Le Mystère Le Nain

Le Mystère Le Nain ©Musée du Louvre: La Victoire (vers 1635), Louis Le Nain
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Cette exposition est organisée par le Kimbell Art Museum de Forth Worth (Texas), les musées des Beaux-Arts de San Francisco (Californie) et le musée du Louvre-Lens




Dans la préface du catalogue de l’exposition qui s’est tenue au Gand Palais (Paris), du 3 octobre 1978 au 9 janvier 1979, Jacques Thuillier écrivait à propos du tableau « Famille de paysans » que «Le Nain n’existe pas. Il existe trois frères Le Nain. Et personne ne saurait en conscience dire quelle main peignit ce tableau ». Là est posée toute la question à laquelle la rétrospective du Louvre-Lens essaie de répondre. Des études stylistiques et techniques poussées permettent d’avancer des hypothèses quant à ce corpus souvent présenté comme un bloc homogène sous la signature « Lenain », sans précision de prénom. L’exposition réunit une cinquantaine de leurs tableaux (dont certains sont devenus emblématiques de l’histoire de l’art !) ainsi qu’une vingtaine de toiles de leurs « suiveurs ». Au fil de celle-ci, nous partons à la découverte de « Louis, un génie méconnu ? » puis d’ « Antoine, portraitiste et miniaturiste » avant de faire la connaissance de « Mathieu, l’ambitieux ». La quatrième salle du parcours présente des œuvres qui leur furent longtemps attribuées car le trio jouissait d’une grande vogue de son vivant suscitant nombre d’imitateurs ! La dernière salle pose la question des « œuvres disputées », celles qui opposent toujours les historiens de l’art qui s’intéressent aux problèmes d’attribution !

Originaires de la ville de Laon (Picardie), Antoine est l’aîné. Il obtient la maîtrise, ce qui lui permet d’ouvrir un atelier. Il s’installe, en 1629, dans l’enclos privilégié de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés à Paris. Ses deux frères seront ses compagnons. Louis, le cadet, est le plus mystérieux. Mathieu, le plus jeune, devient peintre ordinaire de la ville de Paris en 1633, puis lieutenant dans une milice bourgeoise. Il continue de peindre après la mort des aînés, en 1648.

La visite débute par trois grands tableaux (huile sur toile) ayant trait à la Mythologie : l’ « Allégorie de la Victoire » (vers 1635), la « Vénus dans la forge de Vulcain » (1641) et « Bacchus et Ariane » (vers 1635). Composition élégante… sensualité exquise… figures fines et gracieuses… visages juvéniles d’Ariane et de la Victoire… position identique de la main sur leur sein pour Vénus et la Victoire… peau blanche, comme diaphane, des personnages divins ainsi idéalisés… gamme de coloris restreinte offrant la même palette de bleu-vert, de gris et de rouge adouci pour les trois personnages féminins ou celui qui, par petites touches, évoque les flammèches du feu de la forge.


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Vénus dans la forge de Vulcain (1641), Louis Le Nain – Huile sur toile © Musée des Beaux-arts, Reims

S’offre ensuite à notre regard, le « Triple portait » (vers 1646/48) des frères Le Nain. La touche d’impression grise, du dessous, encore présente, la finesse du rendu de la texture du satin beige (homme de gauche) suggèrent la main de Louis. Le personnage de profil sur la droite ne semble pas être de la même facture : coloris plus chauds, forme du visage du personnage, sans doute féminin, serait de la main de Mathieu… Aurait-il ébauché une seconde composition destinée à remplacer le triple portrait juste ébauché ?


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Triple portrait (vers 1646-1648), Louis et Mathieu Le Nain – Huile sur toile © National Gallery, Londres

La première salle est consacrée à Louis, aujourd’hui considéré comme le génie artistique de la famille et probablement l’auteur de la plupart des scènes paysannes. Les premières toiles exposées décrivent « La Rixe » (vers 1640) ainsi que « Les Petits Joueurs de cartes » (vers 1635/40). Cette dernière est accompagnée d’une variante : une huile sur cuivre de très petite dimension. Le thème du jeu de cartes est fréquent dans la peinture de cette époque. Les joueurs se retrouvent autour d’une table, ici un tambour ou un panier. Deux joueurs de « La Rixe » sont concentrés sur leur jeu, indifférents à la querelle des soldats qui semble s’envenimer ! Notons le rendu des chevelures et la présence du chien aux longs poils légèrement bouclés se tenant aux côtés d’un vieil homme, assis un verre à la main et s’intéressant peu à ce qui l’entoure ! Les coloris sont fondés sur un camaïeu de brun avec des nuances de bleu et des touches de rouge.

