En Société - Pastels du Louvre des XVIIème et XVIIIème siècles

En Société - Pastels du Louvre des XVIIème et XVIIIème siècles ©Musée du Louvre
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« En Société » serait l’exposition dont tout le monde parle selon Le Figaro (22 juin)… Cécile Mérieux intitule son article dans La Croix (18 juin) : « Au Louvre, de la poudre aux yeux »… Quelques rares articles font état des pastels du siècle des Lumières qui s’exposent actuellement au Louvre, à la Rotonde Sully. Mais point d’affichage… point de publicités ici et là… point de calicots sur les façades… pas de fléchage… alors serait-ce une exposition « confidentielle » ?

Lors de sa conférence de présentation (vendredi 15 juin à l’Auditorium du Louvre) Xavier Salmon, directeur du département des Arts graphique, explique l’historique de cette exposition qui met en lumière les pastels des XVIIème et XVIIIème siècles, majoritairement des portraits. En effet, le Louvre a la chance de conserver une collection de référence dont seules quelques pièces maîtresses sont connues du public. Elle n’a plus fait l’objet d’un catalogue systématique depuis plusieurs décennies (1972), catalogue d’ailleurs en noir et blanc. Sur les cent soixante œuvres exécutées par environ une cinquantaine d’artistes, l’exposition en présente cent dix-neuf choisies dans le « couloir des Poules » et accrochées « à touche-touche » comme ce fut l’usage pendant longtemps. Ces pastels rejoindront par la suite les réserves afin d’être mis à l’abri de la lumière. Et d’ajouter qu’« une partie de l’espace Sully nord sera réservé à une présentation des techniques et des gestes graphiques (...) Une réserve pour les pastels sera créée qui permettra de conserver les œuvres dans les conditions optimales. » (in « Grande Galerie, Le Journal du Louvre », n° 44 - été 2018). Par la suite, une partie d’entre eux pourra être présentée, par rotation, sur une durée de trois mois avant de regagner, à nouveau, les réserves. En effet, du fait de leur extrême fragilité, ils doivent être protégés de la lente décoloration produite par l’exposition à la lumière.

Une campagne de restauration a été menée, depuis 2012, grâce au mécénat des American Friends of the Louvre, du soutien de John et Mike Kahn ainsi que de celui de la société Canson. Une campagne de longue haleine ! Nombre de pastels conservaient encore leur encadrement d’origine, parfois même leur verre ancien. Par une action minutieuse de dépoussiérage et d’enlèvement des moisissures, cette campagne a permis diverses découvertes lors des démontages et remontages : déchirures « camouflées » sous un encadrement… découpes amoindrissant l’œuvre… Elle a également permis de donner une nouvelle attribution à telle ou telle œuvre mais aussi d’étudier la manière dont ces pastels étaient montés. Sans compter qu’elle a révélé des couleurs autrefois bien plus vives !

Le cœur du fond provient de l’Académie royale de peinture et sculpture se trouvant au Louvre. Il s’est enrichi de saisies d’émigrés lors de la Révolution française et, depuis 1823, d’une partie du fond de Versailles. Il est régulièrement complété par des acquisitions. Quatre depuis 2013.

Mais qu’est-ce qu’un pastel ? Emprunté à l’italien « pastello » qui signifie « bâtonnet coloré», il s’agit d’une « pâte faite de pigments colorés, pulvérisés, agglomérés et façonnés en bâtonnet » (dictionnaire Le Petit Robert). Suivant le type de liant utilisé, le bâtonnet sera plus ou moins onctueux et selon sa charge, la couleur sera plus ou moins lumineuse, plus ou moins nuancée. L’artiste travaille alors sans la palette qui lui est nécessaire pour la peinture et utilise ses doigts. D’une extrême fragilité, le pastel est employé depuis le XVème siècle pour des dessins préparatoires. Au XVIIème, il change de fonction : d’auxiliaire à la création (croquis préparatoire à la peinture), il devient une œuvre en soi que l’on a plaisir à admirer et, bien sûr, à conserver. Le support utilisé devra alors permettre son encadrement. A partir de 1665, il deviendra l’égal de la peinture et de la sculpture au point de s’intégrer dans les épreuves d’entrée à l’Académie de peinture !

