Visiteurs de Versailles. Voyageurs, princes, ambassadeurs 1682-1789

Visiteurs de Versailles. Voyageurs, princes, ambassadeurs 1682-1789 ©Château de Versailles
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L'exposition est organisée conjointement par le château de Versailles et le Metropolitan Museum of Art (MET) où elle sera présentée du 09 avril au 29 juillet 2018



Versailles, destination royale…


Versailles… l’imaginaire de tout un chacun vibre à l’évocation de ce nom ! Il est question de lieux (le palais, les jardins), de personnages (Louis XIV, Marie-Antoinette). Des mots comme « magnificence », « apparat » reviennent dans le vocabulaire des millions de visiteurs, toutes nationalités confondues. Mais le visiteur d’aujourd’hui, que sait-il du visiteur d’hier ? Bertrand Rondot, commissaire français de l’exposition, évoque la genèse de celle-ci lors d’une conférence de présentation (le 24 novembre 2017 au centre Dominique-Vivant Denon, porte des Arts, Louvre) : le sujet, assez inédit, avait comme point de départ la rédaction d’un livre. Rapidement l’idée d’une exposition a vu le jour du fait de la richesse de la matière à présenter, malgré quelques « zones très pauvres ». Le choix des dates s’est fait naturellement : mai 1682 étant celle du transfert officiel de la Cour et du gouvernement à Versailles… octobre 1789 étant celle du départ définitif du roi pour Paris.

Dans son ouvrage « Versailles ou la disgrâce d’Apollon » (2016) Gérard Sabatier écrit à propos de ces visiteurs : « Le public se multiplie et se diversifie. S’ajoutent aux hôtes « naturels » de Versailles - courtisans, officiers de la maison du roi, personnels politiques appelés par leurs fonctions - des catégories sociales nouvelles, noblesse provinciale, bourgeoisie parisienne, gens de lettres et d’office, ecclésiastiques mondains, mais aussi visiteurs étrangers, souverain ou personnel politique incognito, agents des princes en voyage « d’étude » ou en mission, aristocrates à l’aube du Grand Tour ». Charles Perrault (1628-1703) explique dans son ouvrage « Le siècle de Louis le Grand » (1687) que « ce n’est pas un palais, c’est une ville entière. Superbe en sa grandeur, superbe en sa matière ». Alors mettons nos pas dans ceux des visiteurs des XVIIème et XVIIIème siècles ! Découvrons l’une des résidences royales les plus brillantes d’Europe au travers du regard de ceux qui nous ont précédés.

La scénographie s’adapte aux lieux dans lesquels l’exposition se tient. Ici, les salles d’Afrique (aile Gabriel élevée entre 1721 et 1725). Nous y accédons par l’Escalier du roi qui mène au 1er étage, longeant une « Vue des avant-cours du château de Versailles et des écuries » (1688) de Jean-Baptiste Martin l’Ainé (1659-1735). Une dimension sonore accompagne cette montée. Dans le magasine « Les carnets de Versailles » (n° 12, pages 11 et 12) Mylène Pardoen explique son travail de restitution sonore des bruits d’autrefois: « (…) je n’invente aucun son (…) il s’agit de capter ceux qui existent encore dans notre présent (…) de présenter un état possible d’un environnement sonore quotidien tel qu’il aurait pu exister dans le passé. » Observons diverses scénettes sur une esplanade pavée : des cavaliers attroupés, un carrosse rentrant de la chasse et donc des chiens, des gentilshommes devisant avec une dame, au loin des régiments… Hennissements, bruits de bottes, aboiements, bruits de roues sur le pavé, conversations… permettent de contextualiser l’ensemble ! Nous retrouverons cette atmosphère sonore à plusieurs reprises lors de ce voyage versaillais.

Se rendre à Versailles

« Il existe plusieurs moyens de faire ce petit voyage : les personnes de qualité, pour la plupart, s’y rendent dans leur propre carrosse… d’autres d’un rang moins élevé voyagent en coche… mais selon moi, le moyen le plus agréable est à bord du bateau ou de la barge qui part à environ 8 heures du Pont Royal. » (Lettre d’un voyageur anglais, 1784. Extrait du catalogue de l’exposition)

Versailles se situe à environ quatre lieues de Paris, soit environ une quinzaine de kilomètres. Il faut au moins deux heures pour s’y rendre. S’il ne dispose pas d’un carrosse personnel, le visiteur peut emprunter les transports publics ou privés. Le départ se fait soit de Paris, soit de Saint-Germain-en-Laye. Les prix de transport varient en fonction de la présence ou non du roi sur les lieux et en fonction du moyen de locomotion utilisé : le carrosse (8 places, 40 ou 30 sols selon la présence royale ou non), le coche (16 places, 30 ou 20 sols) ou encore la carriole (20 ou 15 sols). Il est également possible de prendre un bateau au Pont Royal jusqu’à Sèvres ou Saint-Cloud puis une voiture jusqu’à Versailles. L’arrivée se fait sur la place d’Armes. Notons que les visiteurs circulent dans le château et les jardins soit à pieds, soit en chaise à porteur (cf. l’exemplaire en bois sculpté et doré, magnifiquement peint, de 1720) voire en chaise à roues appelées « brouettes » ou « vinaigrettes » ! Gardons en mémoire que Louis XIV a voulu que ce palais soit ouvert et accessible à tous, ce qui le différencie des autres palais européens.

C’est grâce à un agrandissement panoramique du tableau de Pierre-Denis Martin (1663-1742) « Vue du château de Versailles du côté de la place d’armes » (1722) que nous entrons vraiment dans l’exposition.

Face à cet agrandissement, deux vitrines. La première présente trois médailles : deux en argent frappées en 1680 - avec la mention « Regia Versaliarum », « Château royal de Versailles » - et 1687 ; le troisième en or, de 1683 évoque les services d’appartement. Elles montrent l’importance du lieu pour Louis XIV. La seconde vitrine concerne divers almanachs, sortes de « guides touristiques » (années 1775/1779). Ils allient la simple description architecturale à un parcours parfois accompagné d’indications pratiques. Ces guides, diffusés par les éditeurs parisiens, sont mis à jour de façon constante jusqu’à le fin du XVIIIème siècle. A droite de la 1ère salle, un curieux paravent : il est fabriqué (vers 1769/70) à partir de quatre panneaux représentant les châteaux de Versailles, Fontainebleau, Choisy et Bellevue. Ces panneaux ont sans doute été récupérés après l’incendie de l’ambassade de France à La Haye.

