Agitata - Galou

Agitata - Galou ©Giulia Papetti
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Un ravissement pour l'oreille

C'est toujours enthousiasmant de réaliser le compte-rendu d'un premier récital. C'est ce que nous offre, dans un programme, qui plus est, d'une vraie originalité, Delphine Galou, contralto française, qui après avoir pratiqué la philosophie à la Sorbonne, s'est finalement tournée vers le chant (et le piano) pour le plus grand bonheur des mélomanes, . Après avoir participé à plusieurs enregistrements baroques d'opéras ou d'oratorios : Vivaldi (Teuzzone - 2011, Orlando furioso - 2012, L'Incoronazione di Dario - 2014 ), Caldara (La Concordia de' pianeti - 2014), Porpora (Vespro per la festivita dell'assunta - 2012- ), Rossini (Petite Messe Solennelle - 2015), voici enfin le CD récital attendu par les amateurs. Avec ce titre Agitata (label Alpha), Delphine Galou retrouve l'Accademia Bizantina sous la direction d'Ottavio Dantone, ensemble et chef (tous italiens) qu'elle a souvent côtoyés, ce qui transparaît à l'écoute.

Les airs choisis n'égrainent pas une énième litanie d'extraits d'opéra plus ou moins connus ou redécouverts. Ils forment un programme extrêmement bien choisi et pensé, pour cette tessiture féminine finalement plutôt rare, d'extraits d'oratorios et de compositions religieuses. Le chef Ottavio Dantone précise dans le livret qu'il s'agit d’« ... un voyage, ni chronologique, ni concentré sur un seul compositeur, mais repose davantage sur l'implication émotionnelle dans un contexte spirituel ». Cerise sur le gâteau, la majorité des œuvres choisies sont des premières au disque, les autres, sauf la première plage sont, tout de même assez rarement données. Le programme consiste ainsi en six extraits de Vivaldi, Jommelli, Porpora, Stradella, Torelli et Brevi (le moins connu), agrémentés d'un concerto de Gregori et d'une sinfonia de Caldara. Tous ces compositeurs italiens ont vécu entre les XVIIème et XVIIIème siècles.

Première plage de cet enregistrement, Agitata infido flatu (ayant inspiré le titre du CD) est un extrait de la première partie de l'oratorio le plus célèbre de Vivaldi Juditha Triumphans. Cet air avec ses doubles croches répétées, diaboliques, mimant une hirondelle traversant un coup de vent terrible, convient parfaitement à la contralto : virtuosité, légèreté, angoisse, tout y est. Il faut dire que l'orchestre qui l'entoure, même s'il est d'un effectif réduit, est plein de contraste, chatoyant, virtuose et bigrement précis.

La cantate O spiritu Angelici, du compositeur assez méconnu Giovanni Battisti Brevi, est une très belle découverte (seul un enregistrement d'une autre cantate par Max van Egmond en 1988 est disponible en CD) dans un style « plus simple ». La voix sensible et délicate de Delphine Galou, s'y mélange avec grâce aux merveilleux instrumentistes. L'Alleluia final, très virtuose, emporte l'auditeur.

Ainsi, la cantate Lumini Dolenti Lumi (pour la semaine sainte) est une révélation aussi bien pour les alternances d'affects que pour les moments vocaux., particulièrement bien mis en exergue par la chanteuse. Composée par le Véronais Giuseppe Torelli plus connu pour ses concerti (on considère d'ailleurs qu'il est le premier a en avoir composé un, pour instrument soliste en 1700) elle permet de découvrir son œuvre religieuse malheureusement très méconnue.

Les deux napolitains et contemporains, Niccolo Porpora et Nicola Jommelli, sont respectivement représentés par le motet In procella sine stella, et un extrait de la Betulia Liberata (oratorio de 1743, semble-t-il inédit au disque) pour l'air Prigionier che fa ritorno qui mettent en évidence le velouté délicat de la voix de la chanteuse, tour à tour virtuose et très sombre.

La diction et le sens de la narration de la contralto emportent particulièrement le Et egressus est a filia Sion, extrait des Lamentations du Mercredi Saint (composées en 1679) d'Alessandro Stradella.

Les deux insertions purement instrumentales sont pour Giovanni Lorenzo Gregori le Concerto numéro 2 de l'opus 2 (dont une partie a été enregistrée en 2014 par le Barockorchester Capriccio Basel, pour le label Tudor) et Antonio Caldara, la sinfonia de La Passione di Gesu Cristo Signor Nostro (oratorio de 1730), sont des grands moments de musique instrumentale. L'orchestre pourtant restreint à un effectif de treize instrumentistes à cordes met son énergie débordante au service d'un juste rendu des émotions dont la palette étendue suscite un enthousiasme toujours renouvelé.

En conclusion, un disque d'une grande qualité, aussi bien pour le répertoire très original que pour la voix douce et soyeuse de la contralto Delphine Galou, qui possède (pour ceux qui ne la connaissent pas encore) une très belle technique. Le tout en association avec un chef, Ottavio Dantone et des instrumentistes, l'Accademia Bizantina, très impliqués, avec une belle exigence stylistique et une texture instrumentale riche. Les couleurs vocales que la chanteuse propose sont d'une grande variété et font de cette parution un ravissement pour l'oreille qui s'écoute d'un seul trait et sans une seconde d'ennui.



Publié le 15 oct. 2018 par Robert Sabatier