Rencontre avec Filippo Mineccia

Alors qu’il va faire ses débuts à La Scala dans le rôle de Titta Castagna de la commedia per musica de Leonardo Vinci Li zite 'ngalera le 4 avril prochain, Filippo Mineccia nous a fait l’amitié de répondre à quelques questions.

BaroquiadeS : Bonjour Filippo et merci d’avoir accepté cet entretien. La voix de contre-ténor est souvent assimilée à la « voix des anges ». Pourtant vous cultivez un timbre au métal bien particulier et plutôt viril. Comment parvenez-vous à ce résultat ?

Filippo Mineccia : C’est vrai, les gens pensent souvent à nous comme à la « voix des anges » mais je suis convaincu, par mon expérience et par mes recherches, que pour exister aujourd’hui, dans cette période de nouvelle renaissance baroque, les contre-ténors ne peuvent pas se limiter à être une alternative aux voix féminines. Nous devons développer notre style, notre timbre, nos couleurs, … dans un sens un peu plus androgyne, plus masculin. J’ai travaillé pour que ma voix soit plus solide, plus sombre, plus métallique tout en préservant le beau son. C’est, à mon avis, ce qui permet au contre-ténor d’être une alternative en termes de timbre et en termes d’incarnation scénique.

BaroquiadeS : Vous vous prêtez volontiers aux exercices de virtuosité, comme par exemple les récitals à trois. C’est important la virtuosité pour un contre-ténor ?

Filippo Mineccia : Ah, pour ce répertoire, il est impossible de ne pas faire d’exercices de virtuosité, de ne pas l’étudier. Au cours des années - je chante depuis 20 ans aujourd’hui – j’ai beaucoup étudié et travaillé la virtuosité, le messa di voce, les coloratures … pour essayer de les faire plus rapides, plus claires, plus nettes ; c’est indispensable pour tous les chanteurs de ce répertoire. Je pense que c’est vraiment essentiel car chacun a sa particularité : certains sont très virtuoses et très rapides, d’autres sont très bons dans les pianissimi et les fortissimi, ou dans le legato, mais je pense qu’il est impossible de ne pas se concentrer sur la virtuosité pour un chanteur qui se spécialise dans ce répertoire.

BaroquiadeS : Dans l’Achille de La Finta Pazza (voir la chronique) , vous interprétez, avec plaisir m’a-t-il semblé, un personnage dont vous cultivez à la fois une dimension très féminine et un aspect de guerrier brutal. Vous avez pris plaisir à brouiller les repères de genre ?

Filippo Mineccia : J’ai vraiment adoré chanter Achille car je pense que c’est un rôle très intéressant. Je ne remercierai jamais assez Leonardo Garcia Alarcón de m’avoir offert la possibilité de le chanter. Les opéras des 17ème et 18ème siècles entretiennent souvent, et avec une forme de jubilation, l’ambiguïté et la confusion entre les sexes. Dans le monde d’aujourd’hui, avec cette nouvelle mode androgyne, Achille est un personnage très moderne et, oui, j’ai pris beaucoup de plaisir à l’interpréter. C’était un vrai défi parce que la partition n’est pas facile et parce que l’écriture est un petit peu haute pour moi. J’ai essayé d’utiliser les sonorités un peu métalliques pour caractériser ce personnage fort et sain, avec une voix puissante et saine. Je voulais absolument éviter les excès de vibrato, ou encore les ornements non requis, pour tenir une ligne de chant très claire comme ce que souhaitait Leonardo Garcia Alarcón pour ce rôle.

BaroquiadeS : Vous pouvez nous parler du Vinci que vous allez chanter à La Scala et du rôle de Titta Castagna ?

Filippo Mineccia : Le personnage a un nom un peu étrange mais c’est un rôle masculin, un rôle d’homme et un rôle très sérieux. Titta est follement amoureux d’une femme, Ciomma, et il essaie de la convaincre qu’il est l’amant, l’époux parfait et idéal pour elle. Mais elle, elle le néglige et s’éprend d’autres personnages, notamment Carlo. Pour moi le chant de Titta est un peu un lamento : il passe son temps à se plaindre que son amour n’est pas partagé, ni respecté, que le destin est très cruel avec lui. J’ai dans ce rôle trois beaux airs et des récitatifs. La plupart des rôles sont des rôles sérieux. Mais le rôle de ma mère, Menecca, est chanté par un ténor et c’est un rôle comique, comme le rôle de Ciccariello, rôle travesti écrit pour soprano, qui est aussi très ambigu en termes de genre. Bien sûr, je suis très heureux de chanter à La Scala ! Ce sera la première fois. C’est un grand honneur et je ferai mon possible pour être au meilleur.

BaroquiadeS : A bientôt 42 ans, comment vous projetez-vous dans votre carrière future ?

Filippo Mineccia : Les dernières années n’ont pas toujours été simples à cause de la pandémie et j’ai dû aussi affronter des problèmes personnels. Aujourd’hui ma carrière est bien stable, et j’avance. Certes, je ne suis plus le « petit nouveau » mais je suis l’une des voix qui travaillent très régulièrement dans ce répertoire. J’ai le sentiment que je peux offrir quelque chose de personnel au public, qui est le résultat de ce que j’ai construit moi-même au cours des années de travail et de recherches et le résultat de mes expériences avec les chefs d’orchestre, les metteurs en scène, mes collègues… J’ai 41 ans, je suis très heureux et en forme, j’espère continuer aussi longtemps que je pourrai. D’une certaine façon, ces dernières années, les carrières de contre-ténor ont beaucoup gagné en durée pour se rapprocher des durées de carrière des autres voix, des voix « normales ». Autrefois, il était rare pour un contre-ténor de chanter au-delà de 45 ans, mais aujourd’hui des chanteurs comme Lawrence Zazzo ou Bejun Mehta et beaucoup d’autres peuvent continuer au-delà de cet âge. C’est probablement parce que la technique s’est améliorée, et donc nos voix restent de bonne qualité si nous utilisons la bonne technique. J’espère vraiment continuer et faire beaucoup d’opéras et d’enregistrements tant que j’y prends plaisir et tant que je n’ai pas le sentiment qu’il est temps d’arrêter. Mais je pense que si je ne suis pas complètement stupide (rires) je comprendrai quand ce sera le bon moment. Et la vie, ce n’est pas que chanter, il y a beaucoup d’autres choses à faire, il y a toujours quelque chose à découvrir, à développer...

BaroquiadeS : Aurons-nous bientôt le plaisir de vous entendre à nouveau en France ?

Filippo Mineccia : Vous pourrez m’entendre en mai en Ruggiero de l’Orlando Furioso au Théâtre des Champs Elysées avec l’Ensemble Matheus et Carlo Vistoli qui est un ami que j’aime profondément et un collègue que j’apprécie énormément. Ce sera mon prochain spectacle en France et je suis impatient d’y être !



Publié le 16 janv. 2023 par Jean-Luc Izard