Dans la salle suivante, nous sommes accueillis par le personnel, en uniforme, de la Maison du Roi. Comme les visiteurs d’autrefois, nous sommes frappés par le paysage chamarré où le bleu, le rouge et le blanc (les couleurs des « gens de livrée ») dominent. Sont exposés plusieurs exemplaires de justaucorps de grande livrée (vers 1780/85), un couvre-selle des écuries du roi, un fusil de la garde suisse (1730/40), une épée, une pertuisane (1769, sorte de hallebarde à fer long) de la garde de la Manche (deux gardes marchent de part et d’autre du souverain et sont susceptibles de le tirer par la manche en cas de problème) ainsi que plusieurs portraits permettant de découvrir les détails des costumes de grenadier, sergent et tambour des Cent-Suisses… Un tableau de Nicolas Hoffman (1740-1832), « Monsieur de Vergennes, capitaine des gardes de la porte » (vers 1780). Les gardes française et suisse ont pour mission, en tant que membre de la Garde du dehors, de contrôler l’accès des visiteurs. Ce que confirme Jean-François Solnon dans son livre « Versailles, Vérités et Légendes » (septembre 2017) : « A la réserve des mendiants, des moines et des filles de joies, quiconque, français ou étranger, correctement vêtu, peut y pénétrer (car) la liberté d’accès au souverain est une authentique tradition de la monarchie. »


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Justaucorps de la grande livrée de la Maison du Roi, époque Louis XVI (vers 1770-1780), en drap de laine bleue foncée et parements de serge rouge, galons en passementeire de soie rouge et de lin crème – Don du « Forum Connaissance de Versailles » par l’intermédiaire de la Société des Amis de Versailles © RMN-Grand Palais / Château de Versailles

Mais ce visiteur se doit d’être correctement vêtu ! Divers costumes sont exposés : simplicité de l’habit anglais (vers 1755/65) en drap de laine et soie… sobriété de la tenue féminine de chasse (vers 1770/75) en drap de laine rouge… mais habit français (vers 1730/40) en velours de soie et broderies de fils d’argent (notons que la veste portée dessous correspond au gilet actuel d’un costume trois pièces !)... robe à la française « dite de la princesse de Lamballe » (vers 1775) en pékin façonné, décor de gaze avec passementerie polychrome… ou robe volante dite « robe de chambre » (vers 1720/30) à larges plissés dans le dos et le long du devant en broché de soie jaune et gris à fils de métal (elle se portait plus volontiers dans la vie privée). Egalement un « habit en pièces, en cinq panneaux » (vers 1780/85) en satin et broderies de soie à motifs floral. Grâce à ces « pré-brodés », à ces tissus « préfabriqués », il s’avère alors facile de se faire tailler un costume à la mode du moment ! Les boutons des habits, quant à eux, représentent parfois un lieu versaillais, tel celui présenté ici : une vue du bassin d’Apollon vers le château.

Apercevoir le roi

« Voici ce que j’ai vu à Versailles aujourd’hui que nous y sommes allés. J’ai vu notre bon Roi Louis XV, trois fois… Il avait un grand manteau rouge avec la plaque du Saint-Esprit… J’ai vu la Reine dans sa chaise à porteurs lors qu’elle a traversé les appartements pour aller à Vêpres. » (Journal de Joseph Henri Costa de Beauregard, noble savoyard, 1766/67. Ibidem)

Remarquons dans une vitrine des gouaches sur carton découpé (d’une douzaine de centimètres de haut). Il s’agit du « Cortège royal composé d’un carrosse et de trente-quatre cavaliers » (attribué à Jean-Baptiste Lesueur, 1749-1826) portant au dos l’inscription « Entrée de Louis XV et de Mesdames à Paris ».

Le roi peut être accessible lors de ses promenades dans le parc. Le protocole y est plus souple. Le peintre Pierre-Denis Martin (1663-1742) rend de façon réaliste le système de sécurité qui entoure le roi dans son tableau « Promenade de Louis XIV dans le bosquet des Bains d’Apollon » (1713) ou « Le Roi Louis XIV à la chasse devant la pièce d’eau des Suisses» (vers 1730). Cette vigilance des gardes du corps s’explique ! Notamment par cette curieuse « Consigne pour la sentinelle de la Reine » (fin XVIIIème) rappelant, en préambule, que « la sentinelle de la salle de la Reine ne laissera passer aucun prêtre ni moine inconnu sans un billet du Capitaine ». Ceci en référence à l’assassinat d’Henri III, en 1589, par le moine Jacques Clément.

Tous les lundis, il est possible de déposer sur une table dans la salle des gardes un placet (demande écrite faite au roi pour qu’il rende justice) puisque le roi est perçu à la fois comme un personnage familier et comme le juge suprême. Ainsi celui de Jean Sigonneau, poitevin : « Au très grand et très puissant et très illustre Monarque de France, prince souverain de tous les Royaumes de la terre… » (29 septembre 1735) ou celui de Louis Laimé : « Sire, privé de tout secours… » (17 avril 1759).

Trois fois par semaine le roi dîne en public selon un cérémonial précis : il est seul ou en famille plus ou moins élargie, sans autres convives (notons qu’il en est de même le matin ou lors du dîner à 13 h). Ce souper, le Grand Couvert, se tient dans l’antichambre à côté du salon de l’Œil de Bœuf. C’est l’occasion de faire connaître le savoir-faire des artisans au service de la cour en utilisant, entre autre, de la vaisselle d’or et de vermeil. L’occasion aussi pour le souverain de s’adresser au public ; ainsi en est-il pour ce visiteur particulier représenté sur une eau-forte : « Shien Fuzong Chim Fo Cum » (1657-1692) né de parents chrétiens et venant de la région de Nankin. Selon le « Mercure galant » (1684) Louis XIV lui fit dire ses prières en « langue chinoise » puis « lui fit servir une assiette sur la table pour voir la propreté et l’adresse des chinois à manger avec deux petites baguettes ».

