Rencontre avec Anicio Zorzi Giustiniani

Nous avons récemment croisé à deux reprises le jeune ténor Anicio Zorzi Giustiniani sur scène (voir nos chroniques : Alceste et Cosi fan tutte). Outre la qualité de sa voix, la sincérité de son jeu scénique a retenu notre attention. Nous avons donc souhaité en savoir un peu plus sur son attachement au répertoire baroque, sa conception de l'interprétation et ses projets.

BaroquiadeS : Bonjour Anicio. Vous avez débuté la musique en étudiant le violon. Qu'est-ce qui vous a poussé à chanter ?

Anicio Zorzi Giustiniani : C'est vrai, j'ai commencé à étudier la musique dès le plus jeune âge, vers mes cinq ans. Pour mes parents, la connaissance de la musique a toujours été considérée comme très importante dans la culture générale d'un individu. C'est ainsi que j'ai commencé à étudier le violon à l'école de musique de Fiesole (Italie), qui était et demeure une institution importante au niveau national. J'ai découvert le chant longtemps après, alors que j'avais dix-sept ou dix-huit ans.

À la maison, il y avait des cassettes audio de Luciano Pavarotti. C'est avec lui que j'ai commencé à m'enthousiasmer pour l'opéra. J'ai commencé à chanter en accompagnant la voix de Pavarotti, puis autour des premiers airs d'opéra qui correspondaient à des partitions sur lesquelles je travaillais. Lentement, j'ai ainsi découvert un répertoire toujours plus vaste, de Pergolèse à Mozart, en passant par les Lieder de Schubert… J'ai alors décidé de m'inscrire au conservatoire de musique pour suivre des cours de chant.

BaroquiadeS : Qui ont été vos professeurs ?

Anicio Zorzi Giustiniani : J'ai travaillé avec plusieurs professeurs au cours de mes études. J'ai débuté les cours au Conservatoire de Florence, puis j'ai continué en privé avec un professeur de Milan. En même temps, j’étais inscrit à la faculté de droit à Florence. Pour pouvoir financer mes cours de chant à Milan, j'ai commencé à travailler tous les matins dans un hôtel du centre-ville de Florence comme serveur ; je me réveillais à quatre heures du matin et je rentrais vers onze heures ! Ainsi je pouvais me payer le train pour Milan (à l’époque le voyage durait plus de trois heures), ainsi que les leçons de chant.

Ce n'est qu'en 2009 que j'ai rencontré le professeur qui m'a le plus apporté du point de vue technique : le ténor Fernando Cordeiro Opa, qui me suit depuis désormais près de neuf ans. Il a toujours été à mes côtés pour m'accompagner dans les étapes les plus importantes de ma carrière.

BaroquiadeS : Vous accordez beaucoup d'importance à l'expressivité scénique : les attitudes, les expressions...

Anicio Zorzi Giustiniani : A l'heure actuelle il est sans aucun doute de plus en plus important de savoir combiner une bonne préparation musicale et scénique. C'en est terminé du chanteur lyrique qui chante immobile une romance ! Les producteurs contemporains exigent de plus en plus de dynamisme, de polyvalence et de bonnes capacités d'interprétation chez les chanteurs. De ce point j'ai beaucoup appris de metteurs en scène tels que Damiano Michieletto, avec qui j’ai pu travailler maintes fois en particulier dans des œuvres de Mozart, mais aussi avec Gabriele Lavia, Elio De Capitani, Emilio Sagi et, plus récemment avec Arnaud Bernard, Cécile Roussat et Julien Lubek.

BaroquiadeS : Quels ont été vos rôles préférés sur scène ?

Anicio Zorzi Giustiniani : L'un de mes rôles favoris est certainement Ferrando dans Così fan tutte. J'ai eu la chance de chanter plusieurs fois ce rôle au cours des dernières années. C'est un rôle dans lequel je me sens particulièrement à l'aise et où je m'amuse beaucoup, surtout sous le déguisement prévu dans l’intrigue.

Un autre rôle qui m'a donné une grande émotion est celui de Roméo, dans I Capuleti e i Montecchi de Bellini. Ce rôle est généralement confié à une mezzo-soprano, comme nous le savons. Mais dans la production des Arènes de Vérone, redonnée à Oman, il a été confié à un ténor. Le drame et l'émotion que cette musique peut transmettre, ainsi que la direction scénique d'Arnaud Bernard, m'ont laissé un souvenir merveilleux et indélébile.

