Noël Coypel, peintre de grands décors

Noël Coypel, peintre de grands décors ©Affiche Exposition Nicolas Coypel - Grand Trianon, château de Versailles
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Un génie sort de l’ombre !

Nos pas nous mènent à nouveau à Versailles… A nouveau pour découvrir un artiste méconnu du public. Un peintre que la renommée de sa descendance a éclipsé ! Versailles est, et reste, synonyme de grands décors sculptés et de décors peints. Aujourd’hui, honneur à ceux conçus et réalisés par Noël Coypel (1628-1707). Un artiste un peu « touche à tout » puisqu’il s’illustre dans de nombreux domaines : peintures de chevalet, plafonds, arts graphiques, cartons de tapisserie. Une carrière menée sous les ors du pouvoir. Il conserve, d’ailleurs, la faveur royale jusqu’à la fin de sa vie. Une carrière qui voit le grand décor devenir la partie essentielle de son activité : Parlement de Rennes, diverses demeures royales (Louvre, Fontainebleau, Palais-Royal, Versailles). Ou encore les Invalides. Une longue carrière qui le voit gravir de hautes fonctions académiques. Marié à deux femmes peintres (la première issue de la famille des marchands parisiens Hérault ; la seconde alliée à la famille des Boullogne), il fonde une dynastie qui sera présente à l’Académie Royale pendant près d’un siècle. Nous avons eu l’occasion de côtoyer son fils Antoine (1661-1722) lors de l’exposition tourangelle, Le Théâtre de Troie. Antoine Coypel, d'Homère à Virgile. (voir notre chronique du 25 février 2022). « Père et grand-père de peintres reconnus, célèbre et respecté en son temps, présent dans tous les chantiers royaux du règne de Louis XIV (1638-1715), jamais l’artiste n’avait bénéficié d’une exposition monographique alors même qu’une large part de son œuvre a été restaurée au cours des vingt dernières années » (Armelle Fayol, Dossier de l’Art n° 311, septembre 2023).

Qui est cet énigmatique artiste ? Cadet d’une famille normande, il nait à Paris puis étudie à Orléans avant de retourner à Paris à l’âge de quatorze ans. Il intègre l’atelier de Noël Quillerier (1594-1669). Ses progrès rapides le font remarquer. Il participe (1647) aux décors de l’opéra Orfeo de Luigi Rossi (1597-1653). Le peintre et architecte Charles Errard (1606-1689) recourt à son aide pour les travaux de peinture de l’Oratoire et de la chambre du roi au Louvre où il peint (1655) plusieurs tableaux destinés aux appartements royaux. Septembre 1659. Il se présente à l’Académie royale de peinture et sculpture mais diffère sa réception jusqu’en mars 1663 trop occupé par les commandes royales ! Il attend encore avant de présenter son morceau de réception : La Réprobation de Caïn après la mort d’Abel. En 1661, il peint, pour la corporation des orfèvres parisiens, un tableau votif ou May (grand tableau illustrant un épisode du Nouveau Testament commandé, chaque année, par les chanoines pour décorer la cathédrale Notre-Dame de Paris) : Saint Jacques conduit au supplice et faisant un miracle sur un paralytique. Coypel se rapproche de Charles Le Brun (1619-1690) et devient professeur, à l’Académie, en mars 1664 et travaille pour le Palais-Royal et la grande chambre d’audience du Parlement de Bretagne. Nommé directeur (1673-1675) de l’Académie de France à Rome, son fils Antoine l’accompagne. Il met à profit ce séjour romain pour encourager ses élèves leur prodiguant force conseils. Mais aussi développer son appétence pour l’Antiquité. Et découvre l’école bolonaise ainsi que le peintre Nicolas Poussin (1594-1665), mort dans la ville Eternelle. Il peint les quatre voussures du salon de Jupiter (dont le Sacrifice à Jupiter) qui ornent aujourd’hui la salle des Gardes de la Reine à Versailles.

Après les trois années du séjour romain, il rentre en France et reprend les travaux commencés pour le roi. François Michel Le Tellier, marquis de Louvois (1641-1691) puis Edouard Colbert, marquis de Villacerf (1628-1699) succèdent à Jean-Baptiste Colbert (1619-1683) dans la charge de surintendant des Bâtiments du Roi. Noël Coypel participe, alors, à la réalisation de décor du Trianon de Marbre en peignant deux séries de tableaux (consacrés à Apollon et Hercule). Lui sont commandés des cartons pour plusieurs tapisseries des Gobelins : Apollon, Les Quatre Saisons et Les Mois arabesques (tapisseries destinées à décorer une niche dans le cabinet du Roi à Trianon). Les années 1689-1690 le voient devenir adjoint au recteur. Puis directeur de l’Académie (août 1695), consécration ultime, à la mort de Pierre Mignard (1612-1695). En 1705, âgé de 77 ans, il entreprend la réalisation des peintures à fresque (l’Assomption de la Vierge et La Sainte Trinité dans la gloire) au-dessus du maître-autel de l’église des Invalides. La pénibilité de cette entreprise le rend malade. Il meurt le jour de Noël 1707, jour anniversaire de sa naissance.

Un mot à propos de l’agrandissement du château de Versailles. Louis Le Vau (1612-1670) fournit un plan qui aboutit à la création de deux appartements symétriques : l’un, situé au sud, destiné à la reine ; le second, au nord, accueille le roi. Chaque appartement comprend sept pièces. « Et comme le soleil est la devise du roi, on a pris les sept planètes pour servir de sujet aux tableaux de cet appartement » (André Félibien (1619-1695), architecte et historiographe, propos rapporté par Béatrice Sarrazin, catalogue). Le roi apprécie particulièrement les peintures de Coypel. Ainsi les commandes pour les grands appartements constituent-elles l’aboutissement de sa carrière.

Entrons dans la salle des Gardes de la Reine. Un vestibule aménagé en 1676 à la place d’une chapelle. Vestibule dans lequel sont postés les officiers chargés de la protection de la souveraine. Par conséquent, un lieu toujours très animé. Ses murs lambrissés de marbre (blanc de Carrare, campan vert, languedoc rouge, noir antique) sont toujours en place. Le décor peint connut de nombreuses vicissitudes au cours de l’histoire du château. Plusieurs restaurations, plus ou moins heureuses, aux XVIIIème et XIXème siècles. Ou encore l’effondrement de l’octogone central en mars 1942. Ébranlée par de fortes vibrations, la peinture se trouve « déchirée en de nombreux morceaux ». A l’hiver 1943, la décision est prise de transposer la toile centrale octogonale (c’est-à-dire de remplacer la toile originale par une nouvelle toile). Quant à la couche picturale, elle sera traitée, dans les années 1950. Une grande campagne de restauration commencée en 2015, achevée en 2017, permet enfin d’ôter les repeints successifs mais également de retrouver la matière originale. « En mettant au jour une couche originale largement dissimulée par les repeints, en lui rendant sa profondeur et la brillance de ses couleurs, la restauration a rétabli le dialogue entre cette apothéose du roi des dieux et les scènes occupant les lunettes qui l’entourent. Celles-ci, consacrées à des grands hommes de l’Antiquité qui se sont particulièrement illustrés par leur engagement en faveur du peuple et des démunis (…) méritent que le visiteur s’y attarde pour méditer sur la manière dont la monarchie absolue reprenait à son compte l’idéal démocratique de la Grèce et affichait parmi ses priorités le bien-être de son peuple. Ainsi Louis le Grand rendait-il hommage à Alexandre Sévère (…) ou à Ptolémée Philadelphe (…) » (Laurent Salomé, Les Carnets de Versailles, avril-septembre 2019). Et Béatrice Sarrazin d’ajouter : « Du haut de la salle des Gardes, ranimés par des couleurs d’une rare subtilité, Solon, Trajan, Alexandre Sévère ou Ptolémée Philadelphe, et les nombreux personnages qui les entourent, ont pu enfin reprendre vie ».

