, musée des Beaux-Arts, inv.823/ RMN – GP / Daniel Arnaudet

Pareillement, pour quelle raison Rigaud a-t-il peint cette « Menaceuse » (1708/09) ? Sous l’impulsion d’un amateur d’art, Nicolas Boucher, il s’inspire peut-être du peintre Jean-Baptiste Santerre (1651-1717) ? La toile rejoindra la collection Guéidan dont nous avons déjà parlé. Toujours est-il que cette œuvre est l’unique tableau de nu que Rigaud peint au cours de sa carrière. Malgré l’élégant toquet (sorte de petit bonnet) à plume qui orne la chevelure tressée, les harmonies violines du drapé, les rondeurs nacrées du buste en partie dévoilé, l’attention se porte sur l’expression du modèle : elle menace (qui ?) de son doigt tout en ayant un œil aguicheur, provocateur mais plein de tendresse. C’est ainsi que s’achève notre visite !

Remercions notre guide conférencière qui a su, par se compétence, nous faire découvrir cette incarnation du Grand Siècle qu’est Hyacinthe Rigaud. Elle a évoqué les arcanes de l’exposition tout en nous contant diverses anecdotes sur la vie du peintre. Plusieurs toiles provenant de collections muséales ou privées (Etats-Unis et Australie) n’ont pu faire le déplacement à Versailles pour cause de pandémie. De même, l’accrochage actuel n’est pas tout à fait le même que l’accrochage initial : deux toiles sont absentes. L’une a rejoint son musée d’origine, le musée Carnavalet, qui vient de rouvrir après quatre ans de travaux. La seconde est repartie chez son propriétaire. Nous l’avons dit dans notre introduction, cette exposition était initialement prévue sur quatre mois. Elle ne sera finalement ouverte au public que sur vingt-six jours ! Ceci pour des raisons très « pratiques » qui ont surpris voire amusés les visiteurs : durant la période estivale, il y a trop de luminosité mais surtout il fait trop chaud dans ces salles qui ne disposent pas de climatisation !

Rigaud était bègue. Aussi curieux que cela puisse paraître, il lui arrivait de chanter pour s’exprimer… Il n’aime pas peindre les femmes sous le prétexte qu’elles peuvent ne pas être satisfaites de leur représentation ! «(…) Si je les fais, disoit-il, telles qu’elles sont, elles ne se trouveront pas assez belles ; si je les flatte trop, elles ne ressembleront pas » (selon le propos de Dazallier d’Argenville en 1745, in catalogue). C’est un artiste une sorte d’entrepreneur qui s’occupe de tout : la peinture mais aussi du choix du cadre dont le coût est parfois plus élevé que celui de la toile elle-même. Si le commanditaire est étranger, il signe le tableau sur le dos de la toile et supervise toutes les modalités de l’envoi.

La mise en scène a su éviter l’écueil d’une présentation fastidieuse puisque l’exposition ne présente « que » des portraits ! Une mise en situation qui joue avec la couleur des murs en rapport avec la palette utilisée par le peintre (voir note photo de l’accrochage du portait de la comtesse de Lignières). Une scénographie luxueuse et aérée où l’accrochage dans chaque pièce trouve son plein épanouissement.


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Portrait de Marie Louise du Bouchet de Sourches, comtesse de Lignières (1696) ; Huile sur toile ovale, Signé et daté au dos de la toile originale : peint par Hyacinthe Rigaud 1696 ; autre inscription au dos de la toile originale : Marie Louise Bouchet de Sourches comtesse de Lignières © Collection du marquis de Lastic, Château de Parentignat (63 – Puy-de-Dôme)

Dans sa conférence sur YouTube, « Hyacinthe Rigaud au service de sa Majesté », Ariane James-Sarazin conclut son propos en notant deux éléments essentiels. Il s’agit là d’un parcours à nul autre pareil d’un artiste qui s’est fait lui-même. Il obtint une réussite particulièrement éclatante dans un genre particulièrement mineur ! Et fait du portrait un moyen d’expression total.

Surnommé le « Van Dyck français », il a su combiner apparat et grâce dans un déploiement d’étoffes aux rendus précis et chatoyant. Souverains, nobles, religieux, financiers ou bourgeois, tous ont trouvé en Hyacinthe Rigaud le portraitiste le plus talentueux de son époque.

Laissons le mot de la fin à Claude François Desportes (1695-1774) « Rigaud, peintre des grands, des guerriers et des rois, toujours de la nature imitateur fidèle, joint au plus beau fini, la touche la plus belle. »


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À l'occasion de l'exposition « Hyacinthe Rigaud ou le portrait Soleil », le musée national des châteaux de Versailles et de Trianon et le musée d'art Hyacinthe Rigaud de Perpignan organisent conjointement l'exposition « Portraits de reines de France (1630-1665) » qui se consacre à cette fameuse figure royale.

La revue « Les carnets de Versailles » (novembre 2020-mars 2021) propose une immersion dans l’atelier du peintre comme si vous commandiez votre portrait en vous glissant dans les habits d’un client. Puis une interview de Pier Luigi Pizzi qui a scénographié l’exposition.

Le numéro 39 du trimestriel « Château de Versailles » lui consacre un article. Sans oublier le précieux catalogue.



Publié le 13 juin 2021 par Jeanne-Marie BOESCH