Rencontre avec Carlo Vistoli

Dans un français très fluide, relevé d'une savoureuse pointe d'accent italien, le jeune contre-ténor Carlo Vistoli nous parle de sa formation, de ses concerts et enregistrements, et de ses projets.

BaroquiadeS : Bonjour Carlo. Et merci de nous avoir accordé cet entretien lors de votre séjour à Paris, où vous venez interpréter Le Messie à la Philharmonie et à Versailles. Vous êtes aujourd'hui à l'aube d'une brillante carrière : pouvez-vous nous parler du choix de votre tessiture, et de votre formation ?

Carlo Vistoli : J'ai d'abord étudié le chant en tant que ténor, mais je trouvais plus facile de chanter en falsetto : cela me paraissait plus naturel, plus facile. Mon professeur m'a alors conseillé de construire ma voix autour de ce falsetto, ce qui m'a permis de m'apercevoir que j'avais aussi de la faciliter à chanter les graves. Il fallait alors déterminer comment construire le médium, autour des aigus ou des graves. J'ai choisi les graves, ce qui me fait entrer dans le registre de contralto.

BaroquiadeS : Et qui ont été vos professeurs ?

Carlo Vistoli : Le premier a été William Matteuzzi, ténor de bel canto. A Bologne il m'a formé à la technique, dans une manière très italienne. Ensuite, je me suis ouvert au répertoire et au style avec Sonia Prina au conservatoire de Ferrare. Elle m'a apporté toute sa connaissance du répertoire baroque. Je continue de les voir régulièrement, afin de suivre l'évolution de ma voix.

BaroquiadeS : Parlez-nous de vos débuts...

Carlo Vistoli : Mes premiers rôles ont été l'Enchanteresse, de Didon et Enée, il y a quatre ans à Cesena dans une production du Conservatoire, et ma participation à L'Olimpiade de Mislivicek au Teatro Communale de Bologne (dont il existe un enregistrement public). J'ai obtenu un premier prix au concours Renata Tebaldi de San Marino, qui m'a permis d'obtenir mon premier grand rôle : Tamerlano dans l'opéra éponyme, avec Alexis Kossenko à Poznan en Pologne. Ma grande opportunité est venue un peu après : ma participation au Jardin des Voix, avec Les Arts florissants de William Christie.

BaroquiadeS : Oui, qui a donné lieu à une tournée fétiche, aux quatre coins du monde !

Carlo Vistoli : C'est vrai que nous avons donné une vingtaine de concerts un peu partout, sauf... en Italie ! Le programme était très bien choisi, il permettait à tous les chanteurs de s'exprimer. Mes deux airs principaux étaient un air d'Orlando de Haendel (Ah ! Stigie larve), et une cantate de Porpora.

BaroquiadeS : Nous avons pu en prendre connaissance grâce aux deux enregistrements publics disponibles (à la Philharmonie et à Moscou), et ce qui nous le plus frappé c'est votre expressivité, vos dons d'acteur : vous suggérez si efficacement les situations, les émotions alors qu'il s'agit d'un récital !

Carlo Vistoli : En effet ce n'était pas facile, nous n'avions pas grand chose sous la main, seulement cette flèche avec laquelle je joue... J'ai cherché à rendre le mieux possible les situations, et on ne pouvait pas non plus multiplier les mouvements. Je devais imaginer quelque chose qui n’existait pas, en l'absence de mise en scène. Et je ne voulais pas non plus faire des choses trop théâtrales...

BaroquiadeS : Pourtant les airs baroques à la forme rigide A/B/A ne favorisent guère l'originalité...

Carlo Vistoli : Justement, à partir de cette forme rigide j'ai envie d'étonner, de faire en sorte que le spectateur n'ait pas le sentiment d'entendre une simple reprise, mais quelque chose de différent. J'espère pouvoir travailler avec des metteurs en scène capables de redécouvrir un opéra, de faire jouer les chanteurs. J'aime beaucoup par exemple ce que font Tcherniakov ou Warlikowski dans ce domaine.