De quoi est constitué ce décor ? Conçu à l’origine pour le plafond du Salon de Jupiter (extrémité du grand appartement du roi). En raison de la construction de la Galerie des Glaces, ce salon est détruit et laisse place au Salon de la Guerre. Coypel reçoit commande des décors vers 1672. De ce projet non abouti, il reste une esquisse peinte (modello) et un dessin. Tous deux sont exposés ici. 1703. Félibien décrit le projet : « Il devoit représenter au milieu du plafond Saturne sur son char tiré par deux dragons ailez et accompagné de quelques femmes qui eussent marqué la prudence et le secret » (catalogue). Observons ce modello : Le triomphe de Saturne (vers 1671/72). Saturne, légèrement décalé du centre, s’apprête à dévorer l’un de ses fils, conformément à la promesse faite à son frère Titan. A sa droite, Prudence tient un miroir dans une main et un serpent dans l’autre. A sa gauche, en retrait, l’allégorie du Secret. Un doigt sur la bouche, elle reçoit une horloge. Dans le bas de la composition, deux signes du zodiaque : le Verseau et le Capricorne. Verseau a l’allure d’un jeune éphèbe ; il verse de l’eau de son urne. Capricorne représenté par un bélier que chevauche un putto. Tous deux sont appuyés sur des nuages, accompagnés de putti portant des guirlandes de fleurs. Légèreté des drapés aériens. Fraicheur des coloris avec de délicates alliances de mauve et de jaune, d’orange et de rose. Le dessin (pierre noire, plume et lavis d’encre noire, rehauts de gouache et de blanc) propose la composition d’ensemble avec quelques différences. Ainsi, le groupe du Secret placé, ici, à la droite des dragons devient le véritable pendant de la Prudence. Saturne, doté de grandes ailes, adopte une posture pensive, le visage appuyé sur sa main droite. La position de certains putti est différente.

Nous l’avons dit, la pièce marque l'entrée de l'appartement de la reine qui se prolonge jusqu'au salon de la Paix. Le plafond peint se compose d’un octogone central et des quatre voussures (élément architectural en forme d'arc qui relie généralement un plafond avec la corniche d'une pièce) peintes à Rome. L’ensemble est mis en place lors du retour en France (vers 1679). Puis complété dans les écoinçons (espaces triangulaires pour, généralement, placer des figures allégoriques) : de séduisants trompe-l’œil (peints à l’huile sur enduit) mêlent figures allégoriques en faux bronze et guirlandes de fleurs ainsi que des personnages vêtus à la mode du XVIIe siècle. Coypel exécute également deux peintures destinées à orner les murs de la pièce.

Les tableaux exécutés à Rome sont présentés au public romain. « Ces tableaux furent exposés à Rome à une fête qui se fit à la Rotonde et reçurent un applaudissement général » (Roger de Piles (1635-1709) théoricien de l’art et diplomate). La composition centrale représente Le Char de Jupiter entre la Justice et la Piété. Jupiter, debout sur un char tiré par deux aigles. La Justice se tient sur sa gauche symbolisée par deux figures : l’une punit les Vices, la seconde récompense les Vertus. Vêtue d’un drapé de tons rouge, assise sur un nuage, elle nous regarde. Egalement assise sur un nuage, la Pitié, vêtue d’un drapé rose, semble dévisager Jupiter, une main sur sa poitrine. Figure également dédoublée : l’une, ailée, tient une corne d’abondance ; la seconde poursuit l’Impiété qui veut brûler un pélican. Un putto s’attaque, en même temps, à la Fraude qui tient un masque et à la Violence brandissant une épée.


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Noël Coypel, Le Char de Jupiter entre le Justice et la Piété, vers1671-1672, huile sur toile, H.75,5 ; L.78,5 cm © Versailles, Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, V.2012.1 – Photo JMB

Les tableaux des voussures illustrent « deux des actions les plus mémorables de la Justice, et deux des actions les plus mémorables de la Piété dont l'Histoire a conservé la mémoire » (Félibien). Allusion aux qualités royales. Et au bon gouvernement. Elles procèdent toutes du même ordonnancement sous forme de bas-relief. Toutes peintes dans un paysage antiquisant que nous pouvons rapprocher de ceux de Poussin. Voussure Sud (côté fenêtres) : Solon soutenant la Justice de ses lois contre les objections des Athéniens. Il est entouré de vieillards dont la sagesse l’aide pour formuler un code de justice. Allusion au « Code Louis », nom donné aux « ordonnances sur la réformation de la justice civile et criminelle » de 1667 et 1670. Il s’agit de la composition la plus austère des quatre. Voussure Nord : Alexandre Sévère faisant distribuer du blé au peuple de Rome dans un temps de disette. Hommage subliminal à la prodigalité de Louis XIV lors de la famine de 1662. Voussure Est : Trajan donnant des audiences publiques. L’empereur reçoit les requêtes en place publique comme le roi accueille dans son château, à la fois, ses sujets et les représentants des autres nations. Voussure Ouest (au-dessus de la cheminée) : Ptolémée Philadelphe donnant la liberté aux Juifs. Le roi d’Egypte libère les juifs de son royaume tout comme Louis XIV libère les esclaves chrétiens tombés aux mains des Turcs. Sur chacune, des personnages aux gestes larges, bras tendus, mains aux doigts écartés. D’amples drapés dans une palette restreinte de couleurs (bleu, rouge, rose, ocre).

Plusieurs études (sanguine et rehauts de craie blanche) complètent la présentation. Etude de femme debout. Une étude pour la figure féminine qui s’avance vers Trajan. « Au moyen de hachures entrecroisées et de rehauts de blanc, Coypel rend la stature du personnage, la tension du corps en mouvement, et la majesté des drapés aux plis cassés » (cartel explicatif). Ce personnage féminin est peint à l’identique sur le tableau. Deux sanguines sur papier beige : Figure allégorique (La Piété), recto et Etude de figure plafonnante, verso. La Piété esquisse un geste d’humilité tel que nous le voyons sur l’octogone. Autre pierre noire et gouache blanche : Trois Putti. Groupe que nous pouvons rapprocher de ceux à l’entour de Jupiter. La Piété et la Justice se partagent à nouveau, deux par deux, le décor des écoinçons. Peints à l’huile sur enduit, ils sont réalisés plus tardivement, vers 1679/80 : La Piété soulageant la famine, La Justice punissant, La Justice récompensant et La Piété donnant la liberté. A chaque fois, deux registres de lecture : allégorique pour les personnages en faux bronze ; réel pour ceux vêtus à la mode contemporaine. Personnages qui se penchent ironiquement vers nous !

Deux tableaux complètent la décoration en s'inspirant du thème jupitérien du plafond. Au-dessus de la cheminée, Sacrifice fait à Jupiter sur le mont Lycée. Sur le mur en face : Jupiter enfant élevé par les Curètes. Il se dégage plus de légèreté de ces compositions. Les personnages féminins sont de ravissantes et riantes jeunes filles, vêtues de rose et de jaune. Quelques touches de bleu (magistral drapé du vêtement enveloppant le prêtre ou manteau de Rhéa, mère de Jupiter) ponctuent l’ensemble. Les personnages sont peints dans un paysage constitué de massifs rocailleux et d’arbres. Saturne et Jupiter sont figurés dans l’angle gauche. Saturne, vieillard chenu et ailé, mange la pierre que Rhéa a substituée au nouveau-né, Jupiter. La statue de Jupiter le représente sur un piédestal, assis, son aigle à ses côtés. Il tient dans ses mains un sceptre et un foudre (faisceau de dards enflammés en forme de zigzag représentant la foudre). Attitude différente de l’étude préparatoire (pierre noire, lavis d’encre et rehauts de blanc) exposée : sur cette dernière, le dieu est allongé accompagné de son aigle et domine l’ensemble de la scène. Mais à chaque fois, le prêtre le regarde tout en versant du sel sur le feu.

Nota. Les versions réduites des quatre voussures acquises (1751) par Louis XV (1710-1774) pour les collections royales nous permettent une lisibilité plus grande. Avec, parfois, des changements notables entre les deux. Ainsi en est-il de l’épisode de la vie de Solon qui offre un décor différent : « le fronton cintré de la porte a remplacé le fronton triangulaire ; le grand drapé vert a été supprimé » (cartel explicatif).

