Molière, le jeu du vrai et du faux

Molière, le jeu du vrai et du faux ©Exposition Molière, le jeu du vrai et du faux - BnF/ Richelieu, Galerie Mansart-Galerie Fondation Paccar, 5 rue Vivienne 75002 Paris
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Quadri-centenaire de la naissance de Molière. L’occasion de découvrir une nouvelle exposition. Organisée sur le site Richelieu (galerie Mansart) de la Bibliothèque nationale de France (ancien palais Mazarin) récemment restaurée. Molière « fait partie » du quartier dans la mesure où il y est né, à proximité de la rue Saint-Honoré. Qu’il a donné de nombreuses représentations au premier théâtre du Palais-Royal. Qu’il est mort dans sa maison, sise rue de Richelieu. Joël Huthwohl parle d’un « ancrage rassurant au sujet d’un homme dont la vie a été la source de tant de légendes, que le public a du mal à distinguer ce qui relève de l’histoire et ce qui n’est que pure imagination. » (in Chronique de la BnF, numéro 95, septembre-décembre 2022). Nous l’avons évoqué dans notre précédente chronique (20 décembre 2022), les archives authentiques le concernant sont peu nombreuses. Sa graphie inconnue hormis sa signature sur un mince ensemble d’actes notariés. Son visage nous est familier grâce aux portraits dus aux peintres Nicolas Mignard (1606-1668) et Antoine Coypel (1661-1722). Tous deux sont présents dans l’exposition. Mais également par une sculpture du XVIIIème siècle, de Jean-Antoine Houdon (1741-1828). Et Joël Huthwohl d’ajouter : « la figure de Molière que nous connaissons aujourd’hui est le fruit d’une sédimentation historique et d’une construction collective. (…) il est passé sans encombre du statut d’artiste de cour sous Louis XIV à celui de référence littéraire majeure pour l’école de la Troisième République. » (ibidem). Cette exposition met en pièce ce que nous appelons aujourd’hui des « fake-news » dont la plus connue concerne sa mort. Non, il n’est pas mort sur scène en jouant Le Malade imaginaire mais bel et bien dans son lit, quatre jours après avoir fait un malaise sur scène !

Les recherches de ces dernières années ont permis une perception autre de ce qu’était l’homme. De ce qu’était sa carrière. Bien loin du mythe de l’époque romantique souvent repris dans nos manuels scolaires ! L’exposition laisse une place de choix aux arts du spectacle. Sont convoqués, outre une abondante iconographie (huiles sur toile, estampes et ouvrages imprimés), des costumes, des maquettes, des photographies. Le portait de Mlle Jeanne Beauval (fin XVIIème siècle) côtoie la photographie de Dominique Blanc (2016)… Le costume et le bonnet de Monsieur Jourdain porté par Louis Seigner en 1951 et la robe d’Agnès (L’Ecole des femmes) portée par Isabelle Adjani en 1973… Des affiches, dont celles du tricentenaire (1922) ou celle du film L’Avare avec Louis de Funès dans le rôle tire (1980). Nous y reviendrons.

La première partie de l’exposition convoque « une vie de légende ». Elle débute par celle qui entoure sa mort. Le Malade imaginaire n’a rien d’une pièce autobiographique ! Molière n’était pas malade, même s’il est en proie à des quintes de toux depuis quelques jours. Il n’est pas mort en scène. Il est mort, à son domicile, entouré de ses proches. Louis XIV autorise les obsèques religieuses bien qu’il n’ait pu recevoir les derniers sacrements. De ce fait, il est inhumé de nuit avec un cortège discret. Dans le cimetière de la chapelle Saint-Joseph, cimetière qui n’existe plus aujourd’hui. Dans la pièce, Argan accepte de simuler la mort pour faire éclater la vérité. Farce et duperie sont de la partie ! Une captation (Pathé Live, 2020) de la pièce mise en scène par Claude Stratz accueille le visiteur ainsi qu’une huile sur toile (1806), La mort de Molière, de Pierre Augustin Antoine Vaffard (1777-1837). Des oreillers blancs soutiennent sa tête livide. Il repose dans un fauteuil de velours rouge. Les jambes enveloppées d’un drap jaune qui capte la lumière. Deux sœurs de la Charité, agenouillées en prière, l’entourent. Dans cette pièce sombre, deux bustes. Sur une table un livre, une plume dans un encrier, divers feuillets. En quelque sorte « l’image d’un génie expirant seul. » (Olivia Voisin, in catalogue).