Ce sont ces œuvres que nous découvrons en nous arrêtant plus spécialement sur l’un ou l’autre portait. Ce sera également l’occasion de redécouvrir des artistes connus - Charles Le Brun (1619-1690), Maurice Quentin de la Tour (1704-1788), François Boucher (1703-1770) ou Jean-Baptiste Siméon Chardin (1699-1779 – mais également de découvrir ceux du genevois Jean-Etienne Liotard (1702-1789), de la vénitienne Rosalba Carriera (1673-1757) ou du pastelliste anglais, John Russell (1745-1806). Tous ces pastels ont un point commun : la beauté de portraits aux couleurs franches, le rendu des chairs, la brillance d’un drapé, le moiré d’un velours ou la légèreté d’une dentelle ! En contemplant ces portraits nous avons, en quelque sorte, accès à la part intime des personnages portraiturés.

Les pastels du XVIIème siècle sont peu nombreux. Cependant, c’est Louis XIV (1638-1715) en personne qui nous accueille ! Reconnaissable au premier coup d’œil dans ces trois études tracées sur le vif qui permettront à leur auteur, Charles Le Brun, de reproduire fidèlement les traits royaux dans le grand chantier de Versailles. Le roi y apparait à différents âges de sa vie. De face, une fine moustache et perruque plate sur le sommet de la tête sur la première étude datant probablement de 1667. Sur la seconde (vers 1669), le souverain est de profil, la moustache relevée en pointe et effilée aux extrémités. Le troisième pastel présente un monarque plus âgé, toujours de profil et vêtu, semble-t-il, à l’antique. L’artiste se concentre sur le visage d’un roi absolu où nous pouvons déceler force et impétuosité. Ces études sont un « précieux témoignage du véritable visage de Louis XIV » (in catalogue) puisqu’elles constituent un véritable modèle de référence.


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Portrait de Louis XIV - Charles Le Brun, Pastel gris sur papier, deuxième moitié du XVIIème siècle © Musée du Louvre, distr. RMN-Grand Palais

Nous devons à Joseph Vivien (1697-1734) le portrait des fils du Grand Dauphin, Louis de France (1661-1711). Ils ont été réalisés en 1699/1700 : Louis, duc de Bourgogne (1682-1712) puis Philippe, duc d’Anjou (1683-1746, qui sera le futur roi Philippe V d’Espagne) et Charles, duc de Berry (1686-1714). Commande prestigieuse s’il en est ! L’artiste utilise quatre feuilles de papier bleu assemblées à joints couvrants. Il dessine de jeunes hommes au visage poupin mais manquant d’expressivité, le regard perdu au loin ! Leur posture est hiératique puisque vêtus d’une armure elle-même barrée du cordon bleu de l’ordre du Saint-Esprit, tenant un bâton de commandement. Néanmoins, remarquons la fraicheur du teint, la brillance des armures, le moirée des draperies. Les trois princes posent devant un arrière-plan figurant, à grands traits, un paysage. Est également exposé un Portrait d’artiste (1696 ? 1698 ?) dont l’identité reste énigmatique : il s’agit d’un homme d’âge mûr tenant un carton à dessins et un porte-mine. Ses traits sont affirmés : lèvres minces, nez large, sourcils épais, regard intense.

Retrouvons la société du XVIIIème siècle au travers de ces artistes qui sont « parvenus à insuffler la vie à l’aide de cette poudre si délicate à poser » (Jean-Luc Martinez, président directeur du musée du Louvre, in catalogue). Et d’abord, François Boucher. Arrêtons-nous sur le portrait de Marie-Emilie Boucher, seconde fille de François Boucher. Il s’agit d’un pastel sur vélin tendu sur châssis, signé et daté (1746, en haut à gauche). La jeune fille est représentée à mi-corps. Admirons la fraîcheur de son visage dont le rose des joues s’accorde au ruban de cou ou encore la précision du rendu des fleurs de sa chevelure ou celles dans le panier qu’elle tient de sa main droite. Le Petit dénicheur de merles et, de la même veine, La Petite Oiselière sont, à tort ou à raison, attribués à ce grand peintre : il porte des oiseaux dans son chapeau alors qu’un chien s’accroche à ses basques. Elle porte sur son épaule droite un bâton et deux cages. Le rose et le bleu dominent dans le costume de ces enfants dessinés dans un paysage aux caractéristiques presque similaires. Ils appartiennent à la veine des « Enfants Boucher » qui, à partir des années 1750, furent popularisés par des estampes, des sujets en biscuit de Sèvre ou servirent de modèles pour diverses tapisseries.


