Rencontre avec Benoît Haller

BaroquiadeS : Voilà plus de 20 ans que vous avez fondé la Chapelle Rhénane. Quel a été votre enjeu en vous engageant en 2001 dans cette aventure, alors que vous meniez une carrière de ténor ?

Benoît Haller : Je ne sais pas si on peut parler d’enjeu. C’était plus un désir : j’ai très vite pris conscience qu’il y avait un risque de routine à se produire comme chanteur uniquement. Ça me stimulait beaucoup de me mettre au service de multiples projets artistiques, mais parallèlement, j’étais parfois confronté à une sensation d’inachevé, d’inabouti. J’ai eu envie de quelque chose qui me serait propre, dans laquelle je pourrais incarner une façon de travailler et de vivre la relation musicale et humaine, car à mon sens il s’agit d’abord de cela : la musique n’est qu’un support - un prétexte - à la relation.

BaroquiadeS : Pour quelles raisons vous êtes-vous attaché d'emblée au répertoire sacré allemand que vous avez ensuite élargi en incluant dans vos programmes le baroque italien et même français ?

Benoît Haller : Parce que je suis un peu tombé dedans quand j’étais petit ! Mon père était pasteur luthérien, et les rares fois où j’allais au culte en tant qu’enfant, je chantais avec émotion les cantiques, j’allais voir la vieille dame jouer de l’orgue, et tout cela me fascinait. Avec une mère professeur de lettres classiques, j’ai spontanément réuni ma culture, mon éducation dans la musique baroque allemande, celle de Schütz et Bach, celle du texte vivant aussi. Et puis ayant fait mes études de chant et de direction principalement en Allemagne, j’ai beaucoup chanté ce répertoire qui m’est assez naturel. Plus tard, je me suis rendu compte que ce répertoire ne remplirait pas une vie, et j’ai élargi mes horizons : Monteverdi, en tant que père spirituel de Schütz, Charpentier que tout oppose au Sagittaire et dont il est pourtant mystérieusement proche dans l’esprit, Purcell dont les mélodies invraisemblables m’envoûtent, et d’autres bien-sûr ! Certains compositeurs baroques me sont parallèlement restés impénétrables : Vivaldi, Haendel, Telemann, même Rameau ! Je le regrette, j’ai l’impression de ne pas avoir trouvé la clé pour les laisser me traverser.

BaroquiadeS : Vous vous êtes ensuite tourné vers un répertoire plus classique et vous avez collaboré avec le Quatuor 1781 fondé par Guillaume Humbrecht, premier violon de la Chapelle Rhénane depuis 15 ans. Quels défis représentaient pour vous le travail sur des œuvres de la période classique dont les éléments de langage musical sont d’une conception et d’un style nouveaux ?

Benoît Haller : Je suis victime de mon côté un peu obsessionnel : après le baroque vient le classique, et j’espère un jour pouvoir m’attaquer au romantisme ! Plus sérieusement, j’ai longtemps ignoré le classique parce que j’y voyais une perfection, un équilibre musical auxquels je ne pouvais pas prétendre, étant un être plutôt versé dans la passion et les extrémités. Mozart, Haydn, tout cela me semblait bien trop subtil, nuancé, équilibré pour moi. Cette musique « dépassionnée » me paraissait par ailleurs inadéquate pour la Chapelle Rhénane, dont le credo a toujours été une recherche de consensus entre le singulier - l’expressivité individuelle - et le collectif - l’harmonie et l’homogénéité. Il aura fallu la proposition atypique de Guillaume pour m’aider à m’affranchir de ces complexes : un Requiem de Mozart dans sa forme originale me faisait peur, mais une adaptation pour quatuor de solistes et quintette à cordes, ce n’est plus vraiment le Requiem de Mozart, c’est une création, tout devient possible, on peut tout ré-inventer.

BaroquiadeS : Dans la même orientation de recherche musicale vous avez abordé l’oratorio Sept Paroles du Christ de Joseph Haydn. Pouvez-vous évoquer la manière dont vous avez abordé cette œuvre ?