Les évènements de nature religieuse occupent une place importante. Le visiteur pouvait être sûr d’apercevoir le roi lors de la messe du matin (d’une durée d’environ vingt minutes). Néanmoins, il n’existe aucune iconographie des processions quotidiennes pour s’y rendre. Lors des grandes fêtes liturgiques de l’année ou lorsqu’il communiait, le souverain entendait la messe depuis le rez-de-chaussée de la chapelle où il se rendait en traversant la Cour royale (rappelons que la chapelle actuelle est la quatrième ; voir page 17 des « Carnets de Versailles » cités plus haut).

Roi de droit divin, le monarque est censé guérir les écrouelles (maladie tuberculeuse) par l’imposition des mains : « le roi touche et Dieu bénit » dit-on hypocritement laissant à Dieu le dernier mot ! L’huile sur toile (vers 1690) de Jean Jouvenet (1644-1717) montre « Louis XIV touchant les écrouelles » : protégé par deux gardes de la Manche armés de leur pertuisane, le roi trace un signe de croix sur le front d’un malade agenouillé devant lui. Les mains jointes de ce dernier sont tenues par le capitaine des gardes. Au premier plan, une jeune élégante, deux enfants et un vieillard modestement vêtu : attendent-ils leur tour ? Notons que le roi porte ici le grand manteau royal, ce qui permet de replacer la scène à Reims, le lendemain du sacre.


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Louis XIV touchant les écrouelles (vers 1690), Jean Jouvenet – Huile sur toile – Eglise abbatiale Saint-Riquier (Somme) © Monuments historiques, 1993

Les cérémonies de l’Ordre du Saint-Esprit étaient, quatre fois par an (1er et 2 janvier, 2 février et Pentecôte), l’occasion d’un déploiement de faste, en particulier celle du 2 février au cours de laquelle les nouveaux membres prêtaient serment. « La Remise de l’ordre du Saint-Esprit, 3 juin 1724 » de Nicolas Lancret (1690-1743) montre ce moment particulier où le roi préside la célébration, assis sur un trône spécialement installé dans la chapelle. Nous découvrons le costume de membres de cet ordre prestigieux dans le « Portrait du duc d’Orléans (1741-1793) en grand habit de l’ordre du Saint-Esprit » (Antoine-François Callet, 1741-1823) : richesse du costume brodé d’or, finesse de la dentelle, grand collier de l’ordre, chapeau à plumet, l’ensemble reproduisant le costume porté à la création de l’ordre (1578) Le cousin du roi (il s’agit du futur Philippe-Egalité) pose dans un décor à l’antique regardant fièrement au loin.

L’audience royale est un entretien entre le roi et son interlocuteur, soit en privé, soit à la vue de tous. Elle obéit également à un code spécifique et précis. Elle se déroule dans la chambre du roi, ce dernier étant assis dans un fauteuil, placé dans la ruelle du lit. Celui qui est présenté ici date des années 1700/1710. Il est en noyer doré, à cannage et velours rouge et porte le chiffre de Louis XIV couronné.

Les visites politiques

«… En ma qualité d’introducteur, j’avertis le roy et prends son ordre et ensuite avec l’ambassadeur nous présentons ensemble cet étranger au roy dans la chambre ou dans le salon et jamais dans son cabinet. » (Louis-Nicolas Le Tonnelier, marquis de Breteuil. Ibidem)

Avec la 7ème salle (fond vert amande), nous découvrons ce qu’étaient les audiences réservées aux ambassadeurs permanents venus de toute l’Europe. L’ambassadeur prend ses fonctions le jour de l’audience publique avec le roi. Il a fait, auparavant, son entrée à Paris, le dimanche. Le mardi, il est reçu en audience solennelle à Versailles où il arrive dans un équipage de luxueuses voitures. Le dessin préparatoire (mine de plomb et sanguine sur papier, 1723) à la gravure en est un bel exemple : « Entrée d’un ambassadeur à Versailles » (Charles Parrocel, 1688-1725). Le « Cortège du nonce dans la Cour royale » (école française vers 169/1700) fourmille de détails : le nonce est assis dans le premier carrosse entre un prince et l’introducteur ; il se dirige vers la « salle de descente ». Les carrosses vides représentés ici sont ceux du roi et de la famille royale. Un lavis sur papier, encre et plume montre l’imposant cortège de l’ « Entrée de l’ambassadeur Cornelis Hop, le 23 juillet 1719 » (Adolf van der Laan, 1684-1755). Cornelis Hop est le premier ambassadeur hollandais (les Pays-Bas appartenant à la couronne espagnole) à être reçu avec les honneurs généralement réservés aux représentants d’une monarchie européenne. Le tableau, « Louis XV recevant Cornelis Hop ambassadeur de Hollande, le 25 juillet 1719 au palais du Louvre » de Louis-Michel Dumesnil (1663-1746) est une des rares illustrations d’une audience diplomatique. Hop est reçu au Louvre, la cour y ayant pris ses quartiers après la mort (1715) de Louis XIV. L’artiste peint le moment où le diplomate s’apprête à soumettre au jeune roi ses lettres de créances. Alexis-Simon Belle (1674-1734) peint « Matthew Prior (1664-1721) » richement vêtu (remarquons la finesse du rendu de la dentelle de son jabot et de ses gants) tenant précisément cette lettre dans sa main droite.

Une seule ambassade européenne sera reçue dans la Grande Galerie en 1685 : celle de la République de Gênes ainsi que nous le voyons sur une page de l’Almanach pour l’année 1686. Nicolas Langlois (1640-1703) représente (eau-forte et burin) la « Soumission du Doge de Gênes » : malgré les lois génoises lui interdisant de quitter la ville, le doge dû se rendre à Versailles afin de présenter ses excuses au roi pour avoir fourni des galères à l’Espagne. On voit ici le moment où le roi, debout, invite le doge (vêtu de sa tenue de cérémonie) à monter la première marche de l’estrade.

Divers présents offerts par le roi ou donnés en son nom sont exposés. Ils se veulent une marque de son estime. Ils sont également échantillons de « la production des objets de luxe français » (Corinne Thépaut-Cabasset, in catalogue). Ce sont souvent des bijoux de pierres précieuses appelés « pierreries ». Egalement des tabatières, telle celle offerte au baron Hop lors de son audience de congé en novembre 1725 : cette boite sertie de diamants renferme les miniatures de Louis XV et Marie Leszczynska au revers du couvercle. Il recevra par la suite un coffre à médailles (qui illustrent l’histoire des rois de France et celle de Louis XIV) semblable à celui présenté ici : « Médailler aux armes de France contenant soixante-cinq médailles ».