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Le Petit dénicheur de merles - François Boucher, Pastel © Musée du Louvre, distr. RMN-Grand Palais

Le pastelliste marseillais Joseph Boze (1745-1826) se fit connaître grâce à son Autoportrait (1782) : les effets de lumière sur sa veste gris clair, la finesse de la dentelle qui s’en échappe rendent les tissus presque palpables. Il maîtrise les ombres et lumières, les reflets moirés mais aussi les reliefs du visage. Son attitude hautaine se trouve renforcée par le doublement de sa signature, « par lui-même », sous son nom à droite du visage ! Madeleine Françoise Boze, née Clétiez (1751-1835), se tourne vers la gauche (sans doute vers son mari) interrompue dans la lecture d’une partition de musique. Ce pastel est resté inachevé, l’artiste se concentrant sur le visage, plein de tendresse, de son épouse ainsi que sur la main et le bras posés sur la partition.

Nombreuses sont les femmes à pratiquer l’art du pastel. La vénitienne Rosalba Carierra eut une influence importante sur sa génération, notamment sur les artistes français contemporains, en particulier lors de son séjour parisien (avril 1720- mars 1721). Elle excelle dans l’art du portrait dont elle fit une spécialité. Son style est raffiné, ses couleurs suaves. Les formes sont d’une élégance gracieuse et les courbes sensuelles. En témoignent le Buste de jeune fille ou la Nymphe de la suite d’Apollon. Ce pastel, œuvre de réception à l’Académie de peinture et sculpture de Paris (26 octobre 1720), y fut envoyé suite à cette admission (en « atteste » la couronne de laurier que la nymphe tient dans sa main gauche). Très pieuse, l’artiste avait coincé, entre le châssis et la toile, une estampe plaçant celle-ci sous la protection des rois mages ainsi que l’explique Xavier Salmon. La nymphe est toute de grâce et finesse. Fraîcheur et légèreté s’expriment dans la transparence des étoffes.


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La Nymphe de la suite d’Apollon - Rosalba Giovanna Carriera, Pastel sur papier © Musée du Louvre, distr. RMN-Grand Palais

Autre femme reçue à l’Académie, Marie-Suzanne Roslin (1734-1772). Nous lui devons un magnifique portrait du sculpteur Jean-Baptiste Pigalle (1714-1785) en habit de chevalier de l’ordre de Saint-Michel. Remarquons le rendu d’un somptueux habit de soie noire, le brio avec lequel elle fait miroiter la moire bleue, sans oublier la précision du point de dentelle. Que dire de l’expressivité du visage ou des mains dont on devine le bleu des veines !


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Jean-Baptiste Pigalle en habit de chevalier de l’ordre de Saint-Michel - Marie-Suzanne Roslin, Pastel sur papier bleu (1770) © Musée du Louvre, distr. RMN-Grand Palais

Reçue elle aussi à l’Académie, Elisabeth Louise Vigée Le Brun (1734-1772) s’est familiarisée à cette technique avec son père, Louis Vigée (1715-1767). Plusieurs pastels de ce dernier sont accrochés dans l’exposition. Dont le portrait tout en grâce de la petite-fille de Jean Racine. Emigrée à Vienne, Elisabeth Louise y retrouve la famille Polignac et elle peint au pastel le portrait d’Auguste Jules Armand Marie de Polignac ainsi que celui de son frère. Son visage de profil est tracé à la pierre noire avec des rehauts de pastel permettant de « retranscrire le ton des chairs, des lèvres et des cheveux, de restituer la couleur des yeux et de donner les teintes de l’habit » (in catalogue).

Adélaïde Labille-Guiard (1749-1803) multiplie les portraits au pastel de plusieurs membres de l’Académie. Ainsi fixe-t-elle, en 1782, les traits d’Augustin Pajou modelant le buste de Jean Baptiste II Lemoyne. Admirons les deux physionomies fort parlantes, le bras nu du sculpteur qui semble sortir de la toile, la précision du point de dentelle.