Viennent ensuite plusieurs tableaux dits « de dévotion » : accrochés dans les églises, vus par un large public, ils permettent de faire vivre un atelier. Citons : « Saint Michel dédiant ses armes à la Vierge » (vers 1638), « La Nativité de la Vierge » (vers 1642) … ou encore de plus petites toiles : « Saint Jérôme » (1643) qui offre une belle tête de vieillard chenu… ou « La Madeleine pénitente » (vers 1643), jeune femme en pleine méditation. Elle est assise dans un espace clos qui s’ouvre vers l’extérieur. Le ton vert de son vêtement « ressort » dans cette harmonie froide de gris bleutés. Les autres grands tableaux offrent une composition en deux parties : celle, terrestre, où se déroule la scène et celle, céleste, faite de nuages et de chérubins aux visages réalistes. Si les tons froids dominent bien souvent, les touches de rouge illuminent délicatement l’ensemble. « L’Adoration des bergers » (vers 1640) présente la Sainte famille sur fond de paysage et de « ruines romaines » (fûts de colonne) : délicatesse du visage de la Vierge, de celui des anges émerveillés, penchés au-dessus de l’enfant couché… fraicheur et raffinement des coloris…

Les scènes paysannes ont fait la réputation des frères Le Nain. Certaines comptent parmi les œuvres majeures de la peinture française ! Ce ne sont pas des paysans aux champs, voire des piliers de tavernes comme on peut en trouver dans la peinture nordique. Si nous remarquons la présence d’enfants, d’animaux de compagnie (chiens et chats) voire d’instruments de musique (vielle, flageolet, violon), le décor est dépouillé (quelques accessoires posés sur une table ou sur la cheminée, une chaise), les mouvements semblent figés, l’immobilité règne. L’impression qui émane de ces toiles est celle d’un silence confinant à la retenue, de regards comme perdus dans le vague. Et pourtant tout paraît vrai ! Les personnages bien campés sont, souvent, un portrait à eux seuls ! Louis témoigne également d’un réel sens du paysage. Celui-ci prend toute son ampleur dans « Paysans dans un paysage » (vers 1642).

Arrêtons-nous sur les enfants. Dans « La Famille de paysans » (vers 1642), le petit joueur de flageolet joue avec application, ses joues sont rondes et sa chevelure est faite de boucles épaisses. La petite fille qui dort, la bouche ouverte, dans les bras d’une femme au sourire tendre (« La Charrette » -1641), semble bien réelle… alors que le groupe d’enfants juchés sur cette charrette semble plus statique. Dans l’ « Intérieur paysan » (vers 1642/45), un jeune garçon regarde avec une certaine insistance le vieillard qui lui fait face… la petite fille, paupières baissées, adossée à la cheminée, a le visage éclairé par le feu : elle apporte, à la composition, comme une sorte de « fraîcheur ». Le garçon, comme nombre de personnages entrant dans la composition des scènes d’intérieur, tient un verre en main : ce verre de cristal parait improbable tant il n’appartient pas à un intérieur paysan ! La touche de rouge rubis du vin qui, ici, répond au rouge du corsage de la femme au rouet anime les gris et les bruns qui sont l’essentiel des teintes de ces intérieurs.