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Pierre Antoine Augustin Vaffard, La Mort de Molière, 1806,Huile sur toile © BMCF (Bibliothèque-musée de la Comédie-Française),I-0053 (Photo JMB)

Un document des plus émouvants : Extraict des receptes et des affaires de la comédie…, du comédien Charles Varlet dit La Grange (1635-1692). Ce dernier est de tous les spectacles, « camarade de scène » pourrait-on dire ! Il crée le personnage de Dom Juan et succède à Molière à la tête de la Troupe du Roi. Ce registre de comptes est un document exceptionnel sur la vie d’une troupe de comédiens. Même s’il a été écrit a posteriori. Ce manuscrit est ouvert à la page où La Grange relate la mort de Molière. Il est marqué d’un losange gris, comme tous les événements tragiques survenus au sein de la compagnie. Les événements heureux sont marqués d’un rond bleu. « Ce mesme jour, après la comédie, sur les 10 heures du soir, Monsieur de Molière mourust dans sa maison, rue de Richelieu, ayant joué le roosle du dit Malade imaginaire, fort incommodé d’un rhume et fluction sur la poitrine qui luy avait causé une grande toux,… ». Dans la même veine, plus loin, une « vidéo » où sont mis en regard, page par page, le registre tenu par le comédien et sa transcription.

Une facture (manuscrite) du costume d’Argan (1672), à côté du bonnet en lin porté pour jouer ce personnage. Toujours à propos du Malade imaginaire : une estampe de contrefaçon publiée à Amsterdam (Elzevier, 1674). Les œuvres posthumes de Monsieur de Molière, Tome VIII (…) (Paris 1682) : frontispice gravé par Jean Sauvé d’après un dessin de Pierre Brissart (1645-1682).

Plus loin, une montre oignon lui ayant appartenue. Son mécanisme a été changé au XVIIIème siècle. Elle est en laiton doré avec un cadre émaillé et porte une dédicace : « Crépy à J.B. Molière ». Crépy est un plumassier, bourgeois de Paris. Plusieurs manuscrits en rapport avec sa vie : l’engagement de Daniel Mallet, danseur de Rouen, dans la troupe de l’Illustre Théâtre, le 28 juin 1644. C’est sur cet acte notarié que figure « pour la première fois le surnom de « Molliere », dans le texte sous la forme de « Jean-Baptiste Poquelin, dict Molliere, et avec une signature qui, pour la seule et unique fois, omet le patronyme Poquelin » (Marie-Françoise Limon-Bonnet, in catalogue). Pour la pension accordée à Louis Béjart (16 avril 1670), les comédiens signent également devant le notaire. Enfin, l’inventaire après décès, en date du 13 mars 1673.

Quel visage mettre sur celui qui est devenu, au fil des ans, l’incarnation de la comédie française ? Deux peintres ont réalisé son portrait de son vivant : Nicolas et Pierre Mignard (1612-1695). Molière a rencontré le second lors d’un passage à Avignon, chez son frère. Tous deux s’installeront à Paris. Pierre choisit de le peindre dans son intimité au contraire de son frère qui croque le comédien dans un de ses personnages de théâtre, Molière dans le rôle de César pour la Mort de Pompée de Pierre Corneille. (Huile sur toile, 1658). Il est vêtu d’une tunique bleu outremer ornée d’une plaque d’or avec un masque de lion. La chlamyde (manteau court et fendu, en usage chez les Grecs puis les Romains) rouge est agrafée sur l’épaule par un bijou (fibule). La tête est ceinte d’une couronne de laurier posée sur une abondante perruque bouclée et frisée. Sur le haut de la tête, un nœud de ruban rouge. De sa main droite, il tient un bâton de commandement richement orné.


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Nicolas Mignard, Molière dans le rôle de César pour la Mort de Pompée de Pierre Corneille, 1658, huile sur toile © P. Lorette, coll. Comédie-Française, BMCF, I-0260