BaroquiadeS : Vous avez aussi beaucoup enregistré, avec des chefs connus et aux côtés d'autres grands chanteurs...

Anicio Zorzi Giustiniani : Oui, l'un des premiers à croire en moi était Alan Curtis. Après m’avoir écouté durant une audition en 2009, il m'a offert l’opportunité de remplacer un autre chanteur souffrant durant la tournée européenne puis pour l’enregistrement du Ezio de Haendel pour Deutsche Grammophon. L’enregistrement commençait cinq ou six jours plus tard : j'ai étudié le rôle comme un forcené pour être prêt aussi vite que possible ! Depuis cette première rencontre est née une belle collaboration avec Alan Curtis : nous avons enregistré ensuite plusieurs opéras pour de grands labels, et cela m'a permis d'approfondir le répertoire baroque et en particulier haendélien.

BaroquiadeS : Quand et comment avez-vous abordé le répertoire baroque ?

Anicio Zorzi Giustiniani : J'ai toujours aimé le répertoire baroque, il est à l'origine de ma formation technique et musicale. En fait mes premiers rôles ont été dans ce domaine, puis je me suis perfectionné avec des chefs tels que Alan Curtis, Fabio Biondi, Ottavio Dantone, Claudio Cavina, Federico Maria Sardelli, Marc Minkowski, René Jacobs, Emmanuelle Haïm et d'autres, qui m'ont donné l’opportunité de jouer des rôles importants dans des opéras de Haendel, Vivaldi, Monteverdi, Caldara, des oratorios de Bach, puis Mozart, Haydn, Gluck et Mercadante. Bientôt j'aurai l'opportunité de travailler en plus des rôles baroques, des auteurs et des rôles du belcanto du XIXe siècle.

BaroquiadeS : Et qu'est-ce qui vous attire dans le baroque ?

Anicio Zorzi Giustiniani : J'ai toujours considéré le baroque comme le meilleur répertoire pour exprimer pleinement la musicalité et la virtuosité, grâce à la liberté accordée au chanteur à niveau des airs, et en raison de l'importance accordée à la parole et au texte. La théâtralité et le drame s'expriment à merveille dans cette musique.

BaroquiadeS : Quels sont les rôles que vous avez le plus aimés parmi les opéras baroques ?

Anicio Zorzi Giustiniani : Oronte dans Alcina est un personnage qui me tient particulièrement à cœur. C’est un rôle que j'ai eu la chance de jouer à côté d'interprètes renommés tels que Philippe Jaroussky, Joyce di Donato, Karina Gauvin et Monica Bacelli. Pour le ténor y alternent des moments de lyrisme doux et évocateur (comme dans l'air Un momento di contento) et des moments d'agilité et de virtuosité (E’ un folle, è un vile affetto).

Un autre rôle que j'aime beaucoup est celui de Télémaque dans Il ritorno di Ulisse in patria, qui exprime la fraîcheur et la vitalité d'un jeune homme en face de la méfiance de sa mère Pénélope. J'ai récemment interprété ce rôle au cours d’une tournée dirigée par René Jacobs, avec Stéphane Degout dans le rôle d'Ulysse.

BaroquiadeS : Vous avez aussi abordé, notamment à vos débuts, le répertoire français avec le Te Deum de Charpentier. Pensez-vous y revenir ?

Anicio Zorzi Giustiniani : Exactement. J'ai déjà l'intention de revenir au répertoire français, plus précisément avec mes débuts dans un chef-d'œuvre de Jean-Philippe Rameau, mais pour l'instant je ne peux rien révéler d’autre !

BaroquiadeS : Vous nous mettez l'eau à la bouche ! Quels sont vos autres projets ?

Anicio Zorzi Giustiniani : Ce mois-ci je collabore avec René Jacobs dans une tournée de concerts avec Armida de Haydn. Le mois prochain je vais débuter dans le rôle de l’Evangéliste dans la Passion selon Saint-Matthieu de Bach conduite par Marc Minkowski, qui sera donnée en Espagne et en Allemagne.

Dans les prochains mois, d’autres rôles majeurs m’attendent dans le baroque, ainsi que dans le belcanto : de Néron du Couronnement de Poppée à Ernesto dans le Don Pasquale de Donizetti, en passant par Idamante dans Idoméneo, puis de nouveau Ferrando dans Così fan tutte et Oronte dans Alcina.

BaroquiadeS : Merci Anicio, nous ne manquerons pas de vous suivre dans ces futures productions, surtout si elles viennent jusqu'en France !



Publié le 28 févr. 2018 par Bruno Maury