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Tabatière en or, ornée d’émail et de diamants, œuvre de l’orfèvre Daniel Govaers, offerte par Louis XV en 1726 au baron Cornelis Hop, ambassadeur de Hollande / Médailler aux armes de France © RMN-Grand Palais / Château de Versailles

Empruntons le passage où sont exposées les maquettes de l’Escalier des Ambassadeurs (en bois, carton, plâtre et plastique réalisées par Charles Arquinet, 1900-1992). A droite, le côté nord (1958) qui s’ouvre sur les jardins. A gauche, le côté sud (1968) : l’escalier en lui-même où trône en majesté le buste de Louis XIV en marbre blanc (vers 1680/89) sculpté par Antoine Coysevox (1640-1720), la verrière et le décor en trompe-l’œil. (Nous reviendrons par la suite sur ce décor). Ce buste est également exposé.


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Escalier des Ambassadeurs ou Grand Degré du Roi (1958), Charles Arquinet (1900-1992), maquette réalisée en bois, carton, plâtre et plastique © RMN-Grand Palais / Château de Versailles

La 8ème salle est une « curiosité ». Elle présente les costumes des Valois à la cour des Bourbons ! Le roi apparaît rarement dans la splendeur des costumes d’apparat. Ce n’est qu’à l’occasion des grandes cérémonies qu’il revêt un costume dit « à l’antique », costume hérité du règne d’Henri III. En témoigne le portrait en pied de « Louis-Hercule-Timoléon de Cossé (1734-1792) en costume de capitaine des Cent-Suisses accompagné de son page » (1777) peint par Louis-Roland Trinquesse (1746-1800). Sont reconnaissable le pourpoint de drap d’argent, les chausses taillées par bandes de velours noir, la fraise en dentelle à plusieurs rangs. Son page est, lui, vêtu à la mode « contemporaine » de cette seconde partie du XVIIIème siècle. Ce type de costume dit « à la Henri IV » connut un regain de faveur au début du règne de Louis XVI. Admirons de plus près l’ « Uniforme de cérémonie d’un Cent-Suisse de la Maison du roi » : cet habit en drap de laine, lin, soie et velours date des années 1770/80. Il présente un pourpoint et des manches « à crevés » ainsi qu’une fraise. Seuls les chaussures et le chapeau à plumet sont une reconstitution. Le mannequin tient une hallebarde en fer doré et bois.

Si entre les pays européens le cérémonial est très codifié, les délégations venues du bout du monde, ces ambassades de pays lointains étaient bien souvent reçues avec faste. Elles permettent, en quelque sorte, d’asseoir la suprématie de la France et de nouer des échanges tant commerciaux que culturels.

Sur les murs de l’Escalier des Ambassadeurs (achevé en 1679 mais détruit en 1752) des peintures dues à Charles Le Brun (1619-1690) représentent les différentes nations d’Europe et d’Asie principalement au travers des costumes qui y sont portés. Par ailleurs, certains visiteurs (tel le jeune prince Nguyen Phuc Cahn) laisseront dans les esprits un souvenir durable de leur passage !

La 9ème salle (fond violet- gris foncé) est consacrée à l’ambassade du Siam (16 juin 1686). Elle marquera les esprits plus par son faste et l’exotisme raffiné de cette délégation venue d’une des nations les plus éloignées que par ses résultats. Les trois ambassadeurs ont revêtu leurs habits de cérémonie ainsi que nous l’observons sur différentes estampes, eaux-fortes ou médailles. Ils sont coiffés d’étonnants chapeaux (faits de canne, cuir et tissu), tel celui qui est exposé ici avec son coffret. La lettre de créance écrite sur une feuille d’or est enfermée dans un édicule, sorte de baldaquin. De très nombreux objets en laque furent offerts. Ils proviennent de Chine mais surtout du Japon. Ce sont de petits meubles, des cabinets ou des plateaux. Admirons un cabinet japonais à deux portes en laque noire, rehauts rouges et cuivre doré. Ou encore la paire de cabinets ayant appartenu à la collection du Grand Dauphin. L’orfèvrerie tient également une place de choix ainsi la verseuse en argent ciselé et partiellement dorée. Mais que dire de ce canon en fonte de fer ? Il a pour décor des feuilles d’argent martelées et ciselées en forme de rosace ou de palmettes. Nous le voyons (avec un second) sur le dessin préparatoire à l’Almanach de 1687. Notons que ce canon a un caractère plus ornemental que militaire mais sa valeur est symbolique : elle annonce une alliance militaire entre les deux royaumes. Détail surprenant : il a été utilisé pour tirer sur la Bastille !


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Meubles en laque du Japon / Canon posé sur le devant © RMN-Grand Palais / Château de Versailles

Sur les parois de l’escalier des Ambassadeurs, le Moscovite est reconnaissable à sa toque de fourrure et son manteau bordé de même. Le dessin de Le Brun le montre parmi les représentants des nations asiatiques, la Russie n’étant pas encore, à cette époque, intégrée aux nations chrétiennes. Une eau-forte représente « L’Audience donnée par Louis le Grand aux Ambassadeurs du Grand-Duc de Moscovie, le neuvième mai 1681 ». L’ambassade de 1687 fut, quant à elle, un échec du fait de l’inconduite du prince Dolgorouki et conduisit Louis XIV à s’opposer à la visite du tsar lors de sa fameuse Grande Ambassade (voir notre chronique consacrée à Pierre Ier). Du passage incognito (1705/06) de l’ambassadeur russe auprès des Provinces-Unies, Andreï Matveev (1666-1728), nous admirons le portrait de son épouse la « Comtesse Andreï Artamonovich Matveev » (Matthaüs Désangles, 1667-1741). Elle porte une tenue traditionnelle richement brodée et bordée de fourrure. Sa coiffure de perles met en valeur la finesse des traits de son visage.

