Rencontre avec Jean-Marc Aymes

BaroquiadeS : Bonjour Jean-Marc. Dans quelques jours va s'ouvrir à Marseille le festival Mars en Baroque. Comment avez-vous bâti le programme de cette quinzième édition ?

Jean-Marc Aymes : Cette édition est assez spéciale, puisqu’il s’agissait de fêter le vingt cinquième anniversaire de Concerto Soave, qui produit le festival Mars en Baroque depuis 10 ans. Nous avons donc voulu montrer que l’ensemble se porte à merveille, non seulement en reprenant quelques uns des programmes qui ont fait sa gloire, mais aussi en l’engageant dans de nouvelles expériences, comme l’aventure des Corpi Ingrati, première collaboration de Concerto Soave avec le Ballet National de Marseille (Emio Greco et Pieter C. Scholten), qui va donner une version très « engagée » du Ballo delle Ingrate de Monteverdi. Ce dernier compositeur sera en effet omniprésent, puisque 2017 sera l’année du quatre cent cinquantième anniversaire de sa naissance. Une version « express » de l’Orfeo, dans l’espace public, de sublimes duos et trios par de jeunes chanteurs, des œuvres ponctuant les différents programmes, sacrés ou profanes... Au fil des anniversaires, des partenariats et des rencontres, la programmation s’est finalement construite de manière très fluide.

BaroquiadeS : La programmation fait une belle place aux compositeurs italiens des 17 et 18ème siècles, mais je note aussi que vous ne craignez pas de proposer en regard des œuvres contemporaines, comme celles du musicien libanais Zad Moultaka...

Jean-Marc Aymes : Ce sera la deuxième collaboration avec ce merveilleux compositeur qu’est Zad Moultaka. Il s’agira d’une œuvre beaucoup plus intime mais tout aussi émouvante que la Passion selon Marie, que Zad avait composée pour Concerto Soave et Les Eléments, l’ensemble de Joël Suhubiette. Cette nouvelle création, Exercices de Lumières (lire notre compte-rendu: Lamentazioni), a été conçue pour s’enchâsser dans une série de lamentations italiennes du XVIIème, que nous avons enregistrées pour Harmonia Mundi. Le rapport entre passé et présent, Orient et Occident, est donc intense et délibéré. Nous sommes tous persuadés qu’il faut soutenir la création contemporaine. C’est un devoir : les créations d’aujourd’hui deviendront peut-être les classiques de demain. Le festival se conclura d’ailleurs par une autre création, Il Canto della Tenebra, spécialement commandée à Luca Antignani pour Concerto Soave et l’ensemble Musicatreize, dont nous partageons non seulement l’espace administratif, mais aussi une vision de la musique ouverte et généreuse. Cependant, lors de cette soirée de clôture, cette création fera écho à la géniale modernité d’un maître du passé : le ténébreux Carlo Gesualdo.

BaroquiadeS : Le baroque français n'est pas oublié, avec des musiques de Charpentier entrecoupées de textes de Bossuet ?

Jean-Marc Aymes : L’Amour de Madeleine est un programme qui fut en effet conçu par Catherine Cessac pour célébrer le trois centième anniversaire de la mort de Charpentier. Il se trouve que Bossuet est aussi mort la même année. Nous avons donc réuni les deux grands hommes autour d’une figure qu’ils ont tous deux célébrée : Marie Madeleine. Le texte de Bossuet, tant admiré par Rilke, et dont Benjamin Lazar, avec son impressionnante « déclamation restituée », rend toute l’incandescence et la brûlante sensualité, répond donc aux plaintes encore si italiennes d’un de nos plus grands compositeurs. Tout cela sous un admirable et immense tableau de Michel Serre (le plus grand tableau d’église de Marseille) datant 1696, récemment restauré, et qui représente le « Ravissement de Madeleine ».

BaroquiadeS : Vous accordez également une place importante au ballet, avec plusieurs chorégraphies...

Jean-Marc Aymes : Effectivement, il y a longtemps que nous voulions associer Concerto Soave à de la danse contemporaine. Nous avions déjà proposé un très joli spectacle avec Il Ballarino, associant danse Renaissance/baroque italienne et musique de Monteverdi. Avec le Ballet National de Marseille, il s’agit d’une entreprise très différente, puisque le Ballo delle Ingrate est en fait un mini-opéra. Emio Greco et Pieter C. Scholten ont donc replacé l’histoire dans un contexte très actuel, où les abus divers que l’on fait subir à différentes minorités est encore malheureusement trop souvent la règle...

La danse ouvrira aussi le festival, puisque la version de l’Orfeo Express le 1er mars sur le Parvis de l’Opéra de Marseille, sera accompagnée par vingt quatre jeunes danseurs de l’Ecole Nationale Supérieure de Danse de Marseille, dirigés par David Llari, jeune chorégraphe incroyable, venu entre autres du hip-hop.

BaroquiadeS : Le festival propose également des moments didactiques, comme la mise en parallèle du violon baroque et du violon classique ?