Par la suite, si ces portraits ont été largement diffusés, ils ont aussi été réinterprétés. Au XVIIIème siècle, deux sculpteurs de renom sont, en quelque sorte, à l’origine d’un nouveau visage de Molière Jean-Jacques Caffieri (1725-1792) et Jean-Antoine Houdon (1741-1828), son rival. Nouveau visage toujours dans notre mémoire. Tel qu’il est sur le tirage d’exposition (photographie) de Stéphane Lavoué et Christian Lacroix (2018, l’affiche de l’exposition). 1781. Caffieri représente un Molière face au spectateur, assis au bord d’une chaise. Le bras gauche posé sur le dossier de celle-ci, main ouverte. Le bras droit prend appui sur une pile de feuillets posés sur une petite table, sa main tenant une plume. Vu sa position, il va se lever. « Une gestuelle assez extraordinaire et en tout cas inédite » (Guilhem Scherf, in catalogue). Une œuvre qui ne tarde pas à être critiquée : l’attitude… le port de tête qualifié de vague… le regard fixe… Septembre 1776. Houdon reçoit, des Comédiens-Français, la commande d’un buste de Molière alors même que Caffieri avait commencé l’exécution (1776) d’une série de buste de dramaturges. Regardons ce buste en terre cuite, piédouche en marbre : « Houdon a créé avec le buste de Molière une œuvre inoubliable de vérité et de puissance. Il reprend du portrait de Coypel l’attitude de tête, tournée obliquement, les yeux attentifs, la fine moustache, les lèvres charnues, le col de la chemise ouvert. Et il ajoute une trouvaille plastique, la magnifique écharpe nouée. Cette écharpe avec le nœud lâche laissant le cou bien dégagé apporte au portrait une élégance décontractée remarquable. » (ibidem). Deux représentations diamétralement opposées. Par son réalisme (ah ces yeux !), le portrait sculpté par Houdon est toujours le nôtre!

En 1838, François-Joseph Regnier (1807-1885), sociétaire de la Comédie-Française, profitant de la future construction d’une fontaine, adresse une lettre au préfet de la Seine. Il demande qu’un monument soit élevé à la mémoire de Molière. Statue financée par une souscription nationale. Une première ! Sont exposées des médailles, en bronze, de cette souscription. Egalement un tirage en plâtre de la statue. Le sculpteur Bernard-Gabriel Seurre aîné (1795-1867) représente Molière assis, un livre en main, d’autres sous ses pieds. Deux allégories féminines, en marbre, La Comédie sérieuse et La Comédie légère (Jean-Jacques Pradier (1792-1852) entourent le piédestal. Elles tiennent chacune un parchemin listant les œuvres du dramaturge. Un lavis à l’encre et rehauts de gouache (anonyme, 1844) présente l’inauguration de cette fontaine.


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François-Augustin Caunois, Médailles de souscription pour la Fontaine Molière, 1844, bronze © Molière, le jeu du vrai et du faux - BMCF - (Photo JMB)

Poursuivons notre visite. Une estampe de Jean Lepautre (1618-1682), Ecran rond avec quatre scènes de la comédie de Molière Le Tartuffe ou l’Imposteur (vers 1669). Elle est « destinée à être montée en écran à main. Elle comprend quatre scènes importantes avec leur texte », selon les indications du cartouche. Une double page du « Mémoire pour la décoration des pièces qui se représentent par les Comédiens du Roy, entretenus de sa Majesté… commencé par Laurent Mahelot et continué par Michel Laurent, en l’année 1673 ». Il s’agit d’un registre de travail à l’usage du décorateur. Ici la description des décors afférant au Malade imaginaire en 1680 : « Theatre est une chambre et une allecove dans le fonds au premier acte, une chaise table sonnette et une bourse au jettons un manteau (…). »


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Jean Lepautre, Ecran rond avec quatre scènes de la comédie de Molière Le Tartuffe, ou L’Imposteur, vers 1669, Estampe au burin © BnF-ARS (Bibliothèque nationale de France, bibliothèque de l’Arsenal), EST-200(48) – (Photo JMB)

Arrêtons-nous sur plusieurs toiles. Les Farceurs français et italiens (1670), tableau attribué à Antonio Verrio (1639-1707). Se trouvent réunis sur une même scène farceurs français et comédiens italiens, chacun étant nommé. Molière est figuré sur l’extrême gauche de la toile. Nous retrouvons le décor emblématique du XVIIème siècle : les chandelles au premier plan, les lustres, le décor de place de ville figuré en perspective. Simple allégorie ? Certes non, dans la mesure où « Molière partage en effet son théâtre sinon les planches, avec les comédiens italiens dès son installation au Petit-Bourbon en 1658. La cohabitation ne peut qu’influencer la troupe et son chef. Avant d’inventer le personnage de Sganarelle, Molière joue avec le demi-masque italien de Mascarille. » (in catalogue).