Ne pourrait-on pas dire que Versailles devient le « centre du monde » en observant les objets exposés dans la salle suivante (fond violet) ? En 1688, un groupe de missionnaires dominicains présente, au roi, un prince africain prénommé Aniaba, fils et héritier du royaume d’Assinie (Côte d’Ivoire). Nous le voyons représenté (estampe de Nicolas Bonnard, 1642-1711) dans la plus pure tradition du portrait officiel baroque, vêtu à l’antique ! Lors de leur audience, en 1725, quatre chefs amérindiens se dépouillent de leur coiffe à plumes en signe d’allégeance. Celle qui est exposée date de 1753 : cornes de bison, piquants de porc-épic, perles de verre… Au début du siècle, Louis XIV avait reçu un « canoé en écorce destiné au canal de Versailles pour servir au Roi à aller à la pesche » dont le plan est exposé.

En août 1715, l’audience de congé de Mehemet Reza Bey sera la dernière réception de Louis XIV. Il avait été reçu dans la Grande Galerie en février de la même année. Nicolas de Largillière (1656-1746) le présente s’inclinant devant le souverain qui est assis avec, à ses côtés, le jeune dauphin âgé de cinq ans et le duc d’Orléans (futur Régent). La lettre que tient l’ambassadeur est enveloppée dans une étoffe de soie.


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Louis XIV recevant l’ambassadeur du shah de Perse Mehemet Reza-Bey dans la Galerie des Glaces, 19 février 1715, attribué à Nicolas de Largillière – Huile sur toile – Château de Versailles © Château de Versailles, Dist. RMN/ Gérard Blot, Christian Jean

La 11ème salle (fond vert amande) est consacrée aux ambassades du XVIIIème siècle. En premier lieu la première ambassade ottomane de mars 1721. Charles Parrocel (1688-1752) peint cette arrivée aux Tuileries. Le tableau fourmille de détails : de nombreux curieux admirent le cortège à cheval figuré au premier plan ; à l’arrière, on aperçoit le dôme de l’église du couvent de l’Assomption. Le portrait de « Mehemet Effendi » (Pierre Gobert, 1662-1744) date de 1724. Montré à mi-corps, de grandeur naturelle, il est vêtu d’un manteau de soie bleue bordé d’hermine. Une ceinture faite de plaques d’argent retient un « yatagan » (couteau serti de pierreries). Il est coiffé d’un turban de soie blanche orné d’un « tülbent » doré. Ces deux objets sont le signe de son rang. Barbe taillée, yeux fixant le lointain concourent à sa stature imposante ! En juin de la même année, il se rendit à Versailles où il résida durant cinq jours.

En janvier 1742, son fils conduit une seconde ambassade ottomane. Joseph Aved (1702-1766) en fit son portrait : « Mehemet Saïd Pacha, bey de Roumélie, ambassadeur du Sultan Mahmoud Ier, 1742 » est représenté de trois-quarts face lui aussi en grandeur naturelle. Il est vêtu d’un caftan doublé de marte zibeline. Sous son turban de mousseline blanche, il porte la coiffe vert foncé des gens de lois. Le décor fournit de précieuses indications sur Mehemet Saïd. Francophile, puisque à l’arrière-plan il y a une vue de Paris où l’on reconnait la Bastille et son cortège d’entrée solennelle par la porte Saint Antoine. Homme éclairé et lettré : à ses pieds, un atlas, une sphère et une carte géographique. Sur le bureau, le premier livre imprimé par ses soins ainsi que des lettres de créances. Plusieurs croquis ont trait à la disposition de la Galerie des Glaces lors de son audience. Egalement exposés quelques-uns des luxueux cadeaux que l’ambassadeur de la Sublime Porte fit au roi : une poire à poudre, en forme de cornet, ornée d’émeraudes, de diamants et rubis… un carquois orné de même… trois fusils garnis d’écaille. Plus particulier, cette « Trousse de grand maître d’hôtel du sérail » renfermant trois couteaux à manche d’ivoire.


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Portrait en pied de Mehemet Saïd Pacha, bey de Roumélie, ambassadeur du Sultan Mahmoud Ier (1742), Joseph Aved © RMN-Grand Palais / Château de Versailles / Franck Raux

En janvier 1777, c’est « Souleiman Aga, ambassadeur extraordinaire du bey de Tunis » (Jean-Bernard Restout, 1732-1797) qui débarque en France. Il est peint assis sur un canapé, portant un turban, un manteau de cérémonie (moire rouge et brandebourgs en or), un poignard glissé dans sa ceinture. Son regard dénote un tempérament fier, impétueux.

La visite du prince de Cochinchine, en 1787, fut sans doute la plus inattendue des rencontres qui eurent lieu à Versailles ! En 1785, le roi de Cochinchine doit faire face à une importante révolte dans ses états. Il envoie son jeune fils (âgé de six ans), le « Prince Nguyen Phuc Cahn » (1780-1801) auprès de Louis XVI. Le prince est accompagné de son mentor, Pierre Pigneaux, vicaire apostolique de Cochinchine et évêque « in partibus » (dans la contrée des infidèles) d’Adran. L’huile sur toile signée Maupérin (actif 1766- vers 1800) le représente debout, tout de rouge vêtu : un justaucorps de velours à brandebourgs en or sur une culotte bouffante. Il est coiffé d’un étonnant turban qui inspira une coiffure à Léonard, le coiffeur de Marie-Antoinette.


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Portrait du prince Nguyen Phuc Canh lors de sa visite en France pour la signature du Traité de Versailles (1787), Maupérin – Huile sur toile © Paris, Missions étrangères de Paris

C’est à Elisabeth-Louise Vigée Le-Brun (1755-1842) que nous devons le portrait de « Mohammed Osman Kahn » ambassadeur de Mysore (Inde du Sud) envoyé (en 1788) par le sultan Tippou Sahib, lui aussi réclamant l’aide militaire de la France mais cette fois-ci contre les Anglais. Sur ce portrait en pied, il est vêtu d’une robe de mousseline blanche retenue par une riche ceinture, d’une veste à manches courtes parsemée de fleurs brodées. Regardant au loin, il tient fièrement un cimeterre dans sa main droite, la gauche étant derrière son dos. Deux bustes en terre cuite représentent des membres de son entourage : finesse et précisions des détails, netteté du rendu de leur visage. Une plaque de biscuit de porcelaine dure (fond bleu) due à la Manufacture royale de Sèvres figure la réception de cette ambassade qui, pour des raisons d’économie, eut lieu dans le salon d’Hercule. L’attitude de Louis XVI tendant les bras vers ses visiteurs contraste avec celle des rois précédents ! Diverses pièces des présents faits à cette ambassade sont exposées et proviennent également de la manufacture de Sèvres : deux bustes de Louis XVI (1754-1793) et de Marie-Antoinette (1755-1793), une tasse litron et sa soucoupe, une terrine et plateau à guirlandes de fleurs « sans représentation d’hommes ou d’animaux » afin de se conformer aux usages de la religion musulmane.