Jean-Marc Aymes : Roland Hayrabédian, le directeur de Musicatreize, tenait à faire découvrir aux marseillais le génial Francesco d’Orazio, à l’aise aussi bien avec Bach qu’avec Berio. Nous avons donc décidé en commun d’inclure ce concert, programmé dans la salle Musicatreize, au festival. Et pour « ouvrir » les oreilles et les esprits, nous avons décidé de consacrer la journée à cet instrument né avec le baroque : le violon. Avec la participation du CNRR de Marseille et du CNSMD de Lyon, dont le professeur de violon baroque, Odile Edouard, viendra faire une conférence sur son instrument, les marseillais et tous les amateurs de musique de passage pourront ainsi se régaler d’une après-midi « à quatre cordes », qu’elles soient en boyaux ou en métal !

BaroquiadeS : Les autres facettes du baroque trouvent aussi leur place dans ce festival, notamment la peinture et la sculpture, elles aussi mises en regard de créations contemporaines...

Jean-Marc Aymes : Dans cet esprit de faire correspondre et dialoguer les arts pour démultiplier les émotions, nous sommes particulièrement heureux de travailler avec les Musées de Marseille. Conférences, concerts, présentations d’œuvres suivies de mini-concerts dont les musiques sont directement liées aux peintures, sont des événements au centre de notre action, croisant des publics parfois encore trop cloisonnés. De la même manière, nous nous inscrivons dans les Dimanches de la Canebière, avec concerts, ciné-concert, déambulation musicale : amener l’art vers tous, partager avec le plus grand nombre l’émotion qu’il procure, sans rien renier de l’exigence qui lui est dûe, tel est notre constant souci à travers Mars en Baroque.

BaroquiadeS : Mais le clin d’œil à la gourmandise baroque est sans doute l'élément le plus insolite de ce festival !

Jean-Marc Aymes : Plaisir des oreilles, plaisir des yeux, plaisir de l’entendement : pourquoi pas aussi celui des papilles ?.. Si nous avons renoncé (seulement pour cette année) aux Œuvres Culinaires Originales, ces repas en musique si propices aux échanges pour le public, la gourmandise est bien satisfaite avec une sublime madeleine aux parfums de rose et de gingembre, concoctée par le pâtissier Sylvain Depuichaffray, que l’on peut accompagner d’un café spécialement torréfié par la maison Luciani, moka d’une exquise suavité.

BaroquiadeS : Parlez-nous un peu de votre ensemble Concerto Soave, qui fête cette année ses vingt-cinq ans.

Jean-Marc Aymes : Effectivement, Concerto Soave a été fondé il y un peu plus de vingt cinq ans, à la suite de ma rencontre musicale et surtout humaine avec la chanteuse argentine Maria Cristina Kiehr. Notre premier enregistrement, consacré à Giovanni Felice Sances, a été d’ailleurs réalisé à Marseille, au Musée de Beaux-Arts. L’ensemble était d’abord consacré à la musique italienne du premier seicento, d’où notre attachement pour Monteverdi. Les enregistrements pour Harmonia Mundi, plusieurs fois réédités, s’attachaient tous à ce répertoire merveilleux et inépuisable, dont nous voulions rendre toute l’inventivité, et honorer par une interprétation un peu différente le parti pris esthétique omniprésent de suavité.

Concerto Soave est installé à Marseille depuis seulement dix ans, et s’est progressivement ouvert à d’autres formes artistiques, d’autres répertoires, et reste toujours aussi désireux de découvertes et de nouvelles aventures. L’année dernière, nous avons ainsi redonné pour la première fois à notre époque l’Oristeo, opéra de Francesco Cavalli (lire notre compte-rendu : L'Oristeo). L’année précédente, nous avions monté un spectacle associant circassiens et musiciens autour de concerti de Vivaldi. Cette année c’est l’association musique baroque et danse contemporaine qui est à l’honneur, avant un deuxième opéra l’année prochaine.

Peut-être que la « carrière » de l’ensemble n’est pas aussi facile que si nous avions décidé de faire le répertoire baroque devenu « classique ». Mais tant de chefs d’œuvre sont encore à découvrir, et nous sommes encore si désireux de les partager. Si vous regardez nos enregistrements, pratiquement tous sont des « premières mondiales ». Le chemin est peut-être plus difficile, tortueux, mais il en vaut la peine. En tous cas, nous ne nous ennuyons jamais ! Quoi de plus triste qu’un musicien qui s’ennuie ?...

BaroquiadeS : Quels sont vos prochains projets?

Jean-Marc Aymes : De nombreux concerts, bien sûr, en France et en Europe. Des projets que je préfère encore tenir secrets. De très belles reprises comme la Passion selon Marie de Zad Moultalka au festival Musica à Strasbourg. L’élaboration des nouvelles saisons, que ce soit les concerts dans la salle Musicatreize ou la programmation du prochain Mars en Baroque, qui sera consacré aux Amours Baroques !

Et sans doute un prochain enregistrement. Une première, encore une fois, et consacrée à une figure que nous aimons au plus haut point : Marie Madeleine !

BaroquiadeS : Merci Jean-Marc, nous ne manquerons pas de vous suivre à travers ces différents projets !

Le programme intégral du festival est accessible sous l'adresse : 'http://www.marsenbaroque.com/'

Publié le 02 mars 2017 par Bruno Maury