Van Loon, un caravagesque entre Rome et Bruxelles - Bozar

Van Loon, un caravagesque entre Rome et Bruxelles - Bozar ©Philippe De Gobert
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Peinture de la Contre-Réforme aux Pays-Bas méridionaux

Théodore Van Loon est un peintre mal connu, et dont la postérité a peu retenu. Né vers 1582 à Erkelens, il mourut en 1649 à Maastricht. Il fut pourtant célèbre en son temps, comme en témoigne son portrait peint par Van Dyck, que l’on croise dès les premiers pas dans l’exposition que lui consacre jusqu’au 23 janvier prochain le complexe artistique Bozar, ensemble de salles d’exposition et de concert situé non loin des Musées royaux de Bruxelles. Sa peinture est intéressante au moins à un double titre. Au plan artistique elle témoigne des influences croisées entre la tradition flamande, marquée par le souci du détail et du naturalisme, et l’école italienne du clair-obscur initiée par Caravage (1571 – 1610) et ses suiveurs. Au plan politique et historique, elle illustre le poids des représentations picturales dans la lutte de l ‘Eglise catholique et du pouvoir espagnol contre les thèses de la Réforme propagées par Luther dans la première moitié du XVIème siècle. Van Loon sera mis à contribution à plusieurs reprises par les archiducs Albert et Isabelle, représentants du pouvoir espagnol dans les Pays-Bas méridionaux, afin d’orner les édifices religieux dont ils ordonnent la construction.

Entre 1613 et 1615 il peint ainsi la plupart des toiles destinées au monastère des Carmélites Déchaussées ; dans les années 1620-25 les toiles pour décorer la basilique de Montaigu (étonnante église composée sur un plan en étoile à sept branches, dûe à l’architecte Cobergher, qui remplace une ancienne chapelle sur un lieu de pèlerinage) ; en 1619 lui est commandé un tableau de Saint-Hubert pour la chapelle éponyme du château de Tervuren. Son nom est parfois latinisé en Theodorus Vanlonius, selon la mode des érudits de l’époque.

Van Loon part jeune se former à Rome, où il fera au moins quatre séjours : de 1602 à 1608, en 1617, 1628 et 1631. Comme Rubens, il y fréquente les cercles des frères Carrache, de Caravage et de ses suiveurs. Un seul tableau nous est parvenu de son premier séjour : une Pieta avec Saint-Jean l’Evangéliste et Marie-Madeleine, composition très verticale à la grâce quelque peu maniériste. Plus loin, une Allégorie de la Providence de Ludovico Caracci (1555 – 1619) nous éclaire sur l’influence de ce dernier sur les compositions de Van Loon : une lumière chaude baigne le tableau, elle tombe d’un rai de lumière orienté vers le bord supérieur droit qui donne toute sa force à la toile.

Les toiles peintes par Van Loon pour les Carmes Déchaussées sont encore empreintes d’une solennité quelque peu hiératique, aux formes raides et figées : Saint Albert de Louvain, tenant sa palme à la main, Sainte Elisabeth de Hongrie, sur un fond d’architecture et accompagnée d’un mendiant assis, Sainte-Thérèse agenouillée devant la Sainte Trinité, rehaussée par la lumière qui tombe de l’angle supérieur gauche. La remise des clés à Saint-Pierre est également bâtie sur une structure évocatrice, qui différencie fortement la position de Saint-Pierre par rapport aux autres disciples. Les messages sont simples et directs, quelque peu frustres, et la technique n’est pas encore parvenue à son sommet, comme on le verra dans les compositions ultérieures.

Pour la basilique de Montaigu Van Loon peint sept grand retables, avec l’aide de son atelier (dont l’existence témoigne de son confortable statut de peintre officiel). Le programme est centré autour de la Vierge, objet du culte du lieu de pèlerinage mais aussi signe distinctif de la foi catholique par rapport au protestantisme. Les personnages, de grandes dimensions, y sont robustes et sculpturaux : ils devaient impressionner les fidèles, malgré la semi-pénombre de la basilique. On voit aussi que la technique se perfectionne. La lumière n’est plus un simple artifice structurant le tableau, elle baigne désormais les personnages pour créer de savants contrastes qui soulignent les intentions du tableau : dans le retable de la Pieta, les chauds reflets bleu et rouge du vêtement de Marie contrastent avec le corps livide du Christ, et l’ange qui soutient le corps de ce dernier est lui aussi baigné de lumière.

A mesure que le pinceau gagne en agilité la lumière envahit le tableau pour de somptueuses compositions. Le Martyre de Saint-Lambert (notre photo de couverture), commandé pour l’église de Woluwe-Saint-Lambert de Bruxelles, constitue ainsi une des expressions précoces du caravagisme dans les Pays-Bas méridionaux. Sur un fond sombre la lumière fait chatoyer les étoffes des vêtements, en particulier celui du bourreau, qui paraissent sortir de la toile. Signe de la renommée du peintre à cette époque, celui-ci reçoit la coquette somme de 300 florins pour son tableau.

Autre composition monumentale, La Conversion de Saint-Hubert, exécutée pour orner le maître-autel de la chapelle du château de Tervuren (environs de Bruxelles) joue elle aussi avec la lumière, qui irradier le saint devant un sous-bois plus sombre. Le réalisme des animaux représentés montre la persistance d’un fort attachement aux détails naturalistes, qui caractérise l’école flamande. En unissant ainsi la tradition flamande avec l’approche caravagesque, Van Loon réalise de séduisants tableaux. Deux versions de l’Adoration des Bergers sont présentées côte à côte. Dans le tableau d’Heverlee la lumière inonde un homme agenouillé ; dans la version conservée aux Musées royaux l’enfant Jésus est vigoureusement présenté au spectateur, comme s’il sortait de la toile.

Plusieurs versions de l’Adoration des Mages se côtoient également, dont une copie de Verhoeven qui atteste du succès de la toile auprès des contemporains. On retiendra tout particulièrement l’extrême richesse des coloris de l’exemplaire des Musées de Vaduz (Lichtenstein). Enfin la monumentale Sainte Trinité avec la Vierge, Saint-Jean Baptiste et les anges (église Saint-Jean-Baptiste au Béguinage de Bruxelles) témoigne d’une grande maîtrise dans sa composition verticale à axes obliques (qui créent un effet tournoyant), d’un somptueux rendu des étoffes, et toujours de ce souci naturaliste caractéristique de l’école flamande (le jeune berger avec son mouton, ou le musicien, en partie basse du tableau).

L’exposition s’achève sur quelques tableaux du peintre gantois Melchior de la Mars, influencé par van Loon mais dont les coloris sont plus froids, les formes plus maniérées. Quelques vitrines présentent également des frontispices de livres dessinés par Van Loon, et rappellent que les peintres fournissaient couramment les imprimeurs à cette époque.

Si vos pas vous mènent à Bruxelles avant la mi-janvier, ne manquez pas cette exposition, qui éclaire de manière intéressante les liens culturels entre la peinture du Nord et le courant caravagesque, mais aussi l’histoire politique et religieuse des Pays-Bas méridionaux à l’époque charnière des archiducs Albert et Isabelle.



Publié le 24 nov. 2018 par Bruno Maury