A la sortie de la salle, une affiche propose de poursuivre notre visite au Grand Trianon. L’occasion, en cette belle journée de fin septembre, d’une agréable promenade dans les jardins, en flânant à travers des bosquets. Le char d'Apollon, surgissant de l'onde face au soleil levant, tiré par quatre chevaux fougueux et entouré de quatre tritons soufflant dans des conques ainsi que de quatre poissons fantastiques (1668/70) n’a pas encore repris sa place au centre du bassin éponyme… Il est toujours en cours de restauration.


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Affiche exposition© Exposition Nicolas Coypel – Grand Trianon – Château de Versailles – Photo JMB

Nous arrivons sur l’esplanade du Grand Trianon, ce « petit palais de marbre rose et de porphyre avec des jardins délicieux » dont parlait Jules-Hardouin Mansart (1646-1708). L’aile nord accueille la seconde partie de l’exposition.

La première salle est consacrée à la famille : Coypel et son entourage. A gauche de l’entrée, un tableau généalogique de la dynastie Coypel. En épousant Madeleine Hérault (1641-1682), Coypel s’allie à un clan de peintres, graveurs et marchands d’art. Elle est la fille d’Antoine Hérault (1600-vers 1665) qui était juré de la communauté des peintres sculpteurs (les jurés étaient chargés de visiter les maîtres et de vérifier la qualité des ouvrages ainsi que présider toutes les cérémonies d'entrée dans la corporation. Ils étaient le plus souvent élus par l'assemblée des maîtres et nommés par les autorités publiques. Leur mandat n’excédait guère une année). Plusieurs de ses enfants, dont Madeleine, touchent à la peinture et au dessin. Est exposé le Portrait de Thomas Chanuet, conseiller au présidial de Mâcon (vers 1660/70) dû à son pinceau. Un homme jeune assis à sa table de travail, une main posée sur un livre ouvert. Du livre consulté s’échappe un billet sur lequel sont inscrites trois lignes en grec. Coude droit, nonchalamment posé sur une pile de livre, il tient sa tête. Et nous regarde. Remarquons les manches aux poignets savamment plissées dont la blancheur est rehaussée par le noir de l’habit. Cet habit et son long col blanc traduisent sa position de magistrat. Tout comme le tapis d’Orient qui couvre sa table de travail.

Divers portraits dont une huile sur toile de forme ovale (vers 1690), La Famille du peintre. De facture élégante, c’est un des rares portraits de la main même de l’artiste. « L’apparition de ce spectaculaire portrait de famille alors même que notre exposition était en cours de préparation constitue un véritable événement. L‘originalité de sa composition et sa qualité manifeste permettent (…) d’enrichir le corpus des portraits français de la seconde moitié du XVIIème siècle. Son caractère inédit entraine également des questions : qui sont les personnages ? » (Guillaume Kazerouni, catalogue). A gauche en arrière-plan, il se peint lui-même probablement dans la soixantaine. Deux femmes l’accompagnent. Qui sont-elles ? Vêtues luxueusement, coiffées « à la Fontanges », un collier de perles autour du cou. La figure centrale serait celle de sa seconde épouse, Anne Françoise Perrin (1665-1728). L’enfant espiègle, au premier plan, l’un des leurs (ils en ont eu quatorze !). La jeune fille de droite, au visage tout en rondeur, pourrait être une des filles issues de son premier mariage… tenant le portrait posthume de sa mère, en tenue de deuil. Palette lumineuse des tons bleu et rose de la robe. Rubans rouges qui se mêlent à la chevelure brune de la jeune fille en arrière-plan. Tissu damassé beige de la robe de l’enfant.


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Noël Coypel, La famille du peintre, vers1690, huile sur toile, H. 117 ; L. 90 cm (ovale) © Suisse collection particulière – Photo JMB

Deux autoportraits. Un dessin sur papier bleu (vers 1700/07) portant la mention « portrait de m. Coypel le père par luy même ». Une feuille qui servit, sans doute, de modèle à l’eau-forte et burin réalisée (1708) par le graveur Jean Audran (1667-1756). Ce dernier modifie certains détails, rendant visible la main gauche de l’artiste, donnant ainsi plus de solennité au portrait. Un Portrait du peintre Noël Coypel dû au pinceau de Florent de La Mare-Richart (1630-1718). Daté de 1676, il est le premier portrait connu de Coypel alors âgé de quarante-huit ans. Le peintre est assis à son chevalet (décrit avec minutie puisqu’à hauteur réglable), une palette à la main gauche. Palette dotée d’empâtements de différentes couleurs. Egalement différents pinceaux, diverses brosses. Coypel nous regarde. Prend-il la pose ? Mise en scène où l’opulence est de mise : fauteuil de velours rouge frangé d’or, somptueux manteau jaune d’or recouvrant un vêtement d’un bleu chatoyant, cravate et poignets de manche en fine dentelle, imposante perruque louis quatorzième.


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Florent de La Mare-Richart, Portrait de Noël Coypel, 1676-1677, huile sur toile, H. 117 ; L. 88,5 cm © Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, dépôt du musée du Louvre, MV 5810 – Photo JMB

Une huile sur toile peinte probablement en deux temps par Coypel : Un ange présentant le médaillon de Louis XIV. Un large rideau bleu sur lequel se détache un groupe d’anges, rideau lui-même s’ouvrant sur un paysage montagneux. Le dessin serré des draperies et la brillance des coloris amènent à penser qu’il s’agit d’une œuvre du début de carrière, dans les années 1660. Une datation qui va « à l’encontre » du portrait royal : le visage du souverain est marqué par l’âge. Une effigie qui se placerait plus volontiers à la fin du XVIIème siècle voire dans les premières années du suivant. Radiographies et analyses confirment cette double hypothèse.

Salle suivante. Le décor de la Grand’Chambre du Parlement de Bretagne à Rennes. De 1656 à 1662, Coypel collabore avec Errard pour le vaste plafond de la Grande chambre du Parlement de Rennes. Un mot sur celui-ci. Créé par Henri II (1519-1559), en 1554 (Edit de Fontainebleau), ses sessions se déroulaient alternativement à Nantes et Rennes. Cette dernière fut choisie comme unique capitale en 1561. Dès 1564, le projet d’un bâtiment dédié à cette assemblée voit le jour. Troubles politiques et difficultés financières repoussèrent sa livraison à l’année 1655. A cette date débute la mise en œuvre du décor. C’est à Charles Errard qu’incombe « l’ouvrage des ornements du dedans du palais ». Il agit donc en maître d’œuvre et donne « idées et croquis à son jeune acolyte, lequel, finalise ces projets et les exécute « en grand », c’est-à-dire en peinture. (…) En 1662, après deux années de travail, les peintures sont expédiées de Paris à Rennes, puis mises en place dans les compartiments du plafond de la Grand’Chambre l’année suivante » (dossier de presse). Nota : très endommagé lors de l’incendie de février 1994, la restauration qui suivit permit de mettre en lumière les parts respectives dues à chacun des deux peintres.

Le thème général de la composition « lié à son lieu de destination, est la Justice, dont l’évocation allégorique apparait au moins à quatre reprises. Deux autres notions lui sont associées : le Pouvoir temporel et la Loi triomphante » (catalogue). Néanmoins, le sens précis des sept compositions demeure peu aisé à établir tout comme l’est la relation des différents sujets entre eux ! Nous découvrons ce décor plafonnant grâce à un montage audiovisuel. Le caisson central, de forme octogonale : La Justice entourée de la Tempérance et de la Force, tend la main à la Loyauté tandis que la Raison d’Etat poursuit les Vices. Un dessin (pierre noire et rehauts de craie blanche), étude préparatoire, présente la figure centrale, la Justice, « placée dans une gloire lumineuse » (catalogue) alors que les Vices, dans la partie basse de l’œuvre, sont précipités dans le vide. Deux peintures ovales entourent ce caisson : La Félicité publique, La Sincérité ainsi que les armes sculptées de France et de Bretagne. Deux figures couchées sur des nuages, accompagnées d’un enfant. Chacune revêt les attributs de sa fonction : un cœur pour la Sincérité (une colombe blanche pour l’enfant). Une corne d’abondance fleurie pour la Félicité (un sablier brandit par l’enfant). Magnifiques draperies du vêtement rose qui met en valeur la figure allégorique. A chaque extrémité, quatre tondi (œuvres de forme ronde) évoquent les vertus de la Justice et du bon gouvernement. Arrêtons-nous sur deux dessins représentant La Calomnie, l’une des quatre compositions circulaires. Ils étudient la même figure (vue de dos) mais avec des variantes dans la composition, dans le rendu des drapés, voire la position des bras. Chaque tondo est séparé par un compartiment placé en regard : l’un représentant La Bretagne et la Justice divine, l’autre La France et la Justice temporelle. Pouvoir spirituel et pouvoir temporel. Mais aussi les deux entités géopolitiques que sont la France (la Couronne) et la Bretagne (l’ancien duché). Est exposée une esquisse se rapportant à la Bretagne : les postures, l’agencement des drapés, les coloris sont identiques à la composition finale. Seuls les accessoires ou certains détails (par exemple, la balance que tient l’enfant) en sont absents.

