Rencontre avec Mathias Vidal

BaroquiadeS : Bonjour Mathias. Nos internautes vous connaissent bien. Ils vous apprécient tout particulièrement dans le baroque français, dans ce registre de haute-contre dans lequel vous excellez, comme dans le récent enregistrement du Temple de la Gloire de Rameau...

RMN-Grand Palais - Jean Valade - Allégorie à la nomination de Louis-Charles-Auguste Fouquet, maréchal-duc de Belle-Isle


Mathias Vidal : J'aime un peu tous les styles de musique, mais le baroque français est incontestablement le plus difficile. Si l'on chante du Rameau sans les ornements, on a l'impression d'entendre du Mozart en français ! Pourtant les ornements sont notés dans les partitions, c'est insensé de ne pas les faire, ou pis encore de mal les faire...
BaroquiadeS : Et la diction est également très importante...
Mathias Vidal : Le texte tient une grande place dans ce répertoire. L'influence du théâtre y est très présente. Il est important que la langue brille, que les voyelles soient bien choisies. Mon plus grand plaisir c'est quand les spectateurs me disent “Mathias, quand tu chantes on peut refermer le livret”. Sur scène j'observe, et quand les spectateurs ne regardent plus les sous-titres je me dis que j'ai gagné. Même dans Offenbach on y arrive...
BaroquiadeS : Oui, car vous chantez aussi l'opérette ! Ce n'est pas très courant pour un chanteur d'opéra ?
Mathias Vidal : Pour l'opérette il faut vraiment de l'humour. Ce n'est pas plus facile, c'est même parfois plus difficile quand c'est très léger... Il faut avoir le sens de la dérision, ne pas avoir honte de faire des choses bizarres avec sa voix. Cela demande une mentalité tout à fait différente de l'opéra. L'opérette n'exige pas autant de travail que le baroque, elle est plus proche du bel canto, qui est aussi une belle école de chant.
BaroquiadeS : Et vous interprétez aussi des oeuvres du bel canto...
Mathias Vidal : Le bel canto ce sont mes racines. C'est ce que j'ai tout d'abord appris à chanter. Une de mes grands-mères est d'origine sicilienne, elle chantait sans cesse des airs... Puis au Conservatoire de Nice j'ai baigné dans la musique italienne. Mais c'est aussi ma professeure de musique, Christiane Patard, qui m'a ouvert à la musique française. Quand j'ai commencé à chanter du Rameau j'ai dû apprendre le style, mais ma voix était déjà bien ancrée grâce à cette formation.
BaroquiadeS : Vous avez même chanté du contemporain !
Mathias Vidal : C'est vrai mais je n'en ai pas chanté beaucoup. Du temps de Compiègne j'ai enregistré le rôle de l'aubergiste dans Les Caprices de Marianne de Sauguet. J'ai aussi chanté du Milhaud, et Guernesey, un cycle de quatre mélodies de Thierry Escaich, à Paris en 2011. En 2010 j'avais participé aux représentations de L'Amour Coupable de Thierry Pécou, à Rouen. Le lien c'est que les chanteurs baroques sont souvent de bons lecteurs, ils se retrouvent donc sans peine dans le contemporain.
BaroquiadeS : Récemment on vous a entendu dans le Persée, version de 1770, avec une puissance vocale étonnante chez un haute-contre...
Mathias Vidal : Ah oui Dauvergne ce n'est plus vraiment du Lully ! J'avais déjà chanté du Dauvergne, avec La Vénitienne. Et il ne fallait pas manquer l'air final !
BaroquiadeS : Oui cet air final éblouissant... Mais n'est-ce pas un peu compliqué, en termes de carrière, d'intervenir dans des répertoires aussi différents ?
Mathias Vidal : Je comprends que ce soit un peu déroutant... On est si vite étiqueté ! Mais un certain nombre de directeurs de théâtre comprennent ma démarche, et m'offrent des rôles intéressants et variés. Ainsi prochainement je vais chanter dans La Somnambule au Bolchoï. Je vais aussi sortir un enregistrement du Cinq-Mars de Gounod, réalisé début 2015, alors que je chantais le Barbe-Bleue d'Offenbach au Mans. J'ai hâte de l'entendre...
Et puis il y a des rôles qui font évoluer la voix. Pour bien le mesurer le chanteur a besoin d'un regard extérieur. Cela ne se pratique guère en France : en général, quand on chante sur scène on ne suit plus un professeur de chant. Pourtant cela me semble indispensable.
BaroquiadeS : Et pour revenir au baroque, vous avez également incarné des rôles assez différents...
Mathias Vidal : Oui. Dans le répertoire français j'ai eu la chance de débuter avec Hervé Niquet, Gérard Lesne et Alain Buet. Ce sont eux qui m'ont appris la technique de ce répertoire. Et Emmanuelle Haïm m'a mis entre les mains ma première partition de Rameau : le Pygmalion. Elle m'a aussi enseigné Monteverdi au Conservatoire. Quand j'ai rencontré William Christie j'avais donc déjà un certain bagage. Mais j'ai été impressionné par son instinct pour les voix, les intonations ; ses conseils se sont révélés très précieux. Avec lui nous avons produit L'Incoronazione di Poppea de Monteverdi à Madrid, et la Didone de Cavalli au Théâtre des Champs-Elysées et à Caen. Et aussi Hippolyte et Aricie de Rameau pour le Festival de Glyndebourne : c'était une belle aventure !
BaroquiadeS : Il en reste un superbe enregistrement vidéo, qui témoigne de votre brillante intervention comme Suivant de l'Amour dans le désopilant prologue mis en scène par Jonathan Kent !