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Attribué à Antonio Verrio, Les Farceurs français et italiens, 1670 Huile sur toile © BMCF, I-0267 (Photo JMB)

Une huile sur toile (1857) due au pinceau du comédien peintre Edmond Geoffroy (1804-1895) : Molière et les caractères de ses comédies. Elle témoigne de la façon dont le XIXème siècle redécouvre Molière. Ce dernier est à l’écart, à gauche du décor. Une cinquantaine de personnages plus ou moins groupés selon la pièce dans laquelle ils jouent. Encadrés par deux des plus grands « rôles » du répertoire moliéresque, Alceste (Le Misanthrope) et Harpagon (L’Avare), personnages solitaires tournant le dos aux autres. Légèrement en retrait, les femmes savantes et leurs pédants. Au centre, Célimène, entourée des petits marquis (vêtus dans la plus pure tradition louis quatorzième !). Personnages typiques de l’œuvre de Molière, nous les retrouvons sur les escaliers. Les principaux « farceurs » sur le haut de la balustrade.


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Edmond Geoffroy, Molière et les caractères de ses comédies, 1857, Huile sur toile © BMCF (dépôt du CNAP – Centre national des arts plastiques), I-0093

De Jean-François Garneray (1755-1837) : Molière honoré par Louis XIV (1824). Il s’agit d’un épisode d’invention représentatif de l’esprit romantique ! La scène se situe dans l’antichambre des chiens. Lors de son petit lever, le roi présente Molière à la cour. Celui-ci se voit servir à boire et à manger… De Nicolas André Monsiau (1754-1837) : Molière lisant Tartuffe chez Ninon de Lenclos (1802). Cette toile donne à voir une partie du travail préparatoire, représenté ici par la lecture de sa pièce. Debout en pleine lumière (ne dirait-on pas sous le feu des projecteurs ?), Molière déclame son texte, la main droite levée, la gauche brandissant le texte du Tartuffe. Il lit sa pièce devant un parterre essentiellement masculin (savants, artistes et écrivains). Ninon de Lenclos est assise au milieu d’eux.

Bien évidemment le tableau de Charles-Antoine Coypel, Molière à sa table de travail (1734). Tête tournée, yeux attentifs, fine moustache, lèvres charnues, col de chemise ouvert… une physionomie immédiatement reconnaissable ! Sans compter l’estampe de Claude Simonin (1635?-1721) qui présente « Le vray Portrait de Mr de Molière en habit de Sganarelle » (vers 1660). Nous sommes loin des portraits en majesté ! Molière y est représenté dans le personnage qu’il a inventé, Sganarelle. Il est vêtu d’un pourpoint, d’une cape, d’un bonnet et de hauts-de-chausses. Il a le cou serré dans une fraise à l’ancienne. À demi courbé, la tête penchée sur le côté, il semble saluer ou proposer ses services. Faisant, en quelque sorte, pendant à ces toiles, l’ouvrage de Charles Perrault (1628-1703) : Les hommes illustres qui ont paru en France pendant ce siècle, avec leurs portraits au naturel (Antoine Dezallier, 1696). Il est ouvert à la page concernant notre auteur. Rappelons qu’il s’agit d’un recueil de deux cents biographies illustrées de portraits gravés. En l’occurrence celui gravé par Jean-Baptiste Nolin.

D’autres toiles. Portraits d’anciens sociétaires de la Comédie-Française voisinent avec des photographies d’actuels sociétaires. Nous citerons le portait de Mademoiselle Jeanne Beauval (fin XVIIème siècle). Molière écrit pour elle les personnages de servantes délurées. Elle voisine avec Dominique Blanc (2016), 538ème sociétaire, après elle, qui a repris en 2022 le rôle de Dorine (Tartuffe). A deux siècles d’intervalle, même prestance des deux actrices. Régnier en Scapin (Eustache Lorsay, 1822-1871). L’acteur se fait peindre dans l’un de ses rôles favoris en arborant le costume caractéristique du valet. A proximité, Talbot en Harpagon (1896) du peintre José Frappa (1854-1904). Présenté de dos, Harpagon se retourne et nous regarde. Tout est dit dans le regard et les mains qui agrippent la cassette ! Le rendu de l’expression aurait été le même si l’acteur avait été photographié.