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La Famille de paysans (vers 1642), Le Nain ( ?) – Huile sur toile © RMN – Grand Palais, Musée du Louvre, Paris

Les animaux ajoutent un supplément de vie à ces scènes : là un chat qui ronronne ou celui attentif derrière la marmite de « La Famille de paysan »… là un chien qui observe ou qui dort roulé en boule. Notons néanmoins que le petit chien blanc du « Repas des paysans » (1642) n’est pas de la race de ceux susceptibles de faire partie d’un intérieur paysan. Parfois ces animaux peuvent être le sujet de la toile. Ainsi « L’Ane » (vers 1641) : il est, avec l’enfant qui le guide, manifestement le centre du tableau. L’artiste le peint avec soin tant dans les couleurs employées que dans les touches du pinceau. Elles rendent avec précision son pelage ou les touffes de poils sur sa tête. Nous avons déjà vu cet âne à l’arrière-plan de « L’Adoration des bergers ». « Le Puits » (vers 1641) présente la même originalité : une vache dont la forme sombre contraste avec la luminosité de la scène autour du puits. Cochons, volatiles, vaches et autres animaux font également partie du bestiaire. Ils occupent une place à part dans la peinture française de ces premières années du XVIIème siècle, peu encline à les représenter !


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L’Ane (vers 1641), Louis Le Nain – Huile sur toile © Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg

La salle suivante, sorte de sas, nous conduit vers Antoine. Auparavant, « les portraits cachés, portraits trouvés » présentent ce que la radiographie dévoile sous la couche picturale. Ainsi en est-il de « La Tabagie » (1643) : la réflectographie infrarouge met en évidence une tête de femme (à moins que ce ne soit celle d’un moine) sous le fumeur de gauche et témoigne des réemplois faits par les frères Le Nain.

Rappelons qu’Antoine est l’aîné des trois frères et le titulaire de la maîtrise donnant droit d’ouvrir un atelier. Spécialisé dans des tableaux de petit format sur bois ou sur cuivre, sa touche est fine et les couleurs employées, brillantes. Regardons le « Portait de Henri de Lorraine, comte d’Harcourt (1601-1666) » (pour l’anecdote, il est demeuré près de quatre siècles dans la famille Le Nain) : les traits sont vifs… les sourcils marqués… les grands yeux ouverts sur le lointain… la perle de l’oreille et la dentelle du col sont peints avec finesse… Cette finesse d’exécution se retrouve dans le brocard de la robe jaune et la dentelle des manches de la jeune femme assise au premier plan de la « Réunion musicale » (1642). Néanmoins, à l’exemple de celui-ci, la composition de ses tableaux reste le plus souvent sommaire, maladroite. Bien que diversement orientés, les personnages de l’arrière-plan sont rigides, juxtaposés ; seuls les visages gardent une certaine expressivité !

Comme son frère, Antoine peint l’enfance. Chez lui, les enfants deviennent un sujet en soi. Ils apportent comme une touche de vivacité, de gaité. Regardons le « Bénédicité » (vers 1645) : l’écuelle est certes vide… la femme est recueillie… la petite fille, au centre, a une frimousse bien éveillée et joint ses mains pour la prière, alors que le sourire du jeune garçon de droite révèle espièglerie et malice. Ces enfants sont souvent associés à la musique jouant eux-mêmes d’un instrument : joueurs de violon dans « Les Jeunes Musiciens » (1640/45), « Préparation pour la danse » (vers 1645) ou joueur de flageolet dans « Portraits en Intérieur » (1647).


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La Bénédicité (vers 1645), Antoine Le Nain – Huile sur cuivre © The Frick Art and Historical Center, Pittsburgh

Une seconde salle a vocation de continuer à éclairer le visiteur : un diaporama évoque les précédentes expositions consacrées aux frères Le Nain. Celle de 1934, « Les peintres de la réalité » organisée par Paul Jamot puis celle de 1978 sous la houlette de Jacques Thuillier. Sans oublier de mentionner l’ouvrage de Champfleury paru en 1865, « Documents positifs sur la vie des frères Le Nain ». Deux écrans permettent ensuite d’observer divers détails des peintures accrochées. Une vidéo « Sur quoi peignaient les frères Le Nain» explique les différentes étapes de la préparation des supports utilisés (panneaux de bois, toiles de lin, plaques de cuivre).