La 12ème salle (fond bleu) est consacrée aux Américains. (Signalons que cette section est plus petite que celle qui sera présentée au MET). En 1776, Benjamin Franklin (1706-1790) se rend à Versailles pour demander au roi à la fois de reconnaître la souveraineté américaine et solliciter un aide financière et militaire. Le portrait peint par Joseph-Siffred Duplessis (1725-1802) montre Franklin sans apprêts, tel qu’il devait être ! La simplicité de sa mise détonne à la cour ! Par contre, l’impressionnant cadre doré est tout en symboles : dans le bas, le cartouche avec la mention « VIR » (l’homme) suffit, semble-t-il, à désigner le sujet du tableau ! Ce cartouche est encadré par un bonnet phrygien (la liberté) et d’une peau de lion et une massue (symbole d’Hercule). Sur le sommet, une couronne de lauriers surmonte un serpent à sonnette (malheur à qui lui marchera sur les pieds !). Autre curiosité : un groupe de porcelaine de la Manufacture de Niderviller : « Louis XVI remettant à Benjamin Franklin les traités signés entre la France et les Etats-Unis le 6 février 1778 » (d’après Charles-Gabriel Sauvage, 1741-1827). L’armure dont est revêtu le roi contraste avec la simplicité de la mise de l’ « ambassadeur électrique » (sobriquet dont on l’affuble depuis sa première visite en France en 1767). Sont également présentés plusieurs volumes des « Constitutions des treize Etats-Unis de l’Amérique », datant de 1783, reliure en veau. Notons que le livre ouvert est aux armes de Louis XVI, alors que celui présenté fermé est aux armes de son frère le comte de Provence (futur Louis XVIII).


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Portrait de Benjamin Franklin – The ‘Fur Collar’ Portrait – (1778), Joseph Siffred Duplessis – Huile sur toile © The Metropolitan Museum of Art, The Friedsam Collection, Bequest of Michael Friedsam, 1931.

Franklin présente au roi l’amiral « John Paul Jones (1749-1792)» dont nous admirons le buste en marbre (1781) dû à Jean-Antoine Houdon (1741-1792). Un personnage au charme certain si l’on en croit les traits de son visage ! Ayant triomphé, en 1779, (à bord d’un navire battant pavillon américain) de la frégate britannique Serapis armée de cinquante canons, Jones est considéré comme un héros. Le roi lui décerne la croix de « l’ordre du Mérite militaire » (or, émail et soie) que nous voyons agrafée sur son uniforme (cf. le buste). Le roi lui offre, le 21 juillet 1780, à titre de récompense, une épée présentée ici avec son étui de bois garni de cuir rouge.

C’est avec un portrait inhabituel de Louis XVI que nous quittons cette salle. Sur cette toile offerte au marquis de Breteuil peu avant la Révolution, le roi est assis dans un décor à l’antique, la main droite posée sur une table (son bureau de travail où est posée une carte géographique ?) l’autre comme « suspendue » dans le vide. On est frappé par sa corpulence et son embonpoint !

Les visites culturelles et artistiques

« … Une heure à Versailles (…) vaut maintenant pour vous davantage que trois heures passées dans votre cabinet, avec les meilleurs livres qui aient jamais été écrits » (Lettre de Lord Chesterfield à son fils Philip, mai 1751. Ibidem)

Les artistes en visite à Versailles ne peuvent représenter ce qu’ils voient car ils seraient accusés d’espionnage ! Néanmoins quelques dessins ou notes diverses sont exposés : une « Page avec plan et élévation de la cheminée du cabinet des bijoux et des raretés de Versailles » de Nicodème Tessin le jeune (1654-1728) vers 1687… l’ « Angle nord-ouest de la chambre de Louis XIV » après 1701 (?)… Cependant l’architecte et jardinier salzbourgeois Franz-Anton Danreiter (1695-1760) pu, à la fin de son voyage de formation, séjourner à Versailles en 1723/24. Grâce à son protecteur il eut l’autorisation exceptionnelle de dessiner sur place. Son album s’ouvre sur un plan général du domaine - « Nouveaux Plans des Villes, Château et Jardins de Versailles »- avec des indications précises sur les lieux. (Comme le plan que le touriste d’aujourd’hui reçoit lors de son entrée dans le domaine !) Une autre planche présente « Le péristyle ou la colonnade dans les jardins de Versailles ». Cette planche n’est pas un simple relevé topographique mais elle prend vie par la présence de personnages se promenant ou tenant conversation. Soulignons que ces dessins sont légendés en français et en allemand.

Versailles est également une « étape obligée » pour bon nombre de musiciens. Ainsi en est-il de la famille Mozart représentée sur l’aquarelle de Louis de Carmontelle (1717-1806) : « Mozart jouant au piano avec son père et sa sœur » (1777). Léopold Mozart parvient à obtenir une invitation et la famille peut assister à la liturgie de la Nativité. La famille reste en France jusqu’en avril 1724.

Versailles compte désormais parmi les étapes obligées du « Grand Tour ». En effet, tout jeune noble se doit d’accomplir un voyage à travers l’Europe afin de compléter son éducation. « Erasmus » avant l’heure ! En parallèle, une « industrie du souvenir » se développe telles ces réductions en bronze des sculptures « L’Enlèvement de Proserpine » (1699, d’après François Girardon, 1628-1715) ou « Apollon servi par les nymphes » (avant 1715). De même des vues de divers endroits « remarquables » du château et des jardins : « Vues d’optique de la Grande Galerie de Versailles » ou « Vue de la chapelle » (vers 1760). La première expérience (19 septembre 1783) d’envol d’une Montgolfière est représentée sur des eaux-fortes colorées ou le couvercle de boîtes rondes ou ovales. La scène représentée l’est avec force réalisme.