Ce qui nous amène aux costumes présentés. Ainsi celui de Mascarille porté par Jean-Baptiste Gourgaud dit Dugazon (1746-1809) dans L’Etourdi (fin XVIIIème siècle). Le comédien abandonne le costume traditionnel (satin rayé bleu et blanc) pour la version présentée ici : un costume plus « rustique » réalisé en toile d’ortie à crevés verts et roses et manches jaunes. C’est des plus anciens costumes conservés par la Comédie-Française.


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Costume pour le personnage de Mascarille porté par Jean-Baptiste Gourgaud dit Dugazon dans L’Etourdi de Molière, fin XVIIIème. Pourpoint à crevés et culotte en toile d’ortie verts et roses © CNCS (dépôt de la Comédie-Française) D-CF-999A

Le costume de Sganarelle (2012) fait référence à l’estampe de Claude Simonin : pourpoint, cape, culotte et taillole (ceinture enroulée plusieurs fois autour de la taille) en satin marron, col et manchettes en toile blanche. Deux costumes de danseuse (1892) pour Le Sicilien, ou l’Amour peintre. Deux surcots (sorte de spencer collant que les femmes mettaient sur leur corsage et qui les enveloppait jusqu'aux hanches en les dessinant) et jupes en velours avec applications. Velours vieux rose pour Melle Hayet. Velours moutarde pour Melle Bossu. Le costume (dans les tonalités de vert) de Dorine porté par Françoise Seigner ou celui (velours de lin marron, col officier) d’Agnès porté, en 1973, par Isabelle Adjani. Deux costumes pour Le Bourgeois gentilhomme. Celui de Raimu (1944) : veste boléro avec dentelle au col et rhingrave (haut-de-chausses recouvert d'une petite jupe, en usage en France dans la seconde moitié du XVIIe s) en satin rose ornés de rubans dorés doublés de rouge. Celui de Louis Seigner (1951): robe de chambre et bonnet de satinette écrue avec motifs de couleur. Et le costume (toile de lin et crin grège), plus déconcertant, d’Amphitryon porté par Éric Ruf (2002) : « le metteur en scène Anatoli Vassiliev et son costumier et décorateur Boris Zaborov proposent une esthétique qui puise à la fois dans un classicisme extra-occidental, le kimono japonais et un modernisme intemporel. » (in catalogue).


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Boris Zoborof, Costume d’Amphitryon (Eric Ruf) dans Amphitryon, mise en scène d’Anatoli Vassiliev, Comédie-Française, 2002, Toile de lin et crin grège © CNCS (Centre national du costume de scène et de scénographie) dépôt de la Comédie-Française, 4053L

Restons dans le domaine de la représentation avec les maquettes de décors. Soit dessinés soit en volume. Pour L’école des femmes (1936, mise en scène de Louis Jouvet) au Théâtre de l’Athénée. Pour Georges Dandin (1958, mise en scène de Roger Planchon). Pour Le Bourgeois gentilhomme (1951 et 2021) à la Comédie-Française. Pour Le Tartuffe (1962) au Théâtre de la Cité à Villeurbanne. Décors que de nombreuses photographies, tirages d’exposition, permettent également d’appréhender.

Décors présents également sur diverses estampes. Celle concernant la seconde journée de la représentation (dans les jardins de Versailles) de La Princesse d’Elide lors des Plaisirs de l’Ile enchantée (1673). (Voir notre chronique du 20 décembre 2022).

Au centre de l’exposition, un espace interpelle. Une colonne de style Morris couverte d’affiches ! En arrière-plan, l’affiche du Tricentenaire de Molière, 1680-1922. La Comédie-Française programme l’ensemble des pièces du dramaturge, tout au long du mois de janvier.


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Colonne Morris au centre de l’exposition avec en arrière-plan l’affiche du Tricentenaire © (BnF-ASP, AFF-4678) (Photo JMB)

Autre affiche. Le Théâtre national de l’Opéra convie, le 28 février 1922, à un Bal Molière ! Un personnage hilare, costume et perruque à la mode du XVIIème siècle tient une marionnette dans chaque main. Un médecin reconnaissable à son costume noir et chapeau pointu. Une danseuse. Comme une fête moliéresque qui prend toute sa place.