C’est au tour de Mathieu de nous accueillir ! Ses sources d’inspiration sont multiples. La première huile sur toile, « Le Joueur de flageolet » (vers 1645) est accompagnée d’un fond musical, un extrait du « Jardin des délices à la flûte ». A nouveau « Les Joueurs de cartes » (vers 1648) : ils ne se regardent pas mais fixent leur regard sur le spectateur du tableau ainsi que nous avons pu le constater à maintes reprises. Puis diverses œuvres religieuses attestent de l’intervention des Le Nain dans plusieurs églises parisiennes : Saint-Germain-des-Prés, Notre-Dame… Parmi celles-ci, deux œuvres intitulées « L’ Annonciation », la première datée de 1630/1632 : l’ange Gabriel regarde la Vierge agenouillée et semble la bénir, des anges regardent la scène du haut de leurs nuages. Dans la seconde (vers 1660), nous retrouvons ces putti comme en « rang d’oignon » au-dessus de l’ange placé quasiment au même niveau que la Vierge. Il tient dans sa main une branche de lys. Si la gamme de gris domine ici, la Vierge est aussi vêtue d’une robe rouge et d’un manteau dans les tons de vert olive. Notons, dans le bas gauche du tableau, le détail de la corbeille d’où s’échappe un linge, détail que nous retrouvons dans les deux tableaux.

« La Vierge au verre de vin » (vers 1650) intrigue. « (Le tableau) a d’évidence une valeur symbolique annonçant la Passion et faisant de cette composition une allégorie mystique » (Nicolas Milovanovic, in le catalogue de l’exposition) : la cheminée à l’arrière-plan est celle des compositions paysannes… les anges de gauche (leurs ailes sont tout juste esquissées) apportent un panier de pommes… la Vierge tient l’enfant Jésus accroché à son épaule tout en tenant, de l’autre, un verre de vin qu’elle regarde… une figure féminine voilée assiste à la scène, les yeux en direction de l’enfant. Remarquons à nouveau la présence de ce verre à pied en cristal emblématique des intérieurs aristocratiques ou grands bourgeois.

Parmi les compositions à sujets bibliques, admirons « La Cène » (vers 1655) : Jésus vêtu de rouge regarde vers le haut… les douze apôtres sont présents, parfois « réduits » simplement à leur visage… celui, plus juvénile, aux côté de Jésus est sans doute Jean… Judas, au centre de la composition, est reconnaissable à la bourse qu’il tient. « Le Reniement de saint Pierre » (vers 1655) : la scène est plongée dans un clair-obscur. Notre œil est attiré par le bleu indigo du vêtement de Pierre… son visage qui émerge de l’ombre est saisissant, sans doute comprend-il ce qu’il vient de dire ? Nous retrouvons dans « Ecce homo » (1648/50) le même cadrage à mi-corps : le personnage de gauche, au costume dans les tons de vert amande, se retourne vers le spectateur, tout comme celui de droite, très probablement Caïphe, dont le regard semble nous interpeler. La façon de traiter les cheveux, les barbes et les drapés permet un rapprochement avec « Les Joueurs de cartes » (vers 1648) où, là aussi, un visage apparait à l’arrière de la scène. Le modelé du nu du corps du Christ peut se rapprocher de celui de « La mise au tombeau » (vers 1646/48) ou de « La Déploration sur le Christ mort » (vers 1650). Dans ce dernier, le corps du Christ est comme abandonné sur son linceul, juste entouré par La Vierge, Saint Jean dans la pénombre et Madeleine toute à son émotion et son recueillement. Quant aux stigmates, ils apparaissent bien peu visibles !


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Le Reniement de Saint Pierre (vers 1655), Mathieu Le Nain – Huile sur toile © RMN – Grand Palais, Musée du Louvre, Paris