La troisième salle a pour thème Le petit appartement du roi aux Tuileries. Construit à l’initiative de Catherine de Médicis (1519-1589), il est délaissé jusqu’au moment où Louis XIV, désireux de s’y établir, ordonne des travaux (1659). Noël Coypel et Charles Errard s’associèrent pour les décors du nouveau théâtre (1661/62). De même, Coypel collabora avec Charles Le Brun pour les appartements royaux (1667/68). Allégories et figures mythologiques sont également mises en place ici. C’est à l’occasion du mariage de Louis XIV et de Marie-Thérèse d’Autriche (1638-1683) que le premier chantier s’ouvre. De ce théâtre, le plus grand d’Europe, appelé « salle du Peuple » puis « salle des Machines » en rapport de la machinerie mise en place par Gaspare Vigarani (1588-1663), nous ne pouvons qu’imaginer les décors aujourd’hui disparus. Probablement une figure centrale représentant le roi sous les traits de Jupiter.

Les appartements royaux, un ensemble comprenant un petit et un grand appartement pour le roi où « les figures d’Hercule et d’Apollon sont privilégiées pour évoquer à la fois la force et le rayonnement du souverain » (G. Kazerouni, Dossiers de l’Art n°311, septembre 2023). Un appartement est dévolu au Dauphin, un autre à la reine. Coypel est chargé par Le Brun de la décoration du petit appartement (l’appartement de commodité) du roi (une antichambre, une chambre, un cabinet et un oratoire). Quatre tableaux représentant les combats d’Hercule ornent les murs de l’antichambre. C’est Hercule combattant Achéloüs (vers 1669/70) qui accueille le visiteur. Un grand tableau de forme circulaire. D’emblée, nous sommes frappés par le caractère outré des personnages alors que Coypel nous a habitués à des expressions plus douces ! Violence et dramaturgie. Le demi-dieu Hercule combat le dieu-fleuve Achéloüs qui veut lui ravir Déjanire. Corps sculptés. Expressions presque bestiales des visages. Hercule est reconnaissable à la massue qu’il s’apprête à abattre sur la tête de son ennemi tout en l’agrippant par sa chevelure. En arrière-plan, une patte et la queue du lion de Némée qu’il porte en guise d’armure. Acheloüs, à terre, est identifiable aux multiples têtes de taureaux présentes en haut à droite du tableau. Tableau à mettre en relation avec une sanguine et rehauts de craie blanche sur papier exposée plus loin. Double académie : Hercule combattant un adversaire. Des changements significatifs entre les deux œuvres concernant principalement le personnage du dieu-fleuve dont la pose est ici plus « réaliste ».


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Noël Coypel, Hercule combattant Acheloüs, vers 1669-1670, huile sur toile, D.210 cm, © Lille, Palais des Beaux-Arts, inv. P.415 – Photo JMB

Accrochés au plafond de la chambre royale, neuf tableaux dont une toile hexagonale, une allégorie de La Rosée. Un thème des plus rares, qui témoigne du goût de l’époque pour le cycle du jour et de la nuit. Un thème tout en raffinement. Ce dernier est encore accentué par la palette des couleurs utilisées : rose, orange et bleu canard. « Prenant appui sur des nuages, une jeune femme et deux putti inclinent deux urnes d’où s’échappe de l’eau, tandis que les nuées s’entrouvrent pour annoncer la venue de l’Aurore » (catalogue).


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Noël Coypel, La Rosée, 1667-1668, huile sur toile, H.121,3 ; L.182,9 cm © Los Angeles, collection de Lynda et Stewart Resnick – Photo JMB

A nouveau un dessin (pierre noire, rehauts de craie blanche sur papier vergé chamois) peut être mis en regard : Allégorie de l’Aurore. Des différences notables : une étoile apparait au-dessus de la tête de l’aurore, un soleil est suggéré à droite. L’un des putti s’apprête à décocher une flèche, le second tient ce qui semble être des fleurs. Une œuvre flanquée de deux peintures ovales représentant le Mois de Mars et le Mois de Septembre. Ces dernières « ont été agrandies, mises au rectangle et complétées d’un décor de grotesques sous Louis-Philippe (1773-1850) » (catalogue). Ajouts du XIXème siècle conservés lors de la récente restauration. Deux figures masculines sont assises nonchalamment sur des nuages peints dans une tonalité grise qui fait ressortir leur carnation. Mars est un jeune guerrier ailé et casqué, le dieu de la guerre ! De sa main gauche, il tient une coupe remplie de feuillage vert, symbole du printemps. Son bras droit tient (retient ?) le bélier astral. Son regard fixe le spectateur. Un autre jeune homme ailé figure Septembre. Il tient une balance de sa main droite et de l’autre, une corne d’où s’échappent pommes et raisins, fruits d’automne. Couronné de feuillage, sa tête est tournée vers le haut. Harmonie colorée. Suavité, délicatesse de la palette. Elégance des drapés qui « habillent » une partie des corps, drapés qui « s’échappent » dans les airs.

Trois allégories féminines, peintes sur bois, étaient enchâssées dans les lambris. Deux sont exposées, la troisième représentant la Vélocité étant perdue. Elles sont datées des années 1667-1668. L’Equité sous les traits d’une femme qui prend appui sur une colonne, symbole de la stabilité. De sa main droite, elle tient un fil à plomb et regarde au loin. Peinte dans un paysage, elle est vêtue d’une robe rose pâle et d’un manteau bleu. A la différence de La Vigilance qui pose devant un pilastre, lui-même surmonté d’un drapé dans les tons de rouge. Elle lève la main droite et tient un livre dans la gauche. Elle est vêtue d’une robe blanche qui laisse échapper la nudité d’un sein. Un drapé bleu clair l’enveloppe en partie. A ses côtés, la tête d’un lion couché et une grue qui serre une pierre dans une de ses pattes.


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Noël Coypel, L’Equité, huile sur bois, H.150 ; L. 85 cm, Fontainebleau, musée national du château de Fontainebleau, dépôt du musée du Louvre, INV 3470 et La Vigilance, huile sur toile, H.150 ; L.87 cm © Fontainebleau, musée national du château de Fontainebleau, dépôt du musée du Louvre, INV 3471 – Photo JMB

Deux paysages accompagnaient l’ensemble, probablement en dessus de porte. Seul nous est parvenu Marsyas jouant de la flûte devant Apollon et Midas dont la paternité reviendrait conjointement à Coypel et à son beau-frère, Charles Hérault (1644-1718). Le premier peignant la scène mythologique. Le faune Marsyas défie Apollon dans une joute musicale : s’étant emparé de la flûte de Minerve, il défie le dieu. Qui sera le meilleur musicien ? Le roi de la montagne, Tmolus, prend parti pour le dieu. Le roi de Phrygie, Midas, préfère le faune ce qui lui vaut les oreilles d’âne dont il est affublé ici. Nous devons le paysage au second peintre. Ce paysage a la part belle : frondaisons et parterres fleuris… en arrière-plan, sur les hauteurs, une ville sous un ciel d’orage… au premier plan, une chute d’eau. Le paysage prend également toute son ampleur, mais de façon différente dans l’huile sur toile intitulée Le Jugement du roi Midas (vers 1670). Les personnages (en deux groupes) occupent le premier plan au pied d’une montagne d’allure italianisante. Il existe également un dessin à la plume et lavis brun intitulé Apollon et Marsyas. Précision du trait. Raffinement. Le peintre porte toute son attention sur les personnages. Deux groupes distincts : Apollon tient sa lyre. Il est entouré de figures féminines, sans doute les Muses. Des Satyres entourent Marsyas. Des rehauts de craie blanche soulignent les drapés. Musculature virile. Musculature sublimée.

