Rencontre avec Carlo Vistoli

BaroquiadeS a eu le grand plaisir d’un échange avec Carlo Vistoli juste avant sa venue en concert à la salle Gaveau le 9 novembre pour la sortie de son nouvel album Vivaldi – Sacro furore. Nous sommes heureux de partager ci-dessous ses réponses à nos questions, dans un français toujours élégant et fluide

BaroquiadeS : Bonjour Carlo. Notre dernier entretien pour BaroquiadeS date de février 2022. Comment voyez-vous l’évolution de votre carrière depuis ?

Carlo Vistoli : Depuis notre dernier entretien en 2022, ma carrière a franchi plusieurs paliers décisifs, avec des expériences artistiques qui m’ont enrichi tant sur le plan vocal que scénique. Chanter dans des lieux emblématiques tels que La Scala et collaborer avec des chefs d’orchestre et des metteurs en scène renommés ont contribué à affiner ma technique et à renforcer ma présence scénique. J’ai également pris plus de risques artistiques, ce qui m’a permis de repousser mes propres limites tout en restant fidèle à l’essence de mon timbre.

BaroquiadeS : Nous avons l’impression que votre voix a beaucoup gagné dans les aigus et que vous avez encore progressé dans l’agilité, tout en conservant les qualités de timbre, la couleur de contralto et l’homogénéité des registres qui sont caractéristiques de votre voix. Comment travaillez-vous ?

Carlo Vistoli : La constance est la clé de mon travail. Je m’efforce chaque jour de maintenir un équilibre délicat entre le développement technique et l’expression musicale, car pour moi, l’un ne va pas sans l’autre. En ce qui concerne les aigus, j’adopte une approche détendue pour ne pas forcer, permettant ainsi à ma voix de conserver sa couleur naturelle, tout en gagnant en souplesse. Quant à l’agilité, elle se développe grâce à un travail régulier des passages rapides et une attention constante aux subtilités de chaque phrase musicale. L’idée est de ne pas perdre de vue l’homogénéité entre les registres. De cette façon, j’essaie de faire en sorte que ma voix soit toujours un vecteur expressif, capable de transmettre toute la richesse émotionnelle de chaque pièce, avec fluidité et naturel.

BaroquiadeS : Vous venez de faire vos débuts à La Scala dans le rôle d’Alidoro dans l’Orontea de Cesti (voir notre compte-rendu). Comment avez-vous vécu cette expérience ?

Carlo Vistoli : C’est un rêve devenu réalité ! La Scala est un lieu mythique dans le monde de l’opéra, et y chanter pour la première fois a été à la fois intimidant et exaltant. Le rôle d’Alidoro m’a permis d’explorer différentes facettes de ma voix et de mon jeu, en collaborant avec une équipe artistique remarquable. C’est un personnage qui ne me ressemble pas vraiment, mais interpréter des situations éloignées de mon ressenti personnel est parfois non seulement un défi, mais aussi un grand plaisir. Vocalement, ce n’est pas une écriture extrêmement exigeante, comme c’est souvent le cas pour la musique du XVIIe siècle (si l’on pense aux défis du siècle suivant, avec Händel, Vivaldi & co.), mais c’est l’expression et le phrasé qui nécessitent une attention particulière. Quant au public milanais, j’ai particulièrement apprécié son accueil – toujours très exigeant mais généreux lorsqu’il est conquis. Ce n’était pas la première fois que je travaillais avec Robert Carsen et Giovanni Antonini, et, encore une fois, cette collaboration a été magnifique pour moi, tant sur le plan artistique qu’humain.

BaroquiadeS : Se prépare-t-on particulièrement pour chanter dans une salle aussi grande et aussi légendaire ?

Carlo Vistoli : La taille d’une salle comme La Scala et son acoustique imposent une projection vocale adaptée pour toucher chaque spectateur, jusqu’aux derniers rangs. Ce qui est crucial, c’est d’écouter la salle lors des répétitions et d’adapter l’émission pour obtenir la meilleure résonance possible. Cela étant dit, j’essaie d’aborder chaque représentation avec la même intensité, peu importe la salle : que ce soit dans une église intimiste ou sur une scène prestigieuse, l’engagement artistique doit être le même. La Scala ajoute certes une dimension symbolique, mais pour moi, le défi reste d’offrir une interprétation sincère et nuancée, qui saura toucher le public.

BaroquiadeS : Vous avez eu beaucoup de succès dans ce rôle. C’est facile à gérer le succès ?

Carlo Vistoli : Le succès est gratifiant, bien sûr, et il apporte une forme de reconnaissance qui me touche car chaque représentation est le fruit d’un travail intense. Cependant, il faut également rester conscient des attentes qui viennent avec le succès : le public, les critiques et même moi-même avons souvent des exigences élevées. C’est une responsabilité que je prends très au sérieux. Pour moi, il s’agit de continuer à me renouveler, à me remettre en question sans jamais trahir ce qui m’a poussé à chanter en premier lieu, cette recherche de beauté et d’authenticité. Le succès est une source de motivation, mais aussi un rappel constant de l’importance de rester humble et de ne jamais perdre de vue l’essentiel : transmettre des émotions et toucher les cœurs.

BaroquiadeS : Vous venez de rejoindre Harmonia Mundi, et votre premier album solo Vivaldi – Sacro furore va sortir le 8 novembre prochain. Comment est né ce projet ?