Deux toiles exposées portent le tire « Le concert » et semblent avoir été peintes dans les années 1655/1660. Elles relèvent de ce qu’on appelle communément la scène de genre. Nous avons déjà eu l’occasion d’aborder le thème du jeu. Celui des musiciens en est un autre. Le premier montre un vieux joueur de flageolet placé derrière une table alors qu’un jeune guitariste occupe le devant de la scène. Il est coiffé d’un bonnet de fourrure surmonté de plumes d’autruches (très à la mode à la cour du jeune roi qu’était alors Louis XIV).Il semble tenir la pose ! La seconde toile propose au premier plan un couple tout à sa musique, lui jouant du luth, elle de la guitare ; alors qu’un enfant, au centre de la composition, lit une partition, un vieillard à l’arrière joue du flageolet. La gamme de coloris est plus étendue : vert acide du costume du petit chanteur… bleu clair de la guitariste contrastant avec les notes de rouge vif de la cape du luthiste ainsi que des plumes ornant les toques. Ces plumes nous les retrouvons dans la coiffe du modèle qui pose, avec une guitare, face au peintre en plein travail : « L’Atelier » (vers 1655). Un sujet ambitieux, un peu à part ! Une fenêtre ouverte éclaire la composition… un homme assis, dos tourné vers nous, dessine… des bustes, des livres, un compas sont négligemment posés au sol… un troisième homme dans l’embrasure d’une porte… le peintre, lui-même, vêtu à la mode du temps porte une rhingrave… un chien qui nous regarde…


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L’Atelier de l’artiste (vers 1655), Mathieu Le Nain – Huile sur toile © The Frances Lehman Loeb Art Center, Vassar College, Poughkeepsie, New-York

La quatrième salle est consacrée à ces peintres que l’on a baptisés « les suiveurs » voire les « imitateurs » tant le succès des frères Le Nain était grand ! Bien souvent, par le passé, ces toiles leur ont été attribuées ! Certains de ces peintres sont identifiés tels Jean Michelin (vers 1616-1670) ou Alexandre (?) Montallier. D’autres demeurent anonymes. Les historiens de l’art leur ont, alors, attribués des « noms de conventions » : « Maitres des cortèges », « Maitres aux béguins » ou encore « Maitres des jeux ». La filiation artistique est sensible : choix des thèmes (scènes paysannes voire religieuses), choix des couleurs (indiquant une palette artistique proche).

Découvrons plusieurs de leurs toiles dont certaines de grande dimension. Parmi celles attribuées au « Maître des cortèges », citons « Le Cortèges du bœuf gras » (non daté) qui présente une composition en frise : un animal soigneusement choisi est promené au travers des rues par des membres de la corporation des bouchers. Ceux-ci lèvent leur verre à la santé des badauds. Un jeune musicien ouvre le cortège. La palette des couleurs évolue dans les tons d’ocre, de brun et de gris réveillés par le bleu vif de la couverture posée sur le dos du bœuf et le rouge vif de certains vêtements. « La Crucifixion avec sainte Marie-Madeleine au pied de la croix » (non daté) : la sainte est reconnaissable à sa longue chevelure. Elle lève vers le Christ un visage empreint de douleur et de compassion. Les effets de moirés brun rosé de son vêtement, les tons de ceux des anges « éclairent » un paysage sombre (au loin le soleil se couche derrière la croix) d’où le corps blafard du Christ se détache sur un fond crépusculaire.


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Le Cortège du bœuf gras ou la Procession du bœuf gras, dit la Fête du vin (vers 1660), Le Maître des Cortèges – Huile sur toile © RMN – Grand Palais, Musée du Louvre, Paris (en dépôt au Musée national Picasso, Paris)

La représentation des jeux de cartes ou de dés, ou celui des tricheurs, a donné son nom au « Maître des jeux ». « Les joueurs de tric-trac » (vers 1655) : les personnages se découpent sur un fond gris la lumière venant de la gauche ; la boîte de tric-trac est posée sur une table recouverte d’un tapis aux motifs orientaux minutieusement peints. Le thème de l’enfance se retrouve, avec une plus grande fraîcheur et plus de naturel, dans « La Danse des enfants au joueur de pochette » (vers 1650 ?) : sur la gauche, un homme assis joue de la pochette (violon miniature) alors que des fillettes, se tenant par la main, s’apprêtent à former un ronde. Les couleurs sont délicates jouant sur les accords de bleu et de rose de leurs vêtements. Notre regard est attiré par celui des fillettes tourné vers le spectateur. Poésie, mélancolie et douceur émanent de ce tableau !