BaroquiadeS : Vous êtes aussi tout à fait à l'aise dans les rôles comiques, comme l'a montrée votre participation aux représentations d'Elena de Cavalli en France...

Carlo Vistoli : Oui j'ai chanté dans les reprises de Nantes et de Rennes, avec Capella Mediterranea. Et je chanterai dans une nouvelle production d'Erismena à Aix en 2017, également dirigée par Leonardo Garcia Alarcon, qui est un des meilleurs connaisseurs de Cavalli.

BaroquiadeS : Et vous chantez aussi dans le répertoire contemporain...

Carlo Vistoli : Il y a deux mois j'ai chanté le Stabat Mater du compositeur estonien Arvo Pärt. C'était une belle expérience. La partition comporte trois voix , et trois instruments, qui doivent se mêler parfaitement. J'ai aussi participé à un opéra contemporain, L'Amor che move i sole e l'altra stelle, du compositeur italien Adriano Guarnieri, pour le festival de Ravenne. Le livret est inspiré du Paradis de Dante. C'était particulièrement difficile à chanter, car la ligne vocale est écrite comme une ligne instrumentale. Mais avec la complicité de Guarnieri on a pu adapter un peu la partition à ma voix. C'était redoutable car on n'avait aucune référence pour chanter les notes, on devait sans cesse reprendre le diapason avec des écouteurs...

BaroquiadeS : Dans vos rares enregistrements vous semblez privilégier la redécouverte du répertoire baroque oublié ou méconnu ?

Carlo Vistoli : C'est vrai que le San Giovanni Crisostomo de Stradella n'a été enregistré à ma connaissance que deux fois. J'ai aussi enregistré un oratorio de Giovanni Battista Bassani, Il Giona. Et je viens de graver des extraits de La finta savia, créée à Venise par Filiberto Laurenzi en collaboration avec d'autres compositeurs. Mais seuls ses airs nous sont parvenus. Laurenzi est un compositeur peu connu, mais il est l'un des auteurs possibles du Pur ti miro de l'Incoronazione di Poppea, dont nous savons de manière à peu près certaine qu'il n'est pas de Monteverdi. Un autre CD devrait sortir prochainement. Il est dédié au castrat Nicolino, qui était le premier Rinaldo de Haendel, avec des airs de Haendel, Pergolèse, Sarro et Scarlatti, chez Arcana.

BaroquiadeS : Et quels sont vos prochains concerts ?

Carlo Vistoli : En début d'année prochaine je chanterai dans l'Orfeo avec Les Arts Florissants, à Caen, Paris et Versailles, et aussi à Vienne et en Pologne. J'ai aussi un grand projet avec John Eliott Gardiner, les trois opéras de Monteverdi (Orfeo, Ulisse et Poppea). Dans ce dernier je chanterai Ottone, la tournée devrait se poursuivre durant toute l'année, en Amérque et à la Fenice notamment. Cet été il y aura également Erismena au festival d'Aix, je me réjouis de travailler à nouveau avec Francesca Aspromonte et l'équipe de Capella Mediterranea.

BaroquiadeS : Avant de vous quitter l'équipe de BaroquiadeS tient à vous féliciter pour votre récente distinction par l'Helpmann Awards Trophy, pour votre interprétation dans l'Agrippina de Haendel en Australie.

Carlo Vistoli : Ah oui ce rôle est bien adapté à ma voix, c'est le seul personnage qui ait un rôle positif... Avec le metteur en scène et chef d'orchestre Laurence Dale nous avons un peu adapté la production de Göttingen , dans laquelle le contre-ténor avait une voix assez différente de la mienne. Je suis content, car je pense que nous avons fait un bon travail...

BaroquiadeS : Cela semble aussi avoir été l'avis des spectateurs et de la critique, et cela ne nous étonne guère ! Merci beaucoup Carlo pour cet entretien, et bon succès dans vos prochains concerts !



Publié le 01 janv. 2017 par Bruno Maury