Etonnant par son sujet, le pastel de Charles Antoine Coypel (1694-1752) : la France rendant grâce au ciel pour la guérison de Louis XV en août 1744 à Metz. Rappelons que le roi se rendait en Alsace pour prendre le commandement des armées engagées dans la guerre de Succession d’Autriche. Il tombe gravement malade au point que la reine le rejoint avec le dauphin. L’état du souverain s’améliore et l’artiste décide d’offrir ce dessin à la reine. Nous y voyons une jeune femme levant les bras au ciel dans un geste de gratitude, un bouclier à ses pieds. Remarquons le volume de la robe ornée de cabochons dans sa partie basse ainsi que la masse du manteau bleu à doublure rose.

De Joseph Ducreux (1735-1802), admirons deux autoportraits : l’un en jeune élégant tenant sa palette (1767), l’autre aux cheveux longs au naturel (1798). Ils nous permettent d’appréhender l’évolution de l’artiste entre une œuvre « sage » presque plate (cf. le visage) et une œuvre où l’artiste se dessine sans flatterie, visage marqué par la vieillesse et le front dégarni. Nous lui devons aussi divers portraits princiers, dont les « petites Mesdames », sœurs du futur roi. Il fait un séjour à la cour de Vienne afin de portraiturer la future dauphine, la jeune princesse Marie-Antoinette (1755-1793) ainsi que ses sœurs et ses frères dont l’empereur Joseph II (1741-1790). Remarquons la finesse toute en transparence de la dentelle noire qui revêt l’habit rose de la princesse Marie-Anne, archiduchesse d’Autriche. Autre pastel, cette fois inachevé : une Dame âgée coiffée d’un bonnet de dentelle. Si la robe à galons n’est qu’esquissée, l’artiste s’attache au visage de son modèle : le cou est empâté, les rides d’expression bien présentes mais le regard bleu azur est tout de franchise et se plonge dans le nôtre ! « Inachevé, le pastel témoigne admirablement de la méthode de travail de l’artiste qui, en présence du modèle, s’attache à fixer les traits le plus fidèlement possible, en posant ses tons de fond, puis en les éclaircissant au moyen de rehauts de rose. » (in catalogue). Notons que la protection arrière du châssis du portrait de Jean Charles Thibault de Laveaux permet de comprendre que Ducreux utilisait des feuilles contrecollées afin d’avoir un support de papier plus résistant. L’arrière de celui-ci présente une académie masculine à la pierre noire ainsi qu’une autre à la sanguine.


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Dame âgée coiffée d’un bonnet de dentelle - Joseph Ducreux, Pastel sur papier beige. La dame âgée serait Madame Charles Ducreux, née Anne Béliard, mère de l’artiste © Musée du Louvre, distr. RMN-Grand Palais

Deux portraits attribués à l’alsacien Franz Berhnard Frey (1716- 1806 ou 1808) présentent le couple Frossard de Rozeville. La composition peut paraître plate. Néanmoins attachons-nous à observer la passementerie au fil d’or du costume masculin, la finesse et la précision des dentelles ou le réalisme du manchon en fourrure sans oublier l’échelle de nœuds et les motifs de la robe bleue. Le couple est représenté assis, lui le bras passé au dos de son siège, tenant une lettre dans sa main, elle accoudée sur une console.

De François-Louis Gounod (1758-1823), père du célèbre compositeur, sont exposés le portrait (vers 1786) de Pierre Simon Benjamin Duvivier, graveur général des Monnaies dont les traits témoignent d’une grande affabilité. Remarquons la couleur rose poudrée de l’habit, la finesse de la dentelle du jabot, le rendu de la coiffure dont quelques frisotis sur la nuque et ce sourire si amical ! Nous retrouvons la même harmonie de coloris, la même intensité de l’expression (ah ces yeux qui nous fixent !) dans le Portrait présumé du marquis de Wailly, fermier général.

