Rencontre avec Marco Angioloni

BaroquiadeS : Bonjour Marco. Vous avez récemment attiré notre attention par votre premier album, consacré aux rôles de nourrice dans l’opéra italien du XVIIème siècle (lire notre compte-rendu), nous en reparlerons. Mais auparavant, revenons sur votre formation d’instrumentiste et de chanteur : comment vous est venu le goût de la musique ?

Marco Angioloni : Je n’appartiens pas à une famille de musiciens. Mais ma grand-mère maternelle chantait beaucoup. Avec ma sœur jumelle, nous avons entamé assez jeunes une formation musicale. J’ai appris le hautbois, et je chantais aussi dans le chœur de mon lycée, ainsi qu’à l’église. Mais à l’époque je n’envisageais pas du tout de devenir chanteur ! Mes études de hautbois m’ont amené à suivre la formation du Conservatoire national de Florence, non loin de ma ville natale d’Arezzo.

BaroquiadeS : Arezzo, qui est aussi le lieu de naissance du grand Guido d’Arezzo mais aussi du compositeur Antonio Cesti (1623 – 1679), est décidément propice à la musique baroque ! Et c’est aussi le hautbois qui vous a amené à Paris je crois ?

Marco Angioloni : Tout à fait. Suite à une masterclass avec Nora Cismondi, je l’ai suivie à Paris afin de me perfectionner en hautbois. J’avais alors vingt ans. L’année suivante, j’ai entamé des études au Conservatoire de Cergy-Pontoise. C’est là où j’ai réalisé que je voulais être chanteur plutôt que hautboïste. Et très vite ma voix m’a permis d’accéder à un petit rôle dans une production de Lucia di Lamermoor de Donizetti. C’était en 2013. Mes parents avaient fait le voyage, ils ont été impressionnés par ma prestation, d’autant qu’ils ne savaient pas que je suivais des cours de chant. C’était en quelque sorte mon « coming out » en tant que chanteur ! Ce début récompensé par le succès m’a incité à poursuivre dans cette voie.

BaroquiadeS : Vous êtes aussi passé par le Centre de Musique Baroque de Versailles ?

Marco Angioloni : En 2015 j’ai intégré le CMBV, dont j’ai suivi la formation jusqu’en 2017.
J’ai gardé des souvenirs très riches du hautbois, ma pratique de l’instrument a enrichi mon approche en tant que chanteur. D’ailleurs, je connais beaucoup d’autres hautboïstes qui ont eu une vocation tardive pour le chant. Ce qui m’intéresse c’est d’être en scène, d’incarner un personnage...

BaroquiadeS : Justement, cela se ressent fortement dans votre premier album, consacré aux nourrices. Vous êtes tout à fait en empathie avec vos personnages, exercice d’autant plus délicat que les nourrices sont plutôt caractérisées comme des personnages comiques, à la psychologie plutôt sommaire...

Marco Angioloni : En effet Cavalli nous dépeint des nourrices à la voix grave, probablement pas très belles, souvent animées par le désir sexuel immédiat ou le souvenir de leurs amours passées, désormais impossibles. J’ai souhaité en faire quelque chose d’un peu différent. Les nourrices pour moi ce sont des personnages de la vie quotidienne de cette époque : en témoigne leur abondance dans la production lyrique de Cavalli, qui compte pas moins de cent quatorze rôles de nourrice ! Je les vois comme des personnages beaucoup plus complexes, à l’égal des héros principaux d’un rang social supérieur. Plusieurs airs expriment d’ailleurs la complexité de leur caractère. C’est dans Richard Cœur de Lion de Telemann, où j’interprétais la nourrice Murmilla au théâtre de Magdebourg, que j’ai découvert la richesse de ces personnages.

BaroquiadeS : Et bien que vous soyez en début de carrière, vous avez déjà chanté de nombreux rôles, pas exclusivement baroques...

Marco Angioloni : Je chante beaucoup de rôles de ténor baroque, parce que cela correspond à ma formation de chanteur. Dans le baroque français je chante le répertoire de taille, le haute-contre demande une technique tout à fait particulière. Mais j’ai une voix plutôt lyrique, qui convient bien dans le répertoire de Bellini, Donizetti ou Rossini. Cela me permet d’aborder une large période musicale, qui va du début du XVIIème siècle à nos jours, où les aigus se font plutôt en utilisant une voix de poitrine.

BaroquiadeS : Et quels sont vos rôles préférés dans le bel canto ?

Marco Angioloni : J’aime beaucoup les opéras de Rossini (Sigismondo, Tancredi,…), et le rôle de Ramiro dans La Cenerentola. Je rêve de chanter Nemorino (dans L’Elixir d’amour de Donizetti), Arnold dans le Guillaume Tell de Rossini, et Rodolfo dans La Bohême. Récemment j’ai chanté Prunier dans La Rondine de Puccini.

BaroquiadeS : Et dans le baroque ?

Marco Angioloni : Je suis très attiré actuellement par les rôles de ténor chez Haendel, que je rêve de chanter sur scène. J’ai d’ailleurs un projet d’album consacré à trois grands compositeurs du XVIIIème siècle, dont Haendel.

BaroquiadeS : Toujours avec l’ensemble Il Groviglio ?

Marco Angioloni : Oui, c’est un ensemble que j’ai créé avec des connaissances et des amis, venant du CMBV et d’autres horizons. « Il Groviglio » désigne en italien « l’enchevêtrement » : c’est un groupe de musiciens avec lesquels je m’entends très bien, musicalement et humainement.

BaroquiadeS : Vous collaborez aussi je crois avec l’ensemble Opera Fuoco ?

Marco Angioloni : J’ai eu le plaisir d’intégrer la compagnie lyrique d’Opera Fuoco, destinée aux jeunes chanteurs, pour sa quatrième promotion en 2017. C’est une très belle aventure musicale et humaine, avec David Stern et son ensemble. Elle m’a permis de découvrir des facettes différentes du répertoire, avec de belles découvertes à la clé dans le répertoire contemporain (Lady in the dark de Kurt Weill, Die stumme Serenade de Kornglod). Je tiens aussi à souligner ma collaboration avec les Talens Lyriques et Christophe Rousset, qui m’a permis de chanter dans La morte d’Orfeo de Landi, Didon et Enée de Purcell et Actéon de Charpentier.

BaroquiadeS : Avec le confinement votre activité musicale se trouve mise entre parenthèses ?

Marco Angioloni : Malheureusement… Nous avions une tournée prévue cet été en France, Italie, Suisse, Espagne et Belgique, dans le cadre de l’Académie d’Ambronay. Le programme est orienté autour de la naissance de l’oratorio italien et français : Carissimi, Rossi, Charpentier… Nous avons toutefois réussi à la reporter en 2021. Et durant ces dernières semaines j’ai chanté les rôles de Don Basilio et Don Curzio dans la production d’Opera Fuoco Figaro in the City, adaptée en film des Noces de Figaro, qui devrait sortir prochainement.

BaroquiadeS : Un bien beau programme en effet, Marco ! Nous ne manquerons pas de vous suivre dans vos prochaines aventures musicales, dont nous espérons qu’elles vont pouvoir reprendre rapidement, ainsi que celles de tous les artistes, pour notre plus grand plaisir.



Publié le 27 mai 2020 par Bruno Maury