« Hesther Thale, épouse Piozzi (1741-1821) » (portrait dû à l’Ecole romaine vers 1786/87) tient un journal où elle décrit, entre autres, le « Coffret à bijoux de Marie-Antoinette » (1770) : un meuble à plaques de porcelaine de Sèvres dont nous pouvons admirer le raffinement. Sans oublier cet éventail en papier gouaché qui reproduit une « Vue du château du côté de la cour » avec carrosses, militaires à cheval et promeneurs. Son compatriote, « Lord Brudenell, futur marquis de Monthermer (1735-1770) » (Pompeo Batoni, 1708-1787) assiste aux fêtes données en l’honneur de la naissance du duc de Bourgogne (31 décembre 1751) : finesse et éclat de sa tenue en velours bleu à boutons dorés… ses yeux regardent dans le vague alors que son visage semble légèrement fardé… une mandoline à ses côtés, ses mains fines tiennent une partition représentée de manière très précise.


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Coffret à bijoux de Marie-Antoinette dauphine (1770), estampille de Martin Carlin, Bâti en chêne, placage et marqueterie de bois de rose et de sycomore, filets de buis et ébène ; porcelaine de Sèvres ; bronze ciselé et doré ; velours de soie – Marque peinte W couronné et au fer GR couronné.Sur la porcelaine : marques peintes LL entrelacés et lettre-date R (pour 1770), et des peintres de fleurs Bertrand et Laroche – Acquis en 1997. Participation du Fonds du Patrimoine, de la Versailles Foundation, aux arrérages du legs Hérisson, à la Société ABN AMRO France par l'intermédiaire des Amis de Versailles, au mécénat de Versailles et à un donateur anonyme © RMN-Grand Palais / Château de Versailles

Les jardins sont un véritable musée de la sculpture en plein air ainsi que nous pouvons le voir sur le tableau « L’Entrée du Tapis vert » (Hubert Robert, 1733-1808). Marie-Antoinette, vêtue d’une robe claire, parle à ses enfants ; Louis XVI, en habit rouge, devise avec un inconnu. Il semblerait que ce soit le peintre lui-même (il est dos au public !) qui admire une de ces sculptures, en l’occurrence « Milon de Crotone ». Notons que plusieurs arbres sont en piteux états, voire à terre ! Dans « L’Orangerie » (vers 1777 lui aussi), la statue d’Isis apparait, imposante, en haut des marches alors que les visiteurs sont représentés plus petits dans un décor de style classique. Arrêtons-nous sur ce « Plateau de table en marqueterie de pierres dures et marbres » provenant de la Manufacture des Gobelins : il représente avec une fidélité toute géographique la carte de France en 1684.

Les visites princières

« Les étiquettes de la cour de France sont si sévères et si hautaines à l’égard des princes étrangers, qu’ils s’en éloignent lorsqu’ils ne sont pas absolument forcés de s’y rendre (…) Aussi tous ceux qui ont visité Versailles ont-ils gardé l’incognito et pris un nom supposé, pour ne pas être confondus avec la foule des courtisans ». (Mémoires de la baronne d’Oberkirch, 1770. Ibidem)

Certains princes étrangers préfèrent l’incognito qui leur permet de contourner les strictes règles du protocole. Changeant de nom, de titre, de costume ils peuvent se promener plus librement tout en ayant un accès direct au roi. Mais ne nous méprenons pas. L’identité exacte de ce visiteur est connue de tous ! Le voyageur incognito se choisit alors un pseudonyme, un titre fictif (souvent celui de comte) suivi du nom réel d’un lieu appartenant à son royaume.

Ainsi, le roi Gustave III de Suède (1746-1792) vient par deux fois, en 1771 et 1784. Encore prince héritier lors de son premier séjour, il adopte le nom de comte de Gothland. C’est à ce moment qu’il apprend la mort de son père. Lors de sa seconde visite, il fait imprimer des cartes de visite spéciales au nom de comte de Haga. Lorens Pasch (1733-1805) le peint en costume national. Allié francophile, il reçut plusieurs cadeaux dont un service de table « à fond bleu céleste et décor d’oiseaux » (cf. une terrine et son plateau) dans des paysages rehaussés de guirlandes de feuilles en or… ou deux terrines « à épis de blé », elles aussi provenant de la Manufacture de Sèvres. Lors de son séjour de 1784, un appartement lui est aménagé de plain-pied sur le parterre du Midi. Sont exposés ici plusieurs meubles : une table mécanique en chêne plaquée d’acajou et marqueterie, une pendule en bronze et marbre blanc -« L’Union des Arts »-, un canapé et fauteuils ainsi qu’un écran de cheminée en noyer sculpté et doré, en gros de Tours (étoffe de soie genre taffetas au tissage plus grossier) broché et fond de satin. Le roi refuse de s’y installer car, selon le marquis de Bombelles, « il craint d’être obligé de donner les cinquante mille livres qu’il en coûte lorsqu’on est logé et servi au château ». (Vincent Bastien, in catalogue). Et nous retrouvons avec plaisir la tenue de chasse qui lui a été offerte en 1771 ! (voir notre chronique « Fêtes et divertissements à la cour » - 20/12/2016).

En décembre 1737, le prince Maurice de Saxe (1696-1750) offre à la reine Marie Leszczinska un nécessaire à thé et à chocolat en porcelaine de Meissen, peinte et dorée portant les armes de France et de Pologne ; quelques pièces sont exposées.

L’empereur Joseph II voyage sous le pseudonyme de comte de Falkenstein lorsqu’il vient en avril 1777 et en juillet 1781 afin de renforcer les liens diplomatiques entre les deux pays et de… rendre visite à sa sœur ! Cette dernière commande deux bustes de marbre blanc à Louis-Simon Boizet (1743-1809) : noblesse du port de tête et finesse des traits chez les deux souverains que sont son mari et son frère ! Joseph reçoit d’autres cadeaux au moment de son départ tels ces panneaux de paravent ou ce panneau d’écran de cheminée. Ils proviennent de la Manufacture royale de la Savonnerie.