Cette fois point de portrait. Mais deux gouaches et pastels sur toile où nous admirons des paysages pittoresques, un cadre champêtre qui s’anime de petits personnages. C’est en 1784 que Jean Pillement (1728-1808) dessine Le Repos dans la montagne puis Le Chemin de montagne. Des bergers cheminent ou se reposent sur d’étroits chemins entre les rochers, en bordure d’une cascade ou d’une eau plus calme. Sur l’un, des ruines dominent le paysage où une jeune femme semble discuter avec un voyageur monté sur un âne. A chaque fois la perspective ouvre sur des montagnes et le ciel suggère le moment du couchant. Notre œil est attiré par maint détails : les anfractuosités de la roche, le feuillage des arbres, le reflet du ciel dans l’eau calme, jusqu’aux naseaux de l’âne !

Autre curiosité que cette scène de bacchanale (pierre noire et pastel sur papier brun autrefois bleu) d’un auteur anonyme : Jeune homme enlaçant une bacchante avec une enfant et un faune jouant de la flûte de Pan. Remarquons le rosé de la nudité de la chair féminine rehaussé par la couleur bleu du linge sur laquelle la bacchante semble assise.

De Jean-Baptiste Perronneau (1715-1783) sont exposés huit portraits dont certains sont exécutés dans une gamme chromatique monochrome. Les visages sont expressifs bien que ne regardant pas forcément le visiteur ! Ainsi celui d’Abraham Van Robais (1769), vieillard au regard voilé, aux yeux enfoncés dans les orbites… Quelle précision dans le détail des cravates en fine dentelle, des perruques voire de la poudre tombée de celle-ci - portrait de Pierre Bouguer-, des nuances des tons bleus du velours – portrait de Jean Couturier de Flotte. Nous retrouvons cette dominante bleu dans l’œuvre la plus populaire de l’artiste, le portait de Marie-Anne Huquier tenant un petit chat appelé couramment la « fillette au chat ». Elle est toute en grâce, même dans sa manière de caresser son petit chat ! La restauration a montré que le cadre dissimulait une partie de l’œuvre et que le bas du vélin avait subi d’importantes déchirures.

Arrêtons nos pas sur L’acteur Henri Louis Caïn, dit Lekain, dans le rôle d’Orosmane dans la tragédie de Voltaire, « Zaïre » de Simon Bernard Lenoir (1729-1791). Daté de 1767, il s’agit d’un pastel avec rehauts de gouache représentant l’un des acteurs les plus célèbres de son temps. Le pastelliste accorde « une place toute particulière au costume de théâtre, dont la richesse et le chatoiement sont accentués au moyen de nombreux petits points de gouache jaune et blanche formant empâtements » (in catalogue). Suite à la lecture de la lettre que tient l’acteur dans sa main gauche, son visage n’est qu’expression de colère ! La manière ferme dont il tient son poignard dans la droite participe également à l’expression de cette colère.


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l’acteur Henri Louis Caïn, dit Lekain, dans le rôle d’Orosmane dans la tragédie de Voltaire, Zaïre - Simon Bernard Lenoir, Pastel et gouache (1767) © Musée du Louvre, distr. RMN-Grand Palais

Si le nom de bon nombre d’artistes cités précédemment ne sont pas évocateurs, d’autres sont plus familiers, voire sont des références stylistiques ! Par exemple, Jean-Baptiste Greuze (1725-1805) dont les pastels sont des portraits tout en spontanéité, charme et expressivité. Ainsi la Jeune fille exprimant l’effroi : la pâleur de la chair y est d’un moelleux admirable… les coins de la bouche, entrouverte, accentuent son air douloureux… les cheveux et la fine gaze de l’écharpe sont comme soulevés par un souffle d’air…

Ou Nicolas François Regnault (1738-1799) dont nous admirons un de ses chefs d’œuvre en tant que pastelliste : le portait de Maximilien Léopold Philippe Joseph Gardel, dit Gardel l’aîné. Ici aussi quel rendu réaliste du visage mi sourire, de l’habit de velours rose et des accessoires révélateurs de l’activité musicale du modèle. Remarquons l’exactitude de la représentation du mécanisme des crochets de la harpe. Au travers de celle-ci, nous distinguons un livre, un violon ainsi qu’une feuille de papier où sont dessinées des figures de ballet. Gardel l’aîné était non seulement musicien mais aussi un danseur reconnu avant d’être maître de ballet.