Benoît Haller : Les Sept Paroles de Haydn sont dans la lignée thématique des œuvres de Bach qui m’ont le plus occupé dans ma carrière de chanteur et de directeur d’ensemble : les deux Passions. Évidemment, la comparaison s’arrête là, et ce qui nous a motivés, Guillaume et moi, dans cette entreprise, c’est qu’il ne s’agissait que d’une étape supplémentaire dans la transformation de l’œuvre : Haydn a d’abord composé une version pour un effectif orchestral, avant de l’adapter pour quatuor à cordes ; la version pour chœur et orchestre est venue dans un troisième temps, à l’initiative de Joseph Friebert, maître de chapelle à Passau. Aujourd’hui, nous ne faisons donc que poursuivre ce travail de transcription.

BaroquiadeS : Quels sont vos projets et quelle direction artistique souhaitez-vous donner à la Chapelle Rhénane ?

Benoît Haller : Ce travail sur les oratorios classiques nous donne l’occasion de rencontrer un nouveau public, et de rencontrer le public différemment : un nouveau public parce que les effectifs de ces projets nous permettent de diffuser ces derniers dans des cadres moins prestigieux, et même en territoires ruraux ; différemment parce que notre approche musicale, qui implique de renoncer aux effets de masse, nous laisse la possibilité de changer la relation entre les artistes et les auditeurs : il n’y a plus cette distance, cette admiration, cette humilité du public face au côté spectaculaire du son qui provient de la scène ; une forme d’intimité se développe, une proximité, une humanité qui inspire un respect mutuel.
De manière générale, je crois vraiment qu’il est nécessaire que nous soyons au service du public : d’abord parce que nous sommes subventionnés non pas pour réaliser nos fantasmes égocentriques mais pour concrétiser une mission d’intérêt général, ensuite parce que le monde dans lequel nous vivons nous impose de réinventer la manière de vivre ensemble, de penser l’avenir, et que la musique est un formidable outil à ce titre. Un outil, pas un but en soi.

La Chapelle Rhénane, un ensemble d’exception

Une intense activité
La Chapelle Rhénane (voir son site) s’est produite sur les scènes et festivals les plus reconnus en France et hors de l’Hexagone. Sa haute qualité musicale et son exigence artistique ont été applaudie à la Cité de la Musique de Paris, à l’Arsenal de Metz, au Théâtre des Gémeaux de Sceaux, aux Festivals de La Chaise-Dieu, à Sablé, à Saintes, à Sinfonia en Périgord, à l’abbaye de Saint-Michel-en-Thiérache


© Tom Atome

La Chapelle Rhénane a également diffusé ses programmes de concerts en Allemagne (Tage Alte Musik Regensburg, Thüringer Bachwochen), en Suisse (Festival Bach de Lausanne, Atelier musical de Gruyères), en Autriche (Resonanzen Wien) et en Pologne (Katowice). En 2009, elle s’est rendue au Pérou, en Colombie et au Chili. En 2018, elle s’est produite dans les scènes nationales de Grenoble et Aix-en-Provence et a été invitée par le prestigieux BachFest de Leipzig à interpréter la Passion selon Matthieu de Bach à la Thomaskirche, lieu même de sa création. En 2019, La Chapelle Rhénane a développé son activité à l’internationale, à Budapest et pour la première fois en Amérique du Nord, au Canada en présentant quatre Cantates de Bach dans la prestigieuse salle Bourgie du musée des Beaux-Arts de Montréal. En 2022, elle est l’invitée du célèbre Güldener Herbst-Festival Alte Musik de Tübingen pour assurer le concert d’ouverture dédié à Schütz et ses prédécesseurs Elle présente dans le Grand Est, sa terre d’élection, par de nombreux concerts et événements remarquables auxquels elle est associée tant à la ville que dans le milieu rural.