Avec le « Maître aux béguins » nous retrouvons les scènes paysannes. Son nom fait référence aux bonnets portés par les fillettes de ses toiles : « L’Abreuvoir » (vers 16640/60) ou «Le Repas villageois » (id) : composition de la scène plus compacte, « tournant » autour d’un groupe central… présence d’animaux et de natures mortes sur le devant… vêtements colorés des personnages…

Jean Michelin se distingue par la représentation de petits métiers tels « Le Marchand de petits pains et les porteuses d’eau » (165 ?). Ici aussi, les personnages sont comme rangés en frise. Situés dans un espace urbain (cf. à l’arrière-plan, les façades de maisons où des plantes agrémentent les fenêtres) ils regardent le spectateur. L’harmonie brun-clair des couleurs est rompue par des touches de couleurs plus vives (bleu du vêtement de la porteuse d’eau debout ou rouge de celui des manches de la vieille femme assise sur le devant). Le tableau « Soldats au repos dans une auberge » (vers 1656) est lui aussi dans un camaïeu de tons ocres, de bruns clairs avec la touche brillante de la cuirasse du soldat au milieu de la composition, le rouge de ses crevés et celui des chausses (?) de l’homme affalé. Des enfants jouant aux cartes et quelques natures mortes, sur le devant, complètent l’ensemble.

La toile « Les Œuvres de miséricorde » (?) est attribuée à un peintre dont nous ne savons quasiment rien : Montallier. Sont illustrées ici les quatre œuvres de miséricorde énumérées dans l’évangile de Matthieu : nourrir les affamés, donner à boire à ceux qui ont soif (deux scènes sur la droite du tableau), vêtir ceux qui sont nus (au premier plan à gauche) et accueillir l’étranger (à l’arrière-plan). Il s’agit là d’un sujet apprécié à une époque (milieu du XVIIème siècle) où la pauvreté s’étend dans les villes et les campagnes, contribuant au développement des organismes de charité.

La visite s’achève par « les questions disputées ». Depuis les premières recherches de Champfleury au milieu du XIXème siècle, nombre de questions restent posées quant aux tableaux attribués ou non à la main de chacun des trois frères ou à leur collaboration ! Plusieurs tableaux sont exposés dans le cadre de ce questionnement : « L’Académie », « Le Christ chez Marthe et Marie », « La Crucifixion » ou encore « L’Adoration des bergers ». (lire les pages 332-347 du catalogue de l’exposition pour faire le point des recherches en cours). La toile « Le Repas à la ferme » attribué à Abraham Willemsen (ou Willemesens, 1614-1678) est, quant à elle, proposée en comparaison avec le repas villageois du « Maître des béguins ». de la peinture du hollandais se dégage plus de vie (cf. la femme qui allaite entourée d’enfants… la volaille picore…), les tons sont plus clairs, plus délicats.

Un dernier tableau clôt l’exposition : « La Tabagie »(1643). Il s’agit de l’un des rares exemples de collaboration, une sorte de « chef d’œuvre à deux mains » ! Le tableau aurait été commencé par Louis puis achevé par Mathieu. Ainsi que nous l’avons dit plus haut, la réflectographie infrarouge met en évidence un repentir important sur la gauche : un fumeur a remplacé la jeune femme initialement peinte… Des ajouts sont également à noter tels les objets du premier plan ou le récipient contenant deux bouteilles.


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La Tabagie (1643), signé en bas à droite « Le Nain. fecit. 1643» – Huile sur toile © RMN – Grand Palais, Musée du Louvre, Paris

Le Louvre-Lens dispose d’un atout majeur pour la présentation d’une telle exposition : une surface de près de 1700 m² ! Chose non envisageable au Louvre parisien ! Cet espace permet au visiteur de déambuler à son aise dans l’exposition même lorsque des groupes scolaires se forment autour d’une œuvre exposée ! Comme lors d’expositions précédentes, la scénographie concoure, elle aussi, au plaisir de la découverte grâce à un accrochage sur fond de couleurs franches (bleu, différentes déclinaisons de gris ou de marron, rouge). Les frères Le Nain ont, en quelque sorte, « innové » en appliquant les règles du portrait à la représentation des plus humbles, la population des campagnes à une époque où les artistes peignaient plus volontiers la cour de Versailles !



Publié le 27 avr. 2017 par Jeanne-Marie Boesch