Ou Jean-Marc Nattier (1685-1766) sans doute plus connu comme peintre que comme pastelliste. Le Buste de jeune femme, vue de trois quarts, signé et daté de 1744, est le seul présenté ici. La jeune femme présente une carnation délicate où l’aspect rosé est mis en valeur par le nœud bleu de son tour de cou alors qu’un ruban du même ton de bleu agrémente sa chevelure. L’ensemble est encore mis en valeur par la dentelle noire qui borde son vêtement. Elle est toute de grâce et de douceur !

Et qui ne connaît pas Jean-Baptiste Siméon Chardin ? L’exposition offre, outre trois de ses autoportraits, celui de Françoise Marguerite Pouzet, sa seconde épouse (1775). Il y exprime tous les signes de la vieillesse : un visage enveloppé d’une coiffe dont la transparence arrive au coin des yeux… un regard presqu’éteint… un front pâle et un nez décharné… une bouche pincée dont on se demande quel sentiment elle peut esquisser… une touche de rose sur les joues égaye à peine l’ensemble ! Et la seule touche de couleur vive est celle du bleu du nœud de la coiffe. L’Autoportrait aux bésicles (1771), l’Autoportrait à l’abat-jour et aux lunettes (1775) et l’Autoportrait au chevalet offrent de grandes similitudes dans les visages. Ils font partie de l’inconscient de bon nombre d’amateurs de l’artiste sans doute aussi parce qu’ils sont les plus célèbres de la collection du Louvre ! Ces trois études sont grandes comme nature et exposées en parallèle. Dans le premier, l’œil, que l’on sent fatigué, interroge le visiteur par-dessus les bésicles. Le second est en miroir du portait de son épouse : il est de face, toujours les lunettes sur le nez. Quel que soit l’endroit d’où nous regardons ce pastel, Chardin, lui, nous regarde en vis-à-vis ! Sur le troisième, un mouchoir est toujours noué autour du cou, les bésicles toujours sur le nez. Cette fois-ci, remarquons la présence d’un chevalet, l’artiste tenant dans sa main droite un crayon de pastel rouge. Son visage est plus émacié, le teint parcheminé et le regard, porté par-dessus les bésicles, comme plus usé. Il joue en coloriste, à chaque fois avec le même détail du nœud bleu de la coiffe.


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Autoportrait au chevalet - Jean-Baptiste Siméon Chardin, Pastel sur papier bleu (1776) © Musée du Louvre, distr. RMN-Grand Palais

Rapprochons ces portraits de celui dû à Maurice Quentin de La Tour (1704-1788) et peint en 1760 : Chardin y apparaît la mine affable, la perruque soigneusement peignée et poudrée, vêtu d’un habit gris foncé rehaussé d’un jabot de dentelle blanche. Il est représenté en trésorier de l’Académie royale de peinture, sa fonction au moment il est peint par son ami. Du maître pastelliste, est exposé un portrait inhabituel, Autoportrait à l’œil de bœuf et à l’index : La Tour s’y met en scène, lèvres probablement gercées, riant et pointant son index en direction de…, on ne le saura jamais !

Que dire du bleu velouté de la robe de Marie-Louise Gabrielle de La Fontaine Solare de La Boissière ? Son attitude est naturelle, toute en grâce : tête nue, elle se tient appuyée sur le rebord d’une fenêtre, les mains dans son manchon, enveloppée dans une toilette bleue, bordée d’une fourrure de tigre et de dentelles. Ses yeux noirs et rieurs offrent un regard tout en malice.


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Portrait de la marquise de Sesmaisons, née Marie-Louise Gabrielle de la Fontaine Solare de La Boissière - Maurice Quentin de La Tour, Pastel © Musée du Louvre, distr. RMN-Grand Palais

Le portrait de Philibert Orry, comte de Vignory est de dimensions peu communes : 1,173 m de haut pour 0,906 m de large ! Il apparait en personnage officiel portant une longue perruque alors passée de mode mais caractéristique de sa fonction. Le fauteuil recouvert de tissu jaune d’or met en valeur les tons de noir de son habillement : celui du velours de l’habit proprement dit, celui du satin de la doublure et celui de ses bas de soie. Un autre Autoportrait, resté inachevé et daté des années 1755/60 en raison de l’âge apparent du modèle, est également présenté : « même visage spirituel, épanoui et gouailleur » ! (in catalogue).