La troisième chambre est le cabinet. Coypel livre un ensemble de douze tableaux (sept pour les murs et cinq pour le plafond). Une iconographie liée à Apollon. De cet ensemble, il ne reste que deux toiles exposées ici. Apollon couronné par la Victoire et Apollon couronné par Minerve. Deux grandes huiles sur toile : 214 x 115 cm. Belles académies masculines. Elégance d’un même visage serein. Blondeur bouclée de la chevelure d’un dieu adolescent dans une posture quasi identique : le poids de son corps repose sur une jambe. Apollon tient sa lyre (il est protecteur de la musique), soit sous son bras droit, soit à sa main gauche. Que ce soit la Victoire ailée ou Minerve, elles se tiennent au-dessus de lui, s’apprêtant à le couronner. Victoire esquisse le geste de cueillir une branche de laurier. Minerve, à demie couchée sur un nuage, tient une palme dans sa main droite. Victoire est vêtue de blanc, les drapés de sa robe flottant au vent. Minerve porte une robe violette agrémentée d’un drapé rose. La nudité d’Apollon est à peine couverte d’un lumineux drapé jaune orangé. En arrière-plan, le dieu fleuve, à demi couché, tient une urne dont l’eau se déverse.

De l’oratoire subsiste un tableau d’autel, La Nativité. Simplicité, sobriété de la composition qui met en scène des personnages à l’attitude digne. Douceur et délicatesse des visages. La Vierge, agenouillée, présente avec tendresse le nouveau-né. Joseph, légèrement décalé, éclaire la scène d’une bougie, sa main droite esquissant un geste de surprise. Au-dessus d’eux, deux anges, enlacés, surgissent des nuées. Dans la pénombre, le mufle du bœuf. Sobriété de la palette chromatique : rouge de la robe de la Vierge… tons de brun du vêtement de Joseph… mélange de blanc et de bleu profond pour ceux des anges aux ailes déployées. Le regard de tous se concentre sur l’enfant qui vient de naître. Enfant d’où émane la lumière divine. « L’intensité émotionnelle de la scène est accentuée par le jeu des contrastes lumineux qui font émerger les protagonistes de la nuit » (catalogue). « Une atmosphère propice à évoquer le mystère de l’Incarnation (qui) plonge aussi le spectateur dans l’intimité d’une scène familiale » (cartel explicatif).


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Noël Coypel, La Nativité, 1667-1668, huile sur toile, H.183 ; L.133 cm © Nancy, musée des Beaux-Arts, inv. 173 – Photo JMB

Petite parenthèse dans notre visite : Les dessins d’académie. Rappel. Lorsque Coypel est nommé (1695) à la tête de l’Académie royale, cette dernière existe depuis 1648. Il y enseigne depuis 1664. Le professeur met en attitude le modèle. La pose est maintenue quotidiennement pendant trois jours afin que les élèves puissent venir la dessiner durant deux heures. Le professeur est chargé, lui aussi, de dessiner le modèle afin de servir d’exemple aux étudiants. « La grande majorité des académies est dite « simple », c’est-à-dire comportant un seul personnage, mais comme quasiment tous les dessins de professeurs, au XVIIème siècle, elles sont « historiées ». Le modèle, en effet, est mis en scène : il pose dans un espace tridimensionnel, est accompagné d’accessoires ou doté d’attributs (…) En ajoutant ces indices spatiaux et narratifs à la diversité de la pose et à la mise en volume des corps par l’ombre et la lumière, on rappelait que la finalité de ces exercices était de former des peintres d’histoire » (Benjamin Salama, catalogue). Sept originaux sont présentés ici. Ces feuilles sont dites « simples » et sont « historiées ». Leurs attributs permettent une identification, un dieu ou un héros mythologique. Poses diverses. Mises en volume des corps par l’ombre et la lumière.

Nous avons déjà vu la sanguine concernant le combat d’Hercule et Acheloüs. La pose de deux modèles en train de lutter étant fréquente. Dieu fleuve assis, tourné vers la gauche Dessin non daté portant la mention en bas à droite « Coypel le grand Père ». Un personnage, assis sur le sol, couronné de laurier, représente un dieu-fleuve comme l’indique l’urne qui déverse de l’eau. En arrière-plan, un rideau de roseaux ferme la composition. Musculature impressionnante qu’accentuent des rehauts de craie blanche. Apollon tourné vers la gauche (1665). Couronné, portant une seconde couronne dans sa main droite, il prend appui sur sa lyre. Au sol, sur la gauche, une palette, des ciseaux et une tête sculptée signifiant qu’il est le protecteur des arts. Musculature toute aussi impressionnante, dissimulée sous un drapé qui l’enveloppe à peine. De la même veine, un Homme debout de profil, retenant une guirlande (1668). Sujet novateur : le personnage fait partie d’un décor, avec sur sa droite, le début d’un cadre circulaire. Sur sa gauche, des rinceaux (ornement architectural en forme d'arabesque végétale). Lui-même est dessiné sur un fond de draperie retenant une guirlande. Son bras gauche relevé dissimule une partie de son visage. Un Homme marchant de face, tête vers la droite (non daté, portant la même signature que précédemment). Toujours le même traitement d’un corps masculin tout en muscles. Mais ici la pose est plus naturelle, sans contorsions. L’homme regarde de côté. Il semble s’adresser à un compagnon, geste de la main gauche à l’appui. Un Homme assis de face attaqué par un serpent (1672). Probablement l’une des dernières sanguines de Coypel, dessinée quelques mois avant son départ pour Rome. Pose expressive où la gestuelle des mains prend toute son importance. Il se cache le visage, visage qui exprime la frayeur face à un serpent qui se prépare à envelopper ce corps tendu.


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Noël Coypel, Homme marchant de face, tête tournée vers la droite, s.d., sanguine et rehauts de craie blanche sur papier, H.59 ; L.40,8 cm, Inscr : en bas à gauche, à l’encre brune sur sanguine, Coypel le grand père © Paris, Beaux-Arts de Paris, inv. EBA 2847 – Photo JMB

La salle suivante est dédiée aux Tableaux du Trianon de marbre. Rappel. Ce château est né de la volonté de Louis XIV d’édifier un palais « de plaisance » à l’écart de la vie de cour du château de Versailles. De plain-pied, il est constitué de deux ailes reliées par un péristyle ouvrant sur les jardins. Noël Coypel se voit confier « l’exécution de onze tableaux formant deux suites : l’une consacrée à l’histoire d’Apollon pour l’aile Nord, l’autre à celle d’Hercule pour l’aile de Trianon-sous-Bois. (…) Cette commande de sujets mythologiques lui permet de renouer avec des thèmes abordés dans sa jeunesse. (Notons ici) une évolution du style du peintre qui s’avère plus suave et plus doux. Aux Apollons puissants et musclés succèdent ainsi de délicats éphèbes, à peine sortis de l’adolescence » (dossier de presse). Ce ne sont ni les combats des dieux, ni les travaux d’Hercule qui sont peints ici mais des épisodes plus paisibles de leur histoire. Néanmoins ce sont encore les qualités du roi qui sont mises en évidence : le protecteur des arts à travers Apollon, la force à travers Hercule.