Mathias Vidal : J'aime beaucoup Rameau. C'est sans doute le compositeur qui allait le plus loin dans le travail entre le corps et la voix. Parmi les hautes-contres on peut relever des variantes notables : chez Charpentier on a des hautes-contres très légers, chez Rameau ils sont en général plus charpentés, plus charnus. Mais il existe aussi une variété chez Rameau : Pygmalion nécessite un timbre beaucoup plus léger. Et dans la génération des jeunes ténors qui sortent des conservatoires, on peut noter une grande qualité, et aussi une grande variété, gages de belles découvertes dans les années à venir...
BaroquiadeS : Si vous le permettez, une question plus personnelle. Vous nous faites l'amitié de nous recevoir à votre domicile ; autour de nous votre fille d'à peine un an gambabe joyeusement. Comment peut-on concilier une carrière artistique comme la vôtre avec une vie familiale ?
Mathias Vidal : Ce n'est pas toujours facile de concilier les deux, en effet ! Mais il faut relativiser : mon père, qui n'était pas chanteur, partait tôt et rentrait tard ; je ne le voyais pas forcément beaucoup. Le gros avantage de la vie de chanteur c'est qu'elle offre des périodes libres importantes, qui permettent des moments privilégiés avec sa famille. J'arrive ainsi à partager avec mes enfants des instants qu'un papa qui travaille de manière plus conventionnelle ne connaît pas. Mais la vie de chanteur garde ses contraintes. Quand par exemple après six heures de répétitions en province ou à l'étranger on rentre à l'hôtel ou dans un appartement de passage... La préparation d'un spectacle comme un opéra demande un gros investissement sur le plan personnel.
BaroquiadeS : On le comprend aisément. Quels sont donc vos projets pour les prochaines semaines ?
Mathias Vidal : Je pars prochainement à Moscou, pour chanter dans La Somnambule au Bolchoï. Puis je chanterai avec Leonardo Garcia Alarcon un opéra bâti à partir de chansons populaires siciliennes. En juin je chanterai aussi dans Don Quichotte chez la Duchesse à Versailles, et dans Les Indes Galantes à Munich. Début août je donnerai Le Carnaval de Venise à Prague avec un ensemble local.
BaroquiadeS : Un beau programme, tout à fait à l'image de l'étendue de votre registre. Nous ne manquerons pas de vous suivre assidûment dans vos prochaines interprétations !

Publié le 15 mai 2016 par Bruno MAURY