Une passionnante discographie
La Chapelle Rhénane est étroitement associée au label discographique K617 avec lequel elle a publié entre 2004 et 2019 sept albums CD dédiés à Schütz, Capricornus, Buxtehude et Haendel. Ces disques ont été unanimement salués par la critique spécialisée. En 2010, c’est sous le label ZigZag Territoires que paraissait la Passion selon Jean de Bach. Puis de nouveau un enregistrement consacré à Henrich Schütz chez Christophorus Records. Enfin, du 19 au 22 avril 2022 a été enregistré dans l’abbatiale d’Ottmarsheim l’oratorio de Joseph Haydn Les Sept dernières paroles du Christ pour le label Paraty.

Soutenue par la Fondation Orange de 2005 à 2009 et en résidence à l’Abbaye de Royaumont, Centre de la Voix de 2007 à 2009, la Chapelle Rhénane a été en résidence au Théâtre des Gémeaux de Sceaux de 2009 à 2019. Elle est conventionnée par la Ville de Strasbourg, et la DRAC Grand Est. Elle bénéficie du soutien régulier de la Région Grand Est, du CNM, de l’ADAMI et de la SPEDIDAM.

Donner la musique en partage

La Chapelle Rhénane et son fondateur Benoît Haller habités par ce bel idéal ont entrepris cette aventure qui réunit chanteurs et instrumentistes pour vivre une expérience collective unique. Fédérés autour de projets, en particulier l’interprétation nouvelles d’œuvres anciennes, ils ambitionnent de transmettre ce précieux patrimoine à des publics très diversifiés culturellement et socialement en révélant par le moyen du concert ou du disque la modernité des œuvres classiques qui, par-delà le temps, sont capables de toucher, d’émouvoir, d’éveiller la sensibilité de chaque auditeur d’aujourd’hui.

La conviction que la musique doit être à la portée de tous et en particulier des jeunes est l’axe majeur de la démarche courageuse de la Chapelle Rhénane. Ces interprètes se sont investis dans la transmission de la musique en intervenant dans des établissements, parfois dans des quartiers défavorisés, confinés à la périphérie des villes.

C’est ainsi que le 3 février dernier j’ai pu assister, dans le cadre du collège Rouget de Lisle ancré au cœur d’une cité de la commune de Schiltigheim, située dans la banlieue nord de Strasbourg, à plusieurs concerts au contenu identique au cours d’une après-midi. Ces séances, destinées à des classes de différents niveaux et présentées par l’un des chanteurs de l’ensemble, étaient préparées par quatre journées de travail en immersion dans la vie scolaire de l’établissement. Un programme réjouissant, porté par l’excellent sextuor vocal de la Chapelle Rhénane réunissant Hasnaa Bennani, soprano, Salomé Haller, mezzo-soprano, Jean-François Lombard, haute-contre, Benoît Haller, ténor, Noé Chapolard, baryton et Jean-Loup Pagésy, baryton-basse. Une affiche originale, très éclectique qui allait à la rencontre des élèves, offrait une œuvre vocale du compositeur anglais John Ward (1571-1638), des chansons traditionnelles populaires au rythme entraînant de l’ensemble The Real Group, dont les ludiques Chili con carne et A Cappella in Acapulco, des tubes du groupe Take 6, A quiet place et Milky white way, et la chanson Dessus le marché d’Arras d’Orlando di Lasso (1532-1594), compositeur franco-flamand de la fin de la Renaissance.


© Marguerite Haladjian

L’émotion et l’enthousiasme suscités par cette expérience pleine de fraîcheur, l’engagement de ces merveilleux musiciens qui travaillent en synergie avec les enseignants et l’expression recueillie de la majorité des élèves dont la plupart découvre un univers sonore contrasté qui interpelle leur écoute et leur curiosité offrent un moment enthousiasmant. Puissent ces actions culturelles se poursuivre et se multiplier pour notre bonheur confiant en l’avenir !



Publié le 30 mars 2023 par Marguerite Haladjian