Penchons-nous sur le cycle d’Apollon. Une série de toiles destinée au cabinet de repos de Madame de Maintenon (1635-1719). Série peinte en 1688-1689. La première est destinée à orner le manteau de la cheminée : Apollon couronné par la Victoire après la défaite du serpent Python. Les deux autres, de forme ovale, pour les dessus de porte : Apollon reçoit son carquois de Mercure et Apollon gardant les troupeaux d’Admète. Nous retrouvons un éphèbe aux longues boucles dorées. Des amours « aux yeux noirs comme des billes » (catalogue). Une similitude dans la palette des coloris employés, fondée sur des accords de jaune et de bleu. Une conception quasi identique des paysages. Le premier tableau a pour point de départ l’épisode du combat entre le dieu et le monstrueux Python qui terrorisait les populations. Le héros vainqueur est assis au centre de la toile, prenant nonchalamment appui sur son arc. Arc dont les flèches d’or ont blessé mortellement le serpent. Apollon est couronné par la Victoire, elle-même accompagnée de nombreux amours aux ailes de… papillons ! Au premier plan, Cybèle, associée à un vase symbolisant un fleuve, regarde le héros et reçoit une corbeille de fleurs et de fruits que deux nymphes lui tendent. Elles aussi ont les yeux levés vers lui. Question : où est le serpent ? De dimensions plus que réduites, l’animal est relégué sur la droite du tableau, au-dessus des têtes des nymphes (voir photo). Manifestement l’hommage royal prime sur le réalisme de la scène mythologique.


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Noël Coypel, Apollon couronné par la Victoire après la défaite du serpent Python, 1688-1689, huile sur toile, H.186 ; L.120cm (format anciennement cintré dans la partie supérieure) © Versailles, Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 8307, dépôt du musée du Louvre, 1965 – Photo JMB


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détail du serpent - Noël Coypel, Apollon couronné par la Victoire après la défaite du serpent Python, 1688-1689, huile sur toile, H.186 ; L.120cm (format anciennement cintré dans la partie supérieure) © Versailles, Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 8307, dépôt du musée du Louvre, 1965 – Photo JMB

Coypel peint un second tableau sur ce thème (1700-1704). De dimensions plus réduites, il le recentre sur Apollon et la Victoire. En quelque sorte, une version simplifiée (moins de personnages) du premier tableau. Ici les symboles liés au dieu sont mis exergue : la lyre sur laquelle il s’appuie… l’arc, le carquois, les flèches tenus par des amours… la palme et la couronne de laurier. Le serpent occupe une place plus importante, bien que discrète elle aussi. Toujours sur la droite du tableau. Son corps est percé des flèches mortelles. A chaque fois, un paysage méditerranéen (palmiers, cyprès, pins). Une palette chromatique quasi identique pour les deux toiles. Palette faite de tons harmonieux : jaune orangé, pour les drapés dont s’entoure le dieu, symphonie de bleu et de rose pour la déesse, les nymphes. De cet ensemble, consacré à Apollon, se dégage un sentiment de douceur.

Passons au cycle d’Hercule. Un thème familier à l’artiste. Cependant, il ne peint pas les Douze Travaux mais seulement les derniers exploits du demi-dieu. Un cycle de huit tableaux où les aventures se suivent sur une sorte de frise. Un format à l’horizontale. Une narration, de toile en toile, qui s’en trouve dès lors favorisée. Un point commun : les compositions se déroulent soit dans des paysages italianisants, soit dans des architectures ouvertes sur l’extérieur. Nous remarquons également une uniformité, une harmonie (nous pourrions presque parler de cohérence !) des types physiques, du dessin des drapés, des coloris de la palette chromatique. Cinq de ces compositions sont encore sur les cimaises du palais de marbre. Coypel s’inspire encore une fois des Métamorphoses d’Ovide (43 av. JC-17ou 18 ap. JC). La livraison de la commande prendra du retard, environ une dizaine d’années, sans que nous puissions expliquer celui-ci. Suivons les aventures de notre héros !

Le premier épisode nous est déjà connu. Hercule domptant Acheloüs (entre 1695/99). La beauté de la nymphe Déjanire attire nombre de prétendants. Les deux protagonistes souhaitent la conquérir. Le combat se déroule, au pied de cinq marches, devant Oenée, roi de Calydon et père de Déjanire. Son entourage ainsi que des spectateurs (derrière une balustrade) y assistent également. Acheloüs, sous la forme d’un taureau, est terrassé par Hercule qui vient de lui arracher l’une de ses deux cornes. A côté, deux putti rejouent la scène, le triomphateur brandissant une couronne de laurier. Premier plan complété par des nymphes effrayées qui esquissent des gestes protecteurs. La nymphe de gauche couronnée de roseaux, tient une palme s’appuyant sur deux cruches qui déversent de l’eau. Est-ce Déjanire ? Son père est assis sur un trône doré, orné de têtes et de pattes de lions. L’ensemble dans un décor à l’antique. En parallèle, est exposée une seconde version : Le Combat d’Hercule et d’Acheloüs (vers 1700). De plus petit format mais avec des variantes. Au tout premier plan : les armes (flèches et carquois) du vainqueur ainsi que la couronne de laurier sur la droite. Le geste de crainte de Déjanire est moins éloquent. Le drapé vert, à l’arrière du trône, est de plus grande ampleur. Enfin, des statues bordent les terrasses des toits.


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Noël Coypel, Le Combat d’Hercule et d’Acheloüs, autour de 1700, huile sur toile, H.72 ; L.91 cm © Caen, musée des Beaux-Arts, inv.2014.1.1 – Photo JMB

Nymphes présentant une corne d’abondance à Amalthée (entre 1699 et 1704). La nymphe tient le rôle central. Hercule est absent de la composition. Les naïades ont rempli la corne arrachée à Acheloüs, de fruits et de fleurs. Deux d’entre elles offrent à Amalthée ce qui est devenu la corne d’abondance. La composition présente à nouveau deux registres. Un groupe central aux figures amples… des drapés aux plis cassés… la palette coutumière des coloris mais dans des tons plus vifs, orange, rose et mauve ainsi qu’un bleu profond pour le drapé enveloppant la nymphe. Le tout « assortis de délicats cangianti » (catalogue- « cangianti »: une couleur qui change de teinte en fonction des différentes incidences de la lumière). Au second plan, les naïades sur la droite et la personnification habituelle du dieu-fleuve sur la gauche.

Enlèvement de Déjanire par Nessus (entre 1695 et 1699). Les personnages sont placés sur un pied d’égalité. Nessus propose à Hercule de traverser le fleuve en portant Déjanire sur son dos. Hercule hésite, accepte puis comprend la duperie. Il lui décoche une flèche. L’instant évoqué par le peintre n’est pas celui, habituel, mais le moment où Hercule s’avance vers Nessus blessé. Vêtu de la peau du lion de Némée, son carquois en bandoulière, il vient de récupérer sa massue de l’autre côté du fleuve. Le fleuve Evenus, lui, est tapi dans l’ombre. Des putti à l’entour du centaure blessé. Du sang gicle de son flanc. L’un des putti tient la tunique blanche où se répand ce sang. Dans ces trois compositions, la nature tient une place d’importance. Le paysage structure la composition. Il met en valeur les personnages. « Le paysage est savamment construit : au centre, des grands arbres d’espèces variées, plantés de manière souvent anarchique, créent un sentiment de densité qui s’équilibre, de part et d’autre, grâce à des échappées conduisant le regard sur des montagnes bleutées » (Béatrice Sarazin, Dossiers de l’Art, n°311).

Faisant suite, Déjanire envoyant la chemise empoisonnée de Nessus à Hercule (entre 1695 et 1699). Un épisode rarement représenté. Avant sa mort, Nessus donne son vêtement souillé à Déjanire et l’incite à s’en servir comme philtre d’amour. Cette dernière vient d’apprendre la trahison de son époux. Sur la gauche, la Renommée, vêtue de vert moiré et de violine, souffle dans sa trompette colportant la fausse nouvelle. Déjanire, assise, a confié à Lichas le coffret contenant la chemise empoisonnée. Elle est richement vêtue : une robe damassée dans les tons d’or… un manteau bleu dont l’envers est rose, attaché sur l’épaule droite par une broche de perles, perles qui agrémentent sa coiffure. Lichas s’apprête à partir. Derrière lui (donc sur la gauche de la toile), la Discorde toute vêtue de bleu, le visage sinistre, les cheveux en serpents. Elle annonce le futur drame. Une composition située dans une architecture faite d’arcades ouvertes sur l’extérieur. On aperçoit un bâtiment en arrière-plan. Un sol fait de marbre peint dans les tons de beige et de vert. Une réminiscence du péristyle de Trianon ?


