The Anonymous Lover - Moine de Salzbourg

The Anonymous Lover - Moine de Salzbourg © André Hinderlich / Graphisme : Christian Möhring
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Portrait en mosaïque du Moine de Salzbourg

Après Walther von der Vogelweide (c. 1170 – c. 1230), Neidhart von Reuental (c . 1180 – c. 1240), et Konrad von Würzburg (c. 1230 - 1287), le Mönch von Salzburg devance Oswald von Wolkenstein (c. 1376 - 1445) dans la floraison tardive du Minnesang. On n’a pas identifié ce « Moine » avec certitude, mais certaines thèses le confondent avec le Prince-Archevêque Pilgrim von Puchheim (c. 1330 - 1396) lui-même, quand d’autres théories contestent son appartenance religieuse, en considération des écarts licencieux des chansons à boire, et même si une large moitié de la centaine de compositions vocales relève du spectre sacré et couvre l’année liturgique. L’ensemble de cette production constitue en tout cas un legs majeur de la lyrique germanique au crépuscule du Moyen-Âge, tant par son volume, sa qualité, sa diffusion (environ quatre-vingt-dix manuscrits), que sa postérité : le recueil Mondsee-Wien Liederhandbuch (Bibliothèque Nationale d’Autriche, codex 2856) rassemblera au siècle suivant l’essentiel du corpus profane, ici à l’honneur dans ce disque.

Les indices polyphoniques contenus dans les manuscrits ont pu permettre à l’équipe de les extrapoler à des chansons conservées sous forme monodique, « au fil d’un travail de plusieurs années sur l’œuvre complet » dit la notice. Laquelle attire aussi l’attention sur les spécificités mélodiques et harmoniques de ce legs. Treize chansons au programme sont créditées comme un arrangement de Philipp Lamprecht ou Anne-Suse Enßle, notamment des versions instrumentales qui recourent à un large éventail de combinaisons, détaillé en page 62 du livret : huit flûtes à bec, douçaine, harpe, xylophone, tympanon, organetto, vièle et vielle à roue, cela avec la contribution de Susanne Ansorg (cordes frottées). On note aussi la participation de l’artiste dramatique André Hinderlich dans trois récitations, dont deux qui précèdent ou suivent la pièce afférente (une estampie, le Gar leis in senfter weis) : une mise en exergue du substrat littéraire qui peut sembler didactique et artificielle, d’autant que la sèche captation dépare l’acoustique autrement avenante des plages musicales.

Le livret rend un juste hommage à l’album Mein Traut Gesell que l’Ensemble Für frühe Musik Augsburg (Sabine Lutzenberger, Hans Ganser, Rainer Herpichböhm, Heinz Schwamm) enregistra en février 1995 pour le label Christophorus, cardinale contribution à la discographie du Moine. Le duo Enßle-Lamprecht reprend ce flambeau, qu’il avait déjà rallumé dans un précédent CD intitulé Tesserae (Audax, 2016) : un patchwork médiéviste incluant trois pièces (Eya Herre Got Was Mag Das Gesein, O Vasenacht, Ich Het Czu Hannt Geloket Mir) qui préfiguraient le présent menu, entièrement consacré à leur compositeur.

On retrouve ici la même tentation mosaïste, juxtaposant des tesselles aux formes et couleurs constamment renouvelées au gré du parcours. Un West du es recht liebs frewlein czart aux onctions pourléchées (et aux dangereuses échappées en voix de tête), un Wenn ich betracht die gueten nacht en registre mixte, la gouaille du Phuech, ruemer, lugner, klaffer : l’art caméléonesque de Philipp Lamprecht s’ingénie à traduire les multiples tons et humeurs que suggère le texte. Festonné par le souffle virtuose d’Anne-Suse Enßle dans l’Estampie W26, ou le Vil maniger geud von sweigen sich sur une double-flûte en sol, ce foisonnement d’images nous éloigne peut-être d’une vision cohérente sur ce répertoire. L’instrumentarium bigarré et la spontanéité du chant nous détournent parfois vers l’anecdotique. Mais une telle incessante variété forge aussi l’attrait du récital, en alimentant un portrait à la touche de ce moine désespérément sans visage.



Publié le 15 déc. 2022 par Christophe Steyne