Carlo Vistoli : Ce projet est né pendant le Covid, juste après un concert en streaming à la Philharmonie d’Essen. La pièce principale du programme était le Stabat Mater de Pergolesi, mais j’interprétais également le Nisi Dominus de Vivaldi. C’était ma première collaboration avec les musiciens de l’Akademie für Alte Musik de Berlin, et l’entente a été si forte que nous avons immédiatement envisagé de construire un programme solo autour du Nisi Dominus, en y ajoutant une version pour contralto du motet In furore iustissimae irae. À ma connaissance, ce motet n’a jamais été enregistré par un contre-ténor, ce qui ajoute une dimension audacieuse au projet. Ce disque représente pour moi une exploration des différentes facettes de la spiritualité de Vivaldi, avec des pièces à la fois intenses et profondément émouvantes, qui témoignent de toute la puissance expressive de sa musique sacrée.

BaroquiadeS : Vous allez chanter une partie de ce programme salle Gaveau le 9 novembre. Pourquoi avoir inclus au programme une cantate de Bach dont le style appelle une technique assez différente de celle de Vivaldi, notamment dans la gestion du vibrato ?

Carlo Vistoli : Bach et Vivaldi sont deux univers distincts, mais leur juxtaposition crée un dialogue fascinant. La cantate de Bach que j’interprète montre une autre facette du répertoire sacré, avec un traitement plus austère et une approche de la ligne vocale différente de celle de Vivaldi. J’aime l’idée d’offrir au public cette diversité, en montrant comment ma voix peut s’adapter à différents styles tout en conservant une unité expressive.

BaroquiadeS : Vous revenez à Paris en février 2025 pour chanter Athamas dans Semele sous la direction d’Emmanuelle Haïm. Un retour à Haendel et aux plaisirs du da capo ?

Carlo Vistoli : Oui, absolument ! Haendel est un compositeur que j’adore. En ce qui concerne les da capo, j’aime beaucoup les utiliser pour explorer les nuances et les contrastes, toujours avec goût et respect, mais aussi sans retenue et avec beaucoup de passion : c’est vraiment une signature de mon travail. J’ai hâte de retrouver Emmanuelle Haïm sur cette production ; travailler avec elle est toujours très stimulant : elle a cette capacité extraordinaire à insuffler une énergie communicative et une sensibilité particulière à chaque note. C’est un véritable privilège de revenir à Paris pour cette production, où je me réjouis de faire vivre à nouveau ces émotions uniques qu’offre la musique de Haendel.

BaroquiadeS : En avril, vous vous produirez à La Scala de Milan dans un opéra contemporain de Francesco Filidei. C’est important de s’investir dans le répertoire contemporain ? Et en particulier pour les voix de contre-ténor ?

Carlo Vistoli : Oui, je crois que la programmation d’un théâtre doit inclure, en plus des opéras du répertoire, une part d’œuvres redécouvertes et d’opéras contemporains. C’est une direction que certains des théâtres les plus importants au monde ont déjà commencé à suivre, et personnellement, je pense que c’est un choix absolument gagnant. En tant qu’interprète, je suis toujours très curieux d’explorer des langages et des techniques différents de ceux auxquels je suis habitué dans le répertoire baroque. J’ai déjà reçu la musique de Filidei et suis en contact avec lui : nous avons discuté de mes rôles (Adelmo et Berengario), et je découvre actuellement son écriture, qui est vraiment fascinante. Je crois qu’il parvient réellement à créer une atmosphère et une tension puissantes. Ce sera une belle expérience pour moi, mais – j’en suis sûr – aussi pour le public.

BaroquiadeS : Ce Nom de la Rose de Filidei sera mis en scène par un de vos complices réguliers, Damiano Michieletto. Quelle est l’importance d’un metteur en scène pour vous ? Comment concevez-vous la relation entre le chanteur et le metteur en scène ?

Carlo Vistoli : En plus d’être un excellent metteur en scène, Damiano est avant tout une personne formidable. Aussi exigeant soit-il, travailler avec lui est toujours d’une grande simplicité. Il y a un véritable dialogue, une liberté, une écoute mutuelle ; pour moi, tout cela constitue la base indispensable à la création d’un bon spectacle. Avec lui, j’ai réalisé deux productions qui sont restées dans mon cœur : Orfeo ed Euridice de Gluck au Komische Oper de Berlin et Alcina au Maggio Musicale Fiorentino — deux mises en scène puissantes et profondément engageantes.

BaroquiadeS : Je suppose que vos projets à la scène et au disque vont nous réserver quelques belles surprises à venir. Mais y a-t-il un rôle que vous adoreriez chanter et qu’on ne vous a pas pour l’instant proposé ?

Carlo Vistoli : Parmi les grands personnages haendéliens, j’aimerais chanter un jour le rôle de Didymus dans Theodora (créé pour Gaetano Guadagni, qui fut aussi le premier Orfeo de Gluck) ainsi que le rôle-titre d’Orlando. Mais pour ce dernier, il y a encore le temps : c’est un rôle complexe à interpréter, qui demande une grande maturité. Et puis, qui sait… Étant Italien et étant né dans la ville où il a appris ses premiers rudiments musicaux, j’aimerais un jour chanter les « rôles en travesti » de Rossini



Publié le 04 nov. 2024 par Jean-Luc Izard