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Noël Coypel, Déjanire envoyant la chemise empoisonnée de Nessus à Hercule, entre 1695 et 1699, huile sur toile, H.108 ; L.172 cm © Versailles, Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 8261, dépôt du musée du Louvre, 1964 – Photo JMB

Dernier tableau : L’Apothéose d’Hercule (entre 1695 et 1699). Une huile sur toile marouflée sur bois qui opte pour un format différent : vertical. Et une composition sur deux registres qui n’est pas sans rappeler celle de l’octogone central du plafond de la salle des Gardes de la reine. Hercule sur son char s’élève dans les airs. Char tiré par deux chevaux fougueux. Mercure le conduit vers l’Olympe. Au centre de la composition deux putti rieurs voletant au-dessus du char. Dans la partie haute, les dieux s’apprêtent à l’accueillir. Nous retrouvons toute la symbolique concernant les personnages présents : la peau de lion pour Hercule… le caducée et le casque ailé pour Mercure… l’aigle pour Jupiter ou le paon pour Héra.

En complément, trois toiles n’appartenant pas au cycle précité mais sans doute conçues comme dessus de porte. Composition à trois personnages. A nouveau dans un paysage quasi identique : Hercule faisant un sacrifice à Jupiter après ses victoires. Et son pendant Junon apparait à Hercule. Dans le premier, Hercule vient de déposer ses armes au pied de l’autel (dont la forme et la spatialisation ne sont pas sans rappeler celui vu précédemment) et offre un sacrifice à Jupiter. Ce dernier, vêtu de rose, surgit des nuées où il est confortablement installé. Dans le second, Junon apparaît à un Hercule grimaçant, dans une attitude de crainte. Tout comme son compagnon. Junon est tout sourire, tenant son paon par le cou. Rappelons que tous deux entretenaient des relations complexes dans la mesure où Junon haïssait Hercule né d’une relation adultère de Jupiter. Nous retrouvons le paysage habituel ainsi que la palette des coloris. La lumière se focalise sur Junon.


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Noël Coypel, Junon apparait à Hercule, entre 1697 et 1699, huile sur toile (anciennement chantourné) H.128 ; L.94 cm © Versailles, Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 7793 – Photo JMB

Un dernier tableau peut être associé à cet ensemble bien qu’il contraste avec les autres œuvres : L’Abondance (entre 1699 et 1704). Sur un fond de paysage, une femme assise couronnée de fleurs. D’une main, elle tient une grappe de raisins ; de l’autre une corne d’abondance d’où s’échappent fleurs et fruits. Certainement une ode aux saisons qui passent. Le printemps et ses fleurs qu’un putto tient dans ses mains. L’été, avec la gerbe de blé qu’un second putto prend dans ses bras. Sans oublier l’automne et le raisin. Nous retrouvons la même palette de coloris : chatoiement des tissus satinés jaune et violine du vêtement de la jeune femme. Vert sapin ou rose délicat des drapés enveloppant les putti. Et à nouveau, les billes rondes et noires de leurs yeux !

Etape suivante de notre visite : Les décors du château de Meudon. La majeure partie de ce dernier a disparu aujourd’hui. Louis de France dit le Grand Dauphin (1661-1711), fils de Louis XIV en fait l’acquisition en 1695. Acquisition par voie d’échange avec la veuve du marquis de Louvois (1641-1691). Ce fut son grand projet, ne cessant d’embellir le lieu. Faisant appel aux meilleurs artistes de son temps. Il commande d’abord l’aménagement de la partie la plus ancienne, appelée le Château Vieux. Puis Jules Hardouin-Mansart construit un nouveau bâtiment, dont une galerie, le Château Neuf. Quatre œuvres de Coypel, provenant de deux commandes différentes, sont choisies. Deux d’entre elles proviennent de la série d’Hercule de Trianon-sous-Bois : Hercule domptant Acheloüs et L’Enlèvement de Déjanire par Nessus. Puis deux tableaux de grand format (138 x 282 cm) : Cyrus interrogeant le roi d’Arménie et Néron au milieu d’un festin ordonnant le mort d’Agrippine. L’association d’un mythe et de l’histoire antique. Deux toiles datées des années 1700/02.

La première toile : le perse Cyrus ne tolère pas que le roi d’Arménie résiste à son autorité en ne payant pas le tribut et en ne fournissant pas des troupes. Il entend le soumettre. Tigrane, fils de ce dernier et ami de Cyrus, plaide auprès du conquérant afin que la vie de son père soit épargnée. Deux groupes de personnage entourent Cyrus monté sur un destrier blanc, caparaçonné d’une peau de tigre. Il est vêtu d’un manteau rouge. Derrière lui, la troupe. Et, à son côté, un homme drapé de bleu tient des chiens en laisse. Sur la droite de la composition, le roi d’Arménie vêtu de bleu, entouré de diverses figures. Dont à son côté, son fils vêtu de jaune. En arrière-plan, un sacrificateur appuyé sur un autel. Une composition « où l’histoire se déroule comme un bas-relief » (catalogue), l’ensemble sur un fond de paysage fait de deux grands rochers. Une toile qui a pour propos la clémence du prince. A l’image de celle de Louis XIV !

La seconde toile expose les cruelles relations de Néron avec sa mère Agrippine. Une scène de banquet ou, plus exactement, de débauche. Un banquet sous une colonnade. Néron est en état d’ébriété si nous en jugeons par sa posture. Son expression n’a rien de féroce ! Il parle avec le commandant de sa flotte et lui ordonne d’assassiner sa mère lorsqu’elle prendra la mer avec lui. A l’arrière-plan à droite, un rideau se lève sur le navire. Deux soldats intiment l’ordre de garder le silence sur la chose ! Scène de libation avons-nous dit ? En témoignent la joueuse de lyre en légère tunique rose, à moitié dénudée qui, tout sourire, aguiche le spectateur. Ou, sur la droite, le groupe d’enfants avachis sur un grand vase calice en métal et buvant discrètement ce qu’ils y ont puisé. Toujours les mêmes drapés aux amples envolées. La même palette de couleurs. Notre œil se focalise sur le manteau jaune d’or du commandant et sur le bleu, aux tons changeants, de celui de Néron.


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Noël Coypel, Néron au milieu d’un festin ordonnant la mort d’Agrippine, 1700-1702, huile sur toile, H.138 ; L.282 cm © Grenoble, musée de Grenoble, dépôt du musée du Louvre, MG 572 – Photo JMB

La salle suivante est consacrée au Dôme royal des Invalides. Le dernier grand chantier que Coypel entreprend dans les dernières années de sa vie. Entre 1702 et 1706. La construction du dôme débute en 1677 mais prend du retard. Le choix des peintres ne se fera qu’au moment de son achèvement. Noël Coypel et son fils Antoine tiennent à participer à ce chantier. Rivalité entre les peintres. Mais aussi avec les directeurs des Bâtiments du Roi. L’architecte du dôme, Jules Hardouin-Mansart, devenu surintendant des Bâtiments du Roi, tente d’écarter Coypel. Sans y parvenir. Ce dernier obtient l’espace du sanctuaire. Il y réalise L’Assomption de la Vierge pour le cul-de-four (voûte en forme de demi-coupole) de l’abside et La Trinité pour la voûte. Grâce à une vidéo, nous pouvons découvrir « de près » celle-ci ! Trois dessins (pierre noire avec rehauts de craie blanche) du Musée des Beaux-Arts de Rennes sont présentés, « incrustés » à leur place. Trois dessins que nous pouvons également contempler. Saint Thomas avec les pics. Saint Jacques le Majeur avec son bâton de pèlerin. Saint Philippe avec une croix. Un exercice « particulièrement difficile, non seulement en raison de son caractère répétitif, mais aussi par le format étroit, très allongé et incurvé sur lequel les sujets devaient prendre place (…) Le vieux peintre propose une solution sculpturale en disposant les personnages sur un fond en partie laissé vide et duquel ils se détachent comme il s’agissait de reliefs » (catalogue). Chaque apôtre est accompagné de deux groupes de deux anges. Ces derniers portent la palme et la couronne de martyre. Ou l’instrument qui a servi à ce martyre. Sont exposés deux dessins circulaires : Un groupe d’angelots sur fond d’architecture. Dessins à la pierre noire mise au carreau (opération ayant pour but de grandir une esquisse). Pour une dimension relativement importante : 31 cm. Groupes d’anges que nous retrouvons, ici et là, dans L’Assomption. Un tableau de dimensions réduites, sans doute un modello. Présenté, lui aussi, au Salon de 1704. De format rectangulaire, il devait se dérouler, à l’origine, sur un fond de voûte. Au centre, la Vierge soutenue par trois anges, arrive au royaume des cieux. Sa tête est auréolée de gloire. Elle est vêtue d’un somptueux drapé bleu. Des groupes d’anges l’entourent. Ils disparaissent de la fresque finale.