Molière vu comme fédérateur œuvrant au rapprochement des peuples ? Il est vrai que ses comédies sont propices à la célébration, à la fête ! De grandes tournées sont organisées. En France. Dans les colonies d’Afrique ou d’Asie. « Sur les scènes coloniales, le divertissement sera roi, et Molière y jouera, comme souvent, un rôle complexe, partagé entre son caractère farcesque et un visage politique qui tend à en faire un symbole du « rayonnement du patrimoine culturel français à l’étranger dans le but de servir sa diplomatie ». (Léonor Delaunay, in catalogue). Ceci dès les années 1760 ! Il est alors joué pour divertir les expatriés. La traduction des pièces dans les différentes langues impose aux populations locales d’adopter la culture française. Témoin l’ouvrage publié en 1935 à Saigon : Molière, Ngùoi hà tiê,n. L’Avare. A contrario, Paris accueille en 1956, au lendemain de l’indépendance du Maroc, lors du Festival du Théâtre des Nations, une troupe marocaine qui interprète Les Fourberies de Joha. Témoin une photographie exposée.


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Molière, Ngùoi hà tiê,n. Saigon, Baoton, 1935 © BnF-LLA (Bibliothèque nationale de France, département des Langues, littératures et arts), 8-INDOCH-2220

Et l’image filmée : affiches, photographies, ou captations. Harpagon-Louis de Funès (1980), dans une version cinématographique de L’Avare à jamais encrée dans notre mémoire. Sur l’affiche, un Harpagon facétieux, tout sourire, qui lance en l’air ses pièces d’or. Photographiés par Agnès Varda, Jean Vilar (Dom Juan) et Daniel Sorano (Sganarelle) au Festival d’Avignon (1953). Un tirage d’exposition qui interpelle par la crudité du personnage ensanglanté : Lars Eideinger jouant Alceste sur une scène berlinoise en 2010. Le metteur en scène belge transpose la pièce dans notre monde (loft hyper moderne, tablette, téléphone portable,…) avec un Alceste « refusant de manière absolue tout savoir-vivre, allant jusqu’à se rouler dans la nourriture » (selon le cartouche explicatif). Une affiche « inhabituelle » (2016) : Marre de Molière. Overdose de notre héros national ? Un monologue écrit et interprété par Frank Delorme. Molière agonise chez lui. Durant sa dernière heure, visions, réminiscences envahissent son esprit. Deux dessins de presse. Le premier de la plume de Cabu : Molière intermittent sous Louis XIV (Canard enchaîné vers 2003). Le second de Plantu : Les rassemblements religieux autorisés, mais pas les théâtres(2020).


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Jean Cabut, dit Cabu. Molière intermittent sous Louis XIV, paru dans le Canard enchaîné vers 2003, dessin de presse à l’encre © Tirage d’exposition, Collection particulière (Photo JMB)

Un dernier mot sur une vitrine dont le contenu a quelque chose de particulièrement émouvant. Un petit cahier manuscrit de l’écrivaine et résistante Charlotte Delbo (1913-1985). Assistante de Louis Jouvet, elle raconte comment la figure d’Alceste l’accompagne (janvier 1943) dans le convoi qui l’emmène vers Auschwitz-Birkenau. Molière continuera de l’accompagner. Envoyée au camp agricole de Raïko, elle montera avec ses compagnes Le Malade imaginaire. Transférée à Ravensbrück (janvier 1944), elle échange sa ration de pain contre un exemplaire du Misanthrope. Elle l’apprend par cœur et se le récite pour tenir pendant les appels interminables. Egalement sa photographie de déportée (1943) et sa carte de rapatriée (1945).

La visite s’achève. Notre compte-rendu n’a rien d’exhaustif, loin de là ! Au travers de l’ensemble des pièces exposées, nous rencontrons, nous croisons les différentes facettes d’un homme en même temps que les richesses de ses œuvres. Œuvres qui résonnent à toutes les époques. « Son identification des types humains, des situations, font de Molière un auteur que l’on adapte à chaque époque sans risque de détourner son message d’une clarté vibrante dans diverses interprétations. (…) l’interprétation de son œuvre s’accommode de toutes les esthétiques et de tous les courants de mise en scène. Classique ou contemporain, Molière reste toujours subversif par le rire qu’il provoque sur les questions les plus graves. » (in introduction du catalogue).



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NB : les deux expositions, Molière en musiques et Molière, le jeu du vrai et du faux font l’objet d’un catalogue conjoint. Nombreuses reproductions. Eclairages historiques, voire littéraires. Regard d’artistes (Le Molière de…) comme William Christie, Ariane Mnouchkine, Catherine Hiegel ou Denis Podalydès pour ne citer que les plus connus. Plus qu’un catalogue, un ouvrage de référence.



Publié le 27 déc. 2022 par Jeanne-Marie BOESCH