C’est avec l’accord de l’impératrice Catherine II que le tzarévitch Paul Petrovich (1754-1801) et son épouse Maria Feodorovna (1759-1828) viennent à Paris puis à Versailles, en 1782, sous le pseudonyme de comte et comtesse du Nord. Au passage admirons la fraîcheur qui se dégage de leur portrait respectif. Plusieurs présents sont exposés. Un des tapis offert par le roi : de très grande taille il reprend un dessin de tapis livré en 1728 pour la chambre royale. Harmonie des motifs de palmes, de fleurs de lys dans les tons de rose, de bleu et de bronze sur un fond jonquille. Un modèle en plâtre du miroir de toilette en porcelaine offert à la comtesse : deux nymphes debout de part et d’autre de l’ovale, une troisième allongée sur la droite alors que deux enfants tiennent un cartouche destiné à recevoir les armes impériales.

Henri-Fréderic de Hohenzollern (1726-1802) vient également par deux fois (1784 et 1789) en France sous le nom d’emprunt de comte d’Oëls. Le roi offre, à nouveau, de somptueux cadeaux provenant des Gobelins ou de Sèvres. Sont exposés une tapisserie, à fond cramoisi, au « Médaillon d’enfant » (pièce de la tenture de Boucher) ainsi que de la porcelaine : divers vases (l’un à fond bleu, paysage lacustre et dorure en deux tons) une assiette à fond vert orné de fleurs et de fruits provenant d’un service de table de 132 pièces. Le comte acquiert lui-même des pièces de Sèvres dont ces trois vases à fond rose à caractère rocaille (dont deux vases « hollandais nouveaux ovales »).


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Vases à fond rose © RMN-Grand Palais / Château de Versailles

La salle suivante évoque les fêtes données par Marie-Antoinette à Trianon. Elle reçoit ce domaine en 1774 et y entreprend des modifications. Elle commande plusieurs albums où figurent les plans et élévations du château ainsi que des vues pittoresques, ce que nous pouvons voir sur ceux qui sont exposés. Offerts à des souverains étrangers, ils font figure de souvenirs des raffinements de la cour versaillaise. D’autres cadeaux, plus personnels, sont également offerts (« gobelet litron et sa soucoupe avec le portrait de Marie Feodorovna ou Louis XVI).

La reine honore ses visiteurs incognito par de somptueuses fêtes évoquées sur plusieurs tableaux : « Illumination du Belvédère du Rocher au petit Trianon » (1781 par Charles-Louis Châtelet, 1753-1795) ou la « Fête de la nuit au Petit Trianon » (vers 1780 par Hubert Robert). Avant de quitter cette seizième salle, remarquons l’ « Habit du comte Axel de Fersen » (1755-1810) datant de 1785 : drap de laine et soie richement ornés de broderies florales.

Visiter Versailles à la fin de l’Ancien Régime

« Le palais de Versailles, dont, d’après ce que l’on m’avait dit, j’attendais des merveilles, n’est pas du tout frappant : (…) l’impression qu’il fait est nulle. (…) de quelque côté qu’on le regarde, il apparaît comme un assemblage de bâtiments… » (Mémoires d’Arthur Young mai 1787. Ibidem)

Hendrick Ziegler écrit dans le catalogue que «le château n’est pas toujours à la hauteur des attentes de la plupart des voyageurs, imprégnés de la multitude de gravures officielles ou semi-officielles donnant une vision unifiée et épurée du site ». Divers projets visant à modifier l’aspect des façades ont vu le jour, même du vivant de Louis XIV ! Regardons ce qu’offrent l’ « Elévation de la Cour royale et du Château, Grand projet » par Ange-Jacques Gabriel (1698-1782) en date de 1770 ou le « Projet de reconstruire côté est » de Pierre-Adrien Pâris (1754-1819) vers 1780. Des projets abandonnés en partie compte tenu de l’état des finances.

Lors de son avènement, Louis XVI ordonne de raser les arbres du petit parc car ils mourraient les uns après les autres. Nous avions pu le constater sur le tableau « Le Tapis vert ». Toujours dû au pinceau d’Hubert Robert, « Le Bosquet des Bains d’Apollon » (1777) est tout aussi explicite : au premier plan, bûcherons et scieurs s’affairent… à droite, des élégantes, trois gardes françaises et d’autres promeneurs contemplent le démantèlement du bassin… la blancheur des « Chevaux du soleil pansés par des tritons » se détache sur la verdure des grands arbres à l’arrière.

La visite s’achève avec la présentation de quatre eaux-fortes sur fond noir. Place aux visiteurs non désirés ! Elles retracent les journées du début octobre 1789 : « Orgie des gardes du corps dans la salle de l’Opéra de Versailles, le 1er octobre 1789 », « Les dames de la Halle partant pour aller chercher le Roi à Versailles, le 5 octobre 1789 », « Le Roi, promettant de venir à Paris avec sa famille. Salve d’artillerie devant le château de Versailles, le 6 octobre 1789 » et enfin « Le Roi arrivant à Paris avec sa famille, escorté de plus de trente mille armes, le 6 octobre 1789 ». Ce 6 octobre la famille royale est contrainte de quitter Versailles et de s’installer aux Tuileries. Elle n’y reviendra plus ! Et… désormais les visiteurs ne viendront plus voir le roi mais, plus prosaïquement, visiter le château !

Impressionnés… enchantés… parfois déçus… des milliers de visiteurs d’hier et d’aujourd’hui l’ont été par Versailles. Lieu cosmopolite par excellence, inscrit au Patrimoine de l’Humanité, chacun y vient avec sa culture, ses attentes, son imaginaire. Grâce à cette exposition nous l’avons découvert au travers du regard porté par ceux qui nous y ont précédés. Richesse et abondance des objets exposés, ils sont 350 ! Point de modélisation en 3D mais une scénographie entièrement dédiée aux œuvres exposées dont certaines sont visibles à 360° ! Deux regrets : le manque d’explication à propos des « bruits restitués » ainsi qu’une absence d’explication en langue anglaise sur les cartouches présentant les œuvres. Une mention spéciale pour saluer le livret-jeu destiné aux jeunes visiteurs (6/12 ans) réalisé en partenariat avec le magasine « Paris Mômes ».

Laissons le mot de la fin à l’écrivain Nicolaïs Karamzin qui vint en avril 1790. S’il compare l’endroit sans sa cour à un corps sans âme, il ajoute : « je n’ai rien vu de plus magnifique que le palais de Versailles… »



Publié le 15 janv. 2018 par Jeanne-Marie Boesch