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Noël Coypel, l’Assomption de la Vierge vers 1700-1704, huile sur toile, H.69,1 ; L.91,2 cm © Rennes, musée des Beaux-Arts, inv.1998.10.1 – Photo JMB

Notre visite s’achève avec Les cartons de tapisserie. Rappel. 1662. Colbert donne naissance à la Manufacture royale des Gobelins, regroupant les ateliers parisiens de tapisserie. Les peintres fournissent des « cartons », modèles sur lesquels se basent les lissiers pour tisser les tentures. 1684. Coypel est chargé de la préparation et la présentation des cartons peints de la tenture des Arabesques de Raphaël appelée également Triomphes des dieux. Cette tenture s’inspire de huit tapisseries bruxelloises du XVIème siècle. Livrées au pape Léon X (1475, 1513-1521). Destinées à orner des chambres du Vatican. Données à Raffaello Sanzio dit Raphaël (1483-1520), elles sont probablement de la main d’un de ses collaborateurs. Une série (en partie disparue) à six figures mythologiques. Nous retrouvons Apollon et Hercule. Mais aussi Mars, Minerve, Bacchus et Vénus. Ainsi que deux figures allégoriques, la Grammaire et le Foi. Figures allégoriques interprétées, par la suite, comme étant la Philosophie et la Religion.

Très altérée (rangement des toiles pliées sur elles-mêmes provoquant des cassures… encrassement de la surface… repeints…) La Grammaire parmi les arts libéraux, aussi appelée Le Triomphe de la Philosophie, a eu droit, du fait de sa présence au sein de l’exposition, à une ambitieuse restauration. Afin de lui redonner une lecture satisfaisante. (lire à ce sujet, l’article des Dossiers de l’Art précité). Sont présentés un dessin attribué à Noël Coypel. Dessin à la plume, encre brune, pierre noire, aquarelle et rehauts de gouache blanche. Et une huile sur toile, à échelle d’exécution (423 x 500cm) permettant d’apprécier la qualité de l’œuvre. Putti aux joues pleines… Figures féminines, aux vêtements colorés, assises… Profil net des visages… Fleurs, fruits et divers ornements… Architecture qui lie les registres… Découpage du carton indiquant que les lissiers ne pouvaient travailler leur modèle que par portion.

Deux dessins portant la mention, sans doute erronée, « Coypel le Père ». Leur destination : « Chambre du Roy » pour La Royauté entre la fidélité et la Noblesse (La Paix ?) et « Cabinet du Roy » pour Hercule vainqueur (La Guerre ?). Attribution controversée. Mais des similitudes entre les deux sujets. Couleurs où dominent le rouge et le bleu. Traitement des bordures : feuilles d’acanthe et guillochis (ornement composé de lignes, de traits symétriques, ondés qui s'entrelacent ou se croisent avec symétrie) dorés sur fond bleu. Déploiement de grotesques (ornements faits de compositions fantaisistes, de figures caricaturales).

1695. Une seconde commande de cartons de tapisserie est passée à Coypel. Quatre pièces de taille plus petites destinées à l’alcôve de repos du roi à Trianon. Elles complètent les Mois arabesques, d’après les cartons de François Verdier (1651-1730), où chaque tenture évoque un mois de l’année associé à un dieu de l’Olympe. Ce dernier, debout dans une « niche bordée d’un entourage décoratif à fond rouge » (catalogue). Sont exposées une huile sur toile et une tapisserie de laine et de soie : Apollon. Le dieu du soleil, occupe le centre de la composition, debout dans un édicule, sorte de belvédère. Il était encadré par deux lais de tapisserie figurant les quatre saisons. Admirons la fraicheur des coloris.


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Noël Coypel, Apollon, huile sur toile, H.354 ; L.245 cm © Avignon, musée Calvet, dépôt du musée du Louvre, inv. 3486 AD 938 – Photo JMB


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Manufacture des Gobelins, atelier de Jean De la Croix, d’après Noël Coypel, 1695, tapisserie de laine et de soie, H.280 ; L.221 cm © Paris, musée du Louvre, département des Objets d’art, inv. OA 5418 – Photo JMB

Autre carton de tapisserie, en sept bandes : Le Triomphe de Vénus. La déesse de l’amour, presque nue, occupe aussi le centre de la composition, debout dans un édicule gracieux. De chaque côté, des femmes allumant des pots à feu ou tressant des guirlandes de fleurs. Tout en discutant. Une ribambelle d’amours domine la scène. Ils jouent sur des cordages. D’autres sont assis, en équilibre, sur des mats. D’autres, encore, décochent des flèches. Le registre inférieur porte l’ensemble : une structure flottante, animée par des couples de divinités marines, tirée par le char de Neptune.


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Noël Coypel, Le Triomphe de Vénus, 1691 ?, carton de tapisserie en sept bandes, huile sur toile, H.430 ; L.668 (dimensions de l’ensemble) © Fontainebleau, musée national du château de Fontainebleau, dépôt du musée du Louvre, INV 8973 – Photo JMB

Une ultime salle offre la possibilité de découvrir, grâce à une vidéo, en quoi consiste la restauration de ces œuvres. Cela en suivant leur transformation au cours de l’exécution de ce travail.

Quatre-vingt-dix œuvres sont présentées dans l’étape versaillaise de cette exposition grâce à de nombreux prêts consentis par les institutions françaises (Le Louvre, le Mobilier National, plusieurs musées des Beaux-Arts de province) mais également par des collectionneurs privés. L’étape rennaise développera d’autres aspects du parcours artistique de Noël Coypel, son rapport à la gravure, la peinture religieuse ou la quasi-totalité des cartons de tapisserie. Comme c’est devenu habituel, le catalogue reprend l’ensemble des pièces présentées dans les différents sites, en les répertoriant à l’aide d’une ou plusieurs astérisques indiquant le lieu où elles sont présentées. Un livret jeu, édité avec Paris Mômes, permet aux 8-12 ans de parcourir l’exposition tout en répondant à un questionnaire.

Grand dessinateur, Noël Coypel est amateur de traits à la fois amples et impérieux. Ses groupes de personnages animent l’espace, souvent grâce à leurs postures tourbillonnantes. Personnages, par ailleurs, aux visages imperturbables. Nous n’y décelons aucune fantaisie ! Draperies aux plis tout en majesté, aux couleurs changeantes. Variation à l’infini des coloris dans une palette pourtant assez restreinte. « Coypel commence par exécuter des dessins préparatoires, puis dès l’ébauche de la première composition il reprend largement le dessin et finit par le modifier complètement en cours de route » explique Béatrice Sarazin. L’imagerie scientifique ou l’étude de repentirs parfois visibles permettent d’appuyer ce propos. Et d’ajouter qu’« il reprenait inlassablement ses compositions ».

Noël Coypel fait partie des nombreux artistes qui œuvrèrent aux décors du château de Versailles. Versailles lui rend, à son tour, hommage ! Hommage à ce peintre longtemps méconnu à l’origine d’une descendance qui lui fit de l’ombrage jusqu’à nos jours. « Coypel sort de l’ombre » (Lucie Nicolas-Vullierme, Carnets de Versailles, n°23, octobre 2023-mars 2024). « L’un des peintres les plus éminents du Grand Siècle (…) Noël Coypel est né quand le château de Versailles n’était qu’à ses balbutiements. Il a traversé le siècle qui en a assuré le renommée » (Catherine Pégard).



Publié le 19 nov. 2023 par Jeanne-Marie Boesch