Nous lui devons également plusieurs portraits de Louis XV (1710-1774) et de son entourage. Le roi lui accorda certainement quelques séances de pose. Le portrait de l’exposition glorifie un roi guerrier : Louis XV y apparait, de trois quart tourné vers la droite, dans « toute la pompe de sa royauté, avec l’armure fleurdelisée, le grand collier de la Toison d’or et la cape à fleurs de lys doublée d’hermine » (in catalogue). Cette effigie s’imposera par la suite comme modèle dans la mesure où elle respectait le plus fidèlement la réalité physique du souverain. Marie Leszczynska (1073-1768), reine de France n’était pas belle et le savait, aussi ne multiplia-t-elle point ses portraits ! Elle n’apparait pas en majesté dans ce pastel. Elle est vêtue d’une étonnante robe à damiers et rubans festonnés, la tête couverte d’un voile de gaze noire. Elle est assise et tient dans sa main droite un éventail fermé. Son visage souriant est tout de douceur et de bonté.

Est également portraiturée La Dauphine Marie-Josèphe de Saxe (1731-1767) : il s’agit de la seconde épouse de l’héritier de la couronne. La pose est identique puisqu’assise tenant un éventail fermé dans sa main. Elle porte au cou un rang de perles et ses cheveux sont coiffés vers l’arrière ; le sommet de la tête est ponctué d’une touche bleue rappelant les nœuds bordant sa robe. Deux bijoux sont agrafés sur sa poitrine, l’un suspendu à un nœud rouge (un Saint Jean Népomucène serti de diamants), l’autre à un nœud noir (l’ordre autrichien de la croix étoilée). En 1762, La Tour se livre à un exercice nouveau en fixant les traits d’un enfant, Louis Stanislas Xavier, comte de Provence (1755-1824) qui n’est autre que le futur roi Louis XVIII. L’enfant est campé dans un habit de soie rose rehaussé de dentelle blanche et d’argent. Le cordon bleu du Saint-Esprit lui barre la poitrine ainsi que la grand-croix. Nous ne pouvons qu’être charmés par ce visage enfantin alors que l’Histoire garde en mémoire l’image d’un roi podagre !

La jaquette du catalogue reprend le célébrissime portrait de Jeanne Antoinette Lenormant d’Etiolles, marquise de Pompadour (1721-1764). De très grand format, il mesure 1,785 m de haut pour 1,31 m de large. Il était, à l’origine, plus large d’une dizaine de centimètres ! Il est composé d’un assemblage de huit feuilles de papier bleu collées à joints couvrants. La récente et délicate restauration (voir catalogue pages 182-184) a conféré un nouvel éclat à l’œuvre et a montré que l’artiste s’est aidé de trois préparations comme l’explique Xavier Salmon : au niveau du visage, une pièce de papier a été collée sur le support après avoir été défibrée… au niveau de la main droite… au niveau des mules dont le talon a été modifié, l’abrasion donnant alors un aspect pelucheux. La Pompadour porte une somptueuse robe « à la française » de couleur nacre ornée de fleurs variées et de palmes dorées. Elle est assise entourée de livres, dessins et manuscrits divers. Elle tient une partition dans ses mais détourne son regard. Le décor est celui de son intimité : un bureau où sont posés divers ouvrages… un carton de partitions à ses pieds… un livret déployé derrière une guitare négligemment posé sur un fauteuil à l’arrière-plan ainsi qu’un grand rideau d’étoffe brune. La marquise a sans doute mis « sa patte » à ce décor car il n’est pas anodin de voir sur l’étagère des livres tels que le tome IV de l’Encyclopédie et le tome III de l’Esprit des Lois… « Ils sont un plaidoyer pour les idées neuves et donnent à Madame de Pompadour une ouverture d’esprit que ses détracteurs se sont toujours interdit de lui reconnaître » (in catalogue). Elle pouvait, au travers de ce pastel, manifester sa liberté de pensée !

Un mot encore sur le Portrait de religieuse. Longtemps on a voulu voir dans cette carmélite, le portrait de Madame Louise de France, fille de Louis XV. Or cette identification n’est plus recevable comme l’indique Xavier Salmon : la dixième fille du couple royal avait les yeux marron alors qu’ici les pupilles sont bleues. Autre constatation en défaveur de cette interprétation : le modèle ne porte pas la robe des Carmélites mais elle est vêtue de blanc, avec un voile noir (dont on admire la transparence), comme les Augustines. Or l’œuvre date des années 1730/40 alors que la princesse prit l’habit au carmel en octobre 1770 à l’âge de trente-trois ans ! Le modèle pose délicieusement la tête sur sa main droite. Elle délaisse la lecture du livre de musique posé sur un lutrin pour nous regarder, un léger sourire aux lèvres. D’ailleurs son regard capte le nôtre grâce à cette pointe de lumière au coin de l’œil !


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Portrait d’une jeune moniale - attribué à Maurice Quentin de La Tour, Pastel sur papier bleu collé sur carton © Musée du Louvre, distr. RMN-Grand Palais

Admirons les quatre créations de John Russell. Deux d’entre elles ont attiré notre attention par la fraîcheur qui s’en dégage. En premier lieu, cette délicieuse fillette aux cerises (1788) - Mary Hall, future épouse de Joseph Paice Vickery. Elle tient un panier de cerises où elle vient d’en prendre deux qu’elle semble nous tendre de sa main droite. Elle est pleine de naturel, ses boucles non coiffées. Son regard pétille et reflète la malice. ! Le second, Mary Jeans et ses deux fils Thomas et John Locke. Cette mère, vêtue de jaune, tient par la taille un de ses fils alors que le second lui tend des cerises. On dit que c’était la plus charmante femme de son temps et que l’artiste se sentait « incapable de donner à son joli visage la juste expression (et) aurait volontairement fait le choix de la figurer de profil » (in catalogue). Une composition tout en naturel sur un fond distinguant plusieurs plans : un rideau rouge puis un paysage dans un ciel clair.


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Mary Hall, future épouse de Joseph Paice Vickery - John Russell, Pastel © Musée du Louvre, distr. RMN-Grand Palais

Terminons notre déambulation dans la salle consacrée aux pastels du fond de récupération artistique (MNR ou Musées Nationaux Récupération) concernant des biens spoliés durant la seconde guerre mondiale. Parmi les œuvres graphiques en relevant, dix sont des pastels. (Précisons que le site internet Rose Vallaud inventorie l’ensemble de ces biens). « Ces pastels sont classés par ordre alphabétique de nom d’artiste en tenant compte des attributions qui leur sont associées depuis qu’ils sont sous la garde du ministère de la Culture et de la Communication.» (in catalogue). Ces pastels sont exposés avec toutes les informations connues à ce jour quant à leur provenance.

Nous avons choisi de nous arrêter sur le pastel Jeune fille brodant « comme de Jean-Etienne Liotard » (1702-1789) ainsi que l’indique le cartouche explicatif. Le modèle semble perdu dans ses pensées, une bobine de fil bleu dans sa main gauche, une aiguillée prête dans la droite posée sur la broderie dont on distingue le dessin. Une paire de ciseaux pend, sans doute à sa ceinture, accrochée par un ruban. Admirons la netteté des détails : le fil à broder de l’aiguillée… l’aiguille qui fixe le tablier blanc sur la robe marron aux bords bleus… la boucle d’oreille…

L’exposition nous invite à revoir certains chefs d’œuvre, à découvrir des artistes inconnus ou des pastels moins célèbres mais tout aussi charmants. Ce sont des trésors de vie et d’élégance que nous avons découverts ! A la différence de la peinture, la technique du pastel nécessite une grande habileté pour estomper les traits du bout des doigts afin de mêler les couleurs pour obtenir des demi-teintes.

Point de scénographie. Les œuvres sont accrochées sur des murs de couleur rose ancien ou d’un jaune-vert peu engageant ! Peu importe ! Cet accrochage permet de se promener, d’aller et revenir au gré de sa fantaisie et de ses goûts personnels. Remercions les mécènes à l’origine des restaurations. Mais surtout exprimons notre gratitude aux petites mains qui ont travaillé avec passion à nous rendre de telles beautés ! Pour ceux qui n’ont pas le temps de la visite mais ont le goût des pastels, le gros catalogue peut être un substitut même s’il est parfois un peu rébarbatif (par sa technicité !) pour les non-initiés puisqu’il détaille l’historique de l’œuvre… Ce que la beauté des reproductions photographiques fait oublier !



Publié le 30 juil. 2018 par